Christophe SY-QUANG-KY
- Psychologue clinicien – Unité médico-psycho-légale (site SAINTE-ANNE) / Centre Hospitalier de MONT DE MARSAN
- Christophe.sy-quang-ky@ch-mt-marsan.fr
- Président de l’association RAISONANCE – http://raisonance.net
PREMIERE PARTIE : LE CONSTAT ET LE PROBLEME
Quel type de subjectivité est le produit de notre société ?
Pour répondre a cette question et pour analyser les phénomènes de violence, nous devons nous intéresser aux ‘mutations anthropologiques’ qui ont généré les pathologies de l’idéal. Alors nous pourrons poser des mots aux maux.
AVERTISSEMENT
Avant toute chose, l’objet de cette intervention n’est pas de réduire les comportements violents au sein de notre société contemporaine à des troubles psychiques même s’ils interrogent la psychopathologie. C’est pourquoi nous serons prudents dans l’emploi du terme de « radicalité » ou de « radicalisations » même si nous acceptons la validation du terme par la communauté scientifique désignant un ‘processus d’adhésion à une vision radicale et prônant ou justifiant le recours à la violence dans un but idéologique’. La définition proposée par René KAËS nous semble la plus pertinente : ‘L’idéologie radicale repose sur un projet d’immortalité porté et soutenu par un groupe. (…) L’obsession de la pureté du groupe (de l’ethnie), du sang, de la race (des maîtres) est une constante.’ (2016, p 227).
Cependant, nous devons partir d’un constat : la quête du bonheur sans contrainte et le désir de liberté sans castration dans la société produiraient des troubles de la transmission et une altération de la filiation liés à la crise de la fonction paternelle. Ce constat nous amène à formuler une hypothèse clinique : la perte de l’Idéal correspondrait-elle à une disparition du sens de l’altérité ? Pour l’élaboration de cette argumentation, nous avons dû aborder différents champs disciplinaires aux côtés de la psychanalyse et de la psychopathologie : la macroéconomie, la sociologie, la philosophie, la géopolitique, l’histoire et l’anthropologie. Le but est de produire un débat entre nous, d’où deux parties complémentaires. La première pose le constat et le problème, la seconde partie aborde quelques pistes de réflexion pour répondre au problème.
Avant d’exposer le sujet, je souhaite exprimer ma conviction qui réside dans la transdisciplinarité et la complémentarité des savoirs. Sur le plan théorique, comment peut-on considérer que le comportement d’un individu soit déterminé qu’à partir de ses actes conscients, de sa volonté ou de ses désirs sans tenir compte de son histoire familiale, de ses interactions extrafamiliales, de ses désirs inconscients ? Après les attentats du BATACLAN, nous devons adopter une démarche de la complexité des phénomènes psychiques. Pour ne pas opposer neurosciences et psychanalyse comme dans de nombreux débats en psychiatrie et en psychopathologie, mon expérience clinique et mon activité d’expert m’ont amené à opter pour une approche psychodynamique plus globale, intégrant l’inconscient groupal et l’inconscient individuel. Cet exposé s’inspire de 19 ans d’activité en psychiatrie et de recherche dans la clinique psycho-légale, selon cette approche psychodynamique.
Notre démarche fait appel volontairement aux phénomènes complexes liés aux bouleversements économiques, sociologiques afin de différencier les dysfonctionnements psychiques des troubles mentaux et ce, pour comprendre la radicalité et l’engagement terroriste. Sur ce point, les résultats du rapport du groupe de travail de la Fédération Française de Psychiatrie (juin et septembre 2017, décembre 2017 et mars 2018) sont particulièrement éclairants.
Cependant de quoi se composent la violence des liens et les liens de violence dans l’Occident contemporain ? Existerait-il une idéologie mortifère traversant toute la société en affectant de nombreux individus, quelles que soient leurs confessions, leurs origines socio-culturelles, leurs études ?
Pour répondre à ces questions, a priori, nous serions face à un spectre de personnalités très vaste du point de vue de la psychopathologie et de la psychanalyse, qui va d’un mal-être diffus au trouble de la personnalité. Mais attention ! Les pathologies de l’Idéal ne rendent pas forcément malades les individus même si elles regroupent des organisations psychiques protéiformes (états-limites, sujets schizoïdes ou ceux liés à la position schizo-paranoïde non dépassée ou personnalités avec des traits pervers). Ils ont tous en commun des troubles du narcissisme et ils se réfèrent à un Idéal du Moi ou à un Moi Idéal pour les plus régressifs. Nous expliquerons tous ces concepts.
Nous pourrions définir des éléments de convergence, dans une approche de la complexité pour échapper au piège sémantique entre l’inné et l’acquis. Traiter des pathologies de l’Idéal, c’est donc décrire et analyser des fonctionnements psychiques centrés sur l’Idéal comme manière d’être au monde et façon de penser.
Cette hypothèse clinique est un positionnement personnel lié à une expérience professionnelle. Les différentes rencontres cliniques de 2006 jusqu’à aujourd’hui proposées par l’association RAISONANCE d’une part et l’expérience de psychothérapie de groupe en détention puis en milieu ouvert, en psychiatrie de secteurs adultes d’autre part, le tout, complété par l’activité de l’expertise judiciaire, m’ont amené depuis ma prise de fonction en 1999 à développer une clinique de l’agir violent tout en gardant un regard critique autour de ces phénomènes dans notre société.
INTRODUCTION
Pour introduire mon propos, voici quelques précisions. Notre postulat est de considérer qu’il n’y a pas de groupe sans histoire car il n’y a pas d’histoire sans groupe. Nous tenons compte pour cela, à la fois de l’inconscient de chaque individu, de l’inconscient groupal et du lien entre ces deux espaces psychiques.
Plus la violence paraît individualisée et désynchronisée, plus elle se réfère à l’histoire d’un groupe. Gardons-nous par ailleurs d’établir une échelle de l’horreur, en termes d’intensité ressentie ou de massification de victimes. Cela serait une erreur, car très souvent, l’infraction est une effraction psychique, sur le plan de l’intersubjectivité. Faut-il différencier, pour notre débat, l’agressivité de la violence ? Oui, c’est nécessaire car l’agressivité suppose la rencontre avec autrui, au minimum, générant conflit et opposition. L’agressivité est primordiale pour se construire. S’opposer pour se poser ou faire face à l’adversité, cela permet d’intérioriser l’altérité. Tandis que la violence, au contraire, est toujours relative à une forme d’autodestruction en niant l’existence d’autrui par la commission d’acte d’anéantissement. Donc il n’y a pas de paroles violentes. Cette formulation est un abus de langage. Les mots ne tuent pas. Seuls les gestes et les actes peuvent ôter la vie.
Si la violence est la négation d’autrui, elle est aussi symbolicide, c’est-à-dire, elle vise la destruction du monde symbolique. Il y aurait différentes modalités de violence et de diverses intensités. La source de la violence est la naissance. Le mot violence nous vient du latin “violencia” et de “violentus”, issu du verbe “vis” (le verbe est “volere”) signifiant “vouloir”, découlant du mot grec “bia” (“βια”) signifiant “la force vitale” ou “la force”, “la contrainte”. Donc, vivre suppose une certaine violence et une contrainte. Le cri primal du nouveau-né permet le passage physiologique du monde amniotique au monde aérien. Probablement sortir de la vie est tout aussi violent lorsqu’on est conscient jusqu’au bout. Le dernier souffle serait le dernier acte de violence avant l’arrêt cardiaque. Pulsion de vie et pulsion de mort seraient intrinsèquement liées. Pulsion et identité humaine le sont également. Si la violence se rapporte à la force dans sa racine « vir » et donc à un Idéal masculin et à une image de virilité, elle ne concerne pas nécessairement l’ubris, c’est-à-dire, la démesure et l’outrance. Ainsi, la violence dite de genre pourrait bien être l’objet d’une construction idéologique, très loin de la pulsion mais pas si étrangèrede l’imaginaire. En somme, l’idée tient l’image et réciproquement. D’ailleurs, rappelons que l’organisation la plus violente relevant d’un subtil niveau de réflexion et parfois d’une haute technicité est la guerre ou la constitution d’armes létales comme l’arme nucléaire capable d’anéantir toutes vies. Parce que collectivement, nous aurions une certaine idée de vie et de mort d’un ennemi potentiel, qu’il existe une légitimation de la violence lorsqu’elle est systématisée entre nations. Lois, conventions, traités et droit d’ingérence s’intègrent parfaitement dans cette légitimation. Du coup, nous rejoignons une idée relativement déprimante de la violence comme un Idéal inscrit dans le fait civilisationnel, à travers l’histoire de l’humanité ! Mais gardons cette idée : la violence correspond à une limitation de la pensée et des émotions, une restriction de soi et de l’Autre supposant la construction d’un imaginaire plus que d’une réalité. Cette idée nous apparaît comme essentielle avec les découvertes scientifiques du physicien théoricien cosmologiste britannique Stephen HAWKING pour qui « Dieu est une espèce en danger ». Il sous-entendait dans cette formulation que la physique reprenait ses droits en démontrant que l’Univers n’a ni de début ni de fin. Or, si la seule limite est le temps, la seule valeur est celle de la Vie, porteuse d’espoir et d’épreuves.
L’IDEAL : UNE FACULTE FONCIEREMENT HUMAINE, DU NORMAL AU PATHOLOGIQUE.
Avant d’approfondir le sujet, l’Idéal épouserait donc l’image, tous deux sous-tendus par l’affect. Depuis 19 ans, la prise en charge des auteurs de violences sexuelles en prison puis à l’hôpital m’a amené à développer une approche thérapeutique groupale. Ce choix clinique comporte deux postulats :
Tout comportement violent questionne l’origine de l’auteur, la naissance de sa violence mais aussi la violence de sa naissance liée à l’histoire de son environnement. Cet engagement a également deux raisons : une personnelle, l’autre professionnelle. Au niveau personnel, tirer sa légitimité dans l’histoire de mon père où la légalité du patronyme s’est structurée durant la guerre d’Indochine, en rupture avec les racines chinoises de mon père, la violence géopolitique des années 1950 a été pour moi, symboligène. Quant au plan professionnel, j’ai pu dépasser la violence des patients rencontrés en maison d’arrêt, lors de mon premier poste de psychologue, à la fin des années 1990 grâce à l’extériorité d’un groupe, celui du CODES 40 dirigé par Mme Sylvie RAMIS qui proposait un travail d’audit, pour le Centre Hospitalier, auprès des personnels soignants en détention. Voilà pourquoi se demander d’où on vient, c’est se demander de quoi et de qui on hérite. En ce sens, la théorie psychanalytique groupale est pertinente pour traiter les comportements violents. Issu d’une double culture, par mes origines franco-chinoise ou sino-française, très tôt et inconsciemment, j’ai développé le sens de l’accommodation par opposition au sens de l’assimilation avec mes appuis méthodologiques et mes rencontres théoriques y compris dans ma vie intime. Pour rappel, l’accommodation vise l’intégration d’un individu dans un groupe tandis que l’assimilation, c’est l’inclusion du groupe dans la psyché de l’individu. Ainsi, mon expérience de la clinique psychodynamique aboutit à ce résultat : à la base de toutes formes de violences, se dissimule une confrontation entre le particulier ou l’individu et le collectif ou le groupe (constitué de la famille ou du cercle socioprofessionnel). Cette confrontation pourrait signifier ce que l’on nomme l’idéologie. D’après le professeur de psychologie et de psychopathologie clinique René KAËS (2016), l’idéologie s’articule autour de 3 définitions, du point de vue psychanalytique.
- D’abord, l’idéologie est une vision-conception du monde soutenue par l’omnipotence de l’Idée. Prétendant une explication universelle et totale, elle s’étaye sur les théories sexuelles infantiles.
- Ensuite, l’idéologie se qualifie comme une formation et une fonction de l’Idéal. Elle vise donc le perfectionnement.
- Enfin, l’idéologie propose un monde fini, en-dehors des vicissitudes de l’histoire et des achoppements du désir.
Il n’y a donc acceptation d’une idéologie par ses membres qu’à la condition qu’elle puisse nourrir et faire fonctionner un arrimage narcissique. Face aux aléas de la réalité et contre toutes les déceptions à supporter, l’idéologie nous permet à chacun d’entre nous et à chacun son idéologie de ne pas tomber malades, de ne pas être dépressifs ! L’idéologie, au minimum, est donc, organisatrice de la vie en société. Elle crée le lien entre les individus dans l’organisation de notre narcissisme là où la névrose fait relation face à l’angoisse de castration.
Autrement dit, l’idéologie nous aide à penser la perte et les déceptions tandis que le désir nous permet de surmonter le manque et les frustrations. Jusqu’ici, tout est normal. Cela peut dysfonctionner lorsque l’idéologie au lieu d’être structurante devient « clôturante ». Formée d’un système d’idées abstraites et impersonnelles, du point de vue de l’inconscient, elle repose sur les mécanismes de déni, c’est-à-dire de rejet de la réalité, contre les angoisses dites schizo-paranoïdes et dépressives. Ces mécanismes de défense mobilisent au plus haut point la tyrannie de l’Idéal et notamment du Moi Idéal. Ce concept correspond à la toute-puissance de l’Idée. Le sujet idolâtre son idéologie, dans une illusion groupale, à la recherche d’un paradis perdu, celui du lien archaïque mère-enfant. Cela peut nourrir, ce que René KAËS appelle la position idéologique, à savoir une organisation narcissique fondée sur un déni collectif de perception de la réalité au profit de la toute-puissance de l’Idée, de l’exaltation de l’Idéal et de la mise en place d’une Idole ou fétiche. « Nous resterons égaux, amoureux et unis toute notre vie et jusqu’à la mort », pourrait dire le sujet en position idéologique. Donc attention à tous ceux qui menaceraient cet équilibre fragile et cette injonction du bonheur idéologisé. Dans l’impossibilité de penser la perte associée à la différence, l’égalité, l’amour, l’unité sont affirmés comme des impératifs. Ce type de lien est un lien tyrannique car fondé sur un Idéal totalitaire.
Le clivage constitué sur la base des alliances défensives narcissiques va permettre de désigner la cause de la menace contre l’intégrité. Les porteurs de la menace seront dénoncés, châtiés et exclus.
Autre point que la carence narcissique et la lutte contre la dépression, les auteurs relevant des pathologies de l’Idéal ont en commun l’impensé du corps dans leur idéologie. L’origine du trouble provient d’un surinvestissement narcissique du sexe par escamotage de la différenciation sexuée et sexuelle au moment du complexe d’Œdipe. Selon René KAËS, c’est la marque de la « Mère dite anale ». Ces notions psychanalytiques ont une portée métaphorique et symbolique. La maîtrise sphinctérienne aliénée au profit de cette imago omnipotente est de ne rien perdre par peur d’éventration et d’évacuation de l’intérieur du corps de la mère. Le barrage idéologique qui en résulte est une retenue contre une perte du dedans. Le corps idéologique se veut toujours plein. C’est pourquoi, classiquement, il n’y a pas d’idéologie sans doctrine au sein des partis politiques. La doctrine nazie a été incarnée par la figure d’Adolf HITLER. Cependant, les bouleversements technologiques et la révolution de l’information ont produit un changement de paradigme. Nous pouvons émettre l’hypothèse de pathologies de l’Idéal associées aux nouveaux moyens de communication comme internet dans le sens où on assiste à l’impensé du corps mais aussi le corps idéologique s’est désincorporé. Dans un monde où la fluidité de l’information est la règle, la clinique du contenant a toute sa place. Désormais, ce n’est plus le contenu qui fait sens mais le contenant. Le risque des gouvernants pour nos démocraties ne serait plus l’absence de contrôledes informations dites virales dans un monde réticulaire mais les avaries des canaux endommageant la diffusion des informations, c’est-à-dire, l’attaque des contenants. Les « fake news », les fausses informations ou la fabrication et la propagation des informations diffamatoires qui deviennent des « faits alternatifs » pour l’administration TRUMP s’intègrent dans le bouleversement de la pensée et des pathologies de l’Idéal. Mais peut-on renoncer à la vérité ? Lorsque plus rien n’a de sens ou lorsque le sens et la vérité sont tronqués, détournés, manipulés, il ne reste plus que l’Idéal pour créer le réel. L’étape d’après, c’est le saut dans l’imaginaire. Soit nous basculons dans le délire psychotique, c’est-à-dire la folie, soit le réel devient une pure construction de notre imaginaire.
La réalité virtuelle, augmentée ou redimensionnée par les technologies numériques nous montre déjà le chemin. Quant aux fausses informations diffusées dans les médias, elles signent la distorsion de l’Idéal. Elles représentent une escroquerie intellectuelle et une destruction des liens sociaux. Or, étymologiquement, le terme d’escroquerie définit un acte de manœuvre, de fraude, de tromperie, d’astuce mais aussi de gains ; il est à la croisée de différentes approches : philosophique, juridique, psychopathologique. Sur le plan psychodynamique, il renvoie au fonctionnement narcissique, entre perversion et trait paranoïaque, entre économie limite (borderline) et économie psychotique. Dans l’escroquerie, l’idéalisation supplante la sublimation, apparaissant comme une création factice qui tente de combler magiquement le fossé des générations et des sexes, dans l’illusion de la complétude narcissique originelle. L’escroquerie, psychiquement, constitue les prémices de l’inceste par la confusion des places, l’attaque du réel et l’idéalisation de l’objet convoité.
Fausses informations et subversion sont donc sémantiquement très proches. En matière de cyberespace et d’attaque informatique, on observe une différence de stratégie entre les pays occidentaux et la Russie. Alors que nous avons protégé les systèmes d’information c’est-à-dire les contenants, les Russes, depuis la guerre en Tchétchénie, ont développé une stratégie basée sur les contenus ou le contrôle de l’information. Ce choix stratégique est lié à l’héritage sécuritaire de l’appareil soviétique où sévissait une organisation de désinformation à la tête de l’Etat. En termes de psychopathologie, le passage du déni de la réalité (comme dans la psychose) au déni de l’altérité (comme dans les fonctionnements pervers) fait intervenir la clinique du contenant. On parle alors de pathologies du lien et de la filiation.
Or, le « je » suppose une construction psychique dans le lien dans un espace contenant. Le sentiment identitaire, celui d’être, pour dire : « je suis » implique la mise en relation avec autrui donc un contenu par l’intériorisation d’une certaine idée de soi-même et de celle des autres. Le passage de « je » à « je suis » va s’opérer par le « jeu », d’où la nécessité de l’activité ludique dans l’apprentissage car il sera question d’intégrer le réel dans l’imaginaire et de respect des règles en société pour jouer. Le plaisir peut avoir lieu dans le respect des règles et des lois. Contrairement à la théorie freudienne, dans le jeu, il n’y a donc pas un découpage net entre principe de plaisir et principe de réalité. L’accès à la symbolisation provient du jeu.
UN MONDE SANS LIMITES ? LA SOCIETE AUTOPHAGE D’ANSELM JAPPE.
L’hypothèse d’un monde sans limites génèrerait des pathologies de l’Idéal au sein de la société par l’avènement d’un narcissisme grandiose, démesuré de nombreux individus. Cette hypothèse s’appuie sur les travaux de certains philosophes, sociologues et bien sûr, cliniciens d’obédience psychanalytique. Parmi eux, Christopher LASCH publie en 1979 La culture du narcissisme. Cela passe par la lecture assez large du concept de narcissisme comme une négation de la dépendance à la mère et de la séparation originelle d’avec elle. Or, pour le pédiatre et psychanalyste Donald WINNICOTT, la notion d’objet transitionnel nous apparaît aujourd’hui essentielle pour penser la séparation entre la mère et l’enfant. Sortir de la fusion, c’est accéder à son autonomie. Le problème actuel est que l’enfant se passe de l’objet transitionnel nécessaire à sa croissance psychique et à son individuation parce que les phénomènes transitionnels se sont diffusés partout et ont occupé tout le terrain intermédiaire entre l’intérieur et l’espace extérieur à la famille. Le philosophe Anselm JAPPE signifie que l’aire intermédiaire des objets artificiels menace de disparaître au profit des sociétés basées sur la production en série et la consommation de masse. « Nous vivons entourés d’objets artificiels, certes, mais ils ne parviennent plus à jouer efficacement le rôle d’intermédiaires entre le monde intérieur et le monde extérieur. » (A. JAPPE, 2017, p 109). Tous ces objets sont interconnectés mais ils le sont davantage entre eux qu’entre nous, en termes de données agencées par algorithmes. L’individu s’effacerait peu à peu derrière la puissance numérique. Ainsi, le monde des marchandises paraît complètement séparé du Moi. Les objets transitionnels comme objet de découverte et passerelle entre le monde psychique et le monde extérieur, disparaissent au profit des outils de contrôle de nos vies. Pour ne pas sombrer dans la dépression ou la psychose, il ne reste plus qu’à idéaliser sa vie, son couple, sa famille, « sa » société. De nombreux patients nous racontent leurs liens entretenus sur les réseaux sociaux. Mais comment se séparer de sa fille ou de son fils qui partage avec d’autres « amis » le même réseau social sur internet ? Signifier la séparation aux yeux de tous, c’est rendre impossible la rupture. D’où la différence entre lien et relation. Ne plus être en relation avec son enfant après une dispute, c’est maintenir malgré soi le lien du fait des réseaux sociaux, qui plus est, entraînant des commentaires assassins en retour de l’enfant quitté par ses parents !
Dans notre société hypermoderne, le lien ligote, emprisonne, aliène tandis que la relation peut accepter la rupture, la séparation, le deuil. C’est tout le rapport à la mort qui se joue à travers les réseaux sociaux. La révolution numérique a créé une révolution psychique d’où les pathologies de l’Idéal. D’après certains historiens de l’économie comme Daniel COHEN, c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’une révolution industrielle ne débouche pas sur de la croissance. Il n’y a pas eu, comme ce fut le cas lors des précédentes « révolutions industrielles », l’enclenchement d’un mouvement de « destruction créatrice », décrite par Joseph SCHUMPETER. Bien qu’il y ait création de richesse, les emplois détruits dans un secteur ne seront pas, a priori, compensés par des emplois nouveaux créés ailleurs. Donc nous serions face à un paradoxe : la création de richesses engendrée par la dernière vague technologique crée pour l’instant essentiellement du chômage. Pour Daniel Cohen, cette nouvelle conjoncture nécessite impérativement de repenser l’État dans sa structure afin de « s’immuniser contre les aléas de la croissance », facteurs d’inégalités. Il s’agit de faire en sorte que la création de richesse permise par l’automatisation soit redistribuée équitablement et non confisquée par quelques grandes entreprises. A la fracture numérique correspondrait en réalité, une amputation idéologique, affectant l’Idéal du Moi des individus. Ce qui pourrait expliquer la montée du populisme dans les pays post-industriels qui consiste à se jeter massivement dans un prêt-à-penser pour ne pas s’effondrer dans la dépression car penser fait peur et fait du mal. La solution d’un « revenu universel » inconditionnel, versé à tous les citoyens, proposée par Thomas PIKETTY qui prône un meilleur contrôle de la finance internationale ne suffira pas pour limiter l’hémorragie narcissique et les processus de dés-idéalisation des populations écartées de la révolution numérique. « Au cours des trente dernières années, 90 % de la population américaine n’a connu aucune hausse de son pouvoir d’achat, l’obligeant à vivre à crédit, ce qui a conduit à la crise financière », nous explique Daniel COHEN dans son ouvrage Monde clos, désir infini. Il va peut-être falloir vivre sans croissance car cette notion est devenue trop mortifère pour la planète. ‘A chaque crise financière, un surendettement public au profit de la prochaine crise jusqu’à épuisement à terme de l’Etat’, nous prévient Sébastien GUEX, à propos de « La politique des caisses vides », dans une lecture de sociologie financière et de concurrence fiscale. Ce processus serait à l’œuvre depuis les années 1970 dans une financiarisation de l’économie mondiale.
Mais le problème est bien profond et concerne tous les individus, quelle que soit la classe sociale. Sur le plan psychique, le lien est préféré à la relation d’objet pour ne jamais ressentir la peine, le chagrin, la solitude. Et le bonheur dans tout cela ? Regardons vers l’Est, précisément vers l’Extrême-Orient pour mieux nous voir ! Pour le sinologue François JULLIEN, l’homme ne désire pas le bonheur auquel il prétend aspirer car, du point de vue occidental, « (…) l’idéologie européenne s’enfermait dans une articulation contradictoire à partir de laquelle elle pouvait à loisir dramatiser l’ « existence » (…) car une telle tension a précipité tout autant l’histoire que la pensée européennes : le bonheur est cette idée inlassablement « neuve » en Europe, idée mobilisatrice par excellence relançant chaque génération nouvelle – ingénument / généreusement – à sa conquête par quelque « Révolution »(Ibid. 2005, p 107) » Ou cette idée aristotélicienne : « Que penser notamment du fait que Freud ait conçu la pulsion, cette notion frontière entre l’âme et le corps, prioritairement en rapport au « but » ? » Ainsi la pulsion freudienne serait rattachée au culte du bonheur posé comme fin idéale, le tout, dans une dualité psyché et soma, fait de désirs et d’excitations corporelles. Alors qu’une logique de processus n’a aucune finalité. Le procès ne conduit pas à mais aboutit à son résultat. Pourquoi la pensée chinoise, contrairement à la philosophie occidentale n’a guère développé l’idée de la finalité ni s’est attardée sur celle du bonheur ? Ni même la stratégie en Chine n’est pas guidée par la finalité. La déstructuration qui concerne la transformation est préférée à la destruction. Quand j’engage enfin le combat, dans le traité de L’art de la guerre, de SUN TZU, l’ennemi se trouve déjà défait. Le succès est de l’ordre, non du but, mais du résultat, tel le fruit mûr prêt à tomber. François JULLIEN différencie deux modes de pensée à partir de la structuration de la langue. En Occident, à partir du grec, la panoplie des prépositions ouvrent largement l’éventail de la finalité. En Chine, le raisonnement repose sur la consécution : « de sorte que », « il en découle que ».
De « Telos » grec de la finalité, il est question dans la pensée chinoise de « l’être en phase ». « A l’aise comme des poissons dans l’eau. De faire oublier le pied, telle est l’adéquation de la chaussure. De faire oublier la taille, telle est l’adéquation de la ceinture. » La trivialité de l’image permet de se désencombrer des buts fixés dans sa vie. D’ailleurs, en Chine, on ne dirait pas ‘Ma vie m’appartient’ risquant de la perdre ou d’être attaquée voire s’en-glorifier si elle était l’objet d’un quelconque mérite, mais on dira : ‘J’appartiens à la vie’, comme vision d’un processus sans but ni salut mais selon des jeux de corrélation et d’alternance. L’idée grecque du bonheur est une construction existentielle liée à une syntaxe particulière formée d’une assignation et d’une subordination.
Dans la tradition taoïste, il n’y a pas constitution d’idéal par détachement et dépassement des autres. Nous basculons de la logique de la finalité dans celle de la conséquence. A propos du Sage, est-il dit : « Sans avoir à se creuser l’esprit, sa vie est élevée ; sans avoir à traiter de morale, il se perfectionne ; sans avoir à accomplir de hauts faits, il fait régner l’ordre dans le monde ; sans avoir à vivre au bord des fleuves ou de la mer, il jouit de l’oisiveté ; sans avoir à s’astreindre aux gymnastiques respiratoires, il accède à la Longue vie. » (Ibid., p114). Cela pourrait être un programme pour une élection présidentielle ! Pour ne rien réduire du champ du possible, la finalité et le bonheur constituent un attachement qui crée une crispation-fixation. Le bonheur chinois est donc d’être dispensé du bonheur. L’effet compte sur le but. Chronos et Kaïros sont dissous dans le flux du monde. La Chine ancienne n’a pas choisi la notion d’éternité, associée à l’Etre mais la notion de « sans fin » de la durée. Rappelons que pour Anne CHENG, titulaire de la chaire de Hautes Etudes sinologiques au Collège de France et fille de François CHENG de l’Académie Française, les trois piliers de la « philosophie » chinoise sont : le culte des ancêtres, les rites funéraires et la piété filiale. Trois activités symboliques où nous pourrions dire que le réel se conjugue à l’Idéal du Moi. A l’opposé de la matrice idéologique européenne, la cohérence du cadre du penseur chinois repose sur l’alternative qui sert de cadre à sa pensée.
Pour les lettrés de la fin du IIème siècle, la ruine des structures politiques et sociales de l’Empire chinois, a produit l’injonction du penseur XI KANG sous le titre de son essai : « Nourrir sa vie ». Nous devons écarter les notions importées d’Europe de corps, d’esprit ou d’âme et également celles de but, de salut, de vie éternelle. Il est question ici d’hygiène de vie. Notre démarche prendrait ainsi un sens préventif plutôt que curatif. Selon François JULLIEN, il n’y a pas lieu d’opposer phusis à techné, la nature à l’art, conformément au modèle grec aristotélicien.
Dans la pensée chinoise traditionnelle et précisément taoïste, il convient de suivre un modèle de ‘processivité’, c’est-à-dire, d’aider ce qui vient tout seul, de soi-même, ainsi d’aider la vie à venir à la vie, comme la plante à se développer. De ce fait, morale, philosophie et religion ne paraissent pas au premier plan.
D’ailleurs, en chinois, le même idéogramme désigne à la fois « soigner » et « gouverner » comme s’il y avait un parallélisme entre l’être physique de l’individu et le corps de l’Etat. Alors que la pensée grecque antique, contrairement à la pensée chinoise, la notion de santé s’est définie à partir du Juste. Juste mélange et juste mesure.
La Cité et le corps relèvent ici d’un rapport de constitution entre les parties et le tout. Les maladies font ruptures dans cet équilibre ou homéostasie physiologique ou métabolique. Par la suite, les Grecs ont rajouté à la notion de santé, l’image idéale du beau canonique qu’incarne l’art du Nu, qui repose essentiellement sur la relation intégrante des parties au tout, entre l’élémentaire et le composé afin de constituer le Bonheur comme fin idéale. Tout en relevant la souffrance des uns et des autres concernant le désir d’enfant, le débat actuel autour des procréations assistées GPA et PMA est issu de cet héritage culturel où il est question fondamentalement de mesure et de démesure d’embryon pour se sentir narcissiquement et idéalement existé dans une normativité hétérosexuelle ou homosexuelle.
Anselm JAPPE part lui aussi de la pensée grecque et de la mythologie pour décrire la société de marché comme autophage dans sa démesure. « L’hybris – la démesure due à l’aveuglement et à l’orgueil impie – qui finit par provoquer, nous dit-il, la némésis, le châtiment divin subi par Prométhée, Icare, Belléphon, Tantale, Sisyphe, Niobé, entre autres. Le châtiment d’Erysichthon constitue une faim abstraite et quantitative qui ne peut jamais être assouvie. (…) Le mythe anticipe ainsi de manière extraordinaire la logique de la valeur, de la marchandise et de l’argent. » Transposé à la société marchande, la faim d’argent est vide de contenu. La jouissance est pour elle un moyen, pas un but. Pour l’auteur, notre société est foncièrement narcissique et fétichiste au point d’évoquer une dérive suicidaire : destruction des liens sociaux, de la diversité culturelle, des traditions et des langues, le tout dans une possible régression anthropologique. Les pathologies de l’Idéal proviennent de cette mortification.
L’auteur démontre le lien entre narcissisme et la notion de valeur dans la société marchande où l’altérité est altérée, sans autonomie propre. La personnalité narcissique souffre d’une carence invalidante : elle n’a pas intégré le monde dans son Moi. Voilà pourquoi il manipule et exploite les autres. Toutes personnes se valent et sont interchangeables comme les sites de rencontre. Notre société est ainsi passée de la société du contrat social à une modernité liquide dans une avidité orale, de dévoration. Cela renvoie à une vie régressive, à la relation archaïque mère-nourrisson. Tout se réduit au sentiment de puissance et d’impuissance, dans un fonctionnement infantilisant et de dépendance accrue par l’étayage technologique. Nous serions dans une « Société autophage » selon Anselm JAPPE à partir d’une modernité dite « liquide » installée peu à peu après 1968.
Avant cette année clé, les valeurs de l’économie dominante étaient le travail et l’épargne, ce qui correspond, du point de vue freudien à la névrose obsessionnelle. Cette société-là canalisait la libido et réprimait la sexualité. L’excès d’inhibition et de répression pulsionnelle fabriquait des personnalités appauvries par le refoulement de leurs désirs. On parle du caractère anal du bourgeois type où tout tourne autour de donner/retenir dont la vie est consacrée à l’accumulation d’objets et de richesses. L’évolution de la société marchande a été marquée par le passage de la répression du désir à la sollicitation permanente du désir sur le plan matériel. Autrement dit, l’épargne dite du « caractère anal » a cédé la place à l’avidité orale en tant que comportement socialement valorisé. La référence aux stades freudiens les plus archaïques renvoie à la dépendance narcissique propre à notre société contemporaine.
Donc, notre société, par son développement socio-économique aurait régressé de la névrose au mode narcissique. On parle de société liquide, flexible, individualisé, réticulaire à l’opposé d’un modèle fordiste, autoritaire, répressif et pyramidal, et ce, à partir des années 1950, avec l’essor de la « société de consommation ». Aujourd’hui, l’enjeu entre individus est la lutte contre le sentiment d’impuissance du nourrisson. Dialectique de la toute-puissance et de l’impuissance. Si le narcissisme primaire pose l’enfant-Roi, le narcissisme secondaire pose le refus de toute séparation. Le désir de lien a supprimé toute relation à l’autre. Le sujet narcissique contemporain ne parvient pas à concevoir des relations entre égaux dans une défaillance profonde de l’altérité. Il ne comprend pas plus l’autonomie d’autrui.
Ce qui peut expliquer sa propension à manipuler les autres et à les exploiter pour son unique jouissance. Je jouis donc j’existe, tel est son credo mais une jouissance construite sur l’idée de valeur idéalisée de soi.
Même si le discours de la Raison de DESCARTES était déjà fondé sur la valeur, le travail abstrait, la marchandise et l’argent, les personnalités narcissiques actuelles fondent leur existence sur l’unique notion de valeur d’elles-mêmes. S’il est si vorace, cela tient au fait qu’il soit insatiable comme dans le mythe d’Erysichton où la valeur doit augmenter en progressant indéfiniment car rien de concret n’est son but. Le sentiment de vide est le seul moyen pour le narcissique de ressentir la souffrance. Vide psychique signifiant l’absurdité et l’échec de sa stratégie d’avidité, de remplissage, de destruction. La thèse du sociologue américain Christopher LASCH est de soulever le problème universel de l’angoisse de séparation.
Cette angoisse est dans chaque individu dans n’importe quel contexte socio-historique et ne peut être rapportée à une répression venue de l’extérieur comme pour le développement du Surmoi. L’angoisse de séparation nous amène à élaborer des objets dits transitionnels comme le jeu, l’art, la culture, bref à concevoir une activité de symbolisation faite aussi d’amitié et d’amour. Or, les nouvelles technologies ont remplacé le monde des objets durables et « capables de vieillir » en produits jetables conçus pour une obsolescence immédiate. Avec cette thèse, nous assistons à une lourde régression anthropologique. La violence considérée comme radicalisée est fondamentalement liée à la destruction des objets transitionnels du nouveau-né dans la mesure où le détournement idéologique comme outil de propagande et de propagation de la violence a détruit l’espace de symbolisation. L’adoration d’un idéal est le moyen de revenir inconsciemment vers l’unité primaire, archaïque du monde embryonnaire.
Anselm JAPPE découpe « l’histoire psychique » de la société de marché en deux phases : une phase « oedipienne », marquée par des structures autoritaires, patriarcales, masculines formées par le Surmoi et une phase « narcissique » qui a débuté et de façon limitée dans les années 1920 et où l’on trouve les prémisses au XIX° siècle avec le Romantisme mais qui s’exprime plus largement après la Seconde Guerre mondiale en Occident puis tout s’accélère après 1968. Cette phase « narcissique » correspondrait à une perte des limites psychiques, sociales et économiques. Le mot d’ordre est : jouir sans entrave dans un Idéal de vie, dans une société dite « liquide », selon l’expression de Zygmunt BAUMAN, où l’individu est réduit à une « forme-sujet ». Les psychanalystes lacaniens comme Jean-Pierre LEBRUN, Charles MELMAN ou le philosophe Dany-Robert DUFOUR évoquent la destruction d’une économie du désir par le remplacement d’une économie de la jouissance. L’homme sans limite serait un homme sans gravité, ce qui va de pair avec l’extension du néolibéralisme. Pour DUFOUR, on assiste à un bouleversement psychique dans la mesure où la société marchande a libéré pulsions et passions pour une libération complète de l’individu. L’argumentation est bien structurée : l’humain est à la naissance un être inachevé. C’est la thèse de la néoténie. D’où le recours au grand Autre ou grand Sujet quel qu’il soit : totem, physis, dieu, roi, peuple, race, nation, prolétariat, etc… Lorsque l’idole ne sert plus, elle est destituée, tuée pour qu’une nouvelle apparaisse. Mais pour son fonctionnement, la fiction paternelle (la loi du Père, séparateur de la mère et de l’enfant) ne doit pas être reconnue comme fiction.
La dénoncer comme telle, c’est provoquer la dissolution de la cohésion sociale. Le constat de ces auteurs est sans appel : la sortie du religieux et des grands récits idéologiques opérée par la modernité n’est qu’apparente car elle a été suivie par l’apparition d’une nouvelle divinité : le Marché. Les pathologies de l’Idéal se constituent à partir de ce changement de paradigme par la disparition progressive du complexe d’Œdipe. D’où l’augmentation de l’Inceste et du viol d’enfants du fait du déni de la différence intergénérationnelle. Entre régulation et dérégulation, entre la « main invisible » du Marché d’Adam SMITH et la régulation de KANT, aujourd’hui, c’est la dérégulation qui affecte les sphères morale, politique et économique. Les signifiants despotiques ont été substitués par le marché qui règne en maître. La poly-subjectivité consiste à vivre plusieurs vies en une seule dans une prolongation du déni enfantin de toutes les différences (sexuelles et statutaires).
LA DECONSTRUCTION D’UNE VISION DU MONDE, L’AVENEMENT DE LA « NOUVELLE ECONOMIE PSYCHIQUE» DE CHARLES MELMAN.
Notons le clin d’œil à l’histoire et à l’économie du psychanalyste Charles MELMAN, héritier de la pensée de Jacques LACAN lorsqu’il nomme les bouleversements de notre monde à propos du concept de « Nouvelle économie psychique ».
Cette NEP n’a pourtant rien de marxiste ni de léniniste, même s’il est intéressant de relever que les changements psychiques dans la société sont à mettre en parallèle avec un taux de pauvreté actuellement très élevé en France et dans l’Union Européenne.
Pour l’INSEE, ce taux était de 14,2 % en 2015 soit 8,9 millions de personnes vivant en dessous du seuil fixé à 1015 € par mois pour une personne seule. Au 21/08/2018, le taux était estimé à 13,6 % de la population totale. Lorsque nous avons invité Charles MELMAN en 2011, à MONT DE MARSAN, le titre de la conférence de RAISONANCE était : « Vers une évolution perverse de la société ? Quelles conséquences en tirer dans les prises en charge pour les professionnels ? » C. MELMAN pose ce constat alarmiste en 2009, bien avant les attentats de Charlie : « (…) chez nos jeunes contemporains, l’existence n’est en rien une affirmation ni même une ambition ou même un idéal. » On ne massacre pas des innocents par idéologie ou par idéal. Mais c’est plutôt le fait d’une disparition de toute la dimension de l’idéal. C’est ce que l’on observe en psychiatrie. Sans idéal, la pensée devient folle, précisément dans les états maniaques appelés aujourd’hui troubles bipolaires ou patients hyperactifs. Le sujet ne se reconnaît plus dans son identité ni dans son histoire personnelle. C. MELMAN évoque la nouvelle économie psychique dans la mesure où ce qui organise actuellement la psyché des individus, c’est d’ordre pré-oedipien, dans un pouvoir matriarcal avec le déclin du patriarcat dans la société. Ce phénomène, observe C. MELMAN, est particulièrement à l’œuvre en Martinique où la transmission intergénérationnelle investit le père comme un facteur purement biologique. L’explication est peut-être fournie dans les travaux de Daniel DERIVOIS à propos de traces traumatiques transmises par la géohistoire. Le problème qui se pose par ce déclin affectant toute notre civilisation, c’est l’attaque de l’imaginaire dans la psyché au sein des foyers. L’idéal ne remplace pas l’imaginaire. Or, le réel a besoin d’un imaginaire pour être supporté sinon, c’est la perversion. Bien souvent, pour les auteurs adultes de violences sexuelles, pris en psychothérapie de groupe, à Sainte-Anne, la part de fantasme avant, pendant et après l’acte est quasiment réduite à néant. L’image se substitue à l’imaginaire tout comme la victime n’est qu’un orifice à remplir une angoisse de vide existentiel pour son auteur.
L’expérience clinique que j’ai mise en place en psychiatrie fut de proposer une activité thérapeutique groupale à ces patients pour les aider à développer une fantasmagorie, via le jeu de rôle. En milieu carcéral, j’avais proposé les ateliers de peinture thérapeutique, en m’inspirant des mandalas tibétains pour compléter les entretiens cliniques et les groupes de parole. 20 ans après, les résultats sont significatifs. Il y a moins de 1 % de récidivistes si le but poursuivi était la lutte contre la récidive. Mes objectifs ne se limitent pas à cela. Il est question plus fondamentalement de faire advenir un sujet face à un autre sujet, pris par des pulsions, des angoisses et tout un récit familial.
Dans ma pratique d’expert judiciaire, je souligne souvent ce point de vue devant les différentes cours d’assises. Par rapport au tableau clinique de l’accusé et compte tenu de ses ressources psychiques non altérées, l’essentiel du travail psychothérapique relève parfois de la thérapie groupale afin de recréer du lien, du sens, des règles, de l’empathie et de la loi. Se limiter à enfermer un sujet dans une orientation rééducative et discriminatoire de redressement comportemental demeurerait une impasse relationnelle et pourrait accroître l’attaque de la loi dans un sentiment d’injustice, à la sortie de prison.
Ce n’est pas seulement une opinion de citoyen, c’est une argumentation nourrie de différents échanges entre professionnels intéressés par ces profils psychopathologiques et criminels d’une part et sur la base d’une expérience clinique en milieu carcéral et au Centre hospitalier de MONT DE MARSAN. Tout nous ramène aux pathologies de l’Idéal. Il y a des comportements violents car il existe dans la société, dans les familles et entre individus des pactes inconscients groupaux constitués de liens de violence et de violence des liens. Le changement de modèle de société repose sur l’affaiblissement du symbole et d’un appauvrissement de l’imaginaire. Le réel et l’Idéal du Moi ont pris le relais. Par conséquent, le sens de l’interdit, de la castration et du désir tend à disparaître peu à peu pour laisser la place à la norme, au vide et à la jouissance mortifère (dépendance aux drogues, aux jeux, à l’alcool, au sexe, au sport, à l’alimentation…). Tout ce que nous consommons, nous consume !
Aujourd’hui la nouvelle injonction est : « Faire vivre et laisser mourir », nous dit la sociologue Dominique MEMMI, là où l’ancien monde était : « Faire mourir et laisser vivre ».
En paraphrasant Michel FOUCAULT, à propos des mesures biopolitiques, l’Idéal du Moi qui se répand dans nos sociétés post-modernes, suppose, notamment en médecine, un nouveau système de surveillance dans lequel le médecin prodigue informations et conseils à un sujet jugé désormais capable de prendre seul des décisions souveraines en matière de vie et de mort. C’est un dispositif souple de gouvernement des conduites qui laisserait toute sa place à l’autocontrôle et à l’intériorisation par les individus des normes sociales. Ainsi, une nouvelle administration du vivant se met en place, du cabinet du praticien jusqu’au Comité consultatif national d’Ethique.
L’IDEAL EST SOURCE DE VIOLENCE : LES COULEURS DE L’INCESTE, SE DEPRENDRE DU MATERNEL SELON JEAN-PIERRE LEBRUN.
Nous avons donc changé de monde. L’avènement des nouvelles technologies de l’information avec internet, la numérisation des données liée à l’hyper-individualisation des services via les téléphones mobiles, le modèle économique dominant qui s’est imposé progressivement depuis la fin des années 1970 et début des années 1980 jusqu’à aujourd’hui en Occident, le bouleversement de la sociologie de la famille, tous ces éléments ont eu un impact sur le monde psychique des individus, au point d’évoquer la Nouvelle économie psychique. Ce que nous appelons « burn-out » ou syndrome d’épuisement dans le monde du travail serait également lié aux pathologies de l’Idéal du Moi dans la mesure où les différents corps professionnels rencontreraient une dépression collective due à la perte de leurs idéaux. Une étude récente portant sur l’usage de tests de recrutement qui vise à prévenir les comportements inadaptés dans différents milieux professionnels dont les milieux dits sensibles a démontré que sur 124 931 recrues de la Marine américaine âgées de 19 ans, 10 % de cet échantillon étaient hospitalisés pour troubles de la personnalité 4 ans après le recrutement. Sur ces 10 %, 70 % étaient licenciés avant la fin du contrat soit près de 8000 personnes. Parmi elles, 50 % présentaient des troubles de la personnalité avant de signer leur contrat. En 2012, une autre étude considérait que 20 à 25 % des managers en Grande-Bretagne avaient au moins « une tendance dysfonctionnelle », 10 à 15 % en avaient 2 !
On estime qu’en Europe, 14 % de la population générale présente des troubles indiqués comme « dysfonctionnels ». Que dissimule ce pléonasme ?
Un trouble majeur répandu dans notre société : les troubles limites de la personnalité ou sujets borderlines.
Ces troubles s’intègrent dans les pathologies de l’Idéal où la question centrale est l’impossibilité de se séparer, se déprendre du maternel, dirait le psychanalyste lacanien Jean-Pierre LEBRUN. Or, le sujet passe du statut d’enfant-phallus à l’enfant-objet de la mère du fait de l’effacement progressif de la fonction paternelle. L’enfant a la fonction d’éviter la perte et ainsi récuse d’avance tout travail de deuil possible. Le rapport de force actuel au sein des couples privilégiant le matriarcal au détriment du féminin – et donc, niant la différence des sexes, indique un glissement subversif et insidieux. Il consiste à faire de la relation mère/enfant-objet le modèle de l’accomplissement parental. L’évolution sociétale qui accorde un droit à l’enfant renforce cette dyade et cette instrumentalisation de l’enfant. Le vœu de maternité l’emporterait sur le désir de conjugalité voire de parentalité. C’est une position purement narcissique qui va de pair avec le développement effréné de l’économie libérale. Plus tard, ce fonctionnement familial appelé « clinique de la famille bi-monoparentale » ne favorise pas une économie psychique du conflit mère-enfant. De quoi s’agit-il ?
Les cliniciens parleront de « viscosité libidinale » pour désigner une inertie psychique. L’enfant passe du père maternant à la mère sans distinction des rôles, statuts et fonctions car se différencier, c’est risquer de se séparer.
L’intervention paternelle tourne autour du lien mère-enfant comme sur une orbite, mais elle n’a pas de gravité (dans le double sens du terme, de gravitation et dignité) pour pouvoir interférer et produire quelque effet vis-à-vis de ce lien. Du coup, nous parlerons de lien mère-enfant et non pas de relation. Rappelons que le lien est à la construction du narcissisme ce que la relation est à la résolution du complexe d’Œdipe. Dans le cas de l’enfant-phallus, l’enfant est actif pour combler le manque de sa mère. Le film de Xavier DOLAN J’ai tué ma mère en 2009 illustre parfaitement la sublimation du matricide.
Dans le cas de l’enfant-objet, pour se séparer de sa mère, il doit infliger lui-même la perte à la mère, qu’il la fasse manquante et ensuite qu’il se l’inflige à lui-même. L’enfant-objet n’a rien à faire, tant il lui suffit d’être là (sous les yeux de sa mère !).
Si tout est jouissance pour ne pas éprouver manque et frustration, notre société actuelle se différencie de la société du XIXème siècle par ses « différentes couleurs de l’inceste » où se déprendre de l’imago maternelle demeure impossible. La radicalité des comportements violents repose sur cette angoisse de séparation de l’enfant-objet. C’est la raison pour laquelle la seule figure respectable et idéalisée est celle de la mère du djihadiste pour un djihadiste. Plus largement, pour la génération actuelle, la seule absence admise et bien intégrée correspond à l’absence réelle, c’est-à-dire à la privation et non l’absence symbolique que suppose la castration. Dans ces pathologies de l’Idéal, les sujets ne peuvent pas se confronter au vide qui les habite et aucun objet ne vient jamais les combler. Sans trois, pas de réel, disait LACAN. Le réel ne commence qu’au chiffre trois, c’est-à-dire en tenant compte de la réalité du père dans sa fonction paternelle. D’où l’estompage peu à peu de l’interdit de l’inceste.
VIOLENCES RADICALES ET FANATISMES : AUX LIMITES DE LA SYMBOLISATION (RENE ROUSSILLON) ET LE SUJET FACE AU REEL ET DANS LA TRANSMISSION (MICHEL GAD WOLKOWICZ) COMME ECHEC DE LA PARANOÏA (VIA LES THEORIES DU COMPLOT).
La violence actuelle inhérente à un Idéal inatteignable concernerait à la fois la sphère intime dans le cas des violences sexuelles autant que les violences dites idéologiques qui attaquent les valeurs occidentales et un certain mode de vie. En situation d’expertise psychologique, il n’est pas rare de rencontrer des sujets présentant des tableaux cliniques comparables à de tels comportements. Pour d’autres auteurs notamment les auteurs de violences conjugales, il est question, en substance, d’une attaque de leur Idéal. Récemment, en détention, j’ai rencontré le cas de Jérémy, 25 ans, qui a tenté de se suicider au volant de son véhicule avec sa compagne et après une dispute conjugale. Le cas est présenté de façon à protéger l’anonymat. Après avoir banalisé l’accident de voiture, l’auteur a secondairement éprouvé une culpabilité d’avoir accidenté gravement sa compagne. L’acte commis pourrait être rapproché du concept théoriquement controversé de suicide altruiste ou la volonté pour l’auteur d’emmener dans la mort un être cher.
La composante altruiste d’un tel acte dissimulerait sur le plan de l’inconscient tant individuel que conjugal, l’échec de la dimension agressive dans une problématique conflictuelle. Le facteur déclenchant a été la peur de perdre sa partenaire.
L’agressivité non mentalisée ni verbalisée du mis en examen se déchargerait en acte de violences car à l’origine, la perte de l’objet, celle du père, rapidement après sa naissance puis le délaissement ou la négligence affective de sa mère à l’âge de 7 ans furent une violence traumatique réitérée. Dans ce type de recours à l’acte, il n’y a pas de sentiment d’indignité. C’est l’autre qui s’est comporté de façon indigne. L’accident de la circulation aurait pu représenter une union éternelle dans la mort si le drame avait eu lieu mais aussi celle de la vengeance et de l’attaque d’un tiers. Face aux actes de suicide altruiste ou d’homicide-suicide, contrairement aux personnes dites mélancoliques, en psychiatrie, les personnalités borderlines comme dans le cas de Jérémy demeurent irréductiblement les victimes de l’acte qu’elles ont commis.
Les déclarations de Jérémy ne rassurent que son fonctionnement narcissique et elles ne se réfèrent qu’à ses blessures d’ego ; voici ce qu’il nous dit : « J’ai un problème avec les psys depuis mes 15 ans, après le décès de mon grand-père maternel. J’étais bien dans la délinquance mais il m’a attaqué sur mon deuil. (…) Actuellement, je n’ai pas de traitement psy. (…) Mes projets ? Prendre un emploi, ce qu’il y a et reprendre ma vie familiale avec ma compagne, se marier rapidement, avoir un enfant ou des faux-jumeaux : un garçon et une fille pour ne pas qu’ils soient pareils ! »
En théorie, la problématique des auteurs d’actes suicidaires altruistes ou d’homicides-suicides implique une mère présentant un accès mélancolique. Le sujet héritier de cette organisation se tue avec ses propriétés vivantes. Par conséquent, il ne fait pas de différence entre lui-même et ce qu’il aime : il n’est pas de plus violente affirmation de propriété narcissique d’un sujet sur un autre, et pas de dénégation plus radicale de l’autonomie d’autrui.
A propos de ces personnalités, dépression, suicide et homicide sont étroitement liés. Le potentiel criminogène de la dépression est particulièrement sous-estimé dans la clinique et en criminologie. D’où l’importance de la notion de perte d’objet. Le lien avec la victime est souvent de nature ‘prégénitale narcissique’, c’est-à-dire, la relation possessive est dominée par une forte dépendance du sujet à l’objet. La perte du lien entraîne un effondrement dépressif dans un processus criminogène passionnel. Dans cette atteinte narcissique résultent jalousie pathologique, angoisse, haine, révolte et grand désarroi. Nous relevons ce tableau clinique après l’examen de Jérémy. Dans ses allégations, l’idéalisation conjugale demeure intacte lorsque le mis en examen projette sa situation après sa détention comme s’il tentait d’échapper à l’angoisse de séparation. Il se confronte ainsi à la clinique de l’extrême malgré lui. La contrainte et l’emprise organisent ses conditions de vie, ce qui invite à créer des dispositifs de soins spécifiques adaptés à ces patients hors norme. Cela correspond aux patients qui ne parviennent pas à formuler de réelles demandes de soins fondées sur le repérage interne d’une souffrance psychique de type narcissique-identitaire.
Le fonctionnement symbolicide limite fortement l’insertion du sujet sur les plans socio-professionnels et thérapeutiques. Jérémy est confronté à l’incapacité de jouer avec de la matière psychique malléable rattachée aux propriétés de la représentation ; ceci s’exprime dans ses contenus transférentiels fortement clivés en préférant un psychologue non thérapeute en détention, chargé de son parcours pénal et en rejetant massivement une psychologue thérapeute. Sur le plan transféro-contre-transférentiel, le sujet semble choisir ‘son’ psychologue sans thérapie comme sa condamnation et même son lieu de détention dans un jeu paradoxal où l’objet est à la fois trop distant et trop proche, en dehors d’un cadre symbolisé et ne se prêtant pour ainsi dire jamais au jeu de la rencontre avec l’altérité qui se construit généralement dans un espace intermédiaire partagé.
Le sujet ne peut tuer symboliquement l’objet perdu sans mourir lui-même. Il ne peut que disparaître en même temps que lui dans la mort. Du point de vue de l’inconscient, meurtre et suicide réalisent donc pleinement le lien anaclitique – de s’appuyer l’un et l’autre, entre conjoints – du sujet à l’objet dans la mort.
Dans cet acte d’homicide-suicide ou de suicide altruiste, le fonctionnement psychique entraînerait le risque de perte d’objet en provoquant un processus criminogène proche de celui du crime passionnel. Cela dissimulerait une haine dont le refoulement accentue le sentiment de culpabilité – sans être capable d’éprouver la culpabilité pénale.
Or, il n’y a pas de narcissisme pathologique sans altération de l’altérité. L’acte qui est reproché à Jérémy n’a de sens que par rapport au pacte inconscient de dénégation au sein de son couple.
Le pacte conjugal de nature inconsciente repose sur un Idéal amoureux partagé. Sur le plan de l’inconscient conjugal également, l’accident de la circulation serait un ‘accident de la séduction’ forgé sur la dynamique d’a-symbolisation. L’acte de séduction est celui d’un adulte sur un enfant considéré comme jouet érotique. Rappelons qu’au niveau psychogénétique, ce n’est qu’après 7 ans, l’âge dit de raison, que Jérémy – sans connaître l’identité de son père biologique – se sent rejeté (trahi ?) par sa mère qui choisit son beau-père pour amant. L’altération de l’altérité aurait son origine dans cette séparation mère-fils sans recours identificatoire vers le père biologique, après toute une période de séduction sans fonction paternelle différenciatrice. La perte se conjugue à la violence des liens de séparation autant qu’à la perte des liens de filiation. L’enfant qu’il fut a donc été clivé, à la fois innocent et coupable et sa confiance dans le témoignage de ses propres sens en fut brisée, formant le mécanisme de défense du clivage du Moi.
L’agir violent commis par le mis en cause fait preuve d’un acte de dé-symbolisation, de dés-identification et de dé-subjectivation afin de nier la rupture des liens énoncés et dénoncés par sa conjointe.
L’enjeu de la psychothérapie, bien au-delà de sa prise en charge par rapport à ses dépendances toxicomaniaques, sera de se réapproprier le jeu par une désappropriation du je afin de ne plus être acteur et spectateur de ses actes de violence sur autrui. Il s’agit en quelque sorte de ne plus ‘s’absenter de lui-même’ de l’horreur de détruire ses liens sentimentaux pour élaborer ses angoisses les plus primitives d’abandon. En thérapie de groupe spécifique à ce type de comportement violent, Jérémy aurait la capacité de construire un espace psychique de symbolisation et de réappropriation subjective pour dépasser ses terreurs internes et prendre conscience de ses liens d’emprise. Faut-il que cet espace soit lié à un cadre judiciaire pour penser et panser la notion de loi, de tiers et surtout d’altérité.
Au-delà du cas de Jérémy, l’emprise peut-elle s’exprimer sur internet par l’embrigadement ? Pourquoi les théories du complot fascinent-elles ?
Répondre à ces deux questions suppose que nous abordions la thématique de la déconstruction idéologique des savoirs. Dans les grandes lignes d’un document déjà diffusé sur ce sujet, nous pourrions faire le constat d’une famille sans père, donc d’une société de pairs. La transmission perdrait sa verticalité au profit d’un enseignement horizontal, les pairs. Que ce soit dans ce cas exposé ou plus généralement, dans le phénomène de radicalisation, il n’existe pas de loup solitaire ni de proie. L’emprise n’est pas une prédation. Laissons les termes de proie et de prédateurs à l’éthologie et au monde animal. L’homme est fait de discours et de représentations psychiques et pas seulement de pulsions. L’emprise suppose le pacte inconscient tissé entre un auteur et sa victime ou entre différents auteurs de faits condamnables.
La théorie de l’Inconscient groupal a démontré l’articulation de deux espaces psychiques en matière d’alliances inconscientes : d’un côté, l’espace du sujet dans sa singularité, conjointement sujet de l’Inconscient et sujet du lien, d’un autre côté, l’espace du lien qui le contient. La fonction du pacte qui renforce les effets de l’emprise est que le lien s’organise et se maintienne dans sa complémentarité d’intérêt. Il permet d’endiguer sur le plan de l’Inconscient les blessures narcissiques rencontrées dans l’enfance des deux contractants. Le pacte demande la subsistance de la fonction de l’Idéal du Moi. Dans un fonctionnement paranoïaque, en règle générale, le sujet est menacé lorsqu’il est brusquement privé du système laborieusement construit qui a permis son intégration sociale. Toutes formes de violence nous plongent narcissiquement dans nos racines acquises ou mal-acquises. C’est cela ce que nous appelons la radicalisation. Le mal-être des racines. Le but des violences radicalisées sur fond de religion obscurantiste ou de théorie du complot est, inconsciemment de préserver l’omnipotence narcissique dans son allégeance au Moi Idéal, selon deux versants séparés par le mécanisme du clivage. Dans toutes les situations de violences radicalisées, le sentiment de persécution est proportionnel à l’idéalisation de l’objet. La loi n’a plus de dimension symbolique, elle n’est plus qu’un code dans les actes de radicalisation qui eux-mêmes se codifient dans un fonctionnement idéalisé. La loi est condamnée à être un outil pour l’allégeance au Moi Idéal dans le but de désigner les injustices.
Finalement, nous pourrions dire qu’au fond de la haine, nous trouvons la peur et le deuil impossible. Y accéder, c’est le début de la thérapie.
Le changement de modèle de société a créé une dé-symbolisation générale. Les violences dites radicalisées représentent l’effondrement de la symbolisation, des capacités cognitives d’un sujet à vivre dans un contrat social. C’est l’échec de la transmission verticale. Nous pourrions tenter cette formulation : ‘Le réel était autrefois l’expression de l’imaginaire tandis qu’aujourd’hui, l’imaginaire semble au service du réel comme dans la paranoïa’. « L’expérience n’est plus une élaboration, elle est une consommation », écrit Michel GAD WOLKOWICZ. La publicité ou le marketing politique qui rendent explicites les fantasmes empêchent de fantasmer. La littérature qui renonce à la métaphore au profit d’un langage supposé direct empêche d’imaginer. Les pathologies de l’Idéal peuvent se résumer par cette citation, celle de Hannah ARENDT : « La parole s’éteint partout où une réalité pose une revendication totale. »
Aux limites de la symbolisation, se présenterait le crime. Pas si sûr ! Etymologiquement d’ailleurs, Krimein, dans la Grèce antique désigne la notion de séparation et de discernement. Donc, le crime signifierait non pas l’accusation d’un acte ou du fait répertorié mais la mise à l’épreuve d’une incrimination, du fait analysé et intégré au jugement critique (Krinein). Il en découle un constat dans l’art de l’expertise judiciaire d’un crime. Ne réduisons pas l’humain à son acte, il doit être l’objet d’une fine analyse, interrogeant le sujet dans son histoire suscitant une articulation entre deux groupes, celui de la Cité, la Polis et celui de ses origines (groupe familial, communauté).
Au cours d’une conférence organisée le 04/10/2018 à CENON, j’ai pu découvrir le rapport des sociologues Laurent BONELLI et de Fabien CARRIE, à la demande de la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Ce rapport fut établi sur une enquête, entre septembre 2016 et décembre 2017 auprès de 133 jeunes mineurs repérés par la Justice comme radicalisés, dont 68 étaient poursuivis pour association de malfaiteurs et affaires de terrorisme. Ce rapport a mis en avant 4 formes de radicalités construites sur 2 critères : d’une part, la régulation familiale et d’autre part, le niveau d’intégration à un groupe extérieur à la famille. Le but fut de sortir de l’impasse des profils. Pour les auteurs de l’étude, la radicalité ne relève pas d’une organisation psychique particulière mais d’une approche relationnelle et contextuelle. Pourtant, nous pourrions dire que les 4 formes identifiées (« l’apaisante », « la rebelle », « l’agonistique » et « l’utopique ») renvoient toutes à la problématique de l’Idéal du Moi.
La radicalité dite « apaisante » renvoie à l’image du corps et à la sexualité, elle apaise un désordre familial et concerne surtout les jeunes filles. La radicalité dite « rebelle » exprime de fortes tensions familiales avec un fort contrôle parental. Elle s’oppose au modèle éducatif des parents. La troisième forme de radicalité nommée « agonistique » concerne plutôt les garçons pris dans une violence à l’intérieur de bandes.
La dernière radicalité, « utopique » est celle des individus motivés par un fort investissement intellectuel mais commettant les actes les plus graves. Une énigme a émergé lors de cette étude. Plus les mineurs sont issus d’environnement familial stable et bien intégré aux niveaux social et économique, par ailleurs inconnus des services judiciaires, plus les sujets sont engagés dans des actes terroristes. Symétriquement, plus les mineurs ont des parcours de vie chaotiques sur le plan scolaire et social, plus ils sont éloignés des comportements terroristes dangereux. L’Idéalisation est extrêmement marquée dans la catégorie « agonistique », le plus souvent signalée (avec des casiers judiciaire et institutionnel très chargés) et où les thèmes de valorisation de l’image de soi semblent correspondre à une identification à l’agresseur. Il s’agit ici d’affronter l’ordre social qui exclut les sujets. Leurs métarécits sont construits sur les théories du complot et permettent une revalorisation narcissique. Notons que les adolescents relevant de la radicalité « utopique », d’après l’étude, ont eu des parents, contrairement aux autres groupes de mineurs, qui ont rompu les liens familiaux d’origine et sont aussi faiblement intégrés dans une communauté en France. Pour ces familles, la seule intégration est l’école d’où le fort investissement des enfants dans le système éducatif qui doivent occuper les positions sociales les plus éloignées de celles de leurs parents. L’intense intellectualisation de ces jeunes est liée également à un sous-investissement de la sexualité. Nous pourrions signifier que l’Idéal du Moi est ici une organisation familiale dans l’inconscient groupal, ce qui exclut toute expression d’exogamie. Le rapport indique un processus d’engagement idéologique en classes de 3ème ou en 2nde avec un « désajustement de l’école ».
Cela pourrait correspondre à deux disqualifications possibles : la réorientation en filière technique susciterait « une trahison du corps enseignant » et la compétition entre élèves bien meilleurs provoquerait au lycée un profond malaise de déclassement tant social, économique qu’intellectuel.
Ce « désajustement » serait une attaque du narcissisme liée à la confrontation entre l’Idéal du Moi groupal et le Moi individuel. Lors de cette période, en quelques mois, pour lutter contre l’effondrement narcissique, la cause radicale crée une pureté militante pour se substituer au projet parental échoué.
Dans cette catégorie des radicalités dites « utopiques », il est observé un regroupement entre jeunes pour limiter le « découragement ». Dans ces moments de vulnérabilité psychique, l’accès à la dépression est soutenu par des djihadistes plus âgés, plus aguerris. Ils sont considérés par l’étude comme des « passeurs de sens idéologique » : « J’ai arrêté de parler à des gens qui ne pensaient pas comme moi », dit l’un des jeunes. La communauté dite émotionnelle se refermerait mais pas forcément avec l’aide de personnes manipulées comme des récepteurs passifs car les individus sont des jeunes créatifs et de bons niveaux. Cependant, nous considérons que la part d’illusion emprunte des mécanismes psychiques d’idéalisation où il est question de pureté et d’utopie lorsque les sociologues de ce rapport recueillent tels ou tels discours du type : « La Syrie résout tous nos problèmes : économiques, l’accès à une maison, les meilleures écoles coraniques ». Il est démontré que les projets d’attentats demeurent peu réalistes sauf cas à part.
Les passages à l’acte sont commis paradoxalement lorsque les individus quittent le groupe pour « sur-jouer » la radicalité. Mais attention, préviennent les deux sociologues, dans de nombreuses situations, les actions et réactions institutionnelles tant judiciaires qu’éducatives renforceraient la radicalité provoquant une course en avant. Une réaction inadaptée aggraverait les faits. D’ailleurs, la prison et les Centres éducatifs fermés ne seraient pas appropriés pour le groupe « utopique ». En conclusion de ce rapport, il existe différentes radicalités et nous pourrions préciser, à la mesure du trauma narcissique et de l’Idéal du Moi. L’approche groupale demeure pertinente dans ces phénomènes inter-psychiques, trans-psychiques et intrapsychiques qui dépendent des trajectoires et des dynamiques familiales, sociales, scolaires et judiciaires. Une des solutions proposées reposent sur le concept de « désescalade » et de banalisation des discours prononcés. Comment faire évoluer une vision politique du monde pour le groupe « utopique » ?
Les militants Corses et Basques liés à des groupuscules armés ont pu réinvestir un capital militant après des années de prison dans une démarche politique.
Mais foncièrement, à propos des radicalités actuelles, il serait question de ré-affiliation symbolique dans la société. Aujourd’hui, avec internet, l’écran numérique fait écran par rapport aux faiblesses du narcissisme. Cela peut concerner toute une génération, tous ceux nés entre 1975 et 2000, dépassant telle ou telle communauté. Une génération née après le premier choc pétrolier et avant le krach boursier. Quelles ont été les transformations psychiques ? Le virtuel supplante l’imaginaire, déforme le réel et déconstruit le symbolique. Donc, pour le problème de la radicalité sous toutes ses formes (que ce soit à propos de l’Islam mais aussi chez les moins jeunes en Occident dans l’adhérence plus qu’à l’adhésion aux théories du complot sur internet ou dans les bandes mafieuses affectant les mineurs en Italie), ce serait l’effraction de l’imaginaire dans le réel dans le sens d’un envahissement. Ce qui fait violence, c’est la violence des liens avant de se transformer en liens de violence. Passer du lien à la relation d’objet, c’est passer de l’angoisse de perte à l’angoisse de castration pour permettre de penser l’effraction du réel dans l’imaginaire. Or, si la première effraction n’est pas contenue, la seconde devient une déflagration psychique. Nous pensons que les programmes de dés-embrigadement des mineurs comme des majeurs, sont à la croisée du monde éducatif, de la culture et de la création artistique avec le soutien de différentes disciplines (anthropologie, philosophie, psychopathologie, islamologie, économie et sociologie). Pourquoi faut-il un traitement nécessairement multidisciplinaire en matière de radicalité ? Parce que ce phénomène est le résultat de nos choix sociétaux. Le monde occidental a édifié un voyeurisme généralisé sur deux visages : celui de l’homme-spectacle et celui de l’homme-transparent, nous explique l’anthropologue Mondher KILANI (2018). Notre société post-moderne fonctionne sur un « cannibalisme de l’œil » par le contrôle généralisé via la puissance des données algorithmiques. Nous sommes passés en quelques décennies de l’homme-spectacle ou voyeurisme de masse à l’homme épié ou la surveillance généralisée et enfin à l’homme-transparent ou à la tentation totalitaire, digne de 1984 de George ORWELL. Trois niveaux de dévoration des êtres et des institutions. Guy DEBORD parlait de Société du spectacle, à partir de la critique situationniste, dans les années 1960. Le spectacle serait le stade suprême de la marchandise. Le fond du problème des violences extrêmes est lié à cette orgie ophtalmique dans laquelle nous participons. Le divertissement fait diversion. Rire et ironiser pour ne pas s’engager et se remettre en question.
Cela génère d’un côté, la montée du populisme et de l’autre cela favorise la radicalité. L’un comme l’autre renvoient au repli identitaire et à une profonde altération de l’altérité pour échapper au panoptikon contemporain, inspiré par Jeremy BENTHAM. Les mécanismes de défense empruntés sont alors le clivage, le déni de l’autre, la projection et le sentiment de persécution, ce qui correspond au fonctionnement paranoïaque.
Le dispositif panoptique révèle le clivage paranoïaque ou la culture des « antis » qui devient le vecteur de différentes radicalisations, quelle que soit la cause ou le présupposé idéologique : djihadiste, mafieux, écolo-militantisme (« zadistes », zones à défendre), les « antispecistes », défenseurs radicalisés pour la protection animale, les activistes anti-avortement. Quel est le point commun à toutes ces radicalités ? L’échec du conflit dans lequel l’Idéal du Moi a écrasé le Surmoi.
Il cède à la violence lorsque l’Autre a perdu son humanité. Or, c’est précisément ce que signifie la notion « d’anthropémie », chère à Claude LEVI-STRAUSS dans Tristes Tropiques (1955). Du grec émein, signifiant l’action de vomir, cela définit la propension de la société moderne à expulser hors de soi les êtres qu’elle rejette et à les reléguer dans des espaces clos édifiés à cet usage. Les radicalités seraient l’expression du totalitarisme biopolitique ou le gouvernement des corps. A la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème, où le pouvoir de l’Ancien Régime consistait à prendre la vie, « faire mourir ou laisser vivre », aujourd’hui, le pouvoir consiste à gérer la vie, à « faire » vivre et à « laisser » mourir. Pour Mondher KILANI, « Dans le nouveau modèle de société, le pouvoir s’y fait plus souple et diffus afin de ne pas ralentir le flux des richesses, du travail et des capitaux, tout en empruntant une technologie disciplinaire visant à augmenter la productivité de l’individu et à diminuer son potentiel d’insubordination. La biopolitique est l’ensemble des politiques modernes de régulation de la vie dans le domaine de la santé, de la sexualité, de la natalité, de l’hygiène, etc. (…) En effet, les nouveaux savoirs et les nouvelles techniques telles que la biométrie, le séquençage génétique, le fichage génétique, la cybernétique, l’espace numérique convergent pour constituer aujourd’hui une véritable ‘industrie de la vie’… son pouvoir démultiplié de surveillance et d’engloutissement des individus et des consciences, sans limite et sans réciprocité. » (Ibid., p 292). Le big data récolte automatiquement en effet au profit des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), 80 % des informations de l’humanité !
L’Idéal numérique totalitaire constitue une gigantesque orgie de données avalées de façon insatiable, incontrôlée démocratiquement et ce, dans une servitude volontaire de transparence et de docilité. Nous sommes progressivement en train de renoncer à nos libertés pour accueillir un bonheur virtuel. « Il s’agit désormais de détecter automatiquement nos ‘potentialités’, nos propensions, ce que nous pourrions désirer, ce que nous serions capables de commettre, sans que nous en soyons nous-mêmes parfois même conscients. » (Ibid., p 296). Nous sommes bien au-delà de ce qu’Etienne De La BOETIE, il y a plus de 400 ans avait décrit comme le cœur de tout pouvoir tyrannique. Après les corps, c’est l’esprit qui devient la ressource de base de l’économie de marché qui capture les altérités et leur psyché. In fine, « la logique de la dévoration généralisée réside dans le triomphe de la raison utilitaire sur la raison culturelle, de la valeur marchande sur l’échange social, du signe sur le symbole », résume Mondher KILANI (2018, p 323). Cette logique se débarrasse de la ‘dialectique du même et de l’autre’ : le migrant, le déviant, le déporté. Toutes les diversités et différences s’estompent au profit de l’unique loi du marché. La métaphore de l’anthropophagie révèle une vision totalitaire qui dévore les identités, les altérités, les pensées les plus intimes.
« La violence exaltée est la manifestation de la fascination pour la mort qui caractérise la position idéologique victimaire », nous dit R. KAËS (2018, p 219). Tout univers concentrationnaire est « la tentative froidement folle d’enfermement de la mort, pour la contrôler, la contempler, la laisser triompher », poursuit-il, par l’idéalisation de la mort pour se protéger de l’apparent paradoxe de pouvoir vivre avec elle. Si l’idéologie radicale repose sur un projet d’immortalité soutenu par le groupe, c’est par le groupe et à l’intérieur de celui-ci que l’individu se libérera de cet enfermement, dans un processus de dégagement de la position idéologique, en éprouvant sa vulnérabilité, dans un espace transitionnel. C’est dans l’intervalle entre position schizo-paranoïde et position dépressive que peut se dénouer le narcissisme idéologique. Nul besoin de consolider ce qui est fissuré comme les ‘garants méta-sociaux de la société’, selon l’expression d’Alain TOURAINE, encadrant la vie sociale et culturelle tels que : mythes, croyances, religions, institutions culturelles et politiques, autorité et hiérarchie. Pour R. KAËS (2018), il convient de sortir de la radicalité et des comportements destructeurs en tenant compte des trois dimensions de la position idéologique :
La toute-puissance de l’Idée, la tyrannie de l’Idéal et l’allégeance à l’Idole. Face à la terreur – la plus extrême et agonistique, trois actions : nommer, penser, héberger. Nous devons nommer le Mal radical. Cela réduit sa portée toute-puissante et cela introduit l’altérité irrémédiable, irréductible et indestructible. Deuxièmement, penser ce qui est à l’origine de la terreur pour dissiper l’affect envahissant, pénétrant et sidérant. Troisièmement, héberger pour nier le déni de l’Autre, pour accueillir la parole et retisser des liens d’humanité dans un monde vivant.
Aux limites de nos patients s’ajoutent donc les limites des professionnels de la prise en charge des pathologies de l’Idéal. L’acte criminel se réduirait à la rencontre du corps et de la sensation liée aux expériences précoces non intégrées. C’est donc sur les traces de cette histoire énigmatique et perdue aux confins de la subjectivité que le clinicien est convié. Comment construire le manque lorsque tout est perte ? Comment penser l’angoisse de castration lorsque l’angoisse de séparation voire de perte d’objet sont au premier plan ? Comment élaborer un Surmoi lorsqu’il n’y a qu’un Idéal du Moi ? Par le jeu, l’aire transitionnelle et l’objet transitionnel.
L’activité de symbolisation se met au travail par le plaisir qu’a l’enfant à jouer avec son doudou pour se représenter et supporter l’absence de la mère. La représentation théâtrale « Lettres à Nour », tiré de l’ouvrage : « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? » de Rachid BENZINE, islamologue, politologue et enseignant-chercheur associé au Fonds Paul RICOEUR est parfaitement éclairante pour cette hypothèse de travail. Le but est efficace, celui de toucher les cœurs pour secouer nos idées dans la tête. Dans un autre domaine artistique, comment ne pas être transporté par le timbre de la voix et le charme de la violoncelliste virtuose et compositrice franco-algérienne Nesrine BELMOKH ? Le premier album « NES » titrait « AHLAM », le rêve en arabe est à savourer.
A SUIVRE, PARTIE 2