Gérard Lopez, Le vampirisme au quotidien, Théolib, 2020
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Remercions Pierre-Yves Ruff qui a spontanément proposé d’être le troisième éditeur du Vampirisme au quotidien paru la première fois il y a 20 ans. C’est un petit traité de vampirologie écrit-il en quatrième de couverture.
Cet ouvrage est une relecture de Dracula, le roman de Bram Stoker, sous l’angle des idéologies totalitaires perverses qui constituent des « systèmes agresseurs ». Dracula est le prototype du pervers.
Bram Stoker a une intuition formidable : le vampire ne peut agir que si on l’invite ! C’est pourquoi il utilise des stratégies de séduction. Nous sommes, par exemple, tous « à crocs » aux réseaux sociaux tout en sachant qu’ils pillent nos données pour les revendre et qu’ils sont le royaume de ces sortes de vampires que sont les escrocs, les pédophiles, les harceleurs, les réseaux de prostitutions, les hackers, les complotistes, etc.
Les vampires et leurs émules utilisent des stratégies d’emprise quel que soit le champ dans lequel elles se déploient : familial, social ou politique. Leur but est de transformer une proie en simple chose, en zombie, au moyen de stratégies et de manipulations plus ou moins subtiles. L’emprise constitue toujours un meurtre psychique… parfois évident : maltraitance physique, psychologique, sexuelle, négligences ; violences conjugales ; viols pédophiliques ; harcèlement sexuel ; entreprises totalitaires (État, sectes totalitaires, génocides) ; mais souvent, il s’agit parfois d’un crime parfait, difficile à prouver, rarement puni : enfant « parfait », idolâtré, mais en réalité immolé sur l’autel de l’ancestralité et à jamais incapable de penser par lui-même ; entreprise de déstabilisation industrielle ou politique ; harcèlement psychologique familial, au travail ou sur les réseaux sociaux.
Je commencerai par le brouillage et tenterai de réfléchir au débrouillage nécessaire pour lutter contre les processus de domination pervers.
Brouillage
Invisible dans le miroir, incapable de se remettre en question, Dracula, habile, beau parleur, ignore tout sentiment de culpabilité. Habile à œuvrer dans l’ombre, toujours masqué, il se déplace entouré par un nuage de brouillard que lui même suscite. Il embrouille ou enfume sa proie, implacable métaphore.
Il utilise, pendant le temps nécessaire, la séduction, avant de dévoiler ses intentions destructrices : « Entrez de votre plein gré ».
L’isolement est une stratégie idéale pour porter sans risque, une attaque. Les pères incestueux déploient des trésors de perversité pour isoler leur victime. Ils sont également experts pour monter les membres de la famille les uns contre les autres, attiser les antagonismes, colporter des rumeurs, divulguer des faux secrets, faire et défaire les alliances de circonstance, selon le vieil adage : « Il faut diviser pour mieux régner » qu’utilise tout « bon décideur », où qu’il sévisse.
Le vampire sait admirablement faire alterner les périodes d’accalmie qui annoncent de redoutables orages.
Il utilise, sans la moindre difficulté, le mensonge éhonté et les promesses mensongères, qu’il profère avec un aplomb formidable, « pour la bonne cause »… la sienne.
Il culpabilise subtilement sa victime qu’il parvient toujours à faire douter. Il trouve toujours d’excellentes justifications pour expliquer ses crimes et organiser son impunité.
Il est passé maître dans l’art de la rhétorique perverse. Il manie, avec maestria, l’art du « double lien » face auquel il est impossible de se décider. On peut illustrer cette redoutable technique avec « Fous-Le-Camp », le nom du célèbre chien d’Yves Robert ou avec celui que choisit l’astucieux Ulysse pour embrouiller Cyclope : « Vient ici, Fous-Le-Camp ! » « Si je te bats, c’est pour ton bien… » surenchérit Alice Miller. Même technique du père incestueux qui déclare à sa fille : « Mais tu as raison ma chérie, écoute ton copain, porte plainte contre moi et surtout… n’oublie pas d’acheter des fleurs pour enterrer ta mère. » Qui oserait prétendre qu’il fait pression sur sa proie ? Elle pourrait certes refuser ses avances sexuelles et le dénoncer, mais elle briserait sa mère et se retrouverait placée à la DDASS… si toutefois « on » la croit. Même technique de l’homme violent : « Comment peux-tu dire que tu es prisonnière ? Tu es libre ma chérie, entièrement libre ! MAIS il est préférable que tu restes à la maison. MAIS tes amies sont ennuyeuses. MAIS, je préfère quand tu t’habilles comme ça et pas… MAIS. MAIS. Et je t’aime tellement. »
L’exclusion sous toutes ses formes : emprisonnements abusifs, lynchages, campagne sde déstabilisations, rumeurs, mauvais procès, campagnes de presses, meurtres… constitue l’arme suprême des entreprises totalitaires qui font régner la terreur pour s’imposer.
Dans toute entreprise vampirique, le secret est promu au rang de politique familiale ou institutionnelle. La proie n’obtient jamais la moindre explication. Pour mieux détruire, Dracula fonctionne comme les terrifiantes polices secrètes des régimes totalitaires.
La règle d’or de toute entreprise totalitaire, qu’elle soit interpersonnelle, familiale, sociale ou politique, consiste à ne jamais tenir compte de la réalité. « Les faits dépendent entièrement du pouvoir de celui qui peut les fabriquer » écrit Hannah Arendt. Les réponses toutes faites et les raisonnements simplistes sont plus flatteurs que la complexité désespérante, plus prompte à apporter des fausses solutions. L’économie stagnerait-elle ? La faute en incombe à l’immigration, à l’impérialisme américain, à la pensée unique, aux 35 heures, à la droite, à la gauche. Cette surenchère complotiste est la condition de survie de tout mouvement totalitaire. La pensée est l’ennemie suprême de la perversion car le moindre arrêt de mouvement pourrait stimuler la réflexion, permettre une remise en question.
Pour se défendre ou pour le plaisir, les vampires savent porter des accusations sans preuve avec force et conviction. Les nuances n’existent pas. Ils hissent l’amalgame au rang de vérité. Ils savent que les braves gens pensent qu’il n’y a pas de fumée sans feu… Rien de tel dans certaines associations de pères en colère qui, dans le cadre de procédures de divorce, seraient victimes de fausses allégations d’agressions sexuelles. Patric Jean décrypte parfaitement ce phénomène dans son dernier livre : La loi des pères (2020).
Le renversement des accusations est la signature du vampire qui sait méticuleusement organiser son impunité.
Les victimes qui percent les intentions criminelles des agresseurs ont le plus grand mal à être reconnues, entendues. Elles passent régulièrement pour folles, menteuses, aliénantes, paranoïaques. Il n’est pas anodin d’être confronté à l’impensable. Personne ne peut aisément concevoir le Mal absolu, surtout si un être cher est impliqué. Il est difficile de dénoncer ses parents, son supérieur hiérarchique, un chef d’entreprise, un homme politique. Il est risqué d’affronter les puissants
Décodage
On ne lutte pas contre la violence par la violence… mais par l’analyse des facteurs qui la pérennisent, explique le Pr Van Helsing. Certes ! Mais il est possible de renoncer, par lâcheté, à lutter contre toutes les stratégies totalitaires en restant dans le cercle des indifférents.
Les personnes qui ont appris à se soumettre sans réfléchir s’inclinent devant l’autorité des puissants, laquelle symbolise l’autorité familiale… qu’on ne discute pas. Ce n’est pas pour rien que les régimes totalitaires embrigadent les jeunes, comme le font les sectes et les partisans d’un certain type d’éducation. D’autres pensent qu’il n’y a pas de fumée sans feu… ils ignorent tout du vampirisme, évidemment. Les victimes de la Shoah l’auraient-elles mérité… un peu… juste un tout petit peu ? Inadmissible n’est-ce pas ?
L’analyse des stratégies perverses, l’évaluation des forces et des faiblesses en présence sont une entreprise difficile et périlleuse. Il faut toujours déployer des efforts considérables pour vaincre ses propres résistances et celles des autres, confrontées à la « violence impensable ».
Les victimes d’emprise se heurtent à l’incompréhension de la part de leur entourage et dans tous les contacts avec les institutions. Ces aléas les rendent doublement victime. Les enfants massacrés n’espèrent aucune aide extérieure. Ils savent que les adultes se taisent souvent, même lorsqu’ils se présentent couverts de blessures à l’école. Des milliers de témoignages d’adultes le confirment. Le déni a la peau dure.
Le silence est une forme de complicité. Songeons aux soignants qui ne font que 5% de signalement d’enfants en danger.
Lorsque la victime est capable de riposter, elle doit éviter les stratégies perverses car, sur leur terrain, les vampires sont les plus forts. Il est préférable d’utiliser des armes dont ils n’imaginent pas qu’elles pourraient leur être fatales. Ils méprisent l’amitié qui est plus solide que la connivence perverse. Ils préfèrent s’imaginer qu’elle sera incapable de résister à leurs attaques terrifiantes ou à l’usure du temps.
Il faut également privilégier la transparence totale, car elle est indispensable pour maintenir les liens que les vampires s’acharnent à détruire.
Les victimes doivent renoncer à chercher un quartier général des agresseurs. Un vaste complot des jésuites, émigrés, juifs, francs-maçons, est la hantise habituelle des mouvements totalitaires.
Les agresseurs se reconnaissent, ils flairent l’odeur du sang. Les réseaux pervers forment de redoutables bandes de loups. Ils sont prompts à former des groupements d’intérêts, des associations de malfaiteurs. Experts en manipulation des personnes, des institutions et des médias, ils savent actionner les ressorts de l’indignation.
La victime d’un vampire est souvent isolée, souvent « décervelée ». Elle devrait faire appel à une association spécialisée dans la lutte contre les pervers : associations féministes, services d’aide aux victimes, associations de victimes. Elle pourrait demander une aide à un professionnel de la santé ayant l’expérience de l’emprise que les vampires font subir aux personnes en général les plus faibles : les femmes, les enfants, les minorités, les exclus.
Quand le mystère commence à s’éclaircir ! Quand le groupe solidaire est parvenu à démonter la logique totalitaire, il peut tenter de recourir à la loi. Mais gare ! Les vampires ne connaissent que les rapports de force et la haine. Il est périlleux de se mettre en travers de leur chemin. Il est impossible de négocier avec eux. Tous ceux qui y furent confrontés partagent cette opinion.
Le recours à la loi est, en bonne théorie, la meilleure façon de rétablir la vérité. Mais l’expérience prouve qu’il est difficile de se défendre parce que le droit n’est pas adapté pour les protéger efficacement. La tentation de faire justice soi-même est la pire des choses… Au lieu de rétablir la vérité, elle transforme une authentique victime d’emprise en coupable véritable. On peut dire que le système d’inversion a atteint, dans ces cas particulièrement dramatiques, une forme de perfection dans l’horreur. La victime contrainte à faire justice elle-même constitue un déshonneur pour la Justice et la Démocratie.
Pour conclure
Le Vampirisme au quotidien est une métaphore qui s’applique à toutes les idéologies sacrificielles, lesquelles débordent largement le domaine de la protection de l’enfance ou le sexisme ordinaire. Les différents systèmes agresseurs sont résumés dans le tableau suivant.
Le décodage est la seule méthode efficace, car les vampires ne supportent pas la lumière. Mais il faut faire preuve d’intelligence et d’une solidarité sans faille pour dénoncer les systèmes agresseurs, face à de puissants réseaux pervers.
Le déni est tenace, mais « je pense avec force et avec ténacité à la victoire de la vérité qui se libère sur les mensonges qui purulent ; de l’authentique sur le toc ; de la connaissance qui se gagne sur l’imbécillité qui se pavane ; et des charmes de la créativité libidinale sur les miasmes inféconds de la perversité » écrivait, dans un de ces derniers écrits, Paul-Claude Racamier, grand “vampirologue”, à qui nous rendons ici hommage en guise de conclusion.
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