Le Professeur Marie-France Mamzer accueille ce cinquième colloque (30 septembre 2014, 7 juillet 2016, 15 mars 2017, 7 juin 2018) consacré à la protection de l’enfance, lequel réunit des universitaires et des associations œuvrant dans ce champ.
Il complète le colloque de 2018 organisé autour de l’expérience du Dr Marina Walter, psychiatre « forensique » qualifiée, spécialisation qui n’existe pas en France ou ailleurs en Europe, pour comparer les pratiques.
A la suite de ce colloque, l’université de Paris a accepté la création d’un diplôme universitaire : Expertise légale en pédopsychiatrie et psychologie de l’enfant sous la direction du Pr Mamzer, coordonné par les Dr Jean-Marc Ben Kemoun et Maurice Berger.
Ce colloque a également traité le problème du respect du contradictoire dans les expertises civiles familiales.
MATINEE
- Le Dr Jean-Marc Ben Kemoun, pédopsychiatre et médecin légiste, présente le DU.
Il explique qu’il lui revient la lourde tâche de présenter le diplôme universitaire « expertise légale en pédopsychiatrie et psychologie de l’enfant » qu’il co coordonne avec le Dr Maurice Berger.
Ils sont partis d’un constat de terrain, simple. En France, la plupart des mineurs subissent des expertises psychiatriques et psychologiques, de la part de professionnels, qui ne sont ni pédopsychiatre ou psychiatre de l’adolescent, ni psychologue spécialisé dans l’enfance ou dans l’adolescence.
Les expertises sont en général demandées dans un cadre social, familial, administratif, civil, pénal.
Ces expertises, dont certains se défendent, probablement par peur des conséquences de leur rapport, qu’elles ne sont pas un des éléments majeurs de la procédure, entraînent pourtant des conséquences non négligeables sur la vie des individus : l’évaluation du dommage corporel et les éléments nécessaires à la procédure pénale et à la procédure civile
L’évaluation de la capacité de discernement, d’anticipation des conséquences des actes, du consentement, voire pour les adolescents plus âgés, de la responsabilité
Enfin, l’évaluation des conséquences de la maltraitance subie, et de l’aptitude à la parentalité, entraînant la nécessité ou non d’une séparation familiale, d’un placement, et l’évaluation de l’aptitude à la coparentalité permettant de définir un droit de visite et d’hébergement adapté.
Il est alors étonnant qu’une juridiction puisse nommer un expert qui ne soit pas compétent dans le champ de l’enfance et de l’adolescence, c’est-à-dire, telle que l’on définit l’expertise en France : avoir une activité clinique en rapport avec l’enfance ou l’adolescence ; savoir porter un diagnostic psychiatrique et pratiquer une évaluation psychologique chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte ; avoir des connaissances dans le champ de la médecine et de la psychologie légale, ce qui entraîne certaines connaissances en droit et de la justice en France.
Outre les attitudes : d’écoute ; d’empathie, (l’empathie n’est pas synonyme de sympathie, une attitude trop chaleureuse étant au moins aussi délétère qu’une attitude distante) ; de neutralité ; d’impartialité ; l’expert doit avoir des connaissances solides de la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent ; savoir prendre une position claire dans les conclusions de son expertise, qui seules éclaireront l’autorité requérante, et devra être capable de préconiser des mesures pour que le développement du mineur tant sur le plan physique que psychique se passe dans les conditions respectant au moins ses droits et besoins fondamentaux.
Ce travail se situe clairement dans le champ de la protection de l’enfance, quelle que soit l’autorité mandante et la mission d’expertise, et que les experts doivent toujours avoir présent à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant chère aux différentes lois de protection de l’enfance.
Qu’en est-il alors de ceux qui ne connaissent pas les fondamentaux de la protection de l’enfance, ni les besoins fondamentaux de l’enfant nécessaire à un développement harmonieux et intégratif ?
Mes maitres en pédopsychiatrie expliquaient qu’il ne peut y avoir d’examen de l’enfant, sans connaissance du milieu dans lequel il évolue.
Ainsi, un chapitre important de ces expertises concerne : le niveau de développement psycho-affectif, intellectuel, social, mais aussi la relation avec les pairs et la fratrie ; les besoins particuliers de cet enfant en fonction de sa personnalité et de ses caractéristiques physiques, intellectuelles, sociales et affectives ; enfin le développement somatique. Ces éléments sont à explorer quelle que soit l’expertise, et le stade de développement de l’enfant, même si l’enfant n’a pas encore acquis la parole ou s’il présente un handicap ou un trouble venant gêner sa communication.
Quatre axes sont donc primordiaux à explorer : 1) le fonctionnement psychologique de l’enfant ce que l’on appellera : diagnostic de l’enfant ; 2) le fonctionnement psychologique des parents ou des figures d’attachement primaire, soit le diagnostic parental ; 3) les compétences parentales ; 4) la co-parentalité, les conflits du couple, et loyauté de l’enfant.
Mais outre la connaissance de l’enfant, de son développement, de ses connaissances et de ses aptitudes à un moment donné, qui peut être celui de l’expertise, mais aussi celui du moment des actes que nous sommes amenés à analyser, l’expert devrait avoir une connaissance : des techniques d’audition non suggestive et notamment du NICHD, seule technique portée par un support scientifique ; des formes de maltraitance et autres traumatismes, ainsi que de leurs conséquences, qui sont souvent très difficiles à repérer pour un praticien non formé, au point qu’il n’est pas rare de lire des expertises ne retrouvant pas de retentissement ou de psychopathologie, ou utilisant des classifications obsolètes, alors qu’en fait l’expert n’a pas de connaissances de la qualité du retentissement pour tel ou tel fait. Il est en effet important de repérer dans le comportement de l’enfant ce qui pourrait traduire les conséquences d’une pathologie, ou de faits subis, ou d’un comportement qui s’inscrit dans la normalité du développement de l’enfant ou de la pathologie qu’il présente.
L’expert doit aussi avoir des connaissances approfondies concernant la parentalité, et ses troubles
Il sera important que l’expert soit formé à la reconnaissance de la suggestibilité de l’enfant, sans pour autant mettre en doute sa parole, et qu’il sache que l’enfant va être influencé par la qualité de la relation, ajustant sa réponse en fonction de l’orientation ou de l’insistance de la question, répondant à des questions qu’il ne comprend pas, modifiant sa réponse si on répète la question.
L’expert doit aussi savoir composer avec la résistance du mineur, classique dans ce type d’acte. Il est donc primordial qu’il sache s’adapter au niveau de l’enfant, et créer une relation d’alliance dès la phase d’accueil. Ainsi, on ne dérogera pas à la règle qui vaut qu’un enfant ou un mineur, doit être accueilli dans un lieu ou dans une structure adaptée à son niveau de développement.
C’est pour cela qu’il y a quelques années, j’ai proposé au laboratoire d’éthique médicale cette formation, soutenue par Gérard Lopez, puis largement par Maurice Berger.
Si vous avez eu accès au programme de ce diplôme universitaire, vous verrez que nous nous sommes partagés la tâche en fonction de nos compétences particulières et que nous avons fait appel à des professionnels reconnus dans leur domaine, et aguerris à la fois à la prise en charge des mineurs, mais aussi à la pratique de l’expertise les concernant.
Ainsi, le développement de l’enfant, ses besoins fondamentaux, le fonctionnement familial et sa pathologie, l’évaluation de la parentalité, l’expertise en justice des affaires familiales sont des chapitres portés par Maurice Berger tant il y est reconnu, et tant il a apporté aux différents professionnels.
Le recueil de la parole de l’enfant, et comment communiquer avec un enfant, l’évaluation du dommage corporel, la justice pénale et le mineur, qu’il soit victime ou auteur, sont des chapitres qui me sont confiés vu ma pratique professionnelle.
Il y aura toujours des passerelles, qui ne feront que renforcer vos connaissances.
Ce diplôme sera validé par la rédaction et la soutenance d’un mémoire.
Enfin je terminerai en vous assurant que ce diplôme n’aurait pas vu le jour sans le soutien indéfectible de Marie-France, le professeur Marie-France Mamzer, directrice du laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale de l’université Paris Descartes, que je remercie chaleureusement et sans la détermination et le soutien de Madame Florie Weber-Faulet , Codirectrice Service Commun de Formation Continue, Cheffe de Département formation professionnelle continue, DU, DIU et autres diplômes.
- Le Dr Gérard Lopez, coordinateur des DU de victimologie te de psychotraumatologie de l’Université Paris-Descartes Université de Paris présente un cas clinique tendant à démontrer la toxicité de certains rapports sociaux.
L’orateur sollicité par un avocat a critiqué un rapport social qui a eu pour conséquence le maintien du placement d’un adolescent de 14 ans, malgré ses protestations.
Le Dr Lopez a adressé ce mail pour que l’avocat puisse le faire valoir pendant l’audition chez le juge :
Je vous remercie de m’avoir envoyé quelques pièces du dossier.
Assez curieusement, il ne semble pas qu’une expertise psychologique de l’adolescent ait été réalisée dans un cadre neutre où il n’y aurait aucun lien d’intérêt, ce qui n’est évidemment pas le cas quand on se fonde sur des avis émanant d’une institution dont on sait qu’elles ont pour but, parfois inconscient (terme qu’utilise de façon légère la psychologue de la maison d’enfant), de précisément défendre l’institution.
Votre cliente été examinée dans un cadre serein par une psychologue clinicienne confirmée, travaillant avec la MIPROF, ayant dirigé des travaux avec des juges d’enfants réputés, laquelle considère que votre cliente a un caractère très difficile, projectif, mais sans que cela présente une dimension pathologique, c’est à dire une psychose paranoïaque. Il aurait cependant été préférable que cet examen fût réalisé par un expert judiciaire plutôt que dans un cadre privé, pour les mêmes raisons éthiques de possibles liens d’intérêts.
En fait, Mme, compte tenu de son caractère très difficile, déclenche des réactions de rejet, le fameux contre transfert négatif, surtout de la part des personnes qui sont du fait de leur position professionnelle ou de leur personnalité en situation de rivalité avec elle. Les attestations de la maison d’enfant sont caricaturales. La psychologue se sent directement mise en cause et règle manifestement des comptes de façon elle aussi projective comme le démontre cette phrase qu’elle attribue aux relations mère-enfant mais qui résume sa position personnelle : « ce type de position dominant/dominé met en exergue un rapport de pouvoir où l’un est à la merci de l’autre » ce qui pour une personne qui manie des concepts psychanalytiques serait comique si l’enfant ne risquait pas d’en faire cruellement les frais. Comment peut-on parler de position de délire psychotique ou je cite : « de délire à deux » (quand on n’est pas psychiatre), d’absence de « triangulation » alors que l’enfant se plaint au juge des enfants d’être privé de ses camarades et qu’il aurait de multiples activités surinvesties.
Les concepts psychanalytiques nécessitent pour être valides, une longue psychothérapie pour ne pas être pervertis par des prises de position idéologico-dogmatiques, et je ne parle même pas de l’invraisemblable analyse d’une relation incestueuse (sic) entre la mère et l’enfant : on à l’impression que l’on parle d’un enfant séquestré et violé comme Elisabeth Fritzl en Autriche ! Et que penser des préconisations punitives pour la mère condamnée explicitement à la peine de mort quand la psychologue recommande un seul appel téléphonique par mois « pour que Dimitri vérifie que sa mère est toujours vivante ».
Je vous répète que ne comprends vraiment pas pourquoi Dimitri n’a pas bénéficié d’une expertise judiciaire dans un contexte de neutralité. Car soit il est une sorte de zombi sous l’emprise d’une mère perverse, ce qu’écrit explicitement la psychologue quand elle parle de « caractère jubilatoire que prend cette dynamique relationnelle », soit on invalide la parole d’un adolescent de 14 ans !
Tout ceci est malheureusement préjudiciable pour Dimitri qui est instrumentalisé dans un conflit d’autorité entre adultes difficiles.
Il serait nécessaire de faire appel à des experts pédopsychiatres qualifiés pour tenter de démêler cette affaire qui nécessiterait, par exemple, 70h de travail dans le service de psychiatrie légale universitaire de Genève.
Il est curieux que l’on ne puisse pas placer les enfants victimes de violences mais que l’on trouve aussi facilement une place pour l’adolescent d’une « casse pied »…
Je vous prie de croire, Chère Maitre, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
Cette lettre a retenu l’attention du parquet.
Une expertise judiciaire a été diligentée. L’avocat propose au Dr Lopez s’y assister en recours.
Il s’agit là d’un rare exemple de collaboration fructueuse entre un avocat et un psychiatre, tous deux décidés à faire respecter le caractère contradictoire d’une expertise civile dès l’examen de l’expert.
- Maitre Pascal Cussigh, avocat au barreau de Paris, président de l’association Coup de pouce, protection de l’enfant, aborde le problème du non respect du contradictoire dans les expertises civiles familiales et la façon d’y remédier
Le principe du contradictoire permet à chacune des parties à la procédure de discuter des arguments et des pièces fournies par la partie adverse. C’est le juge qui est chargé de veiller au respect du contradictoire. Ce principe découle d’autres principes essentiels de procédure tels que l’exercice des droits de la défense et l’exigence du procès équitable et de l’égalité des armes entre les parties (article 6 paragraphe 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme).
Dans le cadre de contentieux familiaux, il est fréquent que le Juge aux Affaires Familiales ordonne des expertises médico-psychologiques (plus rarement des expertises psychiatriques). Il s’agit alors de recueillir l’avis d’un technicien dont le rapport doit « éclairer » le juge (art. 232 du Code de procédure Civile – CPC). Selon la loi, il ne doit s’agir que d’un éclairage puisque le juge n’est jamais lié par les conclusions de l’expert.
Pourtant, la pratique montre que les rapports d’expertise ont une influence considérable et que le juge suit très souvent les préconisations de l’expert. Ce qui en soi est d’ailleurs assez choquant puisque si l’expert est un professionnel de la psychologie, seul le juge a accès à l’intégralité des éléments du dossier et il n’y a en réalité que lui qui soit en mesure de démêler le vrai du faux.
Quoi qu’il en soit, cette importance de l’expertise a amené des auteurs à décrire l’expertise comme « un petit procès au cœur du grand ».
L’expert étant investi de sa mission par un juge, l’expertise est soumise au respect des dispositions du Code de procédure Civile, dont l’article 16 du CPC qui prévoit expressément le respect du contradictoire. Mais, au stade de l’expertise, la jurisprudence n’a pas toujours appliqué de façon rigoureuse le respect de ce principe. Pendant longtemps, les tribunaux ont été assez souples avec l’application du contradictoire lors de l’expertise puisqu’ils considéraient qu’en tout état de cause, les parties pourraient rediscuter ensuite contradictoirement devant le tribunal du rapport d’expertise déposé. Puis notamment sous l’influence de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (voir notamment arrêt Mantovanelli du 18 mars 1997 condamnant la France), la Cour de Cassation a retenu une application plus stricte de ce principe en constatant que l’orientation d’un dossier se joue dès l’expertise, et que les droits des parties doivent y être préservés.
Nous verrons donc d’abord les conséquences pratiques du respect du contradictoire au stade de l’expertise (I), puis les difficultés d’application dans le domaine de l’expertise civile familiale (II).
3.1- Les conséquences pratiques du respect du contradictoire au stade de l’expertise
Les parties doivent être invitées à participer aux opérations d’expertise, ce qui présuppose donc d’y avoir été convoqué. A défaut de convocation, le rapport d’expertise sera jugé inopposable à la partie non-convoquée.
Mais les avocats des parties doivent eux aussi être convoqués (Cass. Civ, 26 novembre 1999), à défaut l’expertise est susceptible d’être annulée sans même avoir à démontrer un grief.
La seule atténuation à cette participation des parties aux opérations d’expertise est acceptée pour les expertises dites « techniques » (exemple du crash aérien où l’expert décide de faire tourner le moteur en usine pendant plusieurs heures pour déceler une éventuelle anomalie, durant lesquelles la présence des parties ne servirait pas à grand-chose…) Toutefois, même dans cette hypothèse, le principe du contradictoire imposera à l’expert de communiquer les résultats de ces tests aux parties afin qu’ils puissent les discuter.
Chaque partie doit également pouvoir faire des observations au cours des opérations d’expertise.
Souvent, afin que cette discussion puisse avoir lieu avant le dépôt du rapport définitif, l’expert va communiquer aux parties un « pré-rapport ». A partir de ce pré-rapport, les parties peuvent formuler leurs observations dans un document appelé « dire ».
Ce dire est adressé à l’expert et aux autres parties, et l’expert est tenu d’y répondre. Il est joint au rapport d’expertise si la partie qui l’a rédigé en fait la demande (art. 276 du CPC)
Chaque partie doit bien entendu être destinataire du rapport d’expertise.
Si ces règles ne sont pas respectées (par exemple, pré-rapport communiqué à une seule des parties, ou expert acceptant des documents d’une partie sans qu’ils aient été communiqués à l’autre), la sanction est alors la nullité du rapport d’expertise. Cette nullité est à solliciter lorsque l’affaire revient devant le juge.
La présence de l’avocat lors de l’expertise se justifie donc, en tout premier lieu, par la nécessité de vérifier que le contradictoire est bien respecté.
En revanche, la pratique montre qu’en matière d’expertise civile familiale, ce qui est clairement établi ci-dessus est rarement appliqué.
3.2- Les difficultés d’application dans le domaine de l’expertise civile familiale
En pratique, les avocats ne sont quasiment jamais présents lors des expertises médico-psychologiques, et ils ne sont jamais convoqués aux opérations d’expertise. Pourtant, dans les expertises « traditionnelles », les avocats n’ont le plus souvent aucune compétence technique à apporter aux opérations d’expertise, ce qui n’empêche pas les juges de considérer leur présence comme indispensable.
Pourquoi la présence de l’avocat dans les expertises médico-psychologiques ne serait-elle pas nécessaire au motif qu’il n’est pas un professionnel de la psychologie, alors que sa présence n’est jamais remise en cause dans des expertises liées à la pollution aux hydrocarbures ou aux accidents aériens par exemple, dans lesquels ses compétences techniques ne sont pas des plus flagrantes ?
De même, les parties ont le droit d’être assistées par leur propre « expert-conseil » ou « médecin-recours », ce qui se fait très couramment en matière de préjudices corporels. Pourtant, cela reste très exceptionnel (et même contesté par les experts) dans les expertises civiles familiales, sans aucune justification convaincante. Il semble incontestable que la présence d’un tel professionnel pourrait non-seulement enrichir l’expertise mais aurait également le grand mérite de diminuer la part d’arbitraire d’un expert « tout-puissant » qui est libre d’entendre et de retranscrire ce qu’il veut.
Un ancien bâtonnier de Paris, M. Charrière-Bournazel déclarait ainsi : « Aucun sujet ne devrait être entendu seul par l’expert, hors la présence de son propre médecin conseil, choisi par lui ou désigné dans les conditions de l’aide juridictionnelle. Il ne saurait y avoir d’expertise équitable sans liberté de contredire ».
Pourtant, à ce jour, il n’a pas (encore) été jugé que l’absence d’avocat ou de médecin-recours soit une cause d’annulation de l’expertise psychologique pour violation du principe du contradictoire, alors que ce le serait dans les autres types d’expertise.
On a ainsi des expertises rendues dans ce domaine qui amènent à des situations pour le moins choquantes. Tel que cet expert judiciaire, chargé d’expertiser les enfants, et qui finit par poser un diagnostic sur la mère (soi-disant atteinte du syndrome de Munchhaüsen par procuration) sans l’avoir vue une seconde ! Il ne s’agit plus alors d’expert judiciaire mais d’expert « aux pouvoirs surnaturels » qui fait plus dans les « arts divinatoires » que dans l’expertise psychologique !… Dans ce type d’hypothèse, l’expert excède manifestement la mission qui lui a été confiée, et la partie qui en est victime doit solliciter que ces affirmations aventureuses soient écartées des débats.
De même, l’absence de pré-rapport met les parties dans l’impossibilité de faire des observations sur les opérations d’expertise et encourt donc l’annulation du rapport pour non-respect du contradictoire.
D’autres expertises semblent basées sur des théories psychanalytiques contestables, selon lesquelles en substance, lorsqu’un enfant ne va pas bien, il faut en rechercher la cause dans une pathologie de la mère. C’est sur la base de ces « analyses », que des experts ou des juges ont tendance à voir des syndromes de Munchhaüsen par procuration partout, alors que cette pathologie reste heureusement, et selon les études officielles, extrêmement rare.
Enfin, des experts sont désignés parfois parce que leurs convictions personnelles sont déjà bien connues et que le Juge va y rechercher une confirmation de son ressenti initial. C’est ainsi que Paul Bensussan, psychiatre adepte et défenseur du « syndrome d’aliénation parentale », conclut systématiquement ses expertises par une remise en cause de la crédibilité des enfants se disant victimes de violences sexuelles et qu’à ce titre, sa désignation est très souvent sollicitée par les pères accusés de ces agressions sexuelles. Ses expertises ne sont alors – sans surprise – qu’une reprise des thèses qu’il défendait déjà dans ses ouvrages dont les titres sont éclairants sur son parti-pris : « le piège du soupçon » et « la dictature de l’émotion ».
Compte-tenu de tout ce qui précède, il paraît indispensable que le contradictoire soit mieux respecté dans les expertises civiles familiales, et que cela constitue même un moyen incontournable pour lutter contre des expertises arbitraires et dangereuses.
Même si les experts ou les magistrats s’offusquent de certaines demandes, il revient aux avocats d’imposer leur présence, comme cela a été fait dans d’autres domaines, même si cela bousculait les habitudes et le confort de certains.
Et s’il faut passer par une décision de la Cour de Cassation pour que les expertises civiles familiales ne se déroulent plus dans la clandestinité et dans des conditions inéquitables pour les parties, alors faisons-le et peut-être aurons nous des expertises médico-psychologiques ne déclenchant pas autant de polémiques et de critiques.
- Madame Michèle Créoff, vice-présidente du Conseil National de la Protection de l’Enfance, fait la synthèse de la matinée.
L’expertise en matière, civile et familiale est encore exceptionnelle, très souvent, les acteurs de la protection de l’enfance se considèrent eux-mêmes comme des experts de l’enfant, de ses besoins fondamentaux et de son développement. Cependant, il nous est rappelé aujourd’hui par le Docteur Benkemoun que cette expertise est du côté de la protection de l’enfant et que l’empathie nécessaire ne signifie pas absence de neutralité. Or les professionnels prenant en charge l’enfant au quotidien ou prenant des décisions sur l’organisation de sa vie, tout en étant professionnellement compétents, ne sont en aucun cas dans une posture de neutralité. Elever un enfant à la place de ses parents, est une mission de suppléance parentale. Chaque professionnel exerce ce que les parents ne sont pas en compétence ou en capacité de faire. Pour cela, ce professionnel investit dans sa mission, ses expériences en tant qu’ancien enfant et actuel parent. Il n’est absolument pas neutre dans sa posture professionnelle et heureusement pour sa relation avec l’enfant. De plus il exerce au sein d’une institution qui a des intérêts particuliers dans la prise en charge. Maitre Cussigh nous a justement rappelé que la décision judiciaire doit être prise après un débat contradictoire où tout les arguments doivent être débattus et la construction même de ces arguments doit être soumise aux parties. L’enfant a donc besoin pour défendre ses droits d’un conseil, qui ne soit lié par aucun intérêt aux parties et aux institutions. L’enfant a besoin, pour définir les atteintes à son développement physique et psychologique qu’il subit et les conséquences de celles-ci sur son avenir, d’un expert formé au développement de l’enfant qui assume son rôle diagnostic et prédictif en toute transparence sur ses méthodes et ses concepts. La protection de l’enfance sortira grandie de la présence des avocats et des experts dans le débat judiciaire.
APRES-MIDI
- Le Dr Maurice Berger présente une intervention sur l’expertise légale en matière d’affaires familiales.
L’expertise légale en pédopsychiatrie et en psychologie clinique de l’enfant est une discipline au double sens du terme. C’est une discipline particulière au sens d’un champ de savoirs légaux et cliniques dans le domaine de l’enfance. C’est aussi une discipline au sens d’une rigueur indispensable dans sa démarche. Construction intellectuelle différente d’un processus thérapeutique, elle nécessite d’assembler au mieux toutes les pièces d’un puzzle. Encore faut-il se donner la peine de rechercher ces pièces et de les inclure dans le raisonnement terminal, toutes, donc en renonçant à nos éventuels a priori de départs ou « intermédiaires ».
L’expertise en matière d’affaires familiales, qui concerne le plus souvent le droit de visite et d’hébergement lorsqu’il existe un conflit parental à ce propos, illustre la nécessité de cette rigueur. Il est indispensable de prendre d’importantes précautions au cours de son déroulement pour parvenir à des conclusions valables qui puissent éclairer le magistrat dans sa décision. C’est encore plus le cas lorsqu’un parent accuse l’autre de maltraitance ou d’ « aliénation parentale », terme refusé par les authentiques cliniciens et de nombreux organismes scientifiques en France et à l’étranger qui, pour plusieurs raisons, préfèrent le terme d’emprise ou d’instrumentalisation de l’enfant. L’expert est alors à certains moments dans le domaine de la « preuve », pas au sens pénal du terme, mais au sens d’une tentative d’évaluer précisément la manière donc chacun peut omettre ou déformer volontairement certains faits ou certains propos. Dans ces situations, il est nécessaire qu’à partir de l’analyse des dires de chacun des protagonistes impliqués et de tous les documents mis à sa disposition, l’expert utilise trois procédés : la « confrontation », le « zoom », l’activation de la relation parent-enfant.
5.1- La “confrontation”
Il ne s’agit pas d’une confrontation directe entre les parents ni du contradictoire au sens l’article 16 du Code de procédure pénal.
Chaque parent reçu seul doit, à un moment de l’expertise, être confronté à ce que l’autre parent et chaque enfant a déclaré. Ainsi si une mère reçue seule déclare que son ex conjoint lui a lancé une table sur le ventre lorsqu’elle en était à son 6e mois de grossesse, cet homme doit ensuite être questionné sur cette scène, et inversement, si cette mère a été reçue en premier, elle devra être revue pour la questionner sur les faits et paroles que son ex-conjoint lui attribue. C’est pour cela qu’il peut être nécessaire de recevoir chaque parent plusieurs fois. Ou si deux experts sont nommés, le premier expert peut demander au second d’explorer des points précis tels que ceux décrits ci-dessus, apparus lors du premier entretien.
Et si un enfant reçu seul déclare avoir été frappé ou insulté par un parent ou avoir été confronté à une attitude éducative inadéquate, ceci sera repris avec le parent concerné, reçu seul puis si possible en présence de l’enfant (cf. le protocole décrit dans Thyma[1]). Il peut alors être souhaitable que l’expert rassure auparavant l’enfant en lui disant qu’il ne laissera pas la discussion dégénérer au cas où son parent se montrerait mécontent. Il est alors essentiel de comparer la manière dont un enfant s’exprime en présence de chaque parent : est-il plus libre de penser, de critiquer avec l’un des deux ?
Une autre dimension du « contradictoire » consiste à confronter chaque parent avec ce qui est inscrit dans les documents que l’expert devra avoir lus en entier auparavant, en particulier lorsqu’il existe des omissions ou des contradictions dans les propos d’un parent par rapport au contenu de ces écrits.
5.2- Le “zoom”
La pratique du « contradictoire » ne peut être efficace que si elle s’accompagne d’une description très précise des scènes familiales apportées par un parent ou un enfant. « Qu’avez-vous dit ou répondu ou fait exactement à tel moment ? Que s’était-il passé précisément auparavant ? Pourquoi ? Et ensuite ? Votre avez dit à votre ex-conjoint(e) que votre père était mort, or il s’avère qu’il est toujours en vie, pourquoi avez-vous parlé de son décès ? », etc., sans se contenter d’une réponse de surface et en explorant chaque fois le fonctionnement psychique de chaque sujet, et la manière dont il peut déformer la réalité volontairement ou de manière projective.
5.3- L’activation de la relation parent-enfant
De plus en plus de magistrats demandent dans leur mission que soit évaluée la relation parent(s)-enfant en les recevant ensemble. Beaucoup d’experts, en particulier ceux n’ayant pas la formation décrite ci-dessous, « s’exécutent » en mettant en contact parent et enfant dans leur bureau et en observant le « calme » de l’enfant qui n’apparaît pas spécialement angoissé, sans qu’on sache s’il est vraiment en confiance avec le parent présent ou s’il bloque des sentiments de crainte ou de colère. Pour avoir une idée plus précise, il est alors nécessaire « d’activer la relation ». On peut donner l’image suivante. Pour préparer une course en montagne en haute altitude, il ne suffit pas de s’asseoir tranquillement pendant une journée au sommet de l’Aiguille du Midi (3850 m) où on accède en téléphérique, cela ne sert à rien. Il faut activer son système cardio respiratoire par du mouvement, par exemple en marchant. Dans le cas de l’expertise, il faut proposer une activité commune parent-enfant, le plus souvent jouer avec un jeu adapté à l’âge de l’enfant (dinette, lego, jeu avec des figurines, dessin, coloriage, jeu de société) sans que l’expert y participe. On peut voir apparaître des comportements d’emprise de la part du parent, ou sa difficulté à rester centré sur l’enfant plus de quelques minutes, etc.) Pour un enfant de moins de 12 mois, il peut s’agir d’une activité de change, de nourrissage, du jeu de coucou caché ou de la tour de cube à démolir-reconstruire, ou autres.
5.4- On comprend la nécessité absolue d’avoir une pratique pédopsychiatrique ou en psychologie clinique de l’enfant depuis plusieurs années pour pratiquer des expertises dans ces champs. Etonnant (terme faible) de constater comment des professionnels n’ayant jamais été formés dans ce domaine s’autorisent à avoir cette pratique, au fond parce qu’il s’agit d’enfants, incapables du fait de leur immaturité de dire à un expert adulte qu’il ne comprend pas ce qu’ils essayent d’exprimer et leurs besoins. Les exemples les plus fréquents concernent la méconnaissance du niveau de développement cognitif d’un enfant en fonction de son âge, ce qui amène à lui poser des questions totalement inadaptées en cas de suspicion de maltraitance et/ou d’abus sexuel (cf. l’exposé du Dr Benkemoun sur le NICHD). Un autre exemple est, dans l’attribution du droit de visite et d’hébergement, la non prise en compte du besoin essentiel de continuité pour un enfant petit décrit dans des centaines d’articles scientifiques et qui est au fondement de l’article 1 de la loi de 2016 sur la protection de l’enfance. Ou encore plus simplement, la non prise en compte des mouvements d’opposition parfois excessifs constitutifs des processus psychiques à l’adolescence et qui sont fréquemment interprétés comme si l’adolescent n’exprimait pas sa propre pensée mais celle d’un de ses parents.
Par ailleurs, dans sa pratique, un expert doit avoir réalisé des suivis longs de situations proches de celles qui lui sont adressées, sinon il risque de faire des préconisations complètement irréalistes. Dans ce florilège, on trouve souvent la proposition de médiation dans des situations de violences conjugales alors que c’est totalement contre indiqué, la proposition de « travail psychothérapique sur soi » pour des adultes ayant un fonctionnement pervers alors que les psychothérapies avec de tels sujets se terminent quasiment toujours par un échec ; et dans un autre contexte, celui de la justice des enfants, l’indication de fin de visites médiatisées pour faire plaisir aux parents alors que les professionnels qui ont l’expérience de ce dispositif savent que l’enfant peut progresser dans ce cadre, mais que c’est exceptionnel au niveau des parents, comme l’a indiqué Myriam David. Etre expert, c’est préalablement être capable de faire des suivis thérapeutiques dignes de ce nom, ce qui n’est malheureusement souvent pas le cas. Et on arrive au paradoxe suivant : l’activité d’expertise, cruciale car elle va souvent déterminer le destin des enfants, n’est souvent pas exercée par les professionnels les plus expérimentés. Ceci soulève plusieurs questions. Pourquoi les professionnels expérimentés font-ils aussi peu ou pas d’expertises, alors qu’il s’agit d’une dimension particulièrement « noble » de notre métier? Très faible rémunération ? Absence de temps disponible étant donné le nombre important d’enfants en attente de rendez-vous (pour cette raison, nous proposons que les experts formés au DU décrit ci-dessous ne fassent pas plus de quatre expertises par an) ? Faible investissement dans les domaines concernés (conflits parentaux autour de la garde, protection de l’enfance) ? Autre question, celle des critères retenus pour qu’un professionnel soit inscrit sur la liste officielle des Cours d’Appel.
5.5- La création de DU « Expertise légale en pédopsychiatrie et en psychologie clinique » au Laboratoire d’Ethique médicale et de Médecine légale de Paris 5 est due au nombre d’expertises de mauvaise qualité et qui ne respectent pas ces principes. Elles présentent principalement trois sortes de défauts :
- Les expertises « molles » sont assez bien faites, au sens où l’expert a rassemblé les éléments qui permettent de comprendre la situation. Mais au moment de conclure, il a peur de s’engager, et fait des propositions molles, du genre droit de garde très large à un parent qu’il a décrit comme ayant des traits de personnalité paranoïaques et une volonté d’emprise pathologique sur l’autre parent et sur l’enfant. Ou en matière de justice des enfants, ne pas proposer des visites médiatisées alors que l’expert a précédemment décrit le père comme schizophrène couchant nu avec sa fille âgée de 8 ans, la mère comme mélancolique, et tous deux comme incapables d’évoluer et de s’occuper de leur enfant.
- Dans les expertises descriptives, dites aussi « paresseuses », l’expert note « Madame dit cela », « Monsieur dit cela », sans aucune confrontation de chaque parent aux dires de l’autre ou de l’enfant, ou aux pièces dont l’expert dispose. Cette « méthode » est sans doute très économique pour l’expert qui s’épargne tout moment de tension pendant son travail, mais c’est le principe même du contradictoire qui n’est pas mis en action dans ce genre d’expertises, dont on ne voit pas en quoi elles peuvent aider le magistrat dans sa décision.
- Dans les expertises idéologiques, tout le matériel recueilli est interprété à partir du raisonnement pré établi par l’expert, donc en fonction de ses préjugés théoriques. Ainsi certains experts terminent toutes leurs expertises par « syndrome d’aliénation parentale » quelles que soient les situations qui leur sont adressées.
Et on retrouve les mêmes défauts, parfois en pire, dans un bon nombre d’enquêtes sociales.
L’exposé s’est terminé par la description de l’expertise d’une situation déjà expertisée précédemment par un autre pédopsychiatre, et qui concerne un conflit parental important autour de la garde d’un enfant de onze ans. Il illustre les précautions qui ont été nécessaires au niveau du cadre et les difficultés rencontrées pour parvenir, néanmoins, à des conclusions solides.
- Me Christine Cerrada, avocate au barreau de Paris développe les recours possibles contre les enquêtes sociales (JAF) et les rapports sociaux (assistance éducative) erronés, voire mensongers.
Les enquêtes sociales, les rapports sociaux et les expertises judiciaires ont une influence majeure sur les décisions judiciaires, liée au refus du juge d’être informé par les parties (ou sa méfiance).
La CEDH réaffirme régulièrement que les rapports privés doivent être pris en compte, ce qui n’est pas le cas.
Sachons d’emblée que certains recours sont impossibles :
- Pas d’action en diffamation possible (article 41 de la loi sur la presse) puisque ce sont des écrits produits devant les tribunaux.
- Pas d’action en dénonciation calomnieuse car les rapports sociaux sont demandés par le juge.
Les recours prennent du temps et sont sans résultat immédiat, or les familles attendent une réponse rapide dans des situations où l’intérêt supérieur de l’enfant est en cause.
Qu’en est-il dans la pratique judiciaire ?
6.1- L’enquête sociale et l’enquêteur
Les enquêtes impactent chaque année 200 000 enfants et leurs familles, en pratique uniquement devant le JAF.
La mise en œuvre
– Le juge l’ordonne même d’office ou en complément éventuel d’une autre mesure d’instruction, s’il s’estime insuffisamment informé.
– C’est une pratique généralisée.
– Son objectif est de donner des informations au juge sur la situation de la famille et le cas échéant sur la possibilité de réalisation du projet du ou des parents quant aux modalités d’exercice de l’autorité parentale.
– La trame du contenu est fixée par un arrêté du 13-1-2011 (nombre d’entretiens, mission, déroulement) pour une enquête idéale (il est rare qu’elle soit aussi idéale dans la réalité).
– Il n’existe pas de diplôme d’Etat ou spécialisé (moins de 70 ans et avoir travaillé dans le social et le psychologique est suffisant …) ; l’enquêteur est une personne de droit privé.
– S’agissant d’une mission judiciaire, l’enquêteur est tenu au respect de la vie privée ; il ne doit pas faire de jugement de valeur ; il a une obligation de signalement en cas de maltraitance ; il doit respecter le secret professionnel ; il est le porte parole de l’enfant à qui il doit expliquer sa mission.
– Il fait un rapport sur ses constatations et propose des solutions.
– L’enquêteur étant un technicien selon un arrêt C cass n° 94-05-075 du 24.10.1995 et l’article 243 CPC, il doit être impartial, avoir une mission précise du juge, et ne pas faire des préconisations juridiques (art. 238 du CPC).
– Il devrait à ce titre respecter toutes les obligations du contradictoire, comme le préconise la CEDH, mais le droit positif français est incertain.
Les recours contre les enquêtes sociales
– Les parties peuvent vérifier si l’enquêteur social est inscrit sur la liste des enquêteurs sociaux, au greffe de la Cour d’appel du département, dressée tous les 5 ans : à défaut c’est un motif de désignation d’un autre enquêteur ou d’annulation du rapport.
– Les parties peuvent demander un complément d’enquête ou une contre-enquête (en motivant la demande : par exemple ; l’avis de certaines personnes aurait dû être sollicité, mauvaise appréciation de certains éléments, parti-pris) mais le juge peut refuser en motivant son refus (art 1072 CPC)
– Les parties peuvent demander le retrait des passages hors mission ou dans lesquels l’enquêteur a fait une évaluation psychologique ou juridique.
– SURTOUT les parties peuvent récuser un enquêteur comme tout technicien : « avant les opérations ou dès que la cause de récusation est connue » (art 234 à 341 CPC).
– Mais en pratique : l’enquêteur ne prend jamais les considérations et observations des parties, les réclamations, et ne les joint pas à son rapport comme en dispose l’article 276 CPC ; il ne respecte pas le contradictoire ; les parties ne se font jamais assister par un enquêteur amiable (une assistante sociale par exemple) parce que l’enquêteur social judiciaire le refuse et que le JAF ne l’admet pas ; le recours contre ce refus est théorique car aucun plaideur n’a envie de faire ce bras de fer pour ne pas indisposer le JAF.
Responsabilité civile :
– l’enquêteur social répond de sa faute civile, comme tout un chacun (il a une assurance pour sa responsabilité civile pour les recommandations qu’il donne, son astreinte au secret professionnel, etc.)
– Il convient alors d’établir une faute que n’aurait pas commise un professionnel prudent et diligent, ou un manquement à obligation professionnelle type (secret professionnel) selon la règle de causalité du préjudice.
Responsabilité pénale : le faux intellectuel
441-1 CP : « Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. Le faux et l’usage de faux sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »
– Plainte simple ou plainte avec constitution de partie civile : en prouvant l’intentionnalité (intention de nuire ou connaissance de la fausseté et la conscience de causer un préjudice) et déterminant un préjudice lié à une perte de chance (la perte de chance étant le fait de perdre la possibilité d’avoir une décision de justice favorable).
6.2- En assistance éducative (juge des enfants)
Article 1183 CPC : « Le juge peut, soit d’office, soit à la requête des parties ou du ministère public, ordonner toute mesure d’information concernant la personnalité et les conditions de vie du mineur et de ses parents, en particulier par le moyen d’une enquête sociale, d’examens médicaux, d’expertises psychiatriques et psychologiques ou d’une mesure d’investigation et d’orientation éducative. »
Instrument privilégié : la MIJE : (circulaire 31-12-2010) est une mesure interdisciplinaire.
– Son objectif est de recueillir des éléments sur la personnalité du mineur, sur sa situation familiale et sociale et sur le sens des actes qu’il pose ou qu’il subit. Dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative, les informations et les préconisations contenues dans le rapport écrit doivent permettre au juge de vérifier si les conditions d’une intervention judiciaire sont réunies et de proposer si nécessaire des réponses en termes de protection et d’éducation, adaptées à la situation des intéressés. La mise en œuvre de l’investigation produit par elle-même souvent un changement dans les familles …
– Au niveau procédural, il est possible de la dire lacunaire et de demander des auditions complémentaires (art 1189 CPC) ; d’écrire au JE pour souligner les erreurs ; de faire jouer la responsabilité personnelle de l’enquêteur : s’il s’agit de travailleurs sociaux dépendant de l’ASE ou d’une structure administrative, c’est le tribunal administratif qui est compétent.
– Selon le contexte judiciaire dans lequel intervient une expertise psychologique ou un rapport social (foyer ou MIJE) contenant des considérations psychologiques : il faut vérifier si l’expert psychologue est inscrit sur une liste ou s’il intervient dans une structure gardienne ou dans le cadre d’une MIJE.
– Un psychologue doit être au minimum être titulaire d’un master 2 ; l’usurpation du titre est punie de 1 an de prison et de 15 000 euros d’amende (art. 433-17 CP) ; il doit être inscrit sur le répertoire ADELI (qui est un fichier automatisé, un système d’information nationale sur les professionnels relevant du code de santé publique, du code de l’action sociale et des personnes faisant usage du titre de psychologue). Le fichier ADELI est disponible auprès de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales. Le rapport d’un psychologue non inscrit sur le répertoire ADELI peut être annulé puisque ses qualifications professionnelles ne peuvent être ni vérifiées ni contrôlées (arrêt CA Grenoble N°06-1075 du 28-1-2008)
Responsabilité civile
– Exemple d’une psychologue condamnée à des dommages intérêts et à la publication du jugement dans un journal parce qu’elle avait émis un avis sur le mode éducatif violent du père qu’elle ne connaissait pas, n’indiquant pas qu’il s’agissait du ressenti de sa cliente, alors qu’elle avait forcément conscience que sa qualification professionnelle donnait une valeur probante importante à ses dires et qu’elle connaissait l’utilisation judiciaire qui en serait faite. C’est une rareté à généraliser …
Responsabilité pénale : Art. 441-1 CP le faux intellectuel avec la démonstration de l’intention de nuire.
6.3- L’expertise psychiatrique judiciaire
Elle est utilisée tant devant le JE que devant le JAF. Il est permis de penser que lorsqu’elle est bien faite – et qu’elle sera largement reprise dans le jugement ; elle peut « sauver » de nombreux dossiers assassinés par des rapports sociaux de mauvaise qualité.
Le recours (contre les mauvaises expertises judiciaires …)
– Demander une contre-expertise.
– Envoi de Dires pour apporter des éléments à l’expert, puis critiques par conclusions en ouverture de rapport.
– Voies de recours ordinaires contre les décisions judiciaires.
– Récusation.
La responsabilité civile : classique
La responsabilité pénale
– le faux intellectuel article 441-1 CP.
– et aussi le délit de falsification :
Article 434-20 CP : « Le fait, par un expert, en toute matière, de falsifier, dans ses rapports écrits ou ses exposés oraux, les données ou les résultats de l’expertise est puni, selon les distinctions des articles 434-13 et 434-14, de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ou de sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. »
Le meilleur moyen pour éviter une expertise déviante qui se transformera en une décision de justice préjudiciable : se faire assister par un expert amiable de même spécialité
Art 16 CPC : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »
Conclusion
Les rapports sociaux judiciaires, que ce soit devant les JAF ou devant les JE sont largement insuffisants, quand ils ne sont pas erronés ou mensongers dans leurs assertions.
Le sacro saint principe du contradictoire, pilier de la procédure civile est peu ou pas respecté malgré les préconisations de la CEDH.
Il est possible de mettre en cause la responsabilité des professionnels missionnés par les juges, devant les tribunaux civils ou administratifs selon leur statut de personne de droit privé ou de personne de droit public, pour leur demander des dommages intérêts.
Il est possible d’attaquer ces professionnels pour faux intellectuel à condition de prouver une intentionnalité qui peut n’être que la conscience de créer un préjudice et la connaissance de la fausseté des affirmations.
En ce qui concerne les travailleurs sociaux et responsables au sens large, en matière d’assistance éducative, ne jamais oublier que l’ASE peut être actionnée en dommages intérêts pour tous les dysfonctionnements : c’est une personne publique, il faut assigner le Conseil départemental devant le tribunal administratif.
Améliorer la pratique et faire des recours : c’est une bataille à mener face à l’insatisfaction croissante de la société civile devant des décisions très souvent injustifiées qui mettent à mal la vie familiale et les droits parentaux, de même qu’elles oublient le mineur victime et ne le protègent pas correctement. Il s’agit en réalité d’une juste lutte pour établir une véritable démocratie judiciaire.
- Le Dr Jean-Marc Ben Kemoun expose l’intérêt du protocole du NICHD.
De tout temps l’adulte a eu des difficultés dans le recueil de la parole de l’enfant, même si cela ne s’intègre pas dans une dynamique judiciaire. L’adulte a tendance à sacraliser la parole de l’enfant, ou à l’inverse ne pas la prendre en compte.
La justice à travers les professionnels qu’ils soient magistrats, officiers de police judiciaire, auxiliaires de justice, n’est pas en reste.
Plusieurs problèmes se posent que l’institution n’a pas encore résolus.
La justice fait appel à des professionnels qui ne sont pas forcément des professionnels de l’enfance, comme sachant, pour rencontrer les enfants sous-main de justice. Cela pose le problème de la validité des interventions de ces professionnels, et en miroir, la survictimation des enfants sous-main de justice, fussent-ils victimes présumés ou auteurs présumés, du fait que l’action judiciaire peut être mise en doute à tout moment.
Déchiffrer le discours de l’enfant passe à la fois par la connaissance de son niveau de développement au moment des actes subis ou commis, mais aussi au moment de leur restitution, au plan psychomoteur, de l’intelligence, du langage, et au plan affectif, et de l’organisation de sa personnalité.
Par ailleurs il est illusoire d’imaginer décoder le langage verbal, si nous n’avons pas accès en même temps au langage non verbal.
La lecture seule des procès-verbaux d’audition, sans assister à l’audition derrière la glace sans tain, dans des unités d’accueil spécialisées, ou sans regarder le DVD enregistré au moment de l’audition, entraîne des contresens qui mettent à mal, là encore, le discours de l’enfant, et sa prise en charge judiciaire.
L’adulte qui reçoit la parole de l’enfant, doit savoir interpréter les signaux que lui-même envoie à l’enfant, et qui peuvent modifier le contenu de son discours.
L’adulte doit donc être formé à la fois à la connaissance du développement de l’enfant, dans toutes ses dimensions, à la connaissance de toutes les formes de maltraitance et de leurs conséquences, de la théorie de l’attachement, mais aussi à savoir adopter une attitude non suggestive.
La mémoire est habituellement décrite comme un processus de trois phases successives : l’encodage, le stockage, la récupération. La connaissance de ces trois phases et de leur perturbation est importante pour comprendre la qualité de la récupération et les raisons des difficultés d’une bonne récupération des souvenirs. L’adulte en charge du recueil de la parole de l’enfant doit avoir une connaissance du processus mnésique, et des facteurs éventuels d’influence.
Les études scientifiques relayées par la professeure Mireille Cyr (Co-titulaire de la chaire de
Recherche interuniversitaire Marie-Vincent sur les agressions sexuelles envers les enfants, université de Montréal, Canada. Auteure de Recueillir la parole de l’enfant témoin ou victime, Dunod, 2014, 2ème édition augmentée 2019) concluent que la récupération issue de la mémoire de rappel s’inscrit plus dans la réalité des faits, que la récupération issue de la mémoire de reconnaissance Il est alors important que le professionnel sache mobiliser la mémoire de rappel, plus que la mémoire de reconnaissance, à travers les types de questions qu’il va poser.
Plusieurs tentatives de « protocolisation » du recueil de la parole de l’enfant ont été faites par de nombreuses équipes et dans de nombreux pays très en avance par rapport au nôtre. Le protocole NICHD basé sur l’exploration de la mémoire libre, par une interview non suggestive, est le seul qui s’appuie sur une validation scientifique. Il comporte plusieurs phases : alliance avec l’enfant, sensibilisation de l’enfant à la technique que l’adulte va utiliser (phase pré déclarative), puis interview centrée sur l’événement qui nous préoccupe (phase déclarative). Après une pause, pendant laquelle le professionnel peut s’entretenir avec ses collègues et les psychologues experts, l’interview est conduite avec des questions plus directives, sous réserve qu’elles soient toujours accompagnées d’un questionnement ouvert.
Les premières phases d’alliance et de sensibilisation de l’enfant, permettront à l’intervieweur d’évaluer le niveau de développement de l’enfant, et de s’adapter à ce niveau, afin que celui-ci ne soit pas mis en difficulté, le stress étant un facteur de risque important d’influence de la parole de l’enfant.
Le récit libre de l’enfant doit être chronologique, du début à la fin de l’histoire des faits, caractérisé par le début de la présence de l’agresseur, jusqu’à la fin de la présence de l’agresseur.
Dans le cours de ce récit, l’intervieweur repère des indices, lui permettant de faire une segmentation du temps là encore de façon chronologique, pour aboutir à plus d’indices pertinents, sans jamais n’apporter de matériels non communiqués par l’enfant.
L’exploration de ces indices permettront alors d’obtenir encore plus d’informations issues de la mémoire libre, et plus susceptible de s’inscrire dans la réalité.
C’est ainsi que ce protocole permet d’obtenir une quantité beaucoup plus importante d’informations plus susceptibles de s’inscrire dans la réalité que les techniques d’audition habituellement utilisée par les enquêteurs.
Ce protocole est bien entendu réservé aux enquêteurs de la police judiciaire, seuls à même de mener, en France, les auditions judiciaires.
Cependant, nous avons décidé avec l’association fédérative la Voix de l’enfant d’adapter ce protocole pour que tout professionnel susceptible d’accueillir la parole d’un enfant soit formé à cette technique non suggestive du recueil de cette parole. Cela permettra la rédaction d’informations préoccupantes, de signalements ou de rapports d’expertise indemne de facteurs d’influence issus du comportement ou du discours du professionnel.
Ce protocole permet d’allier recherche de la preuve, soit la prise en charge judicaire à la protection de l’enfance du fait de la dynamique empathique et toujours bienveillante.
- La Table ronde réunit Enfance et Partage, Enfance Majuscule, Coup de pouce protection de l’enfant, l’Association Internationale des Victimes de l’Inceste, le Collectif féministe contre le viol, Lamevit, L’Enfant d’Abord, les Comités Alexis Danan. L’Enfant Bleu est excusé pour des impératifs organisationnels ainsi que l’Aforcump-SFP qui organisait son congrès annuel.
Pour Enfance et Partage, Madame Marie-Pierre Colombel, Présidente et Administrateur Ad’Hoc au TGI de Villefranche S/Saône dans le Rhône confirme que les services de pédopsychiatrie ferment. Elle donne l’exemple d’un garçon de 8 ans qui a été accueilli à l’Hôpital de Mâcon en Saône et Loire alors qu’il dépendait de Villefranche S/S (son père a été condamné pour viol sur sa sœur). L’administrateur ad’hoc accompagne l’enfant aux différentes expertises psychiatriques et psychologiques dans les procédures pénales et en assistance éducative. De fait elle a pu assister à plusieurs expertises (cela dépend des experts). L’expert ne connaît pas l’histoire familiale et pose des questions directes à l’enfant sur sa naissance (accouchement s’est-il bien passé ?) ses grands-parents, s’il y a eu des décès d’enfants dans la famille. Si les parents sont séparés. Cela entraîne beaucoup d’inquiétude chez l’enfant. S’il n’arrive pas à répondre, il est mal à l’aise et aura plus de difficultés à s’exprimer sur les faits. Le protocole NICHD ne semble pas appliqué. De plus, l’expert ne rencontre l’enfant qu’une seule fois… Il s’appuie sur les PV de la BPDJ ou de la Brigade des Mineurs et en dernier recours pose des questions à l’administrateur ad’hoc, questions auxquelles elle n’est pas toujours en capacité de répondre connaissant l’enfant depuis quelques semaines. Et le temps d’acquérir sa confiance…
Une interrogation : pourquoi les juges ne se consultent-ils pas avant de demander une expertise ? En effet dans plusieurs dossiers, le juge d’instruction et le juge des enfants avaient demandé chacun de leur côté une expertise psychologique chez deux experts différents. Double peine pour l’enfant qui doit répéter ce qu’il a vécu à deux professionnels.
Enfance & Partage ne peut que saluer l’ouverture d’un diplôme sur l’expertise en psychiatrie et psychologie de l’enfant. Il est certain qu’améliorer
Enfance Majuscule estime que l’’importance de la collaboration entre les associations de protection de l’enfance a été mise en évidence de manière éclatante cette année face au projet inabouti sur les violences sexuelles. La notion de non consentement est à exiger de manière impérative afin que, sans ambiguïté, nous n’ayons plus de victimes de 11 ans et de prédateurs acquittés grâce au consentement présumé de l’enfant. Les experts aussi compétents soient-ils, doivent pouvoir s’appuyer sur un texte clair et, sur une loi explicite, car le dernier mot restera toujours au juge. La formation des experts est un élément crucial de la protection de l’enfance et ce nouveau DU devrait être un point d’appui majeur de cette formation : la capacité de l’expert à l’écoute entraînera chez l’enfant une plus grande facilité à se confier.
Coup de pouce protection de l’enfant reprend les termes de l’exposé de Me Cussigh et soutien activement la création de ce diplôme. Il rappelle que les associations
L’Association Internationale des Victimes de l’Inceste (AIVI) soutient l’ouverture d’un diplôme sur l’expertise en psychiatrie et psychologie de l’enfant. Ce Diplôme Universitaire (DU) « Expertise légale en pédopsychiatrie et psychiatrie de l’enfant » est une initiative attendue depuis longtemps par l’AIVI car il répond à une urgence de formation dans un contexte où la France connaît une réelle crise de l’expertise. Ces expertises sont essentielles pour prendre en compte la parole de l’enfant, parfois confronté à un véritable déni de justice. Se trouvant mis en position d’objet dans le conflit entre adultes ou voyant sa parole systématiquement mise en doute, l’enfant peut subir une double peine dans les violences auxquelles il est déjà confronté. Pourtant, à ce jour, encore trop peu d’experts sont formés à l’exercice délicat et spécifique de l’expertise en pédopsychiatrie, qui nécessite des compétences recoupant, au-delà de maîtrise de la psychiatrie générale, celle de la médecine légale, du droit, et une réelle connaissance de la spécificité de la psychologie de l’enfant. Celle-ci implique une technique d’audition non suggestive afin d’éviter que l’expert, notamment par un cadre d’accueil, une tournure des phrases constituant l’expertise, ou une posture insuffisamment adaptées, influe, malgré lui, l’enfant et ne puisse donc pas recueillir une parole ensuite pertinente pour l’enquête. Or, il est fréquemment constaté que le protocole NICHD, qui permet d’éviter la majorité des écueils, n’est pas assez utilisé aussi bien lors des expertises que lors des interrogatoires menés par la Brigade des Mineurs. Lors de la Table Ronde des associations, Isabelle Aubry, présidente de l’AIVI, a mis en lumière qu’alors qu’il y a 4 millions de victimes d’inceste en France, il n’y a eu en 2016 que 396 condamnations qualifiées d’incestueuses, dont 86 pour viol incestueux. Le DU, par les savoirs qu’il apporte sur la suggestibilité de l’enfant, le processus mnésique, la maîtrise du protocole NICHD, le cadre légal des expertises, vient répondre à un besoin urgent de mieux faire entendre les enfants victimes de violences.
Lamevit soutient l’ouverture d’un diplôme sur l’expertise en psychiatrie et psychologie de l’enfant qui viendra compléter la formation des professionnels chargés de la protection des enfants. En Martinique aussi il est difficile de faire triompher la voix de l’enfant. Il y a 4 ans le CDAD avait organisé un séminaire sur le recueil de la parole de l’enfant qui avait conclu qu’en général c’est la parole des adultes qui fait foi. Beaucoup de fonctionnaires de police se disent formés et pourtant le nombre de plaintes classées sans suite reste énorme. Nous vous remercions de tous vos efforts pour une meilleure protection des droits des enfants.
L’Enfant d’Abord
Mme Jacqueline PHELIP, présidente de L’enfant d’abord, a transmis les constatations suivantes.
Les enquêtes sociales sont souvent de mauvaise qualité avec des interprétations faisant appel à une psychologie de bazar. Ceci pose la question de la formation des enquêteurs sociaux.
Les expertises sont souvent d’une médiocre qualité, et leurs conclusions reposent fréquemment sur des a priori idéologiques : mère possessive qui cherche à exclure le père ; mère manipulatrice, etc. Elle constate que la paternité est aujourd’hui sacralisée, et que d’autre part, même en cas de violences conjugales, nombre d’intervenants parlent de “conflit conjugal”.
Par ailleurs, Mme Phélip a une importante activité de veille scientifique et elle est attentive aux publications sérieuses concernant en particulier les questions de résidence alternée, de syndrome d’aliénation parentale et d’allégations. Ainsi elle a repéré et fait traduire une publication très importante de Silberg. Il s’agit d’une recherche demandée par le Ministère de la Justice américain à partir de la constatation que des enfants avaient été confiés à la garde, parfois pendant des années, d’un père réellement maltraitant ou abuseur sexuel, faits ayant été considérés comme de fausses allégations lorsque l’enfant en avait parlé. Et la mère avait été qualifiée d’aliénante.
L’étude des rapports écrits ayant amené à ces décisions judiciaires de garde gravement erronées a montré que 4 facteurs étaient retrouvés chaque fois :
-l’enfant a fait les révélations de maltraitance ou d’abus sexuel à sa mère peu après la séparation du couple
-la mère a été qualifiée de malade psychiatrique lorsqu’elle a parlé de ces révélations
-le père était plus « friendly », c’est-à-dire plus amical que la mère et plus près à accepter que l’enfant aille chez elle alors que cette dernière s’opposait à ce que l’enfant aille chez son père
-l’enquête ou l’expertise avait été effectuée par des professionnels mal formés, non pédopsychiatres et qui avaient porté chaque fois le diagnostic d’aliénation parentale de la part de la mère.
Le Collectif féministe contre le viol (CFCV) qui gère la ligne téléphonique viols femmes informations 0800 05 95 95 de 10h à 19h en semaine, représenté par sa présidente la Docteure Emmanuelle Piet, rappelle que chaque année en France, plus de 93 000 femmes adultes victimes de viol. Si 60% des viols sont commis sur des mineures ceci portent à 235 000 le nombre de filles et femmes violées. Les études parlent de 40% de victimes garçons, soit 65000. On peut par conséquent estimer qu’au moins 300 000 personnes sont violées chaque année, au moins une fois tous les ans. Le ministère de la justice a publié des statistiques : entre 2009 et 2016, LES CONDAMNATIONS POUR VIOL ONT DIMINUÉ DE 40% passant de 1600 à 1000, soit 0,3% des violeurs condamnés. La marge de progrès possible est énorme ! Les viols aggravés passaient dans le même temps de 400 à 300 c’est dans cette catégorie que l’on pourrait trouver les viols de mineur.e.s !
La Dre Piet rappelle les revendications du CFCV :
- Ne pas avoir à démontrer la contrainte quand un, ou une mineur-e de 15 ans est agressé-e sexuellement par un majeur (actuellement, dans les situations où cette contrainte n’a pas été démontrée, selon la loi en vigueur ces faits ne constituent que des « atteintes sexuelles »).
- Rétablissement de l’inscription de l’inceste dans le Code pénal. Une loi du 16 janvier 2010 inscrivait l’inceste dans le code et supprimait la notion de consentement pour les – de 15 ans agressées par un membre de la famille. Le Conseil Constitutionnel a abrogé cet article 222-31-1 du code pénal le 16 septembre 2011. Une nouvelle Loi du 1 mars 2016 réintroduit l’inceste dans le code pénal, mais seulement comme circonstance aggravante de l’infraction. Il restera toujours à prouver la menace, la contrainte, la violence ou la surprise…ce qui pour un, une jeune de moins de 15 ans nous semble toujours autant inacceptable.
- Retrait de l’autorité parentale aux parents violeurs, sans condition de durée. Dans la nouvelle loi du 1 mars 2016 ce retrait serait étendu à la fratrie mais pas systématique !
- Lorsque la sécurité des victimes est en cause : prononcer l’interdiction pour les agresseurs présumés de se présenter dans le périmètre de leur environnement, notamment avec un changement d’établissement scolaire lorsque la victime appartient au même établissement.
- Possibilité pour les victimes de viol de bénéficier d’une protection similaire à l’ordonnance de protection prévue pour les victimes de violences conjugales par la loi du 9 juillet 2010.
- Enquête systématique à la suite des plaintes pour crimes ou délits contre la personne.
- Jugement des infractions de nature criminelle exclusivement par les Cours d’assises.
- Suppression de la prescription des crimes et délits d’ordre sexuel contre la personne.
- Prise en charge des soins à 100% pour les victimes même quand elles sont majeures et publication des décrets d’application de la loi du 18 juin 1998 (relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs) qui prescrit cette prise en charge à 100% pour les mineurs victimes.
- Formation des professionnels de santé à la prise en charge des psychotraumatismes et de tous les professionnels susceptibles d’accompagner des personnes victimes de violences sexuelles.
- Abrogation des articles 212 et 215 du Code civil évoquant le devoir de fidélité et de communauté de vie comme éléments contractuels du mariage permettant encore aujourd’hui de poursuivre une femme pour non-respect du devoir conjugal (280 jugements civils depuis 1980).
Elle concluait : « Devant ces carences, les nombreux dysfonctionnements judiciaires, les pénuries de condamnation, la non protection des victimes, les conséquences graves de ces situations non prises en charge les souffrances des victimes, nous ne pouvons que vous féliciter de la création de ce diplôme de formation des experts qui ne pourront que s’améliorer pour mieux protéger les enfants et les personnes victimes Un grand merci. »
- En conclusion de cette journée
Le Dr Gérard Lopez souligne les espoirs que le Diplôme universitaire d’expertise en pédopsychiatrie a suscité de la part des participants et des associations qui toutes ont souligné que les rapports sociaux et les expertises étaient pratiquées par des enquêteurs sociaux mal formés ou par des psychiatres d’adultes, et qu’elles étaient parfois infiltrée par des prises de positions idéologiques. Il rappelle les recommandations de l’Audition publique sur l’expertise pénale des 25 et 26 janvier 2007 concernant les expertises de mineurs :
La commission d’audition recommande :
- d’exiger que l’expert désigné pour évaluer un mineur (auteur ou victime) possède une compétence en pédopsychiatrie ou en psychiatrie de l’adolescent attestée par sa formation et par une pratique régulière de la spécialité ;
- dans le cas de l’expertise des mineurs auteurs d’infraction :
- de ne pas porter de diagnostic de personnalité avant l’âge de 16 ans, suivant ainsi les recommandations de l’OMS,
- de disposer de diverses sources d’information sur le développement de l’enfant ou de l’adolescent : dossier, procès-verbaux des officiers de police judiciaire, informations provenant de l’école, des éducateurs en cas d’assistance éducative,
- de rencontrer les parents et l’entourage familial. En effet, l’examen clinique ne suffit pas pour expliquer si le comportement délictueux est l’expression de troubles structurés évolutifs ou s’il s’agit d’un moment de crise développementale,
- d’officialiser la communication du dossier d’assistance éducative aux instances pénales pour la conduite des investigations et demander sa transmission aux experts et aux parties,
- de rechercher systématiquement, dans le cas particulier des mineurs auteurs d’agressions sexuelles, une victimisation antérieure, dont la fréquence est signalée ;
- dans le cas de l’expertise des mineurs victimes de violences sexuelles :
- de favoriser le recours à une expertise précoce qui peut être réalisée comme l’autorise la loi du 17 juin 1998 à la demande du parquet ou sur réquisition dans une unité médico-judiciaire pour mineurs,
- de visionner l’enregistrement audiovisuel réalisé pendant l’audition de la victime,
- d’être prudent quant à certaines techniques utilisées (interprétation des dessins de l’enfant, utilisation des poupées sexuées),
- d’évaluer soigneusement les mécanismes de l’emprise que peu(ven)t exercer le (ou les) adulte(s) sur le mineur,
- de recourir à l’entretien familial, essentiel pour la compréhension de la dynamique interne à la famille et l’évaluation de la récurrence transgénérationnelle des traumatismes d’ordre sexuel,
- d’abandonner l’expertise de crédibilité et de suivre le modèle d’expertise diffusé par la circulaire CRIM/AP n° 05-10/E1-02-05-2005.
Ce diplôme sera, il l’espère pris en compte par les cours d’appel pour dresser les listes d’experts judiciaires, mais les étudiants pourront efficacement intervenir en recours pour faire respecter le principe du contradictoire, pilier de la procédure civile et faire évoluer ces expertises réalisées de façon rapide alors qu’elles demandent du temps quand les situations sont perverties dans des conflits parentaux lors desquels la parole de l’enfant est rarement prise en compte soit parce qu’elle est présumée contaminée par les suggestions des uns et des autres, soit par des partis-pris idéologiques qui masquent bien souvent un manque de compétences.
Il n’y a pas de raison que ce qui a été obtenu pour l’évaluation du dommage corporel ne finisse pas par s’imposer en matière familiale, ce qui reviendrait tout simplement à faire respecter la loi.
Notes
[1] http://www.thyma.fr/bonne-pratique-dune-expertise-civile-dans-le-cadre-dun-conflit-familial/