LES DROITS DES VICTIMES

Sans titre

Gérard Lopez

  • Psychiatre

 

Il n’est pas question faire l’inventaire du droit des victimes, mais des dispositions recommandées par les instruments nationaux et internationaux. Auparavant, nous allons étudier le rôle que joue la loi dans la réparation des victimes. Cet article est directement issu du chapitre correspondant paru dans « Les droits des victimes » (Lopez, Portelli et Clément, 2007) et « La Victimologie » (Lopez, 2014).

ROLE DE LA LOI

L’immense majorité des auteurs reconnaît l’importance de la « Loi » symbolique dans la reconstruction des victimes, mais la nécessité de recourir à la loi positive constitue un sujet de discorde entre les associations, les magistrats et les professionnels de la santé.

Beaucoup s’accrochent à des référentiels théoriques ou idéologiques qu’ils estiment supérieurs à la loi. Pourtant, une procédure judiciaire reste le meilleur moyen de réinscription symbolique des victimes comme sujet dans le groupe social dont elles ont été exclues par l’acte criminel.

S’agissant de délits devant être désignés comme tels, le cadre de l’intervention est nécessairement le Code pénal et non pas un autre cadre théorique qui lui serait en quelque sorte supérieur. Il s’agit ici de déconstruire un système de domination / soumission, et toute soumission théorique constitue une nouvelle forme de violence… infligée une nouvelle fois à la victime.

Pourtant, la procédure judiciaire est toujours une rude épreuve où rien n’est gagné d’avance. C’est parfois la parole de l’un contre la parole de l’autre, mais grâce au travail des avocats ou des associations c’est la parole d’une victime étayée par un faisceau d’indices concordants contre celle d’un agresseur étayée par des éléments démontables. La décision de saisir la justice appartient toujours à la victime sur qui il ne faut jamais faire pression pour éviter de reproduire une relation d’emprise… bien souvent responsable des troubles.

Si elle est désireuse de se lancer dans cette périlleuse « aventure », il faudra lui offrir un accompagnement judiciaire performant, en règle assuré par un avocat et une association spécialisée.

LES NORMES

Au niveau international

Les instruments internationaux sont une incitation pour améliorer le sort de la victime.

La Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies dans sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948, consacre dans son article 8 le droit à l’accès à la justice en prévoyant que « toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi ».

La résolution 40/34 portant « Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir » adoptée par les Nations-Unies le 11 décembre 1985 reste le texte de référence.

Depuis, de nombreuses déclarations ou conventions internationales ont amélioré le droit des victimes. Les plus connues se contentent de prévoir un droit d’accès à la justice en précisant qu’il doit s’agir d’un recours effectif. D’autres consacrent des recours propres comme la convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965.

 Au niveau européen

 A la suite de la résolution de septembre 1977, la Convention du 24 novembre 1983 « relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes » a défini un système d’indemnisation en ces termes dans son préambule :

(…) pour des raisons d’équité et de solidarité nationale, il est nécessaire de se préoccuper de la situation des personnes victimes d’infractions intentionnelles de violence qui ont subi des atteintes au corps ou à la santé ou des personnes qui étaient à la charge de victimes décédées à la suite de telles infractions. Il est nécessaire d’introduire ou de développer des régimes de dédommagement de ces victimes par l’Etat sur le territoire duquel de telles infractions ont été commises, notamment pour les cas où l’auteur de l’infraction est inconnu ou sans ressources.

 Le Conseil de l’Europe a adopté le 15 mars 2001 une décision-cadre sur le statut des victimes dans le cadre des procédures pénales portant sur les droits suivants : présence dans la procédure pénale, réparation, protection, information, assistance, formation professionnelle des intervenants, prévention de la survictimation. Cette décision-cadre, qui met l’accent sur la dignité de la victime, a été d’une grande importance juridique car les Etats membres ont du s’y conformer.

  • Elle prévoit de faire en sorte que la victime d’une infraction puisse obtenir une décision sur l’indemnisation par l’auteur de l’infraction et oblige les Etats à prendre des mesures pour l’inciter à la lui verser.
  • Elle promeut la médiation pénale pour les infractions jugées appropriées (art. 10). L’audition de la victime doit être menée avec modération (art. 3).
  • Il faut veiller à « éviter que les victimes et les auteurs d’infractions ne se trouvent en contact dans les locaux judiciaires, à moins que la procédure pénale ne l’impose (art.8). »
  • Elle prévoit le remboursement « des frais exposés en raison de sa participation légitime à la procédure pénale ».
  • La notion de « victimes particulièrement vulnérables » leur permet de bénéficier d’un « traitement spécifique répondant au mieux à leur situation (art. 2) ».
  • La protection n’est pas seulement envisagée face aux mesures de rétorsion ou de représailles mais s’étend à la protection de la vie privée et de l’image de la victime, de sa famille ou des personnes assimilées à des membres de sa famille (art. 8).

Une proposition de directive du Conseil relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité a été présentée par la Commission le 16 octobre 2002. Partant du constat que l’indemnisation par l’auteur de l’infraction est difficile et que les régimes d’indemnisation publique dans chacun des Etats membres comportent des disparités importantes, elle propose une norme minimale à partir de critères minimum clairs et une coopération renforcée pour les personnes victimes dans un Etat autre que celui où elles résident.

LES NORMES FRANÇAISES

C’est à la fin du XXème siècle que la victime a vu ses droits reconnus et sa place consacrée. Les règles de base étaient certes posées depuis longtemps, mais dans la réalité la victime était absente du procès. A partir des années 1970, le mouvement législatif s’est accéléré. Sans égaler le statut de l’auteur présumé du dommage ou de l’infraction, le statut de la victime s’affine et s’affirme progressivement.

 La création de la « partie civile »

 Le code d’instruction criminelle de 1808 prévoyait que la victime puisse intervenir dans le procès pénal en se « constituant partie civile », une solution originale dont on ne retrouve pas l’équivalent dans de nombreux droits occidentaux.

La portée de cette règle fut longtemps discutée par la doctrine mais aussi par les tribunaux dont la jurisprudence se divisait sur un point important : la constitution de partie civile, devant le juge d’instruction obligeait-elle la justice à agir et à enquêter ? Le procureur de la République pouvait-il contraindre le juge à l’inaction ? La cour de cassation en 1906, par l’arrêt dit « Laurent Atthalin », décida en faveur de la victime au motif qu’il « faut appliquer … la règle absolue suivant laquelle la juridiction d’instruction a, comme toute autre, le droit et le devoir de s’exercer dans une pleine indépendance des réquisitions de la partie publique[1]».

 Un accès facilité à la justice

 La loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 constitue un exemple de cette tendance.

  • Elle prévoit la possibilité pour la victime d’obtenir la désignation d’un avocat par le bâtonnier (art. 40-1 nouveau).
  • Pour l’aide juridictionnelle, elle supprime les conditions de ressources pour les personnes vulnérables, les magistrats et fonctionnaires, et pour un certain nombre de crimes graves : atteintes volontaires à la vie, atteintes à l’intégrité physique ou psychique (tortures, actes de barbarie), violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. violences habituelles sur personnes vulnérables, viol aggravé, actes de terrorisme ayant généré des violences corporelles qualifiées de crime.

Un accroissement des droits de la victime lors du procès

 Une fois la victime admise dans le procès pénal, il fallait qu’elle puisse être assistée d’un avocat pour influer sur le cours de l’enquête et le déroulement du procès : ce droit ne lui pas été accordée avant une loi du 22 mars 1921.

La loi du 15 juin 2000 avait pour objectif de renforcer la protection de la présomption d’innocence mais elle affirme que « l’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute la procédure pénale ». Le droit de la victime certes renforcé n’est qu’une étape vers une égalité totale entre la victime et le suspect.

 Une indemnisation garantie par l’Etat

Les instruments internationaux ont favorisé l’idée d’une indemnisation pour les victimes lorsque l’auteur de l’infraction est introuvable ou insolvable.

La loi 77-5 du 3 janvier 1977 a créé des commissions d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) dans chaque cour d’appel.

La loi 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes a ouvert le même recours aux victimes de certaines infractions contre les biens.

La loi 83-608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection des victimes d’infraction a donné aux CIVI leur visage actuel : elle les a installées dans chaque tribunal de grande instance et a prévu un échevinage par l’introduction au sein de la collégialité d’une personne choisie en fonction de l’intérêt qu’elle porte aux problèmes des victimes.

La loi 83-608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection des victimes d’infraction a assoupli les conditions d’indemnisation.

La loi 85-1047 du 30 décembre 1985 portant diverses dispositions de procédure pénale et de droit pénal a ajouté l’attentat à la pudeur aux infractions permettant l’indemnisation.

Le Fonds de garantie des actes de terrorisme, destiné à prendre en charge intégralement tous les préjudices subis en relation avec une infraction terroriste, a été créé en 1986. Une loi de 1990 a étendu la compétence de ce Fonds de garantie à toutes les infractions. Elle a généralisé la réparation intégrale des victimes d’actes graves contre les personnes et supprimé la condition de subsidiarité. Un droit d’appel a été ouvert en 1992 contre les décisions de la CIVI (Loi du 16 juillet 1992).

 Des indemnisations spécifiques

 Les règles ordinaires d’indemnisation et celles relatives à la CIVI n’ont pas suffi à régler quelques contentieux particuliers qui ont paru nécessiter des régimes spécifiques.

Le plus important est peut-être celui relatif à l’indemnisation des accidents de la circulation mis en œuvre par la loi du 5 juillet 1985, dite loi Badinter, qui impose aux assureurs et au Fonds de garantie automobile une indemnisation rapide et intégrale.

La loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 a créé un fonds spécialement chargé d’indemniser les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d’immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang.

Une loi du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé » a mis au point un système d’indemnisation original des accidents médicaux ; elle met à contribution les compagnies d’assurances et crée des Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation qui peuvent être saisies lorsque l’accident a eu « pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présente un caractère de gravité, fixé par décret ».

 Le droit donné à des associations représentatives d’intervenir dans le procès pénal

 Le législateur a permis à de plus en plus d’associations d’intervenir dans le procès pénal en se constituant partie civile avec l’accord de la victime, lorsqu’elles sont régulièrement déclarées et qu’elles défendent des causes jugées dignes d’intérêt : violences sexuelles, discriminations, crimes contre l’humanité ou de guerre… Le nombre de ces associations ne cesse de croître ; leur liste figure aux articles 2-1 à 2-21 du code de procédure pénale. Le législateur exige parfois qu’elles soient régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans.

La loi 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a ajouté les associations ayant pour objet la défense des victimes d’accidents collectifs qui peuvent exercer les droits de la partie civile lorsque l’action a déjà été mise en mouvement par le parquet ou la victime elle-même (art. 2-15).

RECAPITULATIF DES DROITS RECONNUS A LA VICTIME

Au vu de toutes ces normes internationales, il est possible de dégager un certain nombre de droits fondamentaux applicables à toutes les victimes d’infractions et qui forment une sorte de « statut de la victime. »

 Le droit d’accéder à la justice

 Le premier droit est celui qui permet à la victime de faire valoir ses droits, de déposer une plainte et de demander réparation. Le législateur doit non seulement prévoir la possibilité d’un tel recours mais doit tout faire pour surmonter les obstacles qui pourraient empêcher la victime d’aller en justice.

Celle-ci doit pouvoir s’adresser librement à un commissariat, à une gendarmerie ou bien aux autorités judiciaires.

Le coût de l’accès à la justice est primordial : la victime ne doit pas être freinée du fait de dépenses à engager, qu’il s’agisse de caution, de frais de procédure ou d’avocat.

Le droit à être informé

 Les règles de droit sont compliquées alors que la culture judiciaire et juridique du citoyen moyen est faible. Il faut donc que le législateur mette vigoureusement en œuvre les moyens nécessaires à cette information.

Ce devoir d’information pèse sur tous les intervenants, tout au long de la chaîne judiciaire, du dépôt de la plainte à l’exécution du jugement.

L’information doit porter sur la connaissance générale des droits et obligations pesant sur la victime et sur la connaissance particulière des différentes phases de la procédure.

Ce droit d’accès à des informations pertinentes doit être mis en œuvre le plus tôt possible, la désinformation en début d’enquête étant source d’incompréhensions et de tensions à venir.

Le droit à être assisté ou accompagné

 La victime doit pouvoir être assistée d’un conseil.

Le recours à ce professionnel doit être facilité à tous ceux qui ne disposent pas de moyens financiers nécessaires comme cela est le cas en France grâce à l’aide juridictionnelle.

Certaines victimes doivent être non seulement assistées mais accompagnées. Il en est ainsi pour les mineurs qui ne peuvent être soutenus par leurs représentants légaux et pour qui existe un système d’accompagnement judiciaire spécifique.

 Le droit à obliger l’Etat à enquêter efficacement

 Le droit pénal français est un droit encore largement inquisitoire. Le juge est au centre de l’enquête ; il demeure le maître des investigations et met en œuvre les différents moyens d’accéder à la vérité. La victime doit s’adapter à cet état de droit. Pour qu’elle puisse peser réellement sur le cours de l’enquête, il faut qu’elle puisse, non seulement être autorisée à fournir des éléments de preuve qui devront être pris en considération par le juge, mais qu’elle puisse contraindre le juge à accomplir certains actes utiles.

Comme l’a décidé la cour de cassation en 1906, la constitution de partie civile doit donc obliger la justice à agir. La victime doit ensuite pouvoir obtenir du juge suffisamment d’investigations pour qu’elle ne soit pas seulement un spectateur passif mais un véritable acteur du procès.

Le droit à un procès équitable

C’est surtout vis à vis de l’accusé que cette exigence constitutionnelle et internationale a été élaborée.

Ce droit ne se décline pas exactement de la même façon pour la victime.

Le principe de base est toutefois que la victime, comme toute autre partie au procès, doit pouvoir soutenir sa cause d’une façon qui ne la désavantage pas substantiellement par rapport aux autres parties.

Cette équité doit se traduire d’au moins trois façons :

  1. les droits de la défense de la victime doivent être respectés,
  2. la loi doit prévoir et organiser une égalité des armes entre les parties,
  3. la victime doit pouvoir s’exprimer lors d’un débat contradictoire et public.

 Le droit à être indemnisé

Le système d’indemnisation garanti par l’Etat doit pouvoir suppléer aux carences de l’auteur du dommage ou intervenir s’il reste inconnu. Plus ce système de substitution sera complet, plus les droits de la victime seront respectés.

 Le droit à être protégé

La victime encourt des risques en s’adressant à la justice. La révélation de l’infraction et la dénonciation de son auteur peuvent conduire ce dernier à vouloir intimider, écarter, éloigner ou – pourquoi pas – supprimer la victime ou s’en prendre à ses proches.

L’Etat doit, dans le cadre de sa mission de préservation de l’ordre public, se préoccuper du sort et de la sécurité de la victime. Il ne s’agit pas seulement de recueillir la plainte et d’abandonner la victime à son sort.

La protection implique que la justice prenne diverses précautions : en ne fournissant pas l’adresse de la victime, en assurant s’il y a lieu sa sécurité physique, en poursuivant toute pression ou menace.

Le droit à être pris en charge

L’une des innovations des dernières années est l’irruption de nouvelles formes de prises en charge de la victime.

Les missions de l’Etat s’accroissent et s’étendent à la prise en charge de la victime qui englobe l’aspect psychologique et médical.

Le constat et l’évaluation des lésions, des blessures doit pouvoir se faire rapidement et par des personnes compétentes.

L’accompagnement immédiat des victimes doit être organisé efficacement.

Le droit à être traité avec compétence

Il s’agit de l’apport le plus intéressant de la Déclaration internationale du 11 décembre 1985.

Se préoccuper du sort des victimes, même dans ses aspects les plus classiques – comme la réparation – nécessite une approche suffisamment fine de la problématique des victimes.

Les services concernés se doivent d’être efficaces, en apportant des soins ou des prestations pertinentes.

La formation qu’ils doivent nécessairement recevoir vise notamment à éviter d’aggraver la situation de la victime.

BIBLIOGRAPHIE

Lopez G. La victimologie, Paris, Dalloz, 2° éd. 2014

Lopez G, Portelli S, Clément S. Les droits des victimes, Paris, Dalloz, 2° édition 2007.

[1] Crim. 8 décembre 1906, D. 1907, 1, 207, rapport Laurent Atthalin; Siry 1907, 1, 377, note Démogue

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