Jacques Roques
- Psychothérapeute ARS retraité
- +336 17 09 01 76 – jacquesroques001@gmail.com
La qualité du traitement d’un problème dépend de la qualité de sa compréhension. Le but de la Psychoneurobiologie est de permettre celle-ci en associant le psychologique, le neurologique et la biologie. Elle réintroduit dans sa théorie les notions psychanalytiques de psyché, de « Moi », de « Je » » et de narcissisme. Le format du texte qui suit ne permet pas toutefois de les développer. Par construction la Psychoneurobiologie permet d’apprécier d’une manière plus appropriée les divers fonctionnements et dysfonctionnements humains, dont ceux qui résultent des aléas traumatiques de l’existence humaine.
LE TRAUMATISME PSYCHIQUE
La psychotraumatologie peut être aujourd’hui considérée à juste titre comme étant à la base de la grande majorité des dysfonctionnements psychoneurobiologiques, c’est-à-dire de troubles devant être compris selon les trois niveaux fondamentaux : psychologiques (et comportementaux), neurologiques et biologiques.
Nous en tenant à l’impact du traumatisme sur la constitution de la personne, nous distinguerons seulement avec Lenore Terr[1] deux grands types de traumatismes, ceux de type 1 les traumatismes simples et de type 2 les traumatismes complexes. D’un point de vue structurel les autres formes de traumatisme et notamment celle dites de type 3, même si on peut en effet étiologiquement les distinguer, font partie des traumatismes complexes. Nous verrons que la spécificité de ceux-ci, ainsi que des états dissociatifs, qui leur sont souvent associés, implique un mode de prise en charge spécifique adapté.
Dans le cadre forcément restreint du présent article nous ne reviendrons pas sur la sémiologie traumatique d’une manière détaillée. Elle a été abondamment exposée par ailleurs. L’étiologie, sauf pour le traumatisme simple, pose davantage de problèmes dans le cas des traumatismes complexes. Nous essaierons grâce à la Psychoneurobiologie d’en éclairer les particularités structurelles.
LE TRAUMATISME PSYCHIQUE SIMPLE
On peut dire qu’il y a traumatisme psychique simple quand une inscription sensorielle ne peut pas être représentée dans le « Moi » du sujet autrement que comme une menace imminente pour son existence ou pour son intégrité narcissique. Prenons deux exemples :
Albert[2] avait l’habitude de se promener agréablement la nuit dans les rues de Marseille. Il aimait bien ses petites rues peu fréquentées le soir, quand elles bruissent pourtant encore d’une vie chargée d’odeurs et de propos indistincts derrière les volets clos. Un jour pourtant alors qu’il marchait il fut agressé par un homme tenant un revolver. Cet événement modifia alors totalement et pour longtemps l’émotion habituelle associée aux représentations sensorielles qui l’animaient jusqu’alors. La peur de mourir s’imposa instantanément à lui et ne le lâcha plus. Quand il consultât prés de 10 ans s’étaient écoulés depuis les faits. Un changement traumatique avait durablement modifié sa représentation de l’environnement. Alors qu’il se promenait jadis avec plaisir dans les rues, maintenant quand la nuit tombait, alors qu’il n’habitait plus Marseille, il avait peur sans trop savoir pourquoi dit-il. De fait il était angoissé.
Une institutrice[3], Anke, me disait l’humiliation qu’elle avait ressentie, à la veille de partir en vacances, quand une mère de parent d’élève, l’avait apostrophée brutalement en concluant son algarade par un terrible : « Si on n’est pas capable de faire ce métier, on fait autre chose ». Comme c’était une personne consciencieuse, elle avait beaucoup souffert de cette sortie et le soir avait très mal dormi. Elle s’était sentie très mal, ressassant sans cesse l’incident pour tenter de le résoudre. Néanmoins, elle avait fini par s’endormir et à cauchemarder. Le temps s’étant éloigné par rapport au fait, elle avait pu vivre pas trop mal ses vacances. Pourtant quand elle pensait revoir un élève, et pas seulement cet élève, mais un élève, n’importe lequel, elle se sentait angoissée se demandant comment exercer étant donné le sentiment notoire d’incompétence qui accompagnait chaque reprise de classe. Un de ses déclencheurs était le mot « élève ». Ce cas était moins dramatique que le précédent. Cette personne disposait d’un territoire de vie suffisamment indemne de mémoires dysfonctionnelles pour pouvoir accomplir beaucoup d’actions quotidiennes sans une débauche d’angoisse. Mais le mot « élève », et même le signifiant tiré du verbe élever à l’indicatif présent par exemple, précipitait un vécu d’effondrement narcissique. Ce mot qui auparavant avait son sens habituel était désormais devenu un déclencheur recouvert, du fait de l’incident traumatique, par un autre sens menaçant, destructeur de son image de soi, donc prévalent. A savoir « Je suis nulle et dangereuse pour les enfants ».
Psychoneurobiologie du traumatisme psychique simple
Pour expliquer le traumatisme psychique simple[4], il est indispensable de se référer au fonctionnement neurologique et en particulier celui du système nerveux autonome. Sa partie efférente comprend deux composantes antagonistes : le système nerveux orthosympathique et le système nerveux parasympathique ou vagotonique parce qu’il est régi par le nerf « vague ». Par analogie le premier peut être considéré comme un accélérateur et le deuxième comme un frein. A tous moments notre corps s’adapte aux circonstances. Notre cœur ajuste ainsi constamment ses pulsations, nos muscles reçoivent l’énergie nécessaire quand il le faut et se détendent ensuite. Toute activité orthosympathique est normalement suivie par une détente, toute ingestion de nourriture par une phase de digestion. Les deux systèmes ortho et parasympathique peuvent agir réciproquement l’un sur l’autre : ce qu’un système stimule, l’autre peut quelquefois l’inhiber et vice-versa.
Tous nos vécus, dès la conception, sont enregistrés dans des neurones. Les premiers apparus sont afférents au fonctionnement organique, d’autres après la naissance alimentent le fonctionnement psychique et la mémoire. Les réseaux de neurones forment donc alors des réseaux de mémoires. La Psychoneurobiologie est fondée sur cette base associée au principe d’encodage unique de tout percept sensoriel. Ainsi s’il n’est plus réactivé il disparaîtra, s’il l’est il se consolidera. La règle de base de la Psychoneurobiologie est la suivante :
« Même élément externe perçu = Même enregistrement interne revisité et renforcé »
Ainsi, quand Albert ou Anke rapportent un vécu toujours douloureux des années après les faits, il ne s’agit pas simplement d’un compte-rendu verbal. Ils retrouvent malgré le temps les mêmes émotions, les mêmes battements de cœur et sans doute aussi les mêmes dosages hormonaux que quand l’événement est survenu. Quand ils en parlent leur système orthosympathique est aux commandes. Comment expliquer qu’aussi longtemps après, ils soient toujours dans cet état ?
Normalement nous l’avons dit plus haut toute phase orthosympathique est suivie par une phase parasympathique. Au cours de cette phase de digestion, dirons-nous métaphoriquement, les enregistrements sensoriels se présentent au « Moi » afin d’être enregistrés dans sa mémoire conceptuelle. C’est une phase active analogue à l’augmentation du péristaltisme intestinal permettant de stocker les nutriments. Elle permet l’enregistrement d’un percept. Elle accompagne toute phase parasympathique et en particulier celles du sommeil et du rêve.
Mais pas plus que l’on peut digérer un aliment indigeste, le réflexe d’autoconservation ne permet pas d’enregistrer dans le « Moi » une représentation dont le sens met en danger sa cohésion, telle que « Je vais mourir » pour Albert et « Je suis une mauvaise personne » pour Anke. Donc dès qu’une victime d’un traumatisme se relâche, le système parasympathique ramène le souvenir ingérable à la conscience.
Les contenus représentatifs traumatiques, les souvenirs du passé, toujours stockés dans les aires sensorielles primaires externes où ils sont apparus ne peuvent se conceptualiser et alimenter entre autres le cortex préfrontal et le cortex associatif toujours bloqués par une pensée négative. Tout se passe alors comme si le système fonctionnait à l’envers et activait les empreintes sensorielles initiales, ce qui explique l’allure hallucinatoire des flashbacks par exemple.
Dès lors quelqu’un qui souffre d’un tel problème traumatique récurrent, soit essaie d’éviter d’y penser, ce qui réduit son champ d’action, soit au contraire y pense sans cesse dans le but paradoxal de ne plus y penser, ou rumine dans l’espoir de trouver une solution. Toujours en sympathicotonie, ce qui est épuisant, il ne peut plus trouver le sommeil parfois perd l’appétit ou au contraire cherche un soulagement dans la nourriture ou diverses drogues. D’autres effets morbides possibles sont présentés dans le tableau ci-dessous qui résume les critères du DSM 5.
Pour résumer disons que des représentations associées à de trop fortes émotions ne peuvent être digérées. Elles demeurent dans l’état de leur enregistrement, comme une empreinte en attente d’un traitement de leur contenu informatif. D’où un automatisme de répétition déjà noté par Freud. La dysfonctionnalité résulte de l’empêchement de toute résolution, pas d’un déplacement dans un lieu de stockage spécial. Il n’existe pas de poubelle mentale. L’événement reste inscrit dans les aires sensorielles saisies au moment de sa perception, pas plus[5]. Son enregistrement est dysfonctionnel parce qu’il est sémantiquement indisponible pour le « Moi » du sujet. Ce n’est pas une information, un savoir, une cognition quant à l’événement. C’est un fait… à l’état brut. On parle d’un Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT)[6].
On remarquera dans le schéma suivant que la psyché et le « Moi » sont distingués. La psyché comprend tous les enregistrements neuronaux depuis la conception, dont une partie est propre au fonctionnement somatique et une autre à celle de tous les percepts apparus après la naissance. Le « Moi » rassemble, lui, tous les éléments conceptuels, associatifs essentiels à la vie relationnelle. La psyché est une mémoire d’empreinte, le « Moi » une mémoire conceptuelle. Normalement le « Moi » est librement tourné vers le monde. En cas de traumatisme psychique, il subit de la part de ses empreintes traumatiques intérieures une pression constante limitant son activité. Il ne peut inclure en lui-même des représentations menaçant la vie ou son intégrité. Mais il reste intact. Le traumatisme simple peut donc être compris comme résultant de l’effet de la pression sur le « Moi » d’éléments appartenant à la psyché (Ils se sont imprimés. On ne peut pas les effacer).
Traitement du traumatisme psychique simple
Il y a de nombreuses manières de traiter une pathologie. Certaines sont plus efficaces que d’autres, ce qui a conduit à la notion de thérapies brèves. En réalité il n’y a pas de thérapies brèves et d’autres supposées plus longues, mais plus profondes. Il n’y a que des thérapies plus ou moins adaptées à leur objet.
Depuis 1987, date de la découverte et 1989,, date de la thèse de Francine Shapiro, l’EMDR s’est révélé être une thérapie particulièrement efficace pour le traitement des traumatismes psychiques simples. Son emploi est depuis plusieurs années recommandé par l’OMS et en France par l’INSERM et la HAS. Albert et Anke ont été traités grâce au protocole standard de l’EMDR en 2 séances d’une heure chacune. Pourtant l’intensité de la perturbation ressentie sur une échelle allant de 0 à 10 était maximale pour Albert et à 6/7 pour Anke. Après traitement tous deux n’éprouvaient plus aucun trouble et ils ont recouvré la santé, c’est-à-dire le statu quo ante pour ce qui concerne une remémoration de l’événement[7]proprement dit.
L’essentiel de la découverte de Francine Shapiro tient dans le fait qu’à une immersion dans la reviviscence traumatique sont associés des mouvements oculaires. On a pu prouver ensuite que d’autres modes de stimulation sensorielle alternée, auditifs ou kinesthésiques permettaient d’obtenir le même résultat.
Pourquoi ?
Pour comprendre le mécanisme de l’EMDR, il faut considérer l’homme comme une entité à la fois psychologique et neurologique. Damasio[8] a émis l’hypothèse qu’à tout moment existait une carte neurale qui définissait l’état de notre corps, en fonction de nos pensées et bien sûr aussi de nos émotions. D’un point de vue neurologique on peut dire qu’il existe un lien constant entre le cognitif et l’émotionnel. Si vous êtes triste, vous avez des pensées tristes, idem si vous êtes en colère et ceci est vrai pour toutes les émotions qui mettent en action les amygdales cérébrales dans le système limbique.
Par ailleurs on s’est aperçu que toute stimulation sensorielle au repos entraînait la production d’acétylcholine, neurotransmetteur du système parasympathique. Ce même effet est observable au cours de la phase REM des rêves. Dès lors le mécanisme de résolution des tensions par l’EMDR s’explique aisément. Alors que le patient est plongé dans la reviviscence imaginaire de son traumatisme, son corps est amené à produire un neurotransmetteur apaisant.
De ce fait, la tension émotionnelle baissant mécaniquement, des associations plus nombreuses peuvent se faire entre les diverses représentations (liées à des pensées, des souvenirs, des émotions, des sensations) qui se présentent à lui. Petit à petit les contenus émotionnels initiaux se détachent des représentations de l’incident traumatique et retrouvent leur sens conceptuel habituel. Pour Albert c’était « Je vais vivre » avec l’idée associée d’être plus prudent quand il s’engage dans certains lieux et pour Anke c’était « J’ai de la valeur ».
LE TRAUMATISME PSYCHIQUE COMPLEXE
Le traumatisme psychique complexe est d’une nature tout à fait différente. Il résulte de l’introduction dans le « Moi » de valeurs contraires à son intérêt. Il les fait siennes (on en voit souvent l’effet au niveau de la distorsion de l’image de soi). Le « Moi » se déforme. Cette déformation devient pérenne. Elle constitue un état de la personnalité.
En cas de traumatisme psychique simple le « Moi » reste intact, tandis que dans le cas d’un traumatisme psychique complexe il est impacté, intérieurement déformé du fait d’une situation traumatisante, ce qui l’amène à inclure en lui une partie ennemie (l’Alien). Dans Névrose et Psychose[9] Freud exprime l’idée, que le « Moi » puisse éviter la rupture en se déformant. Il ne développera pas ce concept par la suite. C’est une idée pourtant capitale qu’on peut observer cliniquement dans ce qui aujourd’hui sous l’appellation de traumatisme psychique complexe, est à la base de la plupart des manifestations névrotiques. Les psychanalystes reconnaitront ci-dessous pour partie le schéma freudien classique d’inclusion du traumatisme dans le « Moi » que Freud ne différencie pas de la psyché.
Au cours des exposés cliniques les traumatismes psychiques complexes sont généralement présentés sous des formes dramatiques au long cours de violences psychologiques, physiques ou sexuelles, de négligences diverses subies par les survivants. Mais si généralement la sémiologie et souvent l’étiologie sont correctement présentées, elles n’éclairent guère la structuration psychique sous-jacente et les raisons de leur nocivité durable. C’est pourquoi j’illustrerai ce paragraphe par un cas clinique plus habituel. Celui d’Alain qui peut être considéré comme un véritable cas d’école.
Enfant quand sa mère le mettait dans son bain généralement il trouvait l’eau trop froide. Il disait « Maman l’eau est froide », mais sa mère qui était sans doute pressée d’en finir lui répondait invariablement « Non, l’eau n’est pas froide. Elle est chaude ». Il recevait donc de sa mère un message discordant. Plongé dans l’eau froide on lui disait qu’elle était chaude. Devait-il renoncer à ce que lui disaient ses sens ou à l’affirmation de sa mère ? Or tout enfant a besoin de ses parents en tant que modèle, pour une croissance psychologique normale. Mais les informations en provenance de ses sens aussi sont précieuses. En thérapie Alain essaya dès le début de s’accommoder en soutenant qu’après tout peut-être l’eau n’était pas aussi froide que ça et qu’enfant il faisait bien des histoires pour pas grand-chose. Il était pénible, comme on le lui avait toujours dit et répété.
On voit comment dans une volonté adaptative son « Moi » a introduit en lui une partie Alien, dans sa personnalité. Cette caractéristique est propre à tous les traumatismes complexes. Le problème ne provient plus des événements subis, mais de leur introjection dans le « Moi » du sujet. Ainsi Alain n’avait jamais confiance en lui. Il doutait de tout et était convaincu de n’avoir aucune valeur, de ne pas être quelqu’un d’intéressant. Ce n’était pas une simple idée comme ça, comme on la retrouve généralement associée à un traumatisme psychique simple. C’était une véritable conviction qu’il pouvait étayer par de nombreux souvenirs et par son comportement addictif. En effet pour calmer un fond d’angoisse autrement irrépressible et se donner du courage, il s’était mis à boire et à fumer plus que de raison dès la fin de son adolescence. Il en était conscient et était d’ailleurs venu consulter pour cette raison.
Donc on peut dire qu’une partie normale et saine de sa personnalité voulait conjurer les effets toxiques de son comportement, alors qu’une partie Alien en lui, affirmait sans cesse qu’il était un incapable. C’était une certitude négative : la preuve, il n’avait aucune volonté et ne pouvait arrêter ses addictions. Toutes les pathologies relevant des traumatismes psychiques complexes mettent en œuvre une telle boucle d’autorenforcement.
Le traitement d’un Alien est bien plus complexe et plus long que ceux d’Albert et d’Anke. Dans tous les cas le thérapeute recherchera une carence anaclitique, un trouble de l’attachement. Le manque de soutien comme le déni permanent de la réalité par ses parents étaient une évidence. Par exemple ils s’étaient séparés quand il était enfant, mais pas d’une manière suffisamment saine. Sa mère, chez qui il vivait, affirmait toujours que c’était à cause de lui parce qu’il les faisait se disputer, parce qu’il avait un esprit de contradiction. Son père qui pourtant n’habitait pas très loin avec d’autres compagnes successives de passage, n’avait pas du tout insisté pour obtenir sa garde. Ça ne l’empêchait pas de dire qu’il aurait bien aimé être plus près de lui quand exceptionnellement un jour il le recevait. Mais Alain savait bien que c’était faux et que son père n’en avait pas du tout envie.
Le traitement d’un traumatisme complexe passe par la reprise des caractéristiques essentielles qui ont déformé le « Moi ». Le praticien s’appuiera constamment sur la partie normale et saine de la personnalité qui existe toujours, même a minima chez tous les patients, en réactivant les réseaux de mémoires construits sur l’image de bons caregivers. L’alliance thérapeutique est primordiale dans ce cadre de soin. Il utilisera, mais sans le formalisme de l’EMDR, des stimulations bilatérales alternées, afin de traiter les fixations traumatiques anciennes dès leur apparition. Il renforcera par le même biais au fur et à mesure toutes les représentations de soi positives et les ressources du sujet. Le traitement d’un traumatisme psychique complexe est assez long, parce qu’il s’agit d’une réparation du « Moi », d’une reconstruction en quelque sorte, bien plus qu’une sédation des fixations émotionnelles reliées à des représentations traumatiques anciennes.
LES ETATS DISSOCIATIFS
Comme les traumatismes psychiques complexes les états dissociatifs sont généralement présentés dans les congrès sous la forme de cas cliniques terriblement dramatiques, comme par exemple les troubles dissociatifs de l’identité. Je ferai la même remarque pour ce qui est de la compréhension de leur fonctionnement[10]. De fait si on considère que les états dissociatifs sont un aspect des traumatismes psychiques complexes on se rendra compte qu’il s’agit là d’un phénomène des plus banals. Le cas d’Alain présenté plus haut en est un parfait exemple. Une partie saine de lui est consciente de sa dépendance à l’alcool, au tabac, au cannabis et son attraction pour d’autres stupéfiants et veut s’en guérir, une autre partie non seulement ne peut résister, mais de plus pousse à leur consommation. On retrouvera le même phénomène dissociatif dans de nombreux troubles obsessionnels. La partie de soi qui vérifie pour la énième fois la fermeture d’une porte par exemple n’est pas celle qui la ferme.
On ne peut traiter une pathologie qu’in situ, c’est-à-dire quand le patient l’éprouve. Comme très souvent des mécanismes d’évitement sont en place, il conviendra, avec l’accord du patient, d’activer son mal-être par immersion dans le souvenir traumatique. C’est ce qui est fait dans le cadre du traumatisme psychique simple, mais aussi dans bien d’autres circonstances. Le traitement des états dissociatifs ordinaires, ceux qui sous-tendent généralement les manifestations névrotiques cliniques et les états dépressifs en cabinet, est celui des traumatismes complexes dont ils sont une manifestation.
Par contre l’attitude du thérapeute devra être différente quand il s’agit d’états dissociatifs majeurs. Autant les liens et interprétations sont possibles et souhaitables dans les états dissociatifs ordinaires, autant ils sont à proscrire en cas de troubles majeurs. Il faut comprendre en effet que la dissociation est à la fois une expression d’une PE (Partie Emotionnelle de la Personnalité) et à la fois un mode de défense contre l’irruption des représentations traumatiques qu’elle recouvre. Il n’est donc pas recommandé de les réactiver.
La partie normale et saine de la personnalité est subjuguée autant par les PE que par les PAN (Partie Apparemment Normale de la Personnalité). Une intervention thérapeutique qui ramènerait la PN (Partie normale de la personnalité), rappellerait ipso facto les vécus dysfonctionnels, activerait et renforcerait la dissociation. Quand une partie dissociée de la personnalité apparaît en séance, la bonne attitude thérapeutique est celle d’un accueil inconditionnel, d’écoute, de soutien surtout par réactivation des réseaux de mémoires primaires celle d’un bon caregiver. Ce mode de soutien sera constamment associé à une utilisation intensive des stimulations bilatérales alternées.
La Psychoneurobiologie ne conseille pas de faire revenir le patient dans sa fenêtre de tolérance comme beaucoup le conseillent, mais de profiter au contraire de ce moment privilégié où la dissociation s’exprime pour la traiter et permettre à des contenus anciens d’être traités au moment et niveau mêmes de leur expression. Il va sans dire qu’à ce moment là le soutien thérapeutique doit être inconditionnel. D’autres approches comme l’utilisation de la table dissociative de Fraser peuvent également être utiles, bien qu’elles privilégient trop, à mon avis, les parties cognitives au détriment des parties émotionnelles.
Pour finir nous dirons qu’il ne faut pas confondre les manifestations des états dissociatifs avec celles de la psychose hallucinatoire, autrement dit la dissociation avec le clivage qui est, lui, une véritable déchirure du « Moi ». Les limites de cet article ne me permettent pas de développer davantage un sujet qui, pour être compris, repose sur l’exposé de la constitution ontogénétique du « Moi » au cours des premiers âges de la vie aérienne, ainsi qu’un développement théorique plus approfondi des différents types de mémoire et principalement de la mémoire d’empreinte.
CONCLUSION
On peut considérer le vivant, en particulier neuronal, comme une sédimentation cumulative d’enregistrements successifs de ses vécus spatio-temporels contextuels. La structuration psychologique met en œuvre la sédimentation successive de quatre facteurs : génétique bien sûr (il s’agit d’un être humain), transgénérationnel (l’histoire familiale), épigénétique (l’expression possible du gène au moment où il s’exprime), environnemental (le vécu contextuel). Ces quatre facteurs font l’histoire du sujet.
Dès sa conception l’être humain est soumis à un contexte et cela sera permanent tout au long de son existence. Conçu dans tel ventre, dans tel pays, à tel moment, etc. Ainsi à tout moment se définit sa trajectoire de vie spécifique. Le contexte fait l’homme ontogénétiquement et phylogénétiquement. Il le modèle. On ne peut donc concevoir le traumatisme psychique que dans la relativité de son rapport à l’histoire du sujet d’une part, et à son environnement d’autre part. Son anamnèse rapporte les effets du contexte subi. La relation thérapeutique met au premier plan un nouveau type de rencontre contextuelle, une rencontre ayant pour objet le renforcement de la partie normale et saine de la personnalité et la sédation des fixations émotionnelles. C’est l’objectif des traitements psychoneurobiothérapeutiques des traumatismes psychiques.
NOTES
[1] Voir Terr L.C. “Childhood traumas: an outline and overview”. Am. J. Psychiatry, 1991 ; 148 : 10-20
[2] Voir Jacques Roques « Abrégé de Psychoneurobiologie – Au delà de l’EMDR – BoD – 2018 »
[3] Voir Jacques Roques “EMDR – Une révolution thérapeutique – Desclée De Brouwer – 2016 – 2e édition”
[4] Cette théorie du traumatisme a été exprimée dans tous mes ouvrages.
[5] Pour Francine Shapiro « l’ensemble mémoriel inadapté, (est maintenu dans une) mémoire implicite/ motrice plutôt qu’explicite/narrative » (voir Manuel d’EMDR – InterEditions, mai 2007). De fait la mémoire implicite/ motrice est la mémoire procédurale pour la psychoneurobiologie pour laquelle tout ensemble mémoriel inadapté est maintenu non pas dans une mémoire implicite/ motrice, mais dans une mémoire d’empreinte.
[6] Voir le DSM 5.
[7] Le traitement d’Anke réglé pour ce qui est de l’algarade traumatique qu’elle avait subi, s’est poursuivi quelques temps encore en raison des fixations à l’origine de sa fragilité narcissique.
[8] Voir Damasio Antonio « L’erreur de Descartes : La raison des émotions » – Odile Jacob – 2010
[9] Voir Freud S. Névrose, Psychose et Perversion (1924) – PUF – 1973
[10] Un essai notable « Le Soi hanté » allant dans cette voie a été fait par Onno van der Hart, Ellert Nijenhuis et Kathy Steele. S’appuyant sur les travaux de Pierre Janet puis de Charles S. Myers ils développent une théorie de la dissociation basée sur les concepts de PAN (Partie Apparemment Normale de la Personnalité) et de PE (Partie Emotionnelle de la Personnalité). La présentation de la Psychoneurobiologie est différente. Elle ajoute notamment à la PAN et à la PE, le concept de PN (partie normale et saine de la personnalité).
BIBLIOGRAPHIE
- EMDR – Une révolution thérapeutique – Desclée De Brouwer – 2004 (1ere édition) – avril 2016 (2e édition)
- Guérir avec l’EMDR – Traitements – Théorie – Témoignages – Le Seuil, Janvier 2007 – traduit en espagnol Curar con el EMDR – Teoria y practica – Kairos
- Découvrir l’EMDR – InterEditions – Mai 2008
- David Servan-Schreiber ou la fureur de guérir – Indigène – Novembre 2011.
- Don d’organes et psychologie In (ouvrage collectif) Un don de soi – Editions Au diable Vauvert – 2011.
- Manuel d’EMDR, Co-Traduction avec Valérie Megevand de Eye Movement Desensitization and Reprocessing- Basic Principles, Protocols and Procedures de Francine Shapiro – InterEditions, Paris 2007 –
- Psychoneurobiologie Fondement et Prolongement de l’EMDR –
- Tome 1 “Essai d’anatomie psychique basé sur les neurosciences” – BoD – 2015 (3e édition) traduit en anglais sous le titre Psychoneurobiology Origins and extension of EMDR: Psychological Anatomy Based on Neuroscience.
- Tome 2 – Fonctionnement et Dysfonctionnements Psychiques (à paraitre)
- Tome 3 – Traitement des Dysfonctions Psychiques (à paraitre)
- EMDR Que Sais-Je ? – PUF – 1er juin 2016
- Couples et EMDR – Une thérapie Intégrative – Desclée de Brouwer – 2017″ traduit en italien sous le titre Coppie e EMDR. Una terapia integrativa
- Les fondements d’une pathologie traumatique complexe révélés par son traitement in (ouvrage collectif) « Mieux comprendre la thérapie EMDR – 13 études de cas » – Concept –Psy – 2017
- Abrégé de Psychoneurobiologie – Au delà de l’EMDR – BoD – 2018
- Intégration de l’EMDR dans la thérapie de couple in (ouvrage collectif) « La thérapie de couple : 11 études de cas » – Concept –Psy – 2018
- Contribution de la Psychoneurobiologie à la psychothérapie d’enfants in (ouvrage collectif) « La thérapie EMDR pour l’enfant et l’adolescent : 10 études de cas » – Concept –Psy – 2019