L’ENFANT ET LA SOUFFRANCE DE LA SEPARATION

Maurice Berger. L’enfant et la souffrance de la séparation. Dunod, 2020 (2e édition)

 

« Le psychisme humain est ainsi fait qu’il lui est plus facile d’inventer des fusées qui vont sur la lune que d’accepter une séparation »

 

Ainsi débute cet ouvrage consacré aux effets des séparations qu’un enfant peut subir. Il peut s’agir du divorce, séparation du couple de ses parents, ou d’un abandon par les parents biologiques suivi d’une adoption, ou d’un placement hors de sa famille par un juge. Ce sont donc des centaines de milliers d’enfants qui sont concernés par cette problématique.

Jusqu’à présent, ces situations étaient pensées et présentées séparément, ce qui empêchait de comprendre leurs points communs: se séparer/être séparé d’autrui entraîne une souffrance spécifique due à l’absence et des processus psychologiques particuliers pour se protéger de cette douleur. Ainsi cet ouvrage considère comme objet de pensée, de recherche, le fait même de vivre une séparation. La souffrance qui en découle est nommée « pathologie du lien », terme qui, comme c’est souvent le cas, a subi depuis plusieurs déformations.

Tout d’abord, cette difficulté à renoncer à une relation passée souvent idéalisée est fréquemment confondue avec le travail de deuil, évoqué ici à tort : « Il a à faire le deuil du couple de ses parents (maintenant divorcés), ou de sa mère qui l’a abandonné », etc. Non, cela ne se passe pas ainsi car les personnes qui manquent à l’enfant sont toujours en vie, ce qui entretient l’espoir illusoire d’un retour aux relations antérieures. Et malgré l’évidence, malgré la constatation que l’autre continue à construire sa vie sans soi, la raison est inefficace, il y a des nostalgies, ni deuil ni dépression, qui durent toute la vie et le sujet se sent constamment en exil . Même lorsqu’elle permet de sauver la vie affective d’un enfant dans les cas de parents fortement maltraitants ou négligents, la séparation est la rupture d’un lien, et des parties de soi peuvent alors rester « collées » à l’autre, ce qui concerne aussi certaines ruptures amoureuses chez les adultes.

Ainsi dans une partie de son psychisme, l’enfant peut entretenir le déni de l’irréversibilité de la séparation ; l’idéalisation, au prix d’un clivage, de l’objet dont il est éloigné (« ma mère ne s’occupait pas de moi mais c’était une bonne mère chez qui je veux retourner vivre ») ; une autoaccusation qui peut prendre une forme mélancolique très enfouie ; une impossibilité d’aimer deux personnes à la fois, comme si cela risquait de provoquer la perte de l’affection de l’une d’elles ; etc. Et l’enfant se pose la question lancinante de savoir quelle trace de lui persiste dans l’esprit d’autrui, et quelle trace d’autrui il parvient à garder en lui malgré l’écoulement du temps. Avec en toile de fond le fait que le maintien d’un lien en pensée ne suffit pas au sujet qui ressent le besoin d’une proximité physique, incarnée.

Ces processus sont déclinés dans chacun des contextes cliniques indiqués ci-dessus, et il apparaît la grande difficulté à prendre en charge ce genre de souffrance.

Ce livre témoigne surtout des paroles que les enfants prononcent lorsqu’on les écoute, ce qui peut être un choc pour les adultes impliqués, en particulier les parents qui n’avaient pas conscience de la souffrance secrète de leur enfant. Mais il concerne aussi tous les êtres humains car le besoin de lien demeurera toujours le point fort et le point faible de l’être humain. Il se termine par le poème écrit par un enfant confronté à plusieurs séparations :

« Quel étrange jeu de cartes
Le diable même en a peur
Car il s’est brûlé la patte
En retournant l’as de cœur »

 

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