Sara Castellano
- Psychologue clinicienne
- Unité Médico Judiciaire -Hôpital de Garches
- Chercheuse attachée au laboratoire SouLiSom – Université de Strasbourg
- Mémoire pour le diplôme universitaire de psychotraumatologie de l’Université de Paris
Introduction
Ce projet de mémoire est élaboré dans la continuité de travaux de recherches menés pendant mes années d’études de Master de psychopathologie, psychologie clinique et psychanalyse au sein de l’Université de Strasbourg. Il représente la poursuite d’un questionnement tant clinique que théorique sur le traumatisme militaire, cependant, cette fois nous avons préféré orienter ces questionnements vers le traumatisme psychique dans la Police Nationale.
Les policiers des corps actifs sont régulièrement exposés, de par leurs missions, à des incidents qui se caractérisent par l’imprévisibilité, des menaces pour leur intégrité physique, psychique ou par le contact avec la mort (p. ex. les homicides, les suicides, accidents de la route). Par ailleurs, nous savons que les actes de violence au travail et les événements traumatiques peuvent entraîner des répercussions considérables au niveau du fonctionnement psychosocial et même engendrer un trouble de stress post-traumatique (TSPT) Carlier, 1999 ; Loo, 1986 ; McNally & Solomon, 1999).
C’est en utilisant une échelle validée (PCL-5) et une anamnèse que ce travail vise à établir un état des lieux de la problématique psychique en lien avec un TSPT.
Les résultats obtenus confirment en partie certains aspects de la nosographie connue, toutefois, ils ouvrent la voie à de nouvelles pistes de travail concernant cette population spécifique.
Questionnement, Problématique
L’expérience militaire des guerres du XXe et XXIe siècle a ouvert la voie en grande partie aux connaissances actuelles sur les troubles psychiques post-traumatiques, de même que la méthodologie, la clinique de la psychiatrie et la psychologie militaire ont pu servir de modèle aux institutions civiles, hôpitaux universitaires, SAMU et Cellules d’Urgence Médico-Psychologiques. Il en résulte que la majeure partie de la bibliographie, des études et articles porte sur la population militaire. Nous constatons, non sans étonnement, que la littérature du traumatisme psychologique parmi les forces de l’ordre n’est pas du tout aussi exhaustive. Pourtant, dans la réalité quotidienne de ces policiers, hommes et femmes de “terrain”, le nombre d’ITT posés pour stress professionnel ainsi que le nombre alarmant de suicides (59 en 2019 selon le Ministère de l’Intérieur), devraient nous interpeller sur l’état de leur psychisme et l’impact des facteurs de risque professionnel auxquels ils sont exposés.
C’est en partant de ce questionnement que notre travail a pour finalité de dresser un état des lieux, d’objectiver les troubles psychiques liés à des états post-traumatiques ainsi que d’essayer de comprendre les stratégies (subjectives) de défense mises en place. Notre conviction est qu’une meilleure connaissance de l’état de choses peut permettre une amélioration de la prise en charge des personnes souffrantes.
Pour étayer ce questionnement, nous nous appuyons sur les expériences de terrain des répondants, exposés à de multiples reprises et durant plusieurs années à des formes de stress.
Le DSM 5 introduit et valide le traumatisme indirect dans le cadre professionnel comme potentiel événement traumatique si le sujet expérimente de façon répétée ou extrême des détails aversifs d’événements traumatiques (critère A4). Cependant, nous nous interrogeons sur la traduction de ce critère dans la vie quotidienne? Est-ce une uniquement la confrontation directe à la mort ? Est-ce le cumul de confrontations avec des situations potentiellement traumatiques ?
Un autre aspect à considérer est la question de “l’inattendu”. Il est interrogeant du point de vue représentationnel car dans les contextes d’intervention, ces personnes savent la plupart du temps quelle est la raison de leur intervention, donc la représentativité et la mentalisation sont précédemment sollicitées.
Il nous semble donc nécessaire de réfléchir à la possibilité que la constitution du traumatisme psychique pourrait se faire autrement et que l’effraction psychique ne se trouve pas forcément dans un contexte déterminé et dépendant de l’inattendu.
Méthodologie
Des entretiens individuels étaient prévus. Cependant, le contexte pandémique nous a obligé à revoir la méthodologie et il a fallu s’adapter aux nouvelles circonstances.
Pour permettre de mener à bien ce travail, nous avons conçu un questionnaire en ligne constitué de deux parties. La première concerne le questionnaire d’évaluation PCL-5 informatisé, permettant d’objectiver l’existence des troubles psychiques post-traumatiques dans un premier temps. La deuxième, un questionnaire visant à recueillir des informations, en sorte d’anamnèse, viserait à obtenir des informations précises permettant de comprendre le possible vécu traumatique, les stratégies d’adaptation subjectives ainsi que le positionnement personnel concernant le suivi psychologique des fonctionnaires de police.
Dans un premier temps, nous avons prévu une population très spécifique: des hommes de 25-50 ans avec 5 à 10 ans de service actif ainsi que des policiers d’unités opérationnelles de sécurité publique (brigades de roulement, BAC, BRI, RAID). Cependant, avec la conviction qu’un événement potentiellement traumatique ne relève pas seulement de la rencontre avec la représentation de sa propre mort et considérant la difficulté à organiser des entretiens en présentiel, nous avons décidé d’élargir l’accès à ce questionnaire à toute la population policière.
Ce changement de cap fut positif car il a permis d’atteindre une plus large population et de ne pas exclure le possible vécu des femmes. Il nous semble donc in fine plus réel et plus représentatif de la problématique.
En ce qui concerne l’analyse des résultats nous avons utilisé la cotation propre à la PCL-5. Pour le questionnaire d’anamnèse, l’analyse thématique fut utilisée et nous avons interprété les résultats selon le critère A du DSM 5 pour plus de détails.
Toutes les préconisations éthiques de la recherche ont été prises en compte et les sujets participants ont été dûment informés sur la confidentialité, l’anonymat de leur participation, ainsi que leur droit de rétractation.
Résultats
Quantitatifs:
Le questionnaire a recueilli n=64 réponses pendant 1 mois (1/09 au 1/10).
Parmi cette population, le score de la PCL-5 indique que 37,9% (n=23) des participants présentent un TSPT. Ce chiffre s’élève à 45,31% (n=28) lorsque nous comptabilisons les cas “limites” avec un score compris entre 36 et 38.
Ce choix se justifie par la conviction d’un possible biais (diminution de la gravité du ressenti) au moment des réponses si on prend en compte la gravité des propos laissé dans la section commentaire (“comment se reconstruire quand on a vécu un lynchage un jour et dans la même semaine on brûle ta maison à cause de ton métier…”).
Concernant les tranches d’âge et d’expérience au moment de l’événement nous avons trouvé:
Pour plus de détails, nous avons souhaité connaître quels critères de la définition du SPT du DSM 5 étaient les plus représentés parmi les événements potentiellement traumatiques rapportés.
Analyser ces informations dans cette perspective vise, potentiellement, à mettre en évidence de nouveaux éléments non considérés dans le critère mentionné.
Parmi les résultats, nous avons trouvé des scores de PCL-5 élevés dont l’événement potentiellement traumatique ne relève pas des critères considérés dans la définition du SPT. Ces événements sont en lien avec un vécu de harcèlement moral et de ce que nous appellerons “dysfonctionnements institutionnels”. Ces scores vont de 45 à 52 et représentent 17, 24% de la population.
Résultats qualitatifs
Dans cet échantillon, 68% de la population rapporte des antécédents de violence psychologique, agression sexuelle et/ou maltraitance infantile.
Concernant la consommation de substances, 57% des sujets rapportent consommer de l’alcool, antalgiques ou cannabis, d’une fois à plus de trois fois par semaine.
Si nous nous intéressons aux stratégies d’adaptation mises en place permettant de soulager les tensions et les moments d’angoisse, l’activité physique comme médiateur semble être le plus déployé. Quarante pourcent des sujets ont recours au sexe et au sport pour soulager leus tensions en lien avec leur vécu. Ce pourcentage augmente lorsque ces deux variables se combinent entre elles ou d’autres (jeux vidéo, voyages).
21% s’orientent vers le soutien familial et l’épanouissement personnel.
Cette question a mis en évidence que l’individu ne dispose parfois pas des mécanismes défensifs suffisants lui permettant de développer des stratégies d’adaptation efficaces.
On relève donc de possibles traits de dépression et des états d’angoisse: “Je ne me soulage pas, mais je parviens à reculer la date de ma fin de vie avec des projets et des objectifs à atteindre…”, ou “Rien ne soulage les tensions de ce métier à part les anxiolytiques”.
Si on s’adresse à la question de la consultation et/ou suivi psychologique, 64% de l’échantillon ont consulté un professionnel au moins une fois. Parmi eux, seulement 24% ont eu recours au SSPO (Service de Soutien Psychologique Oérationnel). Les 40% restant se sont orientés vers le libéral ou les services hospitaliers. Parmi le 36% qui rapportent ne pas avoir consulté un psychologue ou psychiatre, la moitié reconnaît le besoin de le faire.
Discussion
L’objectif de ce travail consiste à essayer d’objectiver la présence de troubles psychiques post-traumatiques dans la population policière en ayant recours à la complémentarité entre une échelle validée (PCL-5) et un questionnaire d’anamnèse en ligne.
A la lumière des résultats obtenus au travers de l’échelle, l’incidence des TSPT chez les policiers nous semble plus important que celui prévue. D’autant plus que cet état ne peut pas être uniquement attribué à des événements potentiellement traumatiques selon la définition classique.
Concernant les personnes avec un score qui ne correspond pas avec un diagnostique de TSPT, l’anamnèse nous amène à penser qu’elle peuvent néanmoins présenter un TSPT partiel.
Nos résultats sont congruents avec l’étude de Maia et al (2007), qui met en évidence que les policiers présentant un TSPT partiel ne se distinguent pas significativement des individus sans TSPT en ce qui concerne leur santé physique et psychique, ainsi que leur fonctionnement psychosocial.
A notre avis, l’absence d’une définition commune quant aux critères définissant les TSPT partiel, implique une mise à l’écart des personnes psychiquement souffrantes lorsqu’elles ne remplissent pas les critères de diagnostic. Cela vient souligner l’importance de l’entretien psychologique d’anamnèse complétant les résultats des échelles et valorisant le sujet dans sa globalité et sa subjectivité.
L’émergence des situations donnant lieu à des scores concomitants avec un TSPT nous semble une piste intéressante à développer et à comparer avec d’autres métiers spécifiques, au premier rang desquels la population militaire.
Sans surprise, la population policière n’échappe pas à l’impact des traumatismes pré-existants et leurs conséquences. Un étude portant sur des individus exposés à un acte terroriste indique que ceux ayant vécu un ou des événements potentiellement traumatiques, ou stresseurs, dans l’année précédant le trauma sont davantage susceptibles de manifester un TSPT (Gabriel et al., 2007). La population policière, par ses fonctions, semble particulièrement exposée à ce vécu et les résultats obtenus sont cohérents avec cette proposition.
Si nous revenons sur la question de l’âge et les années d’expérience, le cumul des situations rencontrées de par leur fonction avec le nombre des années de service pourrait être considéré comme un “facteur stresseur antérieur” supplémentaire et cela constituerait donc une spécificité de la population policière au regard du reste de la population civile.
Les autres stresseurs connus tels que les antécédents traumatiques relevés dans ces résultats, ainsi que la qualité de l’attachement sont bien évidemment à prendre en compte. On sait actuellement qu’un stresseur antérieur peut être déterminant dans l’évolution de la symptomatologie post-traumatique. D’ailleurs, il pourrait accroître l’impact d’un nouveau trauma, même si ce dernier est de moindre intensité que le ou les précédents. (Kilpatrick, Resnick, Saunders, & Best, 1998; Koss, 1993; Rothbaum, Foa, Riggs, Murdock, & Walsh, 1992; Ullman, Filipas, Townsend, & Starzynski, 2007; Vrana & Lauterbach, 1994).
L’aspect concernant l’impact de “l’inattendu” de l’événement traumatique dans le système de représentations n’a pu être évalué. Il se peut que la formulation du questionnaire n’a pas été assez claire ou assez engageante pour permettre des réponses exploitables.
Les stratégies représentant un effort pour tenter de réduire ou d’éliminer les conditions stressantes et diminuer l’intensité de la détresse émotionnelle qui y est rattachée, la stratégie comportementale semble être la plus utilisée par les sujets répondants.
Malheureusement, nous sommes confrontés à l’une des limites imposées par la méthodologie adoptée. Même si nous pouvons supposer que ces stratégies d’adaptation semblent plutôt centrées sur les émotions, il est nullement possible de savoir si elles ont été implémentées à la suite du vécu traumatique ou si elles correspondent à un mode de fonctionnement propre et subjectif. Il serait donc intéressant d’approfondir également cette question avec des entretiens cliniques et des outils complémentaires tels que l’échelle de la résilience (CD-RISC 25, Connor & Davidson, 2011), l’échelle de stress traumatique secondaire (Bride et al., 2004) ou le Questionnaire Cognitif de Régulation Émotionnelle selon le profil du patient.
Conclusion, Perspectives
Nous espérons que ce travail pourra servir à mieux représenter ce que le TSPT représente dans la population policière, et cela malgré un échantillon insuffisant à ce stade.
En tant qu’êtres humains, les fonctionnaires de police sont impactés par les mêmes facteurs de risques que n’importe quel civil. Cependant, ils sont soumis à une plus grande exposition à des événements potentiellement traumatiques et des stresseurs au travail de par leurs fonctions. Ces éléments, ainsi que le cumul d’expériences impliquent une prédisposition majeure au développement de réactions post-traumatiques.
Nous pouvons scinder cette population en deux, celle avec et celle sans un TSPT. Cependant, cela impliquerait négliger une partie de la population qui pourrait être considérée comme vivant un TSPT partiel, tel que le démontre ce travail.
Il nous semble aussi important de retenir que la sévérité du trauma, concept complexe et controversé, ne devrait pas se limiter à l’expérience de la confrontation avec la représentation de la mort. Lorsque nous confrontons les résultats des scores de la PCL-5 avec l’événement potentiellement traumatique, il est mis en évidence que des événements non liés à la rencontre de la mort peuvent être aussi effractant et donner lieu à un TSPT.
En termes de perspectives, nous souhaitons souligner l’importance et la nécessité de la réalisation d’études plus complètes et statiquement significatives auprès de cette population. L’intérêt trouve son justificatif dans le bénéfice que de telles études ont pu apporter aux forces militaires. Une meilleure connaissance du psychisme des fonctionnaires de police, permettrait de réorganiser et améliorer l’offre de prise en charge psychologique au-delà de celle proposée actuellement.
Il paraît tout aussi important d’envisager un renforcement au niveau de la formation, initiale ou continue, en abordant plus ouvertement les facteurs de risques psychiques du métier.
Il est notre conviction qu’une meilleure préparation aux situations stressantes et potentiellement traumatiques pourrait faciliter l’anticipation, jouer positivement sur le sentiment de contrôle et d’efficacité ainsi que celui d’impuissance (éléments déterminants dans la gestion émotionnelle des expériences).
Bibliographie (non exhaustive)
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