ELEMENTS DE SOCIO-TRAUMATOLOGIE

La Victimologie

 Gérard Lopez

Président de l’Institut de Victimologie

* * *

Nous avons choisi pour ces « Sixièmes rencontres internationales de psychiatrie de Bejaia », de présenter quelques éléments conceptuels d’une nouvelle approche des traumas collectifs que nous développons avec Malik Ait Aoudia depuis quelques années. « La socio-traumatologie est une approche méthodologique transdisciplinaire, élaborée à partir des données cliniques issues de la psychotraumatologie pour analyser les conséquences sociopathologiques et psychosociales des violences » (Ait Aoudia M et Lopez G, 2014). Cette définition étant posée, nous allons développer quelques concepts qui ne font qu’effleurer un si vaste sujet en étudiant successivement : 1) les stratégies d’emprise socio-politiques ; 2) le rôle des idéologies sacrificielles ; 3) le mécanisme de résolution des crises par désignation d’un bouc émissaire ; 4) les phénomènes de revictimation ou a contrario d’identification à l’agresseur et de répétition transgénérationnelle de la violence ; 5) les facteurs de risque et de résilience.

Ce texte s’inspire très directement de l’ouvrage de l’auteur, « La Victimologie », dont la deuxième édition est parue aux éditions Dalloz en 2014.

I. L’EMPRISE SOCIO-POLITIQUE

 Qu’on étudie l’emprise sur un plan interpersonnel ou microsocial (famille, entreprise) ou sur un plan macro social, les stratégies perverses, étudiées par Hannah Arendt notamment, sont dans les deux cas les mêmes (1). Nous connaissons de nombreux exemples de pays qui ont été décervelés par une poignée de pervers utilisant une propagande qui n’est jamais aussi efficace qu’en période de crise. Les concepts de René Girard que nous aborderons plus loin sont également éclairants.

En période de crise, quand plus personne, par définition, ne parvient à trouver une solution pour la résoudre, un « sauveur » providentiel apporte généralement des solutions simplistes et désigne invariablement des boucs émissaires. Ce fut évidemment le cas de l’Allemagne nazie, de l’Union soviétique et de tous les régimes totalitaires du siècle dernier. Citons Hannah Arendt : « Avant de prendre le pouvoir pour établir un monde conforme à leurs doctrines, les mouvements totalitaires suscitent un monde mensonger et cohérent qui, mieux que la réalité elle-même, satisfait les besoins de l’esprit humain ; dans ce monde par la seule vertu de l’imagination, les masses déracinées se sentent chez elles et se voient épargner les coups incessants de la vie réelle et les expériences réelles infligées aux êtres humains et à leur espérance (2). »

La majorité des personnes est tout simplement entraînée dans les processus d’emballement mimétiques décrits par René Girard. La foule, collée au miroir du fantasme, ne raisonne pas ou comme… le tambour qui annonce le massacre des innocents. Elle possède les caractéristiques décrites par Hannah Arendt : « Les critères de l’homme de masse n’ont pas été déterminés seulement, ni même principalement, par la classe sociale à laquelle il avait appartenu, mais plutôt par la contagion d’influences et de convictions que partageaient inconsciemment et également, toutes les classes de la société ».

Alice Miller (3) dénonce la pédagogie noire de la fin du XIXe et début du XXe, laquelle aurait pour but de briser la volonté des enfants pour en faire des individus dociles et obéissants, comme étant favorable à l’éclosion du nazisme.

Selon Hannah Arendt, ces régimes, une fois au pouvoir, se maintiennent en travestissant la réalité parce que « Les faits dépendent entièrement du pouvoir de celui qui peut les fabriquer, » et en faisant régner la terreur : « le totalitarisme a découvert un moyen de dominer et de terroriser les êtres humains de l’intérieur ».

Les autres mécanismes psychopathologiques étudiés dans cet article donnent leur pleine mesure une fois que l’emprise agit sur un individu, une famille ou sur le plan socio-politique.

II- LES IDEOLOGIES SACRIFICIELLES

  1. La théorie féministe de la violence

La compréhension des mécanismes de la violence implique la déconstruction d’un certain nombre de préjugés qui la justifient, minimisent sa portée ou même dénient son existence (4).

Les féministes par exemple ont dénoncé les stéréotypes qui visent à déresponsabiliser l’homme violent : l’alcool, le chômage, la passion, le désir sexuel irrépressible, la misère sexuelle, etc. Elles ont aussi questionné les stéréotypes qui tendent à inverser les responsabilités, à rendre le coupable « innocent » et la victime « fautive » de par son comportement (vêtements « provocants », attitude « séductrice »), de par ses prétendues erreurs (en tant que « mauvaise mère », « mauvaise épouse ») ou de par ses réactions (soi-disant « passives » ou inadéquates), alors que rien ne peut justifier ou autoriser la violence. D’autres stéréotypes ont pour objet de discréditer la parole de la victime. Ces préjugés contribuent à brouiller notre perception de la violence. Dans le regard et la bouche des intervenants sociaux, médicaux ou judiciaires censés accueillir les victimes, ils sont producteurs d’une violence psychologique qui se surajoute aux violences déjà subies par les femmes.

La mise à jour des préjugés est d’ailleurs centrale dans la critique féministe du droit et des procédures judiciaires qui, loin de toujours reconnaître et réprimer les violences masculines, les cautionnent ou les banalisent. Le féminisme apporte donc un éclairage entièrement nouveau sur la question de la violence, de sa définition et de ses mécanismes de reproduction. Ce sont d’ailleurs les luttes féministes qui ont contribué depuis une quarantaine d’années à faire modifier les législations, les pratiques institutionnelles et les politiques des États afin que cesse la violence sexiste.

  1. Une critique généralisée des rapports de domination

La réflexion féministe a permis de définir un « système agresseur » qui privilégie la loi du plus fort et nourrit le totalitarisme familial, et au-delà social, des plus forts au détriment des femmes et des enfants.

Cependant, il existe d’autres « systèmes agresseurs » totalitaires qui se confortent sur des préjugés tout aussi tenaces à l’encontre des personnes socialement défavorisées : personnes « contretypiques » comme les homosexuels, invalides, mendiants, émigrés, prostitués ; à plus grande échelle les pays en voie de développement, etc.

Les idéologies et les stéréotypes de domination légitiment : la maltraitance infantile et l’inceste, les violences conjugales, les crimes sexuels, la prostitution, le harcèlement psychologique au travail, les actes de terrorisme… N’entend-on pas fréquemment que les femmes prostituées sont un mal nécessaire pour « gérer » tant bien que mal la sexualité masculine et ne pas faire exploser le nombre des viols. Que les enfants victimes de kwashiorkor pourront manger quand leurs parents seront performants. Que certains enfants violés n’ont que des fantasmes œdipiens. Et que la violence politique que l’on dit… légitime, se légitime précisément sur les idéologies sacrificielles, comme le démontre de façon caricaturale l’apologie de l’assassinat du jeune Guy Môquet – qualifié à tort de sacrifice – pour exhorter les Français à travailler plus, pour une bonne cause… et dans une moindre mesure, pour gagner plus.

Les dominants disposent de moyens de rétorsion très efficaces pour maintenir cet état de chose à leur profit comme le décrit si bien, Jean Ziegler (5) par exemple.

Ces valeurs sont partagées par la majeure partie du corps social qui privilégie de plus en plus bruyamment la performance et l’efficacité comme norme sociale.

Les différentes idéologies sacrificielles sont résumées de façon probablement non exhaustive dans le tableau suivant (6).

Les différents systèmes agresseurs

IDEOLOGIE SACRIFICIELLE VIOLENCES “LEGITIMEES”
Sexisme et homophobie Viols, agressions sexuelles, violences à l’encontre des femmes et des homosexuel-les, discriminations socioprofessionnelles, système prostitutionnel
Néolibéralisme Guerre économique, licenciements, délocalisations, harcèlement au travail
Racisme Discriminations, violences, extermination, colonisation
Élitisme Discrimination, échec scolaire, exclusion, harcèlement
Militarisme Guerre, apologie du sacrifice, viols de masse
Totalitarisme (familial, social, sectaire, d’Etat) Loi du plus fort : violences d’Etat, terrorisme, violences familiales, emprise sectaire, etc.
  1. Critique des idéologies sacrificielles

De nombreux intellectuels fustigent le discours pontifiant qui dénonce la soi-disant déliquescence des valeurs spirituelles et l’affaiblissement progressif du primat paternel, comme étant responsables du retour en force de la tradition et du religieux, radicalisé parfois, ou au pire récupéré par des mouvements ésotérico-sectaires dont le djihadisme est la forme actuelle la plus redoutable. Pour eux, bien au contraire, la mort de Dieu et l’idéologie des droits de l’homme issue de la philosophie des Lumières, auraient profondément modifié la nature des relations humaines. La naissance de l’intimité et de l’amour conjugal en témoigneraient. On assisterait à l’avènement d’un humanisme transcendantal à dimension humaine (7). L’amour, dans la sphère privée, irradiant progressivement sur l’humanité toute entière, serait devenu la valeur dominante pour laquelle un homme pourrait encore se sacrifier, il serait de la sorte sacré. Cette irruption de l’amour moderne, transcendantal parce que l’on pourrait y voir une valeur dépassant notre propre vie, serait à l’origine du mouvement en faveur des victimes, de l’action humanitaire et de l’écologie. La floraison des actions humanitaires, des chartes, des déclarations, en faveur des droits de l’homme, des enfants, des victimes, est là pour en témoigner. Dans nos démocraties occidentales, le sacrifice d’Iphigénie est devenu scandaleux. Il le serait tout autant pour Dieu, la Patrie ou n’importe quelle « grande cause » qui ne serait pas tout simplement humaine et profondément en accord avec nous-mêmes.

Cependant, la question du sacrifice fait toujours débat, le djihadisme en constitue la caricature absolue. Il est curieux de justifier les pratiques sacrificielles en se référant aux trois grands monothéismes qui auraient dû débarrasser le ciel et la terre de toutes les idoles… Le sacrifice sanglant, toujours imposé, parfois par décervelage, invoque le soi-disant consentement des victimes : il pérennise les violences. Règle qui ne souffre aucune exception, le sacrifice violent – le seul qui soit – enclenche mimétiquement le cycle des violences. Selon Mathieu, Jésus de Nazareth dénonça en ses termes la mécanique sacrificielle du bouc émissaire : « Vous dites : Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour verser le sang des prophètes. Ainsi, vous en témoignez contre vous-mêmes, vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes ! » (Mt 23,30-31). Et si Dieu, « Celui qui est » (Ex 3,14), laisse une totale liberté à l’homme, Il ne réclame rien et en particulier aucun sacrifice, pas même celui de Jésus, fusse-t-il le tout dernier sacrifice, comme le pense David Flusser (8) ou Gérard Lopez (9) et de nombreux d’exégètes dont Marie Balmary (10) et plus particulièrement René Girard, lesquels réinterprètent en ce sens le non-sacrifice d’Abraham.

III. LA RESOLUTION DES CRISES PAR LA DESIGNATION D’UN BOUC EMISSAIRE

  1. L’innocence de la victime

Pour René Girard (11), la victime innocente est la valeur fondatrice de la civilisation occidentale. Pour lui, les mythes fondateurs des sociétés traditionnelles seraient la version progressivement édulcorée du meurtre fondateur d’un bouc émissaire rapportée par les lyncheurs unanimes.

La Bible et de façon beaucoup plus explicite les évangiles, adoptent un point de vue radicalement contraire. La Bible dénonce la mise à mort ou l’injuste destin de nombreuses victimes innocentes (les prophètes assassinés, Joseph vendu par ses frères aux Égyptiens, Job, etc.). De façon beaucoup plus explicite encore, Jésus de Nazareth apparaît comme l’Agneau de Dieu victime du désir mimétique de la foule unanime. Le prophète Mohammed lui-même, victime innocente, est chassé de La Mecque par les Quraych, les membres de sa tribu.

  1. Le désir mimétique

Pour René Girard, le désir de l’un enclenche automatiquement le désir de l’autre par une sorte de contagion mimétique incontrôlable qui explique les rapports de rivalité, de jalousie, de haine, de vengeance.

L’humain pourrait lutter rationnellement contre les tentations victimaires de toutes sortes, comme le fait René Girard, patiemment, rigoureusement, ouvrage après ouvrage : il pourrait choisir de ne pas jeter la première pierre qui enclenche le phénomène d’emballement mimétique et transférentiel qui aboutit à la lapidation du bouc émissaire sur qui se fonderait, depuis les origines du Monde, la cohésion du groupe menacé. Mais cela n’est pas simple, le mécanisme serait incontrôlable : Pierre lui-même renie Jésus par trois fois avant que le coq ait chanté ; les médias se déchaînent sans vérifier leurs informations.

  1. Le bouc émissaire sur le plan victimologique et psychotraumatologique

La psychotraumatologie est directement confrontée à la problématique du bouc émissaire lorsqu’elle intervient sur le terrain des grandes catastrophes, mais on le retrouve aussi comme mode de gestion des crises sociales, nous l’avons vu. Dans les deux cas, des boucs émissaires sont pris à partie par la foule et les médias qui la représentent.

René Girard décrit quatre stéréotypes victimaires :

  1. le premier est un état de crise qui déstabilise (indifférencie) les rapports sociaux (la “peste” qui ravage Thèbes par exemple) ;
  2. le deuxième stéréotype est la désignation d’une victime accusée à tort d’un crime « indifférenciateur » considérée par la foule comme responsable de la crise par un lien de causalité magique (bestialité – inceste et parricide commis par Œdipe) ;
  3. le troisième, lié au second, concerne les signes victimaires : une monstruosité physique ou morale, réelle ou supposée (Œdipe boite, il est étranger, les juifs ont le nez crochu, les sorcières entretiennent des relations diaboliques, les experts psychologues sont partisans et incompétents) ;
  4. le quatrième stéréotype est le meurtre collectif ritualisé par l’assemblée des futurs fidèles, lequel s’est progressivement édulcoré et peut actuellement prendre la forme d’un lynchage médiatique comme ce fut par exemple le cas des magistrats et des experts psychologues pendant le procès d’Outreau (12).

Actuellement, nombreux sont ceux qui pensent que la mimésis serait plutôt en faveur d’une indulgence systématique, irraisonnée et parfois coupable pour les criminels. Ils dénoncent une société soi-disant compassionnelle, exagérément « victimophile », irresponsabilisant les victimes.

IV. CONDUITES DE REVICTIMATION ET IDENTIFICATION A L’AGRESSEUR

  1. Les conduites de revictimation

 Les événements traumatiques ou les très subtiles tortures morales et physiques caractéristiques de l’emprise psychologique, constituent des attaques narcissiques qui remettent en cause l’idée que la personne se fait d’elle-même et du monde environnant. Tous les repères basculent. Ces ponctions de vie psychique entraînent la destruction progressivement croissante de zones cérébrales de plus en plus étendues. Les psycho pathologistes parlent de parties clivées, dissociées du reste de la psyché.

Ces victimes remettent constamment en actes les agressions subies de façon littérale. La répétition littérale (13), qui caractérise les personnalités traumatiques complexes, se déploie dans de nombreux domaines qui permettent de remettre en scène les scenarii traumatiques :

  • le terrain prostitutionnel permet de rejouer, littéralement, l’emprise familiale et l’inceste et de répondre ainsi à la malédiction du pervers : la femme prostituée devient la chose des clients qui l’achètent comme le faisait le père, tandis que le proxénétisme est un rapport de domination rappelant la dynamique familiale d’emprise totalitaire ;
  • les sujets éternellement agressés dans leurs relations de couple et dans leurs contacts avec les professionnels et les institutions rejouent souvent littéralement leur enfance maltraitante;
  • les femmes violées dans leur enfance ont fréquemment des relations sexuelles avec leurs thérapeutes;
  • etc.

La socio-traumatologie telle que nous l’envisageons postule que certains peuples persécutés risquent de se soumettre à une forme de répétition littérale qui les assigne à être régulièrement persécutés. A l’exemple de René Girard qui a choisi d’illustrer ses propos avec des textes anciens « dont les controverses parasitaires de notre monde n’affectent pas l’interprétation », nous ne nous risquerons pas à donner des exemples actuels. Nous pouvons cependant évoquer la persécution des juifs par les chrétiens, les pogroms, leur fuite perpétuelle symbolisée par le mythe du juif errant dont l’errance est le signe d’une faute que les chrétiens feront chèrement payer à la « race maudite » à qui était imputée toutes les vicissitudes qui frappaient le monde, comme les épidémies par exemple ou la ruine de l’Allemagne.

  1. L’identification à l’agresseur

La répétition littérale qui caractérise les personnalités traumatiques complexes peut également s’exprimer dans le domaine de l’agression directe. On parle alors d’identification à l’agresseur, mécanisme psychologique initialement décrit par Ferenczi et qui explique la perpétuation des lignées d’agresseurs et probablement pourquoi certains peuples opprimés peuvent devenir des bourreaux et réciproquement, avec les perpétuels conflits entre « ennemis héréditaires » dont font état les manuels d’histoire…

V. FACTEURS DE RISQUE ET DE RESILIENCE

  1. Facteurs de risque

En situation de crise, les personnes sont a fortiori impactées par des événements traumatiques interpersonnels dont la recherche a démontré qu’ils sont de mauvais pronostic parce qu’ils confrontent directement à la cruauté ou à l’injustice.

Ces événements sont d’autant plus délétères qu’ils surviennent précocement (14), parfois dès la naissance, perturbant la structuration identitaire et narcissique de ceux qui les subissent.

Le style d’attachement (15) des sujets impactés joue également un rôle important. On sait qu’en situation de maltraitance infantile, on dénombrent 80% d’attachements insécures contre 15% dans la population générale.

La fréquence et l’intensité des confrontations traumatiques, souvent majeures en situation de crise, quand des populations vivent sous la menace de bombardements permanents par exemple, sont également de mauvais pronostic, quoi qu’ils permettent une sorte d’habituation qui malencontreusement banalise et donc risque de perpétuer la violence.

  1. Facteurs de résilience

 La recherche consacrée à la résilience a essentiellement étudié les enfants vivant dans des conditions difficiles comme la pauvreté, la maladie mentale d’un parent, la guerre civile ou la maladie physique chronique (16).

Elle postule que s’il est impossible de proposer une thérapie à des milliers d’enfants vivant dans des conditions difficiles, on peut proposer de mettre en place de simples facteurs externes susceptibles de les aider à mieux rebondir. L’intelligence, la flexibilité, le sens de l’humour par exemple, ne sont pas donnés à tous les enfants, mais tous peuvent tirer profit de facteurs qui favorisent les interactions avec l’environnement, facteurs dont il convient d’évaluer scientifiquement la pertinence dans une logique anglo-saxonne… éloignée des envolées théoriques et des affirmations d’experts.

En s’appuyant sur la métaphore du métal qui définit la résilience comme « propriété physique d’un matériau de retrouver sa forme après avoir été comprimé ou déformé, » on peut estimer que la structure du métal est une donnée peu susceptible de se modifier. Une « bonne trempe » peut cependant le solidifier tout comme certains événements traumatiques peuvent parfois améliorer la résistance d’un petit canard battu qui pourrait cependant devenir un sujet dépourvu de toute sensibilité ou un brillant intellectuel dissocié de ses émotions. En revanche certains facteurs externes peuvent améliorer la résistance du métal aux coups comme une gaine antichoc ou des amortisseurs.

Les facteurs de résilience, à la fois interne et externes, répertoriés dans la littérature scientifiques toujours à peu près les mêmes.

  • Les facteurs de résilience personnels en situation de crise sont un solide sentiment de son identité, lequel se construit dans le regard bienveillant de parents souvent dépassés ou séparés en situation de crise, et une orientation spirituelle affirmée qui donne un sens, quel qu’il soit…, aux événements. Les recherches de Punamaki (17) portant sur des enfants palestiniens démontrent que la présence d’une forte idéologie nationaliste ou religieuse, justifiant la violence politique, constitue un facteur protecteur.
  • Une famille unie, suffisamment bien traitante constitue un facteur évidemment protecteur.
  • Certains facteurs communautaires ou sociaux protecteurs sont également plus que problématiques en situation de crise : il s’agit d’une société favorisant la solidarité, ayant un taux bas de chômage, favorisant l’implication des citoyens, bénéficiant d’un bon système de santé, de possibilités de formation, de logements, de transports, de loisirs, favorisant des messages promouvant la non-violence dans les médias et les institutions, ayant un faible taux de criminalité… Le groupe est un facteur protecteur, ceci s’observe dans les unités de combat ou chez les pompiers : une expérience partagée permettant de préserver du sentiment d’isolement et du manque de compréhension souvent ressentis par les victimes isolées.

En fait, tout ce qui favorise les liens sociaux constitue un facteur protecteur.

Certains facteurs de résilience sont paradoxaux : un climat fusionnel (voire incestueux) particulièrement pathogène en situation normale, est paradoxalement protecteur en situation traumatique. Il en est de même pour l’égocentrisme ou les stratégies qui favorisent la réussite sociale ou détriment de la vie personnelle.

CONCLUSION

 La socio-traumatologie, discipline nouvelle, tente d’appréhender le social à travers les concepts de la victimologie et de la psychotraumatologie dont nous avons posé quelques éléments en espérant que les lecteurs de Thyma, auxquels la revue est largement ouverte, sauront l’enrichir par leurs contributions.

Les recherches sur la résilience, notamment, permettent d’apporter des réponses concrètes pour éviter la perpétuation des violences, tandis qu’une forte volonté politique peut briser le cercle infernal des violences. Ce fut l’idée des fondateurs de l’Europe qui ont permis d’éviter une nouvelle guerre sur ce continent.

NOTES

(1) Lopez G. Le vampirisme au quotidien. Paris, l’Esprit du Temps, 2003 (réédité sous le titre : Comment ne plus être victime chez le même éditeur)

(2) Arendt H. Le système totalitaire. Paris, Le Seuil, 1992

(3) Miller A. C’est pour ton bien. Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant. Paris, Aubier, 1985

(4) Khoury A. « Féminisme et violence », in Lopez G, Tzitzis S en al., Dictionnaire des sciences criminelles. Paris, Dalloz, 2004.

(5) Ziegler J. L’empire de la Honte. Paris, Fayard, 2005

(6) Lopez G. La Victimologie. Paris, Dalloz, 2° éd, 2014

(7) Ferry L. L’homme-Dieu ou le Sens de la vie. Paris, Grasset, 1996

(8) Flusser D. Jésus. Paris, Le Seuil, 1970.

(9) Lopez G. Le Non du fil. Paris, Desclée de Brouwer, 2002.

(10) Balmary M. Le Sacrifice interdit. Paris, Grasset, 1986

(11) Girard R. Le bouc émissaire. Paris, Grasset, 1982.

(12) Gryson-Dejehansart MC. Outreau, la vérité abusée. Paris, Hugo et Cie, 2009

(13) Lopez G et al. Le traitement des psychotraumatismes. Paris, Dunod, 2016

(14) Bonneville E. Les traumatismes relationnels précoces. Toulouse, Eres, 2015

(15) Bolwby J. Attachement et perte. Paris, PUF, 2002

(16)

  1. Rutter M. « Protective factors in children’s responses to stress and disadvantage », in Primary Prevention of Psychopathology, Vol. 3: Social Competence in Children, Hanover, NH : University Press of New England, Kent MW & Rolf JE (eds ), 1979
  2. Masten A, Garmezy N.  « Risk, vulnerability, and protective factors in developmental psychopathology », in Lahey B, Kazdin A, edis. Advances in clinical child psychology. Vol. 8. Plenum Press, New York, 1985
  3. Garmezy N, Rutter M. « Acute stress reactions », in Child and Adolescent Psychiatry : Modern Approaches, Oxford : Blackwell, Rutter M.& Hersov L (eds), 1985
  4. Garmezy N. « Children in poverty: Resilience despite risk ». Journal of Psychiatry, vol. LVI, 1993

(17) Punamaki R. « Psychological stress responses of Palestinian mothers and children in conditions of military occupation and political violence ». Quarterly Newsletter of the Laboratory of Human Cognition, 9, 1987

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