DE L’INDIFFERENCE A L’ENGAGEMENT: REGARD D’UNE VICTIMOLOGUE SUR LA RECONNAISSANCE DES DROITS DES VICTIMES AU CANADA

Arlène Gaudreault

Présidente, Association québécoise Plaidoyer-Victimes

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À l’aube de la victimologie humanitaire 

J’ai fait partie des premières cohortes d’étudiants en criminologie au début des années 1970. J’ai choisi ce champ d’études car je voulais aider des personnes en difficultés. La criminologie, alors à ses débuts, offrait de vastes possibilités aux jeunes professionnels qui se destinaient pour la plupart à travailler auprès des délinquants. Dès le départ, j’ai voulu m’impliquer dans des domaines d’intervention où il fallait innover, mettre en place de nouveaux services, sortir des sentiers battus. C’est ce qui m’a amenée au début de ma carrière à travailler en maison de transition, dans un foyer de groupe pour des adolescentes, en milieu scolaire auprès d’enfants inadaptés ou victimes de mauvais traitements physiques ou d’abus sexuels. En 1984, j’ai été embauchée comme responsable de programme et coordonnatrice des stages à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. J’ai occupé ce poste jusqu’en 2009. J’ai également enseigné à titre de chargée de cours en victimologie de 1993 à 2011 à des étudiants inscrits au baccalauréat, à la maîtrise et au certificat en criminologie. De 2000 à 2011, j’ai été professeure invitée de l’Université de Pau en France dans le Master en droits des victimes.

J’ai aussi assumé pendant 10 ans la présidence de l’Association professionnelle des criminologues du Québec, une expérience qui m’a permis d’être en contact avec divers milieux et de réfléchir aux enjeux éthiques de notre profession. J’étais très fière de ma profession et je souhaitais qu’elle soit reconnue et qu’elle puisse contribuer à l’avancement d’une justice plus humaine et plus respectueuse des droits des justiciables. Au cours de ma carrière, j’ai eu aussi le privilège d’être commissaire communautaire de la Commission québécoise des libérations conditionnelles, membre de nombreux comités de travail et conseils d’administration. Toutes ces expériences m’ont nourrie au plan personnel et professionnel. Mais au bout du compte, c’est mon engagement dans le champ de la victimologie et, plus particulièrement au sein de l’Association québécoise Plaidoyer-Victimes, qui a profondément marqué mon parcours.

Au départ, ma formation universitaire ne m’avait pas préparée à travailler auprès des victimes, car, pour l’essentiel, elle était orientée vers l’aide et le contrôle des délinquants, jeunes et adultes. Au début des années 1970, faut-il le rappeler, la question des victimes était quasi absente du cursus en criminologie. La victimologie humanitaire en était à ses premiers balbutiements. On se questionnait alors davantage sur la contribution des victimes au crime et sur leurs interrelations avec l’auteur du délit (Fattah, 1991) que sur la reconnaissance de leurs droits et de nos responsabilités à leur endroit.

Au Canada, ce n’est qu’au tournant des années 1970 qu’émergent les premières initiatives en faveur des victimes et de leurs proches (Gaudreault, 1996). S’inspirant de ce qui se fait aux États-Unis, quelques provinces financent alors des programmes d’indemnisation afin de venir en aide aux victimes de crimes contre la personne. Chez nous et dans d’autres pays, le mouvement féministe se met en marche. Lever le voile sur la violence faite aux femmes, dénoncer les inégalités et les préjugés, réclamer des changements sociaux et législatifs, mettre en place des services dans la communauté, transformer les pratiques de la justice: c’est le début d’une vaste mobilisation pour faire avancer les droits des femmes. Longtemps occultés, la maltraitance et les abus sexuels à l’égard des enfants sont au cœur des travaux du Comité d’étude sur les infractions sexuelles à l’égard des jeunes et des enfants, lequel formulera plusieurs recommandations afin de mieux les protéger dans les procédures pénales et de leur offrir des services d’aide (Rapport Badgley, 1984). À la même époque, le Rapport du Groupe de travail fédéral-provincial sur la justice pour les victimes d’actes criminels (1983) trace un portrait assez sombre de la situation des victimes tant sur le plan de l’aide que du traitement qui leur est réservé dans le système de justice pénale. Les lacunes sont criantes et, manifestement, il y a beaucoup à faire.

Ces premières initiatives nous confrontent à l’absence de ressources à laquelle se butent les victimes, au manque d’égards lorsqu’elles collaborent avec le système de justice pénale et à notre indifférence à leur endroit. Des associations de victimes commencent aussi à se faire entendre et pressent les gouvernements d’agir.

À cette étape charnière dans le développement de l’aide aux victimes, deux criminologues seront des figures de proue au Canada : Micheline Baril, qui enseigne alors à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et Irvin Waller, à celle d’Ottawa. Ils font partie de la délégation canadienne qui participe à l’élaboration de la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir (1985) et contribuent aux travaux et réflexions qui émergent au sein de la communauté internationale sur la question des droits des victimes. Ils s’engagent dans une véritable croisade pour convaincre les gouvernements de mettre en place des réformes majeures pour que les victimes, ces « orphelines de la justice », soient mieux traitées (Waller, 1981) et aient accès à des services.

Au Québec, Micheline Baril a eu une influence déterminante dans ma vie professionnelle et elle reste une grande source d’inspiration pour de nombreux intervenants et chercheurs. En 1983, elle introduit la victimologie comme champ d’étude et de pratique à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Parallèlement, elle initie les premières recherches et donne la parole aux victimes afin de documenter et de mieux comprendre leur trajectoire dans le système de justice pénale et dans leur recherche d’aide (Baril, 1983). Sur de nombreuses tribunes, elle revendique que les victimes, quelles que soient leurs conditions, soient traitées avec respect et compassion. Femme d’action, elle obtient aussi un financement pour mettre sur pied le premier centre d’aide aux victimes d’actes criminels au Québec (Centre AVI), un organisme que j’ai eu le privilège de coordonner (Gaudreault, 1996). En 1984, convaincue que les victimes doivent avoir une voix pour se faire entendre, elle fonde l’Association québécoise Plaidoyer-Victimes, dont je faisais alors partie avec quelques collaborateurs.

Énergique et visionnaire, Micheline Baril était sur tous les fronts pour revendiquer des services, des politiques et des lois qui prennent en compte les besoins et préoccupations des victimes et de leurs proches. Décédée dans la fleur de l’âge, son œuvre reste malheureusement peu ou mal connue à l’extérieur du Québec et auprès des criminologues des dernières générations. Elle a pourtant laissé un précieux héritage en victimologie et s’est illustrée dans la communauté francophone par la rigueur de ses travaux et par sa capacité de mobiliser de nombreux intervenants dans sa quête de justice pour les victimes (Cario et coll., 2002).

S’investir, faire changer les choses pour qu’elles ne soient plus laissées en marge: c’est ce qui animait les personnes qui gravitaient alors autour d’elle. À cette époque, nos gouvernements n’étaient pas engagés dans le financement de l’aide aux victimes. Ils n’étaient pas non plus sensibles à leur situation, ni à leur écoute. Beaucoup de formes de violences étaient occultées, mal comprises ou banalisées. Les victimes étaient la cible de préjugés, souvent perçues comme responsables de leur malheur, résignées à leur sort ou envahies par la peine ou la colère. Changer les attitudes à leur endroit, cela faisait partie des défis à relever. Au plan de l’intervention, nous avions beaucoup à apprendre pour améliorer l’accueil, l’écoute et l’accompagnement des victimes. Nous avions aussi beaucoup à faire pour que leurs droits puissent s’ancrer dans les pratiques de nos institutions et de notre système de justice pénale. Nous ne pouvions nous appuyer ni sur la recherche ni sur l’expérience sur le terrain.

Ces obstacles n’allaient pas pour autant freiner nos élans. Au contraire, c’était passionnant, car nous étions dans un contexte qui nous donnait l’occasion d’innover et de contribuer aux changements, d’influencer les décideurs et ceux qui élaborent les politiques sociales et pénales, de développer de nouvelles pratiques et d’investir de nouveaux champs de recherche. Nous étions animés par la profonde conviction que la société, prise collectivement et individuellement, devait se montrer plus responsable à l’égard des victimes et de leurs proches. Ces objectifs restent au cœur de la mission de l’Association québécoise Plaidoyer-Victimes (AQPV). Depuis plus de trois décennies, elle a accompli un travail considérable pour les traduire dans ses projets et réalisations.

L’Association québécoise Plaidoyer-Victimes : un chef de file au Québec et au Canada

 Au Québec et au Canada, l’AQPV a porté les préoccupations des victimes devant plusieurs commissions parlementaires, comités et groupes de travail à l’occasion de consultations, du dépôt de projets de loi ou de plans d’action visant à améliorer la situation des victimes et à mieux reconnaître la légitimité de leurs droits. Ses mémoires, analyses et prises de position témoignent de son engagement à la cause des victimes, de l’expertise qu’elle a développée, de la crédibilité qu’elle s’est acquise auprès de nombreuses instances (www.aqpv.ca). En les relisant, on peut voir que la reconnaissance des droits des victimes s’est faite pas à pas et on peut aussi mieux mesurer le chemin qui a été parcouru au cours des dernières décennies.

Dans le cadre de colloques et conférences, l’AQPV a répondu à l’invitation de nombreux groupes et organismes pour faire entendre le point de vue des victimes dans des forums tels que la Conférence des juges du Québec, le Barreau du Québec, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, la Commission nationale des libérations conditionnelles, l’Institut canadien de l’administration de la justice, la Société de criminologie du Québec et l’Association canadienne de justice pénale. S’appuyant sur la concertation avec ses membres et collaborateurs, elle a été aussi le maître d’œuvre de plusieurs colloques, journées scientifiques et forums de discussion qui ont abordé de multiples problématiques et enjeux dans le domaine de la victimologie. En 2000, sous les auspices de la Société mondiale de victimologie, elle fut l’hôte du Xe Symposium international de victimologie à Montréal qui a accueilli près de 1 300 participants. J’ai eu le plaisir de coprésider cet évènement avec Irvin Waller, un victimologue dont la réputation internationale a rejailli sur l’organisation de cette rencontre qui fut une grande réussite.

L’AQPV a produit et diffusé de nombreux documents pour favoriser une meilleure compréhension de la victimisation criminelle, pour soutenir le travail et la réflexion des professionnels sur le terrain et améliorer la formation des étudiants qui s’intéressent à la victimologie ou se destinent à ce champ de pratique. Au cours des trois dernières années, elle a amorcé la diffusion d’une série de guides visant à mieux outiller les victimes et leurs proches dans l’exercice de leurs droits et recours auprès du système de justice pénale ou d’autres instances (www.aqpv.ca). L’AQPV a aussi offert plusieurs activités de formation qui ont contribué au transfert et à la mise à jour des connaissances, à l’amélioration des compétences des professionnels de l’aide aux victimes, à l’analyse critique des enjeux dans le domaine de l’intervention. Cet apport est important dans un contexte où de nombreux changements ont reconfiguré l’assistance aux victimes et dans la perspective où la spécialisation et la professionnalisation des services soulèvent de nouveaux défis.

Il est difficile de rendre justice au travail que l’AQPV a accompli et d’en jauger les retombées. Chose certaine, ses réalisations ont permis de mettre en valeur l’expertise que nous avons développée au Québec et au Canada dans le champ de la victimologie. Elles reflètent son rayonnement, son leadership, sa capacité d’innover et de mobiliser des partenaires dans divers milieux. Avec de modestes moyens et s’appuyant sur le travail d’une équipe compétente et engagée envers sa mission, elle a inspiré et alimenté ce vaste mouvement de solidarité en faveur des victimes qui s’est mis en marche au tournant des années 1980. À travers son action militante, l’AQPV n’a cessé de réclamer que la justice soit plus respectueuse et compatissante à l’endroit des victimes et de leurs proches sans pour autant mettre de l’avant une justice vengeresse, sans non plus mettre en opposition les droits des victimes et ceux des contrevenants. Ces valeurs ont guidé son engagement et elles s’inscrivent toujours au cœur de sa mission.

Une démarche collective et mobilisatrice

 Trente ans plus tard, quel regard pouvons-nous porter sur l’aide aux victimes et la reconnaissance de leurs droits au Canada ? Et sur quoi devrions-nous faire porter nos efforts à l‘avenir ?

Il faut d’abord rappeler que les organismes d’aide aux victimes ont pendant longtemps été portés à bout de bras par des bénévoles et des professionnels peu rémunérés, majoritairement des femmes (Gaudreault, 2001). Au Québec et ailleurs au Canada, leur contribution est inestimable. Ces pionnières et pionniers ont revendiqué un financement stable, récurrent, afin de pouvoir offrir des services de qualité et accessibles à un plus grand nombre de victimes et à leurs proches. À la fin des années 1980, le Code criminel a été amendé afin que les tribunaux puissent imposer des suramendes compensatoires et que les provinces mettent en place des Fonds d’aide aux victimes d’actes criminels. Ces initiatives ont permis de donner un peu de souffle aux organismes existants et d’injecter de nouvelles ressources. Plusieurs programmes de subventions au sein des ministères et des organismes publics ont aussi vu le jour pour soutenir nombre de projets et programmes sur le terrain. Ces efforts ont favorisé la croissance et la diversification des services. Les victimes peuvent maintenant avoir accès à un plus large éventail d’organismes capables de répondre à leurs besoins de base sur le plan de l’information et de l’accompagnement dans leurs démarches. Elles peuvent également se tourner vers des ressources qui ont développé une expertise, des approches et des programmes destinés à des personnes ou à des groupes qui ont des besoins particuliers. C’est le cas, par exemple, de nombreux organismes qui travaillent dans le champ de la violence familiale et sexuelle, autant auprès des adultes et des adolescents que des enfants. Malheureusement, il est difficile d’établir la cartographie des services d’aide aux victimes, car les données dont nous disposons sont incomplètes, fragmentaires et non uniformes d’une province à l’autre (Dawson, 2010).

Au plan de l’intervention, nous avons fait aussi d’importantes avancées. Nous avons maintenant une plus grande compréhension de la victimisation criminelle, de ses conséquences sur les personnes et les collectivités qui en subissent les contrecoups, de leurs besoins et des facteurs leur permettant de se rétablir. Les services aux victimes ont su adapter leurs pratiques afin de tenir compte de la complexité et de la diversité des demandes, des situations et des enjeux liés à la victimisation criminelle. Pornographie et exploitation sexuelle sur les sites internet, cybercriminalité, violence dans les relations amoureuses chez les jeunes, victimisation au sein des gangs, harcèlement en milieu de travail, terrorisme : confrontés quotidiennement à ces réalités, les professionnels de l’aide aux victimes ont développé de nouveaux savoirs, diversifié leurs approches pour répondre à ces problématiques en émergence. Afin d’offrir un meilleur continuum de services, ils se sont alliés à d’autres partenaires. Les hôpitaux, les centres de santé, les organismes qui offrent des services psychosociaux aux familles, aux jeunes, aux personnes immigrantes: ce sont autant de lieux qui accueillent des victimes dans le cadre de leur mandat respectif, et qui ont développé ou amélioré les services à leur endroit. Les organismes voués à l’aide aux victimes ont établi également des partenariats avec des professionnels de la recherche et de l’enseignement. La mise en commun de leur expertise a permis d’intégrer les points de vue de divers acteurs; elle a favorisé une réflexion collective sur de multiples enjeux liés à l’aide aux victimes et mené à la réalisation de nombreux projets de recherche-action.

La prise en charge des victimes s’appuie aujourd’hui sur une approche pluridisciplinaire et professionnelle. Elle s’est considérablement enrichie et consolidée grâce au travail de concertation et de réseautage dans lequel se sont investis de nombreux organismes et personnes sensibles à la cause des victimes. Intervenants des services d’aide et d’indemnisation, policiers, procureurs de la Couronne, professionnels du milieu de la santé et des services sociaux, analystes et fonctionnaires dans différents ministères : ils ont uni leurs idées, leurs connaissances et leurs ressources. Leurs efforts se sont traduits par la mise en place de nouveaux services ou par l’amélioration de services existants, par l’adoption de protocoles de collaboration et la création de programmes qui ont favorisé le transfert des connaissances, la formation des intervenants, l’éducation du public, l’évolution de nos politiques et législations. Au Québec, le travail en concertation a été une des forces vives du développement de l’aide aux victimes et lui a donné un grand pouvoir d’action.

Les victimes et les associations qui les représentent ont également participé activement à ce vaste mouvement. Le manque de compassion et de compréhension des institutions à leur endroit, le sentiment d’être abandonnées à leur sort, la lourdeur des procédures, le déséquilibre entre leurs droits et ceux des délinquants: elles en ont témoigné sur de nombreuses tribunes. Avec détermination, elles ont réclamé des changements majeurs pour un meilleur accès à des services et une plus grande reconnaissance de leurs droits au plan social, législatif et judiciaire. Leurs combats n’ont pas été vains et leur voix a porté.

L’ère des réformes législatives

Au cours des 30 dernières années, au plan législatif, nous avons fait des pas considérables pour promouvoir et actualiser les droits des victimes. Le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ont été modifiés à plusieurs reprises afin d’assurer aux victimes une meilleure protection et d’améliorer leur expérience dans le système de justice. De nombreux jugements et décisions ont été rendus par la Cour suprême du Canada, par les tribunaux de juridiction criminelle et civile sur diverses questions concernant leurs droits et leurs intérêts. Plusieurs lois provinciales ou jugements rendus par des tribunaux administratifs ont favorisé un meilleur accès à leurs droits économiques et sociaux, notamment à des programmes pouvant les aider à se rétablir, à obtenir réparation et être indemnisées.

En avril 2015, le gouvernement fédéral ajoutait une autre pièce à l’arsenal législatif en adoptant la Charte canadienne des droits des victimes (CCDV). Rappelons qu’en 1988, le Canada s’était engagé dans cette voie en adoptant l’Énoncé canadien de principes de justice pour les victimes d’actes criminels, un exemple qui avait alors été suivi dans toutes les provinces et territoires. Pour l’essentiel, la Charte canadienne des droits des victimes vise à renforcer leurs droits et recours dans les procédures pénales. Même si elle fut généralement bien accueillie, la CCDV a suscité certaines réserves lors du processus de consultation qui a mené à son adoption. Plusieurs groupes et experts ont déploré que les droits énoncés dans cette Charte restent largement soumis au pouvoir discrétionnaire des tribunaux et des agences pénales et que les recours mis à la disposition des victimes sont peu définis et difficiles à exercer. De telles contraintes en limitent considérablement la portée et la force exécutoire. Sa mise en œuvre pose aussi d’importants défis. Elle exige l’allocation de ressources et l’engagement des gouvernements, particulièrement ceux des provinces et territoires, car l’administration de la justice repose sur leurs épaules. Elle suppose que les différents acteurs du système de justice s’acquittent mieux de leurs obligations, se dotent de mécanismes et de dispositifs pour faire connaître leurs engagements, en rendre compte et les évaluer périodiquement (AQPV, 2014). Malgré ses limites, la CCDV peut être un levier pour faire avancer les droits des victimes. Pour reprendre l’image évocatrice du professeur Alan Young, c’est un arbre vivant et elle peut évoluer et se développer afin de mieux refléter la réalité d’un point de vue social, historique et politique (Young, 2005).

Garder le cap sur les droits des victimes

 La question des droits des victimes est maintenant dans l’agenda public. Les victimes sont moins marginalisées. Les gouvernements et les institutions qui ont des responsabilités à leur endroit se sont mobilisés et ne peuvent plus se défiler. Le réseau associatif a porté la cause des victimes et ce mouvement qui s’est mis en marche au cours des trois dernières décennies n’est pas prêt de s’arrêter. Il ira de l’avant. À maints égards, cette intense activité que nous avons pu observer au cours des dernières décennies, tant dans le cadre législatif que dans le développement des services, est encourageante. Elle reflète une meilleure prise en compte de la diversité des besoins des victimes et de ceux de leurs proches. Elle témoigne de la volonté de nos gouvernements d’agir plus vigoureusement et d’assumer leur leadership dans un domaine en constante évolution.

Mais, pour autant, nous n’avons pas gagné toutes les batailles. Loin de là. L’aide aux victimes et la reconnaissance de leurs droits débordent le champ de la justice pénale et elle interpelle diverses instances. On ne saurait occulter les difficultés auxquelles les victimes font encore face lorsqu’elles veulent obtenir du soutien émotionnel, des conseils pour mieux se protéger ou être indemnisées après avoir subi un crime. On doit continuer à améliorer l’accès aux services leur permettant de reconstruire leur vie et de poursuivre leur chemin avec dignité et sérénité. Cette reconstruction se passe la plupart du temps à l’extérieur du système de justice pénale. Ce dernier ne représente ni la seule, ni la meilleure réponse à leurs besoins.

La sauvegarde des droits fondamentaux des victimes n’est pas assurée et leur actualisation reste un défi de taille (Waller, 2011 ; Gaudreault, 2013). Nous avons encore beaucoup de travail à faire pour que les victimes puissent connaître, comprendre et exercer les droits qui leur reviennent. La défense de leurs intérêts passe aussi par une analyse des enjeux dans une perspective systémique et à long terme. Cela exige que l’on ait les moyens de participer à l’élaboration du droit et des politiques les concernant et que l’on soit capable d’assumer une présence et une parole citoyennes. Cela sous-tend que l’on appuie les organismes qui, comme l’Association québécoise Plaidoyer-Victimes, consacrent leur mission à atteindre de tels objectifs.

J’ai eu le privilège de participer et de contribuer à ce mouvement de solidarité qui a suscité des transformations sociales majeures dans la société canadienne. Pendant toutes ces années, l’enseignement et les contacts avec plusieurs cohortes d’étudiants, les échanges et collaborations avec des partenaires de divers horizons et, plus particulièrement, avec mes collègues au sein de l’Association québécoise Plaidoyer-Victimes, ont alimenté ma réflexion, influencé et guidé mes actions et mon engagement. Ils m’ont obligée à me remettre en question. Les victimes ont aussi eu un rôle déterminant dans mon parcours. Par leur résilience et leur combativité, elles m’ont inspirée et encouragée à me dépasser, à ne pas baisser les bras. Ce sont des valeurs que m’avaient aussi léguées mes parents.

Références

  1. Association québécoise Plaidoyer-Victimes. (2014). Projet de loi C-32, Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois, Chambre des Communes, 2e session, 41e législature. Commentaires soumis au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, 31 octobre 2014.
  2. Baril, M., Durand, S., & Gravel, S. (1983). Mais nous les témoins… Une étude exploratoire des besoins des témoins au Palais de justice de Montréal. Collection Victimes d’actes criminels, document de travail no 10. Ottawa : ministère de la Justice.
  3. Baril, M. (1983). L’envers du crime. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal.
  4. Cario, R., Gaudreault, A., & Lopez, G. (2002). Avant-propos de l’Envers du crime. Paris : L’Harmattan.
  5. Comité d’étude sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants et des jeunes. (1984). Infractions sexuelles à l’égard des enfants (Rapport Badgley), vol. I et II. Ottawa : ministère des Approvisionnements et Services Canada.
  6. Dawson, M. (2010). « Documenter la croissance des ressources pour les victimes/survivants d’actes de violence ». Recueil de recherche sur les victimes d’actes criminels, no 3. Ottawa : ministère de la Justice du Canada.
  7. Fattah, E. (1991). Understanding criminal victimization : an introduction to theoretical victimology. Scarborough, Ont. : Prentice-Hall Canada.
  8. Gaudreault A. (1996). « Regard sur une décennie ». Dans Coiteux, J., Campeau, P., Clarkson, M.M., & Cousineau, M.M. (Sous la dir.). Question d’équité, L’aide aux victimes d’actes criminels. Montréal : Association québécoise Plaidoyer-Victimes.
  9. Gaudreault A. (1996). « Les premiers centres d’aide aux victimes d’actes criminels : lorsque la mémoire refait surface ». Dans Coiteux, J., Campeau, P., Clarkson, M.M., & Cousineau, M.M. (Sous la dir.). Question d’équité, L’aide aux victimes d’actes criminels. Montréal : Association québécoise Plaidoyer-Victimes.
  10. Gaudreault, A. (2001), « L’aide aux victimes d’actes criminels au Québec et au Canada: esquisse d’un parcours ». Dans Cario, R., Salas (Sous la dir.). Oeuvre de Justice et Victimes, Vol. 1, École nationale de la magistrature. Paris : l’Harmattan.
  11. Gaudreault, A. (2010). « Les lois et chartes qui enchâssent les droits des victimes d’actes criminels : réflexions autour de l’expérience canadienne », Les Cahiers de PV – Antenne sur la victimologie, no 6, p. 2-9.
  12. Gaudreault, A. (2013). « Des initiatives pour mieux répondre aux besoins des victimes d’actes criminels : l’expérience du Canada », Cahiers de la Sécurité intérieure, Les victimes de la délinquance, Revue trimestrielle, p. 135-142.
  13. Gaudreault, A. (2013). « Renforcer les droits des victimes au Canada : un rêve illusoire », Ressourcez-vous, Société de criminologie du Québec, p. 13-23.
  14. Groupe d’étude fédéral-provincial canadien sur la justice pour les victimes d’actes criminels (1983). Rapport. Ottawa : ministère des approvisionnements et services.
  15. Waller, I. (1981). « Les victimes d’actes criminels : besoins et services, Canada/États-Unis », Déviance et Société, vol. 3, p.p. 277-282.
  16. Waller, I. (2011). Rights for Victims of Crime : Rebalancing Justice. Toronto : Rowman & Littlefield Publishers.
  17. Young, A.N. (2005). « Crime Victims and Constitutionnal Rights », Criminal Law Quaterly, vol. 49, p. 443-450.

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