LE NOUVEAU CODE PENAL N’EMPECHERA PAS L’AUGMENTATION DES VIOLENCES DES MINEURS

Dr Maurice Berger, pédopsychiatre

 

Une enquête de l’INSEE montre qu’en 2018, toutes les 44 secondes s’est produite en France une violence gratuite[1], c’est-à-dire n’ayant pas pour but de voler. 8 % d’augmentation par rapport à 2018. La part des mineurs est importante : en 2017, impliqués dans 9,5 % des affaires pénales, ils étaient responsables de 29 % de ces violences qui peuvent aller jusqu’à la mort.

En mars 2019, le gouvernement a publié par ordonnance le Code de la justice pénale des mineurs. Ce texte arrive au Sénat et à l’Assemblée Nationale et sera appliqué courant 2020. Son principe fondamental reste la primauté de l’éducatif sur le répressif, les sanctions éducatives étant renommées mesures éducatives. Certes l’adolescent est un être en devenir, mais ce Code limite des possibilités d’actions efficaces.

Plusieurs dispositions de ce Code reposent sur une représentation irénique de ces jeunes, recommandée par l’Europe, et traduisent une méconnaissance de leur fonctionnement psychologique.

Article 11-1 : présomption de non-discernement au-dessous de 13 ans. Mais que signifie discernement dans ce contexte : l’absence de maturité liée à l’âge, ou l’intentionnalité : avant 13 ans, un adolescent serait un petit enfant qui ne sait pas ce qu’il fait ? Un mineur de 12 ans qui gagne 80 euros par jour pour garder un immeuble sait parfaitement ce qu’il fait, il en de même pour certaines agressions physiques intentionnelles.

L’article 12-5 : un mineur a le droit d’être accompagné par un parent lors de l’enquête judiciaire, mais lors de la présentation de ce Code lors de la journée annuelle de la justice des mineurs à Douai, il est indiqué que « l’utilité de cet accompagnement peut être d’annihiler le sentiment des enfants qui peuvent être effrayés lorsqu’il s’agit d’un mineur de 13 ans placé en garde à vue ou d’un mineur de 10 ans retenu ». Entre 10 et 13 ans, un mineur peut être effectivement retenu 12h au maximum s’il est soupçonné d’une infraction punie de 5 ans de prison minimum, donc pas pour le vol d’une orange. S’il ne me paraît pas dommageable que des jeunes soient impressionnés d’être dans un commissariat, il faut être réaliste, il ne le sont pas, et ressentent ce moment avant tout comme une perte de temps inévitable. De plus, leurs parents ont fréquemment un rapport trouble à la loi ; une recherche en Centre Educatif Fermé (CEF) montre que 56 % des jeunes placés ont un membre de leur famille en prison au moment du placement. Quel genre d’étayage peuvent-ils fournir à leur enfant ?

Article 122-6 : possibilité d’utiliser un bracelet électronique à domicile comme alternative à l’incarcération, en partie pour des raisons budgétaires qui empêchent la création de places suffisantes de prison. Mais le milieu familial est souvent très désorganisé par des violences conjugales, des négligences, une consommation de drogue, 30 % au moins des parents présentent des troubles psychiatriques ayant nécessité une hospitalisation, ce n’est donc pas un endroit idéal pour favoriser une action éducative à domicile, laquelle a d’ailleurs échoué précédemment.

Article 333-4 : pour qu’un mineur de moins de 16 ans soit incarcéré parce qu’il ne respecte pas son contrôle judiciaire, il faut une violation répétée de ce contrôle. Dans les faits, il faut souvent au moins 3 non- respects. Cet article de loi indique donc qu’il est possible de ne pas respecter la loi ! On comprend qu’un mineur délinquant déclare à un policier : « Vous faites des lois que vous ne respectez pas vous-mêmes, pourquoi voulez-vous qu’on les respecte ? ».

Suppression de l’ancien article 113-3 (approuvée par le Conseil d’Etat) indiquant que « le personnel d’un établissement de la protection judiciaire de la jeunesse peut procéder au contrôle visuel des effets personnels d’un mineur ou à l’inspection de sa chambre en sa présence, aux fins de prévenir l’introduction au sein de l’établissement d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens. Ces mesures s’effectuent dans le respect de la dignité des personnes et selon les principes de nécessité, de proportionnalité, de gradation et d’individualisation ». Dans la réalité, des jeunes rapportent souvent des drogues de leurs sorties au domicile familial, dont la consommation est incompatible avec les mises en stages professionnels qu’on leur propose, et d’autres peuvent revenir avec un couteau. Pour une inspection lorsqu’une chambre sent fortement le cannabis, il faudra donc déranger un officier de police judiciaire avec la brigade canine. Totalement irréaliste.

Enfin il ne peut plus être prononcé de peine de prison ferme inférieure à un mois, « l’enjeu est de transformer ces peines en alternatives afin d’éviter que le juge ne prononce un mois et demi ou deux mois d’emprisonnement ferme dans l’objectif de contrer cette interdiction ». Or des juges remarquent que de courtes peines de 15 jours sont le seul moyen d’arrêter l’escalade des délits de certains mineurs. Ils ne pourront plus y avoir recours, et il leur sera ainsi difficile de mettre une peine un peu supérieure pour retrouver cette efficacité. Pourtant une magistrate m’explique qu’elle vient de recevoir un majeur de 18 ans qui a commis de multiples délits. Il ne se souvient d’aucune de ses rencontres avec la justice car aucune peine matérialisée n’a été prononcée et il ne comprend absolument pas pourquoi cette fois il va être condamné à une forte peine de prison. Certains mineurs ne parviennent à commencer à réfléchir sur leurs actes que lorsqu’on les empêche d’agir et à condition que quelqu’un écoute les émotions et pensées qui apparaissent alors en eux. Ceci s’appelle un dispositif contenant, et pour ceux qui raisonnent en termes d’éducatif opposé au répressif, il est difficile de comprendre que le plus important n’est pas d’éviter la prison, mais ce qu’on y propose. Tonalité des débats : lors d’une recherche (coût 60 000 euros) évaluant si certains mineurs présentaient des difficultés psychiques nécessitant une prise en charge, 9 Centres Educatifs Fermés sur 18 ont refusé de participer car il s’agissait « d’une médicalisation de la délinquance ou des comportements déviants rattachée à une idéologie sécuritaire». Et la discussion fut houleuse lorsque j’ai présenté récemment dans un colloque la nécessité de différents dispositifs contenants pour aider ces mineurs violents qui n’ont pas la liberté interne de ne pas frapper, mais à la fin de nombreux directeurs et éducateurs d’établissements sont venus me remercier d’avoir dit tout haut ce qu’ils n’osaient pas exprimer. Un haut responsable m’a déclaré être d’accord avec mes propos, mais être tenu par l’obligation de réserve. A ce colloque, il fut indiqué que le gouvernement avait fonctionné par ordonnance afin d’éviter « les excès du débat » (ou maintien de la chape du « politiquement correct » ?).

Ce Code, probablement voué à l’échec, n’aidera pas les mineurs violents pas plus qu’il ne protégera les citoyens.

NOTES

[1] Berger M. Sur la violence gratuite en France. L’artilleur, 2019

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