EFFET DE LA VALENCE EMOTIONNELLE SUR LES CAPACITES EXECUTIVES : UNE ETUDE PILOTE CHEZ LES PERSONNES SOUFFRANT D’UN TROUBLE DE STRESS POST-TRAUMATIQUE (TSPT)

Déborah FLATOT-BLIN

  • Psychologue
  • Consultation mémoire Centre Hospitalier Intercommunal d’Aix-Pertuis
  • Consultation post-traumatique, Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille

Mémoire dirigé par le Pr Wissam El Hage

 

 INTRODUCTION

Le but de cette étude pilote est de mettre en évidence l’effet de la valence émotionnelle sur le traitement exécutif chez les personnes souffrant d’un trouble du stress post-traumatique (TSPT). Ce travail vise à objectiver l’impact des émotions (i.e., positive, négative, neutre) sur le traitement en mémoire de travail, la flexibilité mentale et le contrôle attentionnel dans le TSPT au travers d’une tâche de 2-back émotionnel. De ce fait, cette étude répond à la question spécifique suivante : Quelles sont les conséquences de la valence émotionnelle sur la flexibilité mentale, la mémoire de travail et le contrôle attentionnel et quelles sont les différences entre les personnes souffrant d’un TSPT et celles sans TSPT ?

Une première partie précise brièvement le contexte de cette étude. Ensuite, la méthode utilisée afin d’évaluer le fonctionnement exécutif et émotionnel dans le TSPT est décrite, avant de présenter et discuter le résultats obtenus.

CONTEXTE

Emotions et TSPT

Lors d’un événement à fort impact émotionnel, les informations reçues vont apparaître de manière menaçante même si celles-ci étaient initialement neutres suite à l’activation de l’amygdale (i.e., rôle de détection de la menace et traitement des stimuli négatifs). Cette activation entraîne des réactions défensives comportementales (i.e., fight, flight ou freeze) et physiologiques (e.g., cardiovasculaires et respiratoire) (Tapia, Clarys, El-Hage et Isingrini, 2007). Cette réponse aigue peut entraîner un trouble qui se maintient dans le temps et prend la forme d’un TSPT. Une hyperactivation neurovégétative est mise en évidence avec un état d’alerte omniprésent dans le TSPT. La consolidation de ces aspects sensoriels et émotionnels est exacerbée (Eustache, Guillery-Girard et Dayan, 2017) entraînant la réactivation du stress perçu à tout moment (Hot & Sequeira, 2017). De plus, la sur-activation amygdalienne dans le TSPT est démontrée au travers de nombreuses études en imageries cérébrales (Bremner, 2007 ; Henigsberg et al., 2019 ; Zoladz & Diamond, 2013). Une réponse exagérée des aires cérébrales impliquées dans l’analyse de la peur et de la menace est visible au niveau de l’insula et du cortex cingulaire antérieur dorsal (Hot et Sequeira, 2017). Il existe également un défaut de la régulation émotionnelle avec une hypoactivation frontale (e.g., cortex préfrontal ventral, Hot & Sequeira, 2017 ; cortex cingulaire antérieur CCA et cortex préfrontal médian CPFm, Bremner, 2007 ; Henigsberg et al., 2019).

Fonctions exécutives

Les fonctions exécutives sont des processus cognitifs « top down » (i.e., flexibilité mentale, mise à jour et inhibition) qui permettent de traiter un stimulus de manière adapté en fonction du contexte et de son but (Diamond, 2013).

Fonctions exécutives et émotions

La cognition et les émotions étaient d’abord étudiées de manière indépendante jusqu’à ce que des interactions soient mises en évidence notamment au niveau des réseaux cérébraux (Pessoa & McMenamin, 2017). L’hippocampe, par exemple, est connu pour intervenir dans les processus mnésiques mais cette structure est également impliquée dans le traitement émotionnel d’un stimulus permettant ainsi d’associer un souvenir à un contexte. Selon de nombreux auteurs, les émotions influencent donc les performances cognitives et notamment les performances exécutives (Pessoa et al., 2010 ; Pessoa, 2014).

Fonctions exécutives et TSPT

Il existe un déficit au niveau de ce traitement exécutif dans le TSPT (Gindt & Hot, 2017). Selon Koso & Hansen (2006), la flexibilité mentale est déficitaire car la possibilité de se désengager d’une stratégie pour une autre plus efficiente est moins efficace chez les patients souffrant d’un TSPT que chez les personnes sans TSPT. L’effet du TSPT sur les processus exécutifs se traduit par une baisse de la vitesse d’exécution et une baisse de la précision (Tapia et al., 2007). D’après plusieurs études portant sur l’évaluation des empans, la mémoire de travail est également altérée (Gindt & Hot, 2017 ; Tapia et al., 2007). De plus, la majorité des épreuves exécutives utilisées permettent également d’évaluer l’attention et permettent donc de lier les déficits attentionnels et exécutifs (Koso & Hansen, 2006). Les différentes études visant à faire le lien entre TSPT et fonctionnement exécutif « suggèrent l’existence dans le TSPT d’une atteinte de la capacité à initier, contrôler et réguler la mise en place de stratégies cognitives indispensables aux traitements de l’information » (Tapia et al., 2007).

Problématique

La présente recherche pilote visait à faire le lien entre TSPT, émotions et capacités exécutives, et s’interrogeait alors sur l’influence de la valence émotionnelle sur le contrôle exécutif dans le TSPT : des différences de performances et de précision exécutives s’observent-elles entre le groupe sans TSPT et le groupe avec TSPT selon la valence émotionnelle induite ? La présentation d’un stimulus à valence négative a-t-elle une incidence plus délétère sur les capacités exécutives dans le TSPT par rapport au groupe sans TSPT ?

L’hypothèse de travail était que la personne ayant vécu un événement traumatique aurait un traitement exécutif moins efficient qui se traduirait par une baisse de la vitesse de traitement de l’information, une baisse de la précision et ce, d’autant plus sur les items à valence négative par rapport à des personnes n’ayant pas vécu d’évènement traumatique qui, eux, seront plus précis et mettront moins de temps à répondre.

METHODE

Participants.

12 sujets avec un diagnostic de TSPT recrutés à la consultation post-traumatique de l’hôpital de la Conception (Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille) ont participé à cette étude. Les critères d’inclusion sont présentés en Annexe 1. L’âge moyen des participants TSPT était de 38,0 ans (SD = 11,8) et le nombre d’années d’études était de 13,2 ans (SD = 3,2). Un groupe contrôle de 10 personnes a été recruté dans les Bouches-du-Rhône. L’âge moyen des participants contrôle était de 40.3 ans (SD = 15,1) et le nombre d’années d’études était de 14,5 ans (SD = 1,9). Les deux groupes étaient appariés sur les caractéristiques sociodémographiques.

Pré-tests.

Le niveau cognitif global était évalué par le MMSE (Folstein, Folstein et McHugh, 1975). Les fonctions exécutives étaient contrôlées par le TMT A & B (1944) et une tâche de Stroop émotionnelle modifiée. L’échelle d’évaluation de l’anxiété et de dépression HAD (Zigmond et al., 1983) était administrée. L’auto-questionnaire PCL-5 (Ashbaugh et al., 2016) était effectué afin de mesurer les symptômes du TSPT en utilisant une échelle de Likert allant de 0 (i.e., pas du tout) à 4 (i.e., extrêmement) dont un score supérieur à 33 était significatif.

Tâche principale.

La tâche de 2-back émotionnel est une adaptation d’un Emotional Face N-back permettant d’évaluer l’effet de la valence émotionnelle sur la mémoire de travail.

Procédure.

Les pré-tests sont des épreuves « papier crayon ». La tâche principale est réalisée sur ordinateur via le logiciel OpenSesame. Les stimuli étaient présentés sur l’écran d’un ordinateur de 15.6 pouces, d’une résolution de 1024 x 768 dans la police de caractère Mono. Les images (i.e., visages avec une valence émotionnelle) étaient présentées à gauche et à droite de l’écran, en symétrie, sur un fond blanc. La lettre était présentée au centre de l’écran, entre les deux images. Chaque participant voyait un écran avec une croix « + » représentée au centre de l’écran pendant 2000 ms, puis la lettre était présentée pendant 1000 ms. Le visage changeait lorsque la nouvelle lettre apparaissait à l’écran (voir schéma en Annexe 2). Le participant devait déterminer si la lettre vue était la même que celle vue 2 fois avant (e.g., A – B – A). La réponse était enregistrée à l’aide du clavier par une touche avec une gommette verte (e.g., lorsque l’image est identique à celle vue deux images avant) et une autre touche avec une gommette rouge (e.g., lorsque l’image est différente de celle vue deux images avant). Un bloc d’entraînement était composé de six essais. La tâche était ensuite composée de 8 blocs de 12 essais. Un essai était composé de deux lettres amorces et d’une lettre cible. 36 visages (i.e., neutres, positifs ou négatifs) provenant du NimStim Face Stimulus Set (Tottenham et al., 2009) ont été utilisé. Chaque visage était vu au maximum neuf fois sur l’ensemble de la tâche. La présentation des stimuli était pseudo-randomisée. Chaque participant était testé individuellement et bénéficiait d’une pause entre chaque bloc.

RESULTATS

Les groupes TSPT et Contrôle ne différaient pas sur les caractéristiques sociodémographiques telles que l’âge et le niveau socio-culturel. L’ensemble des données est rassemblé dans la Table 1.

Emotions

PCL-5 

Afin d’évaluer les symptômes du TSPT, une ANOVA a été réalisée : 2 (Groupe : Contrôle, TSPT) x 1 (PCL-5) sur le score total au PCL-5. Un effet principal du groupe était visible [F(1,20) = 65.37, MSe = 11005, p < .001, η2 = .77] : les participants avec un TSPT avaient un score significativement supérieur aux participants Contrôle (52.9 contre 8.0).

HAD

L’ANOVA : 2 (Groupe : Contrôle, TSPT) x 1 (HAD-Anxiété) effectuée sur les scores d’anxiété mettent en évidence un effet principal du groupe [F(1,20) = 23.6, MSe = 335, p < .001, η2 = .54]. Les symptômes de l’anxiété étaient significativement plus élevés chez les participants souffrant d’un TSPT que chez les participants Contrôle (14.8 contre 7.0).

L’évaluation de la dimension dépressive était mise en évidence par l’ANOVA : 2 (Groupe : Contrôle, TSPT) x 1 (HAD-Dépression) qui montre également un effet principal du groupe [F(1,20) = 29.17, MSe = 609, p < .001, η2 = .59]. Les troubles dépressifs étaient significativement plus présents chez les participants souffrant d’un TSPT par rapport aux participants Contrôle (13.7 contre 3.1).

Evaluation globale et fonctions exécutives

MMSE

Une ANOVA a été réalisée sur le score au MMSE selon le plan 2 (Groupe : Contrôle, TSPT) x 1 (MMSE). L’effet principal du groupe sur le TMT B [F(1,20) = 6.37, MSe = 7, p = .02, η2 = .24] révélait un niveau cognitif global significativement supérieur chez les participants Contrôle par rapport aux participants avec un TSPT (29.4 contre 28.3).

TMT

Une ANOVA dont le plan était 2 (Groupe : Contrôle, TSPT) x 1 (TMT) a été effectuée sur le temps de réalisation. Un effet principal du groupe est visible sur le TMT A [F(1,20) = 5.79, MSe = 575, p =.026, η2 = .22] ainsi que sur le TMT B [F(1,20) = 9.03, MSe = 5633, p = .007, η2 = .31]. Les participants avec un TSPT étaient significativement plus lents que les participants Contrôle (37.3 s contre 27.1 s) sur le TMT A et d’autant plus sur le TMT B (87.3 s contre 55.1 s).

Emotions et fonctions exécutives

Tâche principale

Lorsque les participants sélectionnaient la meilleure réponse à l’item elle était codée 1 ; sinon elle était codée 0. Une analyse de la variance (ANOVA) dont le plan était 2 (Groupe : Contrôle, TSPT) x 3 (Emotion : neutre, positif, négatif) x 2 (Congruence : congruent, non congruent) a été effectuée sur les items cible avec des mesures répétées sur les deux derniers facteurs. Aucun résultat significatif n’a été mis en évidence sur la population testée ni entre chaque groupe.

STROOP

Pour chaque partie du STROOP, l’ANOVA : 2 (Groupe : Contrôle, TSPT) x 1 (STROOP) a été réalisée sur le temps de réalisation de la tâche. Un effet principal de la tâche mettait en évidence une différence significative de chaque partie du STROOP pour l’ensemble des sujets [F(3,60) = 20.54, MSe = 4793, p <.001, η2 = .33]. Cette différence significative des performances était également visible au sein de l’interaction STROOP x Groupe [F(3,60) = 2.72, MSe = 634, p =.05, η2 = .04]. Il existait donc une différence significative des performances entre les participants avec un TSPT et le groupe Contrôle (Figure 1) sur : le STROOP A [F(1,20) = 5.82, MSe = 379.2, p =.026, η2 = .22], le STROOP C [F(1,20) = 5.54, MSe = 1430, p =.029, η2 = .22] et le STROOP G [F(1,20) = 5.21, MSe = 4323, p =.03, η2 = .21] et une différence marginalement significative sur le STROOP B [F(1,20) = 4.01, MSe = 65, p =.06, η2 = .17]. Les participants souffrant d’un TSPT étaient d’autant plus lents que les participants Contrôle sur la partie « interférence » (i.e., STROOP C ; 62.8 s contre 46.6 s) et sur la partie émotionnelle (i.e., STROOP G ; 60.4 s contre 32.3 s) (Graphique 1).

Aucune différence significative des pourcentages d’erreurs n’apparaissait sur la tâche du STROOP.

Corrélations

Table 2. Corrélations entre les différentes épreuves cognitives et émotionnelles du groupe avec un TSPT

Le score du MMSE corrèle négativement à l’échelle HAD (Table 2) montrant un effet délétère de l’état thymique sur les performances cognitives globales. De manière positive, le temps de réponse au STROOP G « émotionnel » est fortement corrélé au score de la PCL-5 et à l’échelle HAD. La précision à la tâche principale est également corrélée aux échelles émotionnelles (i.e., PCL-5 et HAD). Cette corrélation de la tâche principale est d’autant plus importante entre le score à l’échelle de dépression et la précision sur les items à valence négative (p < .001). Le score à la PCL-5 et la précision sur les items à valence négative sont également corrélés (p < .05). Par ailleurs, une forte corrélation avec le score d’anxiété est visible sur les items neutres (p <.001). La précision est aussi corrélée au score de dépression pour les visages à valence possible (p < .05).

DISCUSSION

Le but principal de cette étude pilote était de mettre en évidence l’effet de la valence émotionnelle sur le traitement exécutif dans le TSPT lors d’une tâche de 2-back émotionnel. Les participants devaient dire si la lettre vue à l’écran était la même que celle vue deux fois avant. Le même visage était visible à gauche et à droite de la lettre. Celui-ci pouvait être neutre, positif ou négatif selon l’essai. La précision a été étudiée. Les performances aux tâches cognitives et émotionnelles préalables ont également été examinées. Contrairement aux hypothèses formulées, aucune différence significative n’a été constatée entre le groupe avec un diagnostic de TSPT et le groupe Contrôle sur la tâche de 2-back émotionnel. En revanche, d’autres résultats préliminaires importants sont à discuter au travers des tâches complémentaires.

Emotions

Sur le plan thymique, une différence significative était retrouvée sur les scores d’anxiété et de dépression entre le groupe avec un TSPT et le groupe Contrôle. Les données épidémiologiques montrent qu’une prévalence aux troubles anxiodépressifs s’observe chez le TSPT avec une anhédonie, une asthénie et un sentiment de dévalorisation importants. En effet, les troubles anxieux (Marshall et al., 2000 cités dans Tapia et al. 2007) et dépressifs (Shalev et al., 1998 cités dans Tapia et al., 2007) sont des comorbidités souvent retrouvées dans le TSPT et sont d’ailleurs décrits dans le critère D du TSPT défini dans le DSM-5 (i.e., altération des cognitions et de l’humeur ; APA, 2013). En Europe, la dépression est associée au TSPT dans 20.7% des cas et 18.4% pour la dysthymie (Auxéméry & El-Hage, 2017).

Evaluation globale et fonctions exécutives

L’impact du TSPT sur les capacités cognitives s’observait au travers du MMSE par un niveau cognitif global significativement inférieur pour le groupe souffrant d’un TSPT par rapport au groupe Contrôle. Cette observation corrobore les données de la littérature mettant en évidence un effet délétère du TSPT sur l’ensemble de la cognition (voir Tapia et al., 2007 pour une revue). Plus spécifiquement, les résultats préliminaires de l’étude ont mis en évidence l’effet négatif du TSPT sur les capacités exécutives et attentionnelles au travers du TMT et du STROOP. Il existe donc une sensibilité à l’interférence ainsi qu’une altération des capacités de la flexibilité mentale et du contrôle inhibiteur dans le TSPT. Le fonctionnement attentionnel, également impliqué dans ces tâches, est aussi impacté (Koso & Hansen, 2006 in Tapia et al. 2007).

Emotions et fonctions exécutives

Aucun élément n’est mis en évidence au cours de la tache de 2-back émotionnel visant à évaluer l’effet de la valence émotionnelle sur la mémoire de travail dans le TSPT. Pourtant, une étude de Schweizer et al. (2011) montre les difficultés en mémoire de travail sur des contextes émotionnels dans le TSPT. Toutefois, des résultats confortent notre hypothèse principale au travers la tâche de STROOP émotionnel. En effet, le groupe souffrant d’un TSPT était plus lent que le groupe Contrôle sur la partie émotionnelle interférente. L’effet du TSPT sur les capacités de résistance à l’interférence et sur le contrôle inhibiteur était plus important lorsque les mots présentés étaient des mots à valence négatives et faisant référence à l’événement traumatique (e.g., agression, viol). Selon, Mouchabac, Ferreri & El Hage (2016), l’hypoactivation du CCA et du CPFm entraînent une altération du fonctionnement attentionnel, un déficit de contrôle et de régulation des réponses émotionnelles devant des stimuli traumatiques. Rauch et al. (2000) cités dans Rauch et al. (2006) montraient également une hyper-réponse de l’amygdale sur des stimuli présentant des visages négatifs versus des visages positifs. Par ailleurs, chez les participants avec un TSPT, les scores aux échelles thymiques et à la PCL-5 étaient corrélés aux performances des épreuves cognitives complémentaires ainsi que sur la précision du 2-back émotionnel, notamment sur les visages à valence négative montrant un lien entre l’état thymique et les performances cognitives. En effet, un haut niveau d’anxiété a été associé avec un traitement inefficace en mémoire de travail sur du matériel menaçant (Stout et al., 2015 cités dans Larsen et al., 2019). Le blocage de l’information menaçante altèrerait à son tour les capacités attentionnelles conduisant à une augmentation de l’anxiété et interférerait avec l’exécution de la tâche actuelle (Bishop, 2007 cités dans Larsen et al., 2019).

Limites

Malgré ces observations, la présente étude a plusieurs limites. L’effectif réduit ne permet pas de généraliser les résultats obtenus à la population générale. De plus, le nombre restreint de participants ne semble pas permettre d’avoir de résultats significatifs sur la tâche principale. Ce manque de puissance statistique pourrait également être dû à un manque de sensibilité de la tâche. La facilité relative de la tâche pourrait aussi être en cause. Une épreuve de 3-back permettrait peut-être de révéler une différence des ressources cognitives et émotionnelles entre les deux groupes. De plus, le temps de réponse n’a pas pu être examiné lors de cette recherche car celui-ci était contrôlé expérimentalement (i.e., temps de présentation de la lettre entourée des visages à valence émotionnelle = 1000 ms). Cette perte de données peut limiter la compréhension des baisses de performance en mémoire de travail et des troubles attentionnels décrits dans la littérature. Par ailleurs, il est possible de s’interroger sur les troubles exécutifs observés. Cette atteinte exécutive est-elle « solide » ou ces difficultés sont-elles dues à un déficit attentionnel puisque nous savons que le TMT et le STROOP évaluent également le fonctionnement attentionnel ? Une autre limite est l’atteinte thymique associée (i.e., anxiété et dépression). En effet, Tapia et al. (2007) suggèrent que :

la comorbidité associée au TSPT apparaît comme une limite méthodologique classique dans les études visant à préciser le profil cognitif de ce syndrome. Les effets néfastes de la dépression ou de la dépendance alcoolique sur les performances cognitives sont bien connus […] certains auteurs maintiennent que lorsque les effets de l’anxiété et de la dépression sont rigoureusement contrôlés, les déficits cognitifs observés dans le TSPT disparaissent, excluant l’implication spécifique du TSPT dans le dysfonctionnement cognitif.

De surcroît, l’alexithymie pourrait être une autre comorbidité secondaire du TSPT et pourrait interférer dans le traitement émotionnel des stimuli, notamment dans les psychotraumatismes complexes. Les troubles frontaux sur du matériel émotionnel résulteraient alors d’une incapacité pour la personne avec un TSPT de traiter les stimuli émotionnels.

CONCLUSION

L’objectif de cette étude pilote était la mise en évidence de l’effet de la valence émotionnelle sur les capacités exécutives dans le TSPT. L’impact du TSPT a été objectivé indépendamment sur la thymie et sur la cognition. L’effet d’un stimulus à valence émotionnelle sur les capacités frontales a également été observé. Les comorbidités du TSPT peuvent nous interroger sur l’origine des troubles exécutifs. La littérature montre tout de même que les stimuli avec une valence émotionnelle ont un effet sur la cognition chez les participants sans TSPT (Pessoa et al., 2010) ce qui suggère alors que cet effet est bien observable dans le TSPT et ce, avec un impact plus délétère.

Ces résultats préliminaires représentent une tendance et ne sont pas généralisables compte tenu du faible échantillon testé. Ces observations montrent tout de même l’intérêt de poursuivre cette recherche de l’effet de la valence émotionnelle sur les fonctions exécutives dans le TSPT lors d’une tâche de 2-back émotionnel afin d’envisager une prise en charge précoce des troubles cognitifs dans le TSPT. En effet, une étude réalisée chez des vétérans utilisant également un N-back émotionnel a montré qu’un entraînement de la mémoire de travail avec du matériel émotionnel permettrait d’augmenter les capacités du traitement en mémoire de travail dans des contextes émotionnels et améliorerait les capacités de régulation émotionnelle (Schweizer et al., 2013 cités dans Larsen et al., 2019).

Ainsi, les prochaines recherches appliquées viseront à mettre en évidence la nécessité d’une évaluation psychologique approfondie (i.e., émotionnelle, sociale, cognitive et comportementale) dès l’accueil d’un patient en consultation post-traumatique et l’intérêt d’une réhabilitation neurocognitive dans le suivi de la personne avec un diagnostic de TSPT. D’un point de vue fondamental, l’effet de la valence émotionnelle sur les fonctions exécutives dans le TSPT pourrait être étudié au travers du domaine arithmétique afin d’identifier les stratégies cognitives utilisées, leurs fréquences d’utilisation et caractériser leur utilisation ainsi que les performances des participants (i.e., répertoire, distribution, sélection, et exécutions stratégiques, Lemaire & Siegler, 1995).

Ce sujet d’étude pourrait donc être poursuivi en augmentant le nombre de participants afin de répondre à l’objectif de l’étude et en modulant la démarche expérimentale. Le groupe avec un TSPT pourrait passer une épreuve de 2-back traditionnel et une tâche de 2-back émotionnel afin de comparer les performances et mesurer les différences induites par la valence émotionnelle du stimulus. Une autre perspective serait de mener une étude longitudinale en comparant les performances exécutives en amont d’une prise en charge psychothérapeutique, durant cette prise en charge et à distance de celle-ci. Des mesures physiologiques (e.g., fréquence cardiaque, pupillométrie, EEG) pourraient compléter les données. A terme, l’effet de la valence émotionnelle dans le TSPT pourrait être généralisé sur l’ensemble de la cognition.

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  • Zigmond, A. S., & Snaith, R. P. (1983). The Hospital Anxiety and Depression Scale. Acta Psychiatrica Scandinavica, 67(6), 361-370.
  • Zoladz, P. R., & Diamond, D. M. (2013, June). Current status on behavioral and biological markers of PTSD: A search for clarity in a conflicting literature. Neuroscience and Biobehavioral Reviews, Vol. 37, pp. 860–895. https://doi.org/10.1016/j.neubiorev.2013.03.024

ANNEXES

Annexe 1

Les critères d’inclusion à l’étude étaient :

  • Age supérieur ou égal à 18 ans
  • Diagnostic principal de TSPT avec les symptômes décrits par le DSM 5
  • Suivi psychiatrique ou psychologique en cours à la consultation post-traumatique
  • TSPT entre 1 mois et 48 mois
  • Si possible TSPT simple

Les sujets ayant des difficultés pour lire et / ou écrire le français n’étaient pas retenus ainsi que les personnes ne pouvant exprimer personnellement leur consentement, les personnes sous mesure de protection légale ou privés de liberté par décision judiciaire ou administrative ou hospitalisées d’urgence ou sans leur consentement.

Les critères d’exclusion des sujets de la présente recherche étaient la présence de :

  • Troubles psychotiques antérieurs, schizophrénie
  • Troubles bipolaires de type 1 antérieurs
  • Troubles neurodégénératifs
  • Troubles neurodéveloppementaux
  • TOC
  • Utilisation de médicaments psychotropes avec effet neurologique ou cognitif confondant
  • Dépendance ou abus à des substances
  • Pathologies neurologiques (AVC, épilepsie, tumeur cérébrale, lésion cérébrale)

Chaque participant a reçu un consentement éclairé. Le participant donnait son accord en signer une feuille de consentement.

Une fiche renseignement était transmise.

Annexe 2

Figure 1. Schéma explicatif de la tâche principale

 

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