LE PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE DANS LES EXPERTISES FAMILIALES

Pascal CUSSIGH

Avocat

Président de Coup de pouce-protection de l’enfance

 

Le principe du contradictoire permet à chacune des parties à la procédure de discuter des arguments et des pièces fournies par la partie adverse. C’est le juge qui est chargé de veiller au respect du contradictoire.

Ce principe découle d’autres principes essentiels de procédure tels que l’exercice des droits de la défense et l’exigence du procès équitable et de l’égalité des armes entre les parties (article 6 paragraphe 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme).

Dans le cadre de contentieux familiaux, il est fréquent que le Juge aux Affaires Familiales ordonne des expertises médico-psychologiques (plus rarement des expertises psychiatriques). Il s’agit alors de recueillir l’avis d’un technicien dont le rapport doit « éclairer » le juge (art. 232 du Code de procédure Civile – CPC).

Selon la loi, il ne doit s’agir que d’un éclairage puisque le juge n’est jamais lié par les conclusions de l’expert.

Pourtant, la pratique montre que les rapports d’expertise ont une influence considérable et que le juge suit très souvent les préconisations de l’expert. Ce qui en soi est d’ailleurs assez choquant puisque si l’expert est un professionnel de la psychologie, seul le juge a accès à l’intégralité des éléments du dossier et il n’y a en réalité que lui qui soit en mesure de démêler le vrai du faux. Quoi qu’il en soit, cette importance de l’expertise a amené des auteurs à décrire l’expertise comme « un petit procès au cœur du grand ».

L’expert étant investi de sa mission par un juge, l’expertise est soumise au respect des dispositions du Code de procédure Civile, dont l’article 16 du CPC qui prévoit expressément le respect du contradictoire.

Mais, au stade de l’expertise, la jurisprudence n’a pas toujours appliqué de façon rigoureuse le respect de ce principe. Pendant longtemps, les tribunaux ont été assez souples avec l’application du contradictoire lors de l’expertise puisqu’ils considéraient qu’en tout état de cause, les parties pourraient rediscuter ensuite contradictoirement devant le tribunal du rapport d’expertise déposé. Puis notamment sous l’influence de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (voir notamment arrêt Mantovanelli du 18 mars 1997 condamnant la France), la Cour de Cassation a retenu une application plus stricte de ce principe en constatant que l’orientation d’un dossier se joue dès l’expertise, et que les droits des parties doivent y être préservés.

Nous verrons donc d’abord les conséquences pratiques du respect du contradictoire au stade de l’expertise (I), puis les difficultés d’application dans le domaine de l’expertise civile familiale (II).

I- LES CONSEQUENCES PRATIQUES DU RESPECT DU CONTRADICTOIRE AU STADE DE L’EXPERTISE

 Les parties doivent être invitées à participer aux opérations d’expertise, ce qui présuppose donc d’y avoir été convoqué. A défaut de convocation, le rapport d’expertise sera jugé inopposable à la partie non-convoquée. Mais les avocats des parties doivent eux aussi être convoqués (Cass. Civ, 26 novembre 1999), à défaut l’expertise est susceptible d’être annulée sans même avoir à démontrer un grief.

La seule atténuation à cette participation des parties aux opérations d’expertise est acceptée pour les expertises dites « techniques » (exemple du crash aérien où l’expert décide de faire tourner le moteur en usine pendant plusieurs heures pour déceler une éventuelle anomalie, durant lesquelles la présence des parties ne servirait pas à grand-chose…) Toutefois, même dans cette hypothèse, le principe du contradictoire imposera à l’expert de communiquer les résultats de ces tests aux parties afin qu’ils puissent les discuter.

Chaque partie doit également pouvoir faire des observations au cours des opérations d’expertise.

Souvent, afin que cette discussion puisse avoir lieu avant le dépôt du rapport définitif, l’expert va communiquer aux parties un « pré-rapport ». A partir de ce pré-rapport, les parties peuvent formuler leurs observations dans un document appelé « dire ». Ce dire est adressé à l’expert et aux autres parties, et l’expert est tenu d’y répondre. Il est joint au rapport d’expertise si la partie qui l’a rédigé en fait la demande (art. 276 du CPC)

Chaque partie doit bien entendu être destinataire du rapport d’expertise.

Si ces règles ne sont pas respectées (par exemple, pré-rapport communiqué à une seule des parties, ou expert acceptant des documents d’une partie sans qu’ils aient été communiqués à l’autre), la sanction est alors la nullité du rapport d’expertise. Cette nullité est à solliciter lorsque l’affaire revient devant le juge.

La présence de l’avocat lors de l’expertise se justifie donc, en tout premier lieu, par la nécessité de vérifier que le contradictoire est bien respecté.

En revanche, la pratique montre qu’en matière d’expertise civile familiale, ce qui est clairement établi ci-dessus est rarement appliqué.

II- LES DIFFICULTES D’APPLICATION DANS LE DOMAINE DE L’EXPERTISE CIVILE FAMILIALE

En pratique, les avocats ne sont quasiment jamais présents lors des expertises médico-psychologiques, et ils ne sont jamais convoqués aux opérations d’expertise. Pourtant, dans les expertises « traditionnelles », les avocats n’ont le plus souvent aucune compétence technique à apporter aux opérations d’expertise, ce qui n’empêche pas les juges de considérer leur présence comme indispensable.

Pourquoi la présence de l’avocat dans les expertises médico-psychologiques ne serait-elle pas nécessaire au motif qu’il n’est pas un professionnel de la psychologie, alors que sa présence n’est jamais remise en cause dans des expertises liées à la pollution aux hydrocarbures ou aux accidents aériens par exemple, dans lesquels ses compétences techniques ne sont pas des plus flagrantes ?

De même, les parties ont le droit d’être assistées par leur propre « expert-conseil » ou « médecin-recours », ce qui se fait très couramment en matière de préjudices corporels. Pourtant, cela reste très exceptionnel (et même contesté par les experts) dans les expertises civiles familiales, sans aucune justification convaincante. Il semble incontestable que la présence d’un tel professionnel pourrait non-seulement enrichir l’expertise mais aurait également le grand mérite de diminuer la part d’arbitraire d’un expert « tout-puissant » qui est libre d’entendre et de retranscrire ce qu’il veut. Un ancien bâtonnier de Paris, M. Charrière-Bournazel déclarait ainsi : « Aucun sujet ne devrait être entendu seul par l’expert, hors la présence de son propre médecin conseil, choisi par lui ou désigné dans les conditions de l’aide juridictionnelle. Il ne saurait y avoir d’expertise équitable sans liberté de contredire ».

Pourtant, à ce jour, il n’a pas (encore) été jugé que l’absence d’avocat ou de médecin-recours soit une cause d’annulation de l’expertise psychologique pour violation du principe du contradictoire, alors que ce le serait dans les autres types d’expertise.

On a ainsi des expertises rendues dans ce domaine qui amènent à des situations pour le moins choquantes. Tel que cet expert judiciaire, chargé d’expertiser les enfants, et qui finit par poser un diagnostic sur la mère (soi-disant atteinte du syndrome de Munchhaüsen par procuration) sans l’avoir vue une seconde ! Il ne s’agit plus alors d’expert judiciaire mais d’expert « aux pouvoirs surnaturels » qui fait plus dans les « arts divinatoires » que dans l’expertise psychologique !… Dans ce type d’hypothèse, l’expert excède manifestement la mission qui lui a été confiée, et la partie qui en est victime doit solliciter que ces affirmations aventureuses soient écartées des débats.

De même, l’absence de pré-rapport met les parties dans l’impossibilité de faire des observations sur les opérations d’expertise et encourt donc l’annulation du rapport pour non-respect du contradictoire.

D’autres expertises semblent basées sur des théories psychanalytiques contestables, selon lesquelles en substance, lorsqu’un enfant ne va pas bien, il faut en rechercher la cause dans une pathologie de la mère.

C’est sur la base de ces « analyses », que des experts ou des juges ont tendance à voir des syndromes de Munchhaüsen par procuration partout, alors que cette pathologie reste heureusement, et selon les études officielles, extrêmement rare.

Enfin, des experts sont désignés parfois parce que leurs convictions personnelles sont déjà bien connues et que le Juge va y rechercher une confirmation de son ressenti initial. C’est ainsi que Paul Bensussan, psychologue adepte et défenseur du « syndrome d’aliénation parentale », conclut systématiquement ses expertises par une remise en cause de la crédibilité des enfants se disant victimes de violences sexuelles et qu’à ce titre, sa désignation est très souvent sollicitée par les pères accusés de ces agressions sexuelles. Ses expertises ne sont alors – sans surprise – qu’une reprise des thèses qu’il défendait déjà dans ses ouvrages dont les titres sont éclairants sur son parti-pris : « le piège du soupçon » et « la dictature de l’émotion ».

Compte-tenu de tout ce qui précède, il paraît indispensable que le contradictoire soit mieux respecté dans les expertises civiles familiales, et que cela constitue même un moyen incontournable pour lutter contre des expertises arbitraires et dangereuses. Même si les experts ou les magistrats s’offusquent de certaines demandes, il revient aux avocats d’imposer leur présence, comme cela a été fait dans d’autres domaines, même si cela bousculait les habitudes et le confort de certains. Et s’il faut passer par une décision de la Cour de Cassation pour que les expertises civiles familiales ne se déroulent plus dans la clandestinité et dans des conditions inéquitables pour les parties, alors faisons-le et peut-être aurons nous des expertises médico-psychologiques ne déclenchant pas autant de polémiques et de critiques.

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