LES RAPPORTS COMPLEXES ENTRE LA VICTIMOLOGIE ET LA PSYCHOTRAUMATOLOGIE EN FRANCE

Secrétaire de la rédaction

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Directeur de publication

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RÉSUMÉ :

La psychotraumatologie et la victimologie ont longtemps été deux disciplines qui ont éprouvé des difficultés à s’affranchir l’une de l’autre à la suite d’une confusion, la psychotraumatologie ayant été dénommé par maladresse « victimologie clinique » par l’un des fondateurs de ces deux disciplines. Peu à peu la confusion a été levée grâce à la création d’un diplôme universitaire de psychotraumatologie et un livre publié en 2006. La psychotraumatologie est la discipline médicale qui s’intéresse aux événements traumatiques du point de vue de la clinique et de la recherche. Elle a désormais conquis ses lettres de noblesse en France avec une bibliographie dédiée, des associations spécifiques, des services hospitaliers de psychotraumatologie et un réseau national de recherche en psychotraumatologie. Mais ces deux disciplines sont indéfectiblement liées l’une à l’autre parce que la prise en charge d’un psychotraumatisé ne peut se concevoir sans un accompagnement social et judiciaire.

* * *

La victimologie est une transdiscipline qui est apparue juste après la première guerre mondiale à l’initiative de juristes : Benjamin Mendelsohn, un pénaliste roumain qui va émigrer en Israël, et Hans von Hentig un allemand émigré aux Etats-Unis.

Pendant longtemps les professionnels de santé se désintéresseront de cette discipline, à tel point que Marie-Pierre de Liège, magistrate chargée par le ministère de la justice d’élaborer les premiers instruments internationaux destinés à fonder un statut juridique aux victimes, comme l’incontournable résolution ONU 40/34 du 11 décembre 1985 portant « Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir », raconte qu’elle n’a pu trouver un médecin ou un psychologue pour participer aux travaux de l’ONU.

En 1984, Micheline Baril, une criminologue québécoise, va être la première à décrire le vécu des victimes d’infraction psychotraumatisées dans sa thèse de doctorat intitulée « L’envers du crime ». Elle va créer l’Association québécoise Plaidoyer Victime.

La victimologie est représentée par la Société Mondiale de Victimologie dans laquelle ne siègera, pendant longtemps, aucun professionnel de santé.

Dans les années 1980, les médecins et les psychologues se désintéressent encore, pour la plupart, de la névrose traumatique décrite par Freud. La psychanalyse qui est alors le seul référentiel théorique en France, se préoccupe de la « réalité psychique » et des traumatismes fantasmatiques, et non pas des conséquences des événements traumatiques réels.

La névrose traumatique va faire une apparition remarquée dans le DSM 3 en 1980 sous un nouveau nom, l’état de stress post traumatique (ESPT) à la suite du retour de nombreux GIs psychotraumatisés au Vietnam. Une nouvelle discipline est fondée, la psychotraumatologie et une association va prendre son essor, l’International Society for Traumatique Stress Studies (ISTSS). Il faudra encore attendre pour que des manifestations cliniques propre à l’ESPT de l’enfant soit actées dans le DSM-III-R (1987).

En France, Claude Barrois, professeur agrégé du Val-de-Grâce, publie le livre de référence consacré à la névrose traumatique  en 1988 (1). En fait, seuls les médecins militaires s’occupent à cette époque de psychotraumatologie. Le Dr Louis Crocq, médecin général, crée un diplôme consacré au stress à l’Université Paris Descartes et en 1990 l’Association de Langue Française pour l’Etude du Stress et du Trauma (ALFEST), branche française de l’ISTSS. L’enseignement dispensé est purement psychotraumatologique sans que ne soit sérieusement abordé l’objet même de la victimologie, l’accompagnement sociale et judiciaire en réseau. A titre d’exemple aucun juriste, aucune association n’est invitée à participer à cet enseignement.

En 1993, Marie-Pierre de Liège, Gina Filizzola-Piffaut et Gérard Lopez créent, toujours à Paris Descartes, le premier diplôme universitaire de victimologie sous la direction du Pr Michèle Rudler. Ce diplôme remporte immédiatement un vif succès. René Girard l’inaugure. Des magistrats, des avocats, des juristes, des associations, des philosophes, des sociologues, des professionnels de santé, abordent la problématique victimaire sous tous ses aspects, dans le cadre d’une victimologie générale qui s’affranchit du droit et de la criminologie. Les Dr Lopez et Serge Bornstein publient le premier livre consacré à la victimologie en 1995 et le Dr Lopez le traité de référence chez Dunod (2) en 1997. Ces deux livres qui abordent toutes les dimensions de la victimologie : sciences humaines et sociales, criminologie, droit, accompagnement social, accompagnement juridique, commettent l’erreur, par ignorance, de parler de « victimologie clinique » pour qualifier l’approche médico-psychologique, au lieu de parler de psychotraumatologie. Le succès de ces deux ouvrages va être à l’origine d’une confusion durable en France entre victimologie et psychotraumatologie. Les professionnels de santé ne vont s’intéresser pendant longtemps à la « victimologie » que par le petit bout de la lorgnette en oubliant les disciplines fondatrices de la victimologie, lesquelles sont pourtant indispensables pour aider une victime à se reconstruire.

En 1999, le Pr Robert Cario, crée un master de criminologie et de droit des victimes à l’université de Pau et des pays de l’Adour où est enseignée la psychotraumatologie. Un an plus tard il publie un traité de victimologie (3). La criminologue de l’université de Montréal, successeur de l’incomparable Micheline Baril, publie un autre ouvrage de victimologie en langue française (4) en 2003.

Nouvelle maladresse, nouvelle confusion, les psychiatres Aurore Sabouraud-Seguin et Lopez et Jean Gortais, psychologue, maitre de conférence à l’Université à l’Université Paris 7, créent en novembre 1994 l’Institut de Victimologie qui ouvre la première consultation de psychotraumatologie à Paris sous le nom de Centre de psychothérapie des victimes. Celui-ci deviendra quelques années plus tard le Centre du psychotrauma. Il est décidément difficile d’appeler les choses par leur nom.

En 1994, le Dr Xavier Emmanuelli, enseignant au DU de victimologie, est nommé secrétaire d’Etat à l’Action humanitaire d’urgence. Il confie aux Dr Lopez, Philippe Werson (médecin légiste), Sam Benayoun (spécialiste de réparation juridique du dommage corporel), Patrick Lagadec (spécialiste de gestion des crises), Françoise Rudetski (présidente de SOS Attentats) notamment, la mission de créer une cellule de débriefing dans un esprit transdisciplinaire, c’est à dire victimologique, pour gérer les crises qu’entrainent les catastrophes et les accidents collectifs à l’exemple de ce qui se pratique dans les pays anglo-saxons. Le Pr Claude Chemtob, alors directeur de l’hôpital des vétérans de Hawaï, qui a fait de nombreux débriefings après les cyclones qui frappent régulièrement les iles du Pacifique, conseille judicieusement cette équipe. Le secrétaire d’État exhorte à la patience, parce que les circonstances ne lui paraissent pas favorables. L’attentat du RER B à Saint-Michel le 25 juillet 1995 permettra la création de la Cellule d’Urgence Médico-Psychologique (CUMP) à la demande de Jacques Chirac. Elle sera fondée sur les travaux de l’équipe qui travaillait depuis 1 an. Cette cellule composée des psychiatres François Lebigot, Gérard Lopez, Patrice Louville, Guy Thomas, du médecin légiste Odile Diamant-Berger et de Carole Damiani, psychologue à l’Institut national d’aide au victimes et de médiation fondée par Marie-Pierre de Liège, co-fondatrice du D.U. de victimologie, voit immédiatement le jour. Sa direction est confiée au Dr Louis Crocq. Le Dr Louville dirige la première CUMP rattachée au Samu de Paris. Cet événement considérable sensibilise psychiatres et psychologues aux conséquences des événements traumatiques. La psychotraumatologie va pouvoir se développer. De nouvelles figurent apparaissent. Le Dr Louis Jehel va ouvrir le premier service hospitalier de suicidologie et de psychotraumatologie à l’hôpital Tenon AP-HP puis à la Martinique où il est nommé professeur des universités. Avec les dynamiques psychiatres lillois, Pr Guillaume Vaiva et Dr François Ducrocq, le Dr Jehel crée l’Association pour la formation des CUMP –  association française de psychotraumatologie. Il participe également à la création du premier diplôme universitaire de psychotraumatologie à l’Université Paris Descartes avec le Dr Gérard Lopez, sous la direction du Pr Christian Hervé. Ce diplôme se démarque nettement de la victimologie comme l’indiquent ses objectifs en ces termes :

  • La psychotraumatologie, discipline faisant l’objet d’une des plus grandes bases de données scientifiques internationales ( http://www.istss.org ) n’est pas enseignée en France comme l’est la victimologie, interdiscipline concernant l’accompagnement social et judiciaire des victimes et la recherche sur la cause des victimisations sur le plan sociologique.
  • Ce diplôme a pour objectif de former les médecins, biologistes, psychologues et infirmiers spécialisés pour intervenir auprès des personnes souffrant de psychotraumatismes, d’acquérir les connaissances biologiques, neurobiologiques, pharmacologiques, cliniques et psychothérapeutiques concernant les conséquences des traumatismes psychologiques et leurs traitements. Cette discipline est nouvelle en France.

Le premier livre de psychotraumatologie paraît en 2006 aux éditions Dunod. D’autres ont suivis depuis. La psychotraumatologie est devenue la discipline probablement la plus étudiée dans le champ de la psychiatrie et de la psychologie mondiale comme en témoigne le nombre considérable de travaux publiés dans les bases de données de l’ISTSS ou dans PubMed le principal moteur de recherche de données bibliographiques de l’ensemble des domaines de spécialisation de la biologie et de la médecine.

En 2007, le Pr René Garcia et de nombreux chercheurs, créent le réseau ABC (Approches Biologiques et Cliniques) des Psychotraumas avec 9 équipes organisées comme suit :

  • Equipe 1 : Vulnérabilité à la Retraumatisation à Nice (Responsable : René Garcia)
  • Equipe 2 : Facteurs de vulnérabilité et de protection au psychotraumatisme à Lille (Responsable : Guillaume Vaiva)
  • Equipe 3 : Marqueurs biologiques des psychotraumatismes à Montpellier (Responsables : Marie-Laure Ancelin et Isabelle Chaudieu)
  • Equipe 4 : Facteurs péritraumatiques – Thérapeutiques innovantes à Toulouse (Responsable : Philippe Birmes)
  • Equipe 5 : Neuropsychologie et neuroanatomie fonctionnelle du stress traumatique à Caen (Responsable : Jacques Dayan)
  • Equipe 6 : Neurophysiologie et psychophysiologie des émotions et du stress traumatique à Marseille (Responsable : Stéphanie Khalfa)
  • Equipe 7 : Reconsolidation mnésique et trouble de stress post-traumatique à Toulouse (Responsable : Pascal Roullet)
  • Équipe 8 : Troubles affectifs à Tours (Responsable : Wissam El Hage)
  • Équipe 9 : Mécanismes de transition des états de stress aigu vers les états de stress chronique à La Tronche (Responsable : Frédéric Canini)

La psychotraumatologie vit désormais sa vie affranchie de la victimologie, mais il fait souligner avec force que ses 2 disciplines ont des rapports très étroits et qu’il serait illusoire de traiter un psychotraumatisé sans une approche victimologique en réseau pour lui assurer un bon accompagnement social et judiciaire.

NOTES

(1) Barrois C. (1988). Les névroses traumatiques. Paris : Dunod, 2ème édition 2004

(2) Lopez G. (1997). Victimologie. Paris : Dalloz

(3) Cario R. (2000). Victimologie : De l’effraction du lien intersubjectif à la restauration sociale. Paris :  L’Harmattan, 2011, 4e éd.

(4) Wemmers J.-O. (2003). Introduction à la victimologie. Montréal : P.U.M.

(5) Jehel L, Lopez G. et Col. (2006).  Psychotraumatologie. Paris : Dunod.

Dr Gérard Lopez

Secrétaire de rédaction de “Thyma”

Président fondateur de l’Institut de Victimologie

Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, Université Paris Descartes

Pr Louis Jehel (PU-PH), MD, PhD

Directeur de publication de “Thyma”

Département de Psychiatrie et Psychologie Médicale

Psychotraumatologie & Addictologie, Unité Sanitaire

CHU de Martinique

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