ANALYSE ETHIQUE DU SYNDROME D’ALIENATION PARENTALE (SAP) ou ALIENATION PARENTALE (AP)

Gérard Lopez

  • Psychiatre
  • Expert près la Cour d’appel de Paris
  • Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale
  • Université Paris-Descartes

Cet article reprend, mais en l’approfondissant, un chapitre de « Enfants violés et violentés : le scandale ignorés[1] »

* * *

Nos chers enfants peuvent mentir. Ils sont influençables, suggestibles. Ils peuvent être manipulés dans les divorces conflictuels et les conflits de droit de garde. Quelques travaux de recherche, résumés dans le tableau suivant, le démontrent :

Tableau 1. Les enfants peuvent mentir pour :

éviter une punition 38 % des enfants < 3ans Lewis, Stranger & Sullivan, 1987
entretenir un jeu 35 % des enfants de 2 à 8 ans Tate, Warren & Hess, 1992
tenir une promesse 42 % des enfants de 5 ans Pipe et Goodman, 1991
obtenir un gain personnel 50 % des enfants d’une garderie Ceci, et al, 1993
éviter d’être dans l’embarras (culpabilité, honte, fierté) surtout après l’âge de 8 ans Bussey, 1992

Leekam, 1992

Source : Ceci et Bruck[2].

 

Dans ce cas, qu’apporte un SAP/AP et que peut-il ajouter à ce constat que les experts prennent en compte dans leurs expertises ?

Paul Bensussan[3] citant Richard Alan Gardner[4] définit le SAP comme « – Une campagne de dénigrement d’un enfant contre un parent. – Cette campagne étant injustifiée et résultant d’un plus ou moins subtil travail de manipulation pouvant aller jusqu’au lavage de cerveau, avec le mélange, dans des proportions plus ou moins variables, de contributions personnelles de l’enfant. »

Gardner décrit huit manifestations chez l’enfant révélatrices du SAP :

  1. rejet et diffamation d’un parent ;
  2. rationalisation absurde ;
  3. absence d’ambivalence normale ;
  4. réflexe de prise de position pour le parent manipulateur ;
  5. extension des hostilités à toute la famille et à l’entourage du parent rejeté ;
  6. phénomène de libre opinion ;
  7. absence de culpabilité du fait de la cruauté supposée du parent adversaire ;
  8. adoption de « scénarii empruntés ».

Et trois formes selon le degré d’intensité : faible, légère et sévère.

Compte tenu des polémiques qu’il suscite, des enjeux judiciaires et des possibles conséquences humaines, nous allons étudier le SAP selon les principes de l’analyse éthique développée par l’équipe du Professeur Christian Hervé[5] au laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale de l’Université Paris-Descartes avec successivement : 1) une analyse de la pertinence éthique du SAP fondée sur l’évaluation scientifique ; 2) une analyse du SAP selon les principes d’une éthique de la discussion ; 3) une analyse éthique fondée sur la « conviction » au nom de laquelle on pourrait par exemple contester la théorie de l’évolution en récusant le caractère symbolique de la Genèse ; 4) mais qu’il soit évalué positivement ou négativement, ou à défaut être consensuel ou défendu avec conviction, l’objet de l’étude, le SAP en l’occurrence, doit nécessairement être confronté aux pratiques concrètes de terrain.

I. ANALYSE DU SAP DU POINT DE VUE DE LA RECHERCHE

Commençons par l’analyse de la recherche scientifique concernant le SAP.

1.1. La recherche scientifique

Jacqueline Phélip cite une publication[6] qui fait le point sur l’état actuel de la recherche scientifique quantitative et qualitative concernant le SAP/AP où sont précisées : la taille de l’échantillon, la manière dont la population a été sélectionnée, les procédures de collecte des données, les mesures utilisées, la manière dont les données ont été analysées. Les auteurs ont trouvé vingt-neuf études publiées et dix thèses non publiées qu’ils ont ensuite évaluées selon les critères de l’échelle d’évaluation des preuves (GRADE). Sur la totalité des trente-neuf études empiriques, aucune n’obtient le grade « haute qualité », sept le grade « qualité moyenne », dix-sept le grade « faible qualité » et quinze le grade « très faible qualité. » La majorité des études ont en effet de faibles échantillons, pas de groupe témoin, ou elles ne s’appuient que sur le point de vue du parent rejeté. Les chercheurs concluent que la recherche nécessite d’être développée.

Johnston et Goldman[7] ont publié un article faisant état d’un suivi au long cours d’enfants qui avaient refusé ou rejeté un parent. Dans la grande majorité des cas, les enfants n’avaient pas été spécialement « aliénés ». Quand ils rejetaient un parent la raison la plus fréquente tenait aux carences parentales du parent rejeté.

L’inclusion du SAP/AP dans le DSM 5[8] souhaitée par ses défenseurs, constituerait sa consécration dans la mesure où elle serait fondée sur les critères américains et internationaux de la médecine fondée sur des preuves. Nous n’en sommes pas là si on en juge par une lettre co-signée par une vingtaine de chercheurs confirmés[9] qui ont émis un avis défavorable à l’inclusion du SAP dans le DSM 5 faute de preuves. De surcroît, dans une lettre adressée le 4 nov. 2011 par la Task Force de l’American Psychiatric Association aux présidents de l’American Psychological Association et de la Society for Humanistic Psychology[10], les experts de la Task Force indiquent ne pas avoir accepté d’inclure le SAP/AP dans le DSM 5, faute de preuves scientifiques suffisantes.

1.2. Les chiffres

Jean-Marc Delfieu[11] explique : « Près de 90 % de soupçons d’abus sexuels exprimés dans le cadre de contentieux relatif au droit d’exercice de l’autorité parentale et du droit de fréquentation ne se confirment pas. »

Paul Bensussan (2010) quant à lui, parle d’études épidémiologiques non référencées et, citant largement Hubert Van Gisjeghem, explique qu’il existe une augmentation récente des formes sévères du SAP (p. 407). Selon l’Office national de la délinquance et de la répression pénale (ONDPR) [12] 154 000 femmes et 39000 hommes âgés de 18 à 75 ans se sont déclarées victimes de viols et tentatives de viol ; seuls environ 10 % d’entre eux ont porté plainte dans les services de police et de gendarmerie. Les enquêtes de victimation concernant les mineurs de moins de 14 ans ne peuvent être réalisées. Aussi est-il impossible de connaître le chiffre noir de la maltraitance infantile. On ne peut se rapporter qu’à la criminalité révélée en matière de maltraitance, c’est-à dire-aux chiffres de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée[13] qui reflète l’activité des conseils généraux. L’Observatoire national de l’enfance en danger[14] tente d’élargir progressivement la connaissance de la population des enfants en danger et mentionne l’existence d’un chiffre noir difficilement appréhendable. Rappelons à ce sujet que les professionnels de santé ne signalent que 3 à 5 % des enfants en danger. Par quel étrange mystère, le chiffre noir de la criminalité en matière de violences faites aux enfants dans le cadre des divorces conflictuels (et ailleurs) serait-il le seul à être largement sous-estimé ?

II. ANALYSE DU SAP DU POINT DE VUE DE L’ETHIQUE DE LA DISCUSSION

 L’éthique de la discussion est fondée sur des points de vue scientifiques et sociaux. Sont convoqués des scientifiques, des philosophes, des représentants de la société civile, des religieux. Le consensus reflète l’état de la réflexion de la société sur un problème éthique à un moment donné. On ne peut que constater que le SAP ne figure pas dans la conférence de consensus française (2001) pas plus que dans l’Audition publique sur l’expertise mentale[15]. Les experts réunis sont par conséquent des ignorants à moins qu’ils soient prudents et se rappellent cet adage : « Un expert ne doit jamais rien affirmer s’il n’a pas des preuves irréfutables ».

III. ANALYSE DU SAP DU POINT DE VUE D’UNE ETHIQUE DE LA CONVICTION

 3.1. Les controverses

L’éthique de la conviction, source de débats passionnés, est fondée sur le vieux principe caricaturé par Aristoteles dixit.

Dans son chapitre, Paul Bensussan (2011) écrit (p. 403) que la première controverse : « concerne… son existence même », les points de suspension méritant d’être interprétés comme il se doit, car l’existence du SAP est en effet contestée pour les raisons ci-dessus exposées, ce qui ne signifie pas que les enfants ne puissent pas être instrumentalisés dans les séparations conflictuelles.

Cédant à la passion Paul Bensussan s’indigne (p. 403) : « Citons Hélène Palma, féministe radicale et professeur en… études anglophones : Richard Gardner est l’inventeur d’un concept parfaitement irrecevable tant sur le plan scientifique que juridique (le SAP) qui consiste à invalider toute plainte d’inceste formulée par des enfants. Suicidé de plusieurs coups de couteau dans le ventre […] »

A contrario, dans le registre passionnel, on peut retenir que Richard Gardner avait une vision assez particulière de la sexualité humaine : il considérait que les activités sexuelles entre adultes et enfants ainsi que les paraphilies font partie du répertoire naturel de l’humanité car elles servent des buts procréatifs qui favorisent l’amélioration de la survie de l’espèce[16]. Il ajoutait : « Il est à noter que parmi tous les peuples anciens, les juifs étaient les seuls qui étaient punitifs envers les pédophiles. Les premières prescriptions chrétiennes semblent avoir été dérivées des premiers enseignements des juifs, et notre sur réaction actuelle à la pédophilie reflète une exagération des principes judéo-chrétiens[17] ». Hubert Van Gijseghem, qui a popularisé en SAP en Europe, déclarait lors de son audition devant le comité de la Chambre des Communes canadienne, au sujet d’un projet de loi voulant durcir les peines des prédateurs sexuels : « la pédophilie est une orientation sexuelle au même titre que l’hétérosexualité ou l’homosexualité[18]. »

3.2 Arguments faussement scientifiques

Paul Bensussan (2011) avance des arguments pseudo-scientifiques qu’il voudrait convaincants, citons-le : il aurait fait 800 expertises familiales ; les juges aux affaires familiales y adhèrent ; il a été membre d’une commission à la chancellerie (a-t-elle interrogé les psychiatres détracteurs du SAP ?) ; il a eu l’honneur de participer à un comité auto proclamé ; le tribunal de Toulon a reconnu le SAP pour la première fois le 14 juin 2007 (p. 413) ; les « mauvais » experts l’ignorent. Ajoutons que le SAP est à l’honneur dans les associations de pères en colère, qu’il existe une association militante le soutenant, qu’il est enseigné à l’École nationale de la magistrature et que Paul Bensussan, lui-même, a témoigné pour la défense au procès dit « d’Outreau » où, on l’oublie toujours, douze enfants ont été reconnus victimes de viols et actes de proxénétisme.

IV. ANALYSE ETHIQUE DES PRATIQUES DE TERRAIN

 Si le SAP n’a pas été évalué par la recherche scientifique, n’est pas reconnu par les consensus professionnels et repose pour l’essentiel sur une éthique de la conviction, qu’en est-il des pratiques de terrain ?

4.1. Le SAP sur le terrain judiciaire

Pour les associations de défense des droits de l’enfant, le SAP/AP serait systématiquement invoqué par certains experts, par les avocats, par certains juges, surtout quand existe une allégation de maltraitance, plus particulièrement sexuelle.

Certains experts judiciaires témoignent pour la défense lors des procès pour viol ou agression sexuelle sur mineur, comme ce fut le cas à Outreau : quid de l’éthique de cette pratique ? Espérons, sur le plan déontologique cette fois, celui des règles, que ces experts judiciaires ne parlent pas nommément d’enfants qu’ils n’ont pas examinés comme en dispose le Code de déontologie médicale qui exige que les certificats médicaux soient conformes aux constatations médicales (C. déont., art. 76 ; CSP, art. R. 4127-76).

Une étude du collectif féministe contre le viol[19] démontrerait que le SAP créerait des catastrophes judiciaires.

On peut citer les trois exemples cliniques de pratiques de terrain rapportés par Jean-Marc Delfieu (2005) dans son article à l’usage des experts judiciaires :

Exemple 1 : K., âgé de 4 ans […] Sa mère âgée de 25 ans l’accompagne […] elle a suspendu les rencontres père-enfant à la suite de « révélations » d’attouchements […] Le père n’a pas vu son enfant depuis […] Nous rencontrerons plus tard cet homme qui exprime une souffrance authentique vis-à-vis de son fils   […] La mère ne viendra pas au deuxième entretien. Nous apprenons fin 2003 que, refusant de satisfaire au droit de visite du père, elle s’est enfuie avec K. avant l’arrivée de la police. Lorsqu’elle est revenue au domicile de sa propre mère, K. a été confié à son père.
Exemple 2 : M., âgée de 41 ans, et J., âgé de 42 ans, sont vus en expertise séparément […] à la suite du refus de M. de confier leur enfant commun […] Cette suspension des droits de visite a été concomitante d’une plainte déposée pour violences […] nombreux témoignages de l’accident survenu lors d’un match de football […] Lors des entretiens, nous ne retrouvions aucune pathologie mentale chez J. En revanche, pour M., nous constations une « personnalité hystérique avec des tendances mythomaniaques et affabulatrices ». A. a été confié à son père.
Exemple 3 : C., 52 ans, est témoin assisté du chef de viol sur mineur à la suite de la plainte de son ex compagne F., 39 ans, concernant leur fils C., âgé de 3 ans. Lors de l’expertise pénale, nous ne retrouverons aucune pathologie mentale chez C. […] nous avions décrit chez F. une « personnalité névrotique histrionique décompensée sur un mode dépressif » […] « traits de caractère qui la font interpréter et reconstruire des événements en fonction de ses convictions inébranlables ». Nous insistions sur « le rôle de la grand-mère maternelle dans la genèse de ce scénario accusatoire ».

Dans les trois cas, on trouve des allégations de maltraitances dont deux cas de violences sexuelles. Dans tous les cas, le parent « aliéné », le père, est décrit comme étant « équilibré », le parent « aliénant », la mère ou la grand-mère, comme histrionique ou paranoïaque. L’enfant est confié à son père dans les exemples 1 et 2 ; on ignore son sort dans l’exemple 3.

Ces exemples ressemblent davantage à des « histoires de chasse » médicales qu’à des expertises dans la mesure où des diagnostics sont assénés sans le moindre argumentaire clinique : rien sur la biographie des protagonistes, leurs antécédents, pas de description clinique, pas de discussion médicolégale.

Des contre-exemples bien documentés existent, celui-ci par exemple :

Amélie est conduite dans un service d’accueil pour enfants victimes pour une longue évaluation pluridisciplinaire demandée par le médecin traitant de la mère. La mère est stupéfaite par les conclusions.
Conclusions du rapport social du service hospitalier : Nous avons reçu les parents de Amélie à la demande de Madame A dans le cadre de suspicion de négligences éducatives et de violences physiques de Monsieur B envers Amélie. Leurs discours sont tous les deux cohérents et totalement opposés dans leur contenu. Le couple parental est aux prises à de graves difficultés relationnelles. Amélie est au centre de ce conflit.
Conclusions du rapport psychologique du même service : Lorsque nous évoquons son père qu’elle prénomme : Jean-Paul, c’était mon père, Amélie a un visage sombre, un regard inexpressif et est incapable de répondre à mes questions. À l’évocation de son père, Amélie semble traumatisée. Cependant compte tenu de certains éléments, je m’interroge sur une possible instrumentalisation de l’enfant. Lorsque nous abordons d’autres sujets Amélie devient une petite fille beaucoup plus loquace et souriante.

 

L’expert judiciaire missionné par le JAF tirera des conclusions identiques.

Les « certains éléments » évoqués sans explications dont il est question sont une plainte pour agression sexuelle que la mère n’a pas signalée dans les entretiens parce qu’il s’agit d’un signalement de l’école auquel elle n’adhère pas. Il aurait pourtant été facile de démonter la fameuse symétrie des discours si l’esprit critique des évaluateurs n’avait pas été obscurci par le SAP. Car si le père paraît toujours être un bon père, les évaluateurs auraient pu pointer certains éléments objectifs :

  • il disparaît pendant 18 mois sans donner de nouvelles ;
  • il réduit de sa propre initiative la pension alimentaire de 450 € à 150 € quand il veut bien la payer, dans la plus grande opacité financière ;
  • il a été condamné à une peine de prison avec sursis pour non-paiement de la pension alimentaire à la mère de son premier enfant (qui témoigne pourtant qu’il est un bon père) ;
  • il a été condamné à une peine de prison avec sursis pour coups et blessures volontaires sur la mère.

N’est-il pas de règle de rechercher des éléments objectifs comme d’éventuels antécédents judiciaires dans une expertise, même pour signaler que le sujet déclare ne jamais avoir eu de problèmes judiciaires ?

4.2. Le SAP comme recette « prêt-à-penser »

Ce contre-exemple pose un problème éthique bien connu en médecine : celui de la « recette », le prêt-à-penser dont sont friands les praticiens. Rappelons l’engouement pour la spasmophilie en France : des milliers de papiers soi-disant scientifiques, la prescription systématique de magnésium devant tous troubles anxieux… Ou l’heurt du syndrome d’hyperactivité avec prescription d’un médicament qui évite de se poser la question d’une possible maltraitance.

Il n’en reste pas moins vrai que dans ce contre-exemple documenté, un parent manipulateur utilise le SAP à son profit en justice pour passer pour la victime du parent bienveillant… dit « aliénant » : on parle à ce sujet d’un processus d’inversion qui est la signature des processus pervers.

Dans ce climat d’incertitude et de problème éthique, tout expert devrait se conformer aux recommandations consensuelles de l’audition publique pour l’expertise pénale.

V. RECOMMANDATIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE POUR L’EXPERTISE PENALE

Devant la difficulté des expertises d’enfants les experts réunis les 25 et 26 janv. 2007 recommandent :

  • d’exiger que l’expert désigné pour évaluer un mineur (auteur ou victime) possède une compétence en pédopsychiatrie attestée par sa formation et par une pratique régulière de la spécialité ;
  • de ne pas porter de diagnostic de personnalité avant l’âge de 16 ans, suivant ainsi les recommandations de l’OMS ;
[…]
  • de favoriser le recours à une expertise précoce qui peut être réalisée comme l’autorise la loi du 17 juin 1998 à la demande du parquet ou sur réquisition dans une unité médico-judiciaire pour mineurs ;
  • de visionner l’enregistrement audio-visuel réalisé pendant l’audition de la victime ;
[…]
  • d’évaluer soigneusement les mécanismes de l’emprise que peut exercer le ou les adultes sur le mineur ;
  • de recourir à l’entretien familial, essentiel pour la compréhension de la dynamique interne à la famille et à l’évaluation de la récurrence transgénérationnelle des traumatismes d’ordre sexuel ;
[…]

Notons que les experts de l’Audition publique (2007) n’ignorent pas que les « mécanismes d’emprise » sont au centre des difficultés rencontrées dans les expertises familiales, mais ils portent également leur attention sur l’expérience de l’expert nécessairement pédopsychiatre, sur l’importance de l’examen de l’enfant et non pas uniquement sur l’analyse du discours des adultes au sujet d’un enfant par avance disqualifié dès que le SAP est évoqué. Dans le contre-exemple d’Amélie, des mécanismes de dissociation sont décrits par les trois évaluateurs lorsqu’ils l’interrogent sur sa relation au père : un visage sombre, un regard inexpressif, une incapacité de répondre aux questions, mais il est surtout question d’une plainte qui est en réalité un signalement de l’école auquel la mère ne s’associe pas malgré ses griefs.

VI. EN CONCLUSION

L’analyse éthique du SAP, démontre que, jusqu’à preuve du contraire, il s’inscrit dans une logique de conviction, source de polémiques et de controverses passionnées.

L’analyse des pratiques démontre que le SAP pourrait être « recette » qui apporte une solution simple voire simpliste à un problème complexe, comme ce fut fréquemment le cas en médecine, pour feu la spasmophilie par exemple.

Le SAP est d’autant plus pernicieux qu’il est décrit comme une entité clinique qui prend le masque d’un trouble figurant dans les nomenclatures psychiatriques internationales où ne sont recensés que les troubles qui ont bénéficié de nombreuses études scientifiques.

Le SAP/AP risque d’inhiber l’esprit critique de certains juges et experts, surtout lorsqu’il est question d’allégations de violences sexuelles.

Il nous paraît enfin entretenir le déni de la maltraitance infantile comme ce fut souligné par le professeur Paul Fink ancien président de l’APA (American Psychiatric Association) et directeur du Leadership Council on Mental Health, qui déclarait : « Je suis très inquiet en ce qui concerne l’influence que Gardner et sa pseudo-science peuvent exercer sur les tribunaux…. Une fois que le juge admet le SAP, il est facile de conclure que les allégations d’agressions sont mensongères et les tribunaux attribuent la garde des enfants à des agresseurs présumés ou avérés ; Gardner est en train de détruire l’idée que les plaintes pour agressions sexuelles sont graves[20]. » Pour l’heure, rangeons-nous aux recommandations des consensus français et aux conclusions de Janet R. Johnston, Joan Kelly et coll. qui ont été sollicitées par le comité chargé de la révision du DSM :

  • il n’existe pas de consensus pour une définition unique de l’aliénation ;
  • les preuves qui soutiennent l’existence de l’aliénation sont largement fondées sur des opinions cliniques et d’experts ;
  • une plus ample recherche est nécessaire pour distinguer l’aliénation due à un « lavage de cerveau » à d’autres types de prises de distances entre parents et enfants ;
  • un système d’évaluation est nécessaire pour évaluer les points forts et les limites de la recherche empirique actuelle sur l’aliénation.

Ajoutons que des protocoles d’entretien validés[21] par la recherche existent et qu’il faudrait qu’ils soient développés en France pour recueillir la parole de l’enfant sans être suggestif.

NOTES

[1] G. Lopez, Enfants violés et violentés : le scandale ignoré, Paris, Dunod, 2013

[2] S. J. Ceci et M. Bruck, L’enfant témoin. Une analyse scientifique du témoignage d’enfants. Traduction française par Gottschalk M. Paris, Bruxelles. De Boeck Université sa, 1998.

[3] P. Bensussan, Aliénation parentale : vers la reconnaissance ?, in R. Coutanceau et J. Smith, Violence et famille, Paris, Dunod, 2011.

[4] R. A. Gardner, The Parental Aliénation Syndrome by Créative Thérapeutics. Cresskill N. J., 1998.

[5] C. Hervé, Éthique, politique et santé. Paris, PUF, 2000.

[6] M. Saini, JR Johnston, B. Fidler, N. Bala, Empirical Studies of Alienation, Oxford University Press, 2012 (cité par J. Phélip, Divorce, séparation : les enfants sont-ils protégés ?, Dunod, 2012).

[7] R. J. Johnston, J. R. Goldman, Outcomes of Family Counseling Interventions with Children who resist Visitation : an Addendum to Friedlander and Walters, Family Court Review, 2010.

[8] Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) de l’Association Américaine de Psychiatrie (AAP).

[9] J. R. Johnston, J. Kelly et al., Lettre adressée aux responsables du DSM pour avis sur l’inclusion du SAP/AP dans le DSM V. (cité par J. Phélip, Divorce, séparation : les enfants sont-ils protégés ?, Paris, Dunod, 2012) http://www.lenfantdabord.org/wp-content/uploads/2011/06/SAP-courrier-JOHNSTON.pdf

[10]http://www.dsm5.org/Newsroom/Documents/DSM5%20TF%20Response_Society%20for%20Humanistic%20Psychology_110411r.pdf

[11] J.-M. Delfieu, Syndrome d’aliénation parentale. Diagnostic et prise en charge médico-juridique, Experts – n° 67 – juin 2005

[12] http://www.inhesj.fr/fr/ondrp/les-publications/rapports-annuels.

[13] www.odas.net

[14] www.oned.gouv.fr

[15] Audition publique, Expertise psychiatrique pénale, Fédération Française de Psychiatrie : 25 et 26 janv. 2007.

[16] J. Hoult, Evidentiary Admissibilty of Parental Alienation Syndrome: Science, Law, and Policy, Children’s Legal Rights Journal, 2006 ; PJ Caplan, Le syndrome d’aliénation parentale, Recherches et Prévisions, n° 89, 2007.

[17] S. J. Dallam, Parental Alienation Syndrome: Is it Scientific? in St Charles E & Crook L, 1999

[18] Ottawa SUN, févr. 2011.

[19] Collectif Féministe Contre le Viol, Déni de justice, Bulletin 2006, 2007 (www.cfcv.asso.fr).

[20] C. S. Bruch, Parental Alienation Syndrome and Alienated Children getting it wrong in Child Custody cases, Child and Family Law Quarterly 381, 2002.

[21] M. Cyr, J. Dion, Quand des guides d’entrevue servent à protéger la mémoire des enfants: L’exemple du protocole NICHD. Revue québécoise de psychologie, 27, 2006. M. Cyr. Recueillir la parole de l’enfant victime ou témoin. Paris, Dunod, 2014

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