LES SEJOURS DE RESILIENCE D’INNOCENCE EN DANGER (IED)

Homayra Sellier Présidente d'IED

Homayra Sellier
Présidente d’IED

Azucena Chavez, Psychologue clinicienne, Centre du Psychotrauma de l’Institut de Victimologie de Paris.

Gérard Lopez, Psychiatre, vice-Président du Conseil national professionnel de médecine légale.

Résumé

IED organise des séjours dits de « résilience » avec des enfants et leur parents. Les activités sont purement ludiques. L’encadrement est formé à contenir les troubles du comportement que risquent de présenter des enfants ayant subi des événements traumatiques pour ne pas répéter le scénario traumatique, tel que cela pourrait se produire dans une colonie de vacances. Les parents organisent un groupe de parole informel où ils se soutiennent. Des professionnels de la santé sont présents pour offrir un soutien aux enfants, aux encadrants et aux parents. Les séjours offrent des facteurs de résilience aux enfants et aux parents en créant du lien social par des activités valorisantes dans un cadre soutenant. Une étude réalisée en Allemagne serait en cours de validation.

Mots clés

Séjour de résilience – Maltraitance à enfant – Scénario traumatique – Répétition littérale – Complications judiciaires – Groupe de parole – Lien social

* * *

IED (http://www.innocenceendanger.org), association loi 1901, parmi ses nombreuses actions, organise des séjours dits de « résilience » dans différents pays : Colombie, Angleterre, Allemagne, Etats-Unis, Suisse. IED espère pouvoir obtenir des subventions pour en faire de même en France.

A la suite de notre participation à un séjour d’été en Suisse, nous étudierons successivement : l’organisation des stages et notamment celui auquel nous avons participé ; nous décrirons le rôle des différents participants, avant de discuter du bien fondé de l’appellation « séjour de résilience ».

I. L’ORGANISATION DU SEJOUR

 Les séjours sont entièrement gratuits, financés par des donateurs.

1- Les enfants

Les enfants sont majoritairement français. Ils ont subi différents événements traumatiques : 3 enfants victimes d’un enseignant pédophile et 6 enfants et adolescents qui ont subi les affres de violences sexuelles longtemps considérées comme étant consécutives à des manipulations maternelles avant que la justice rétablisse la vérité. Soit 10 mineurs au total.

2- Les parents

Les parents sont invités par IED.

Ce sont essentiellement des mères qui ont vécu des parcours judiciaires douloureux dont une « cavale » de 7 ans pour l’une d’entre elles. Un père de famille est présent avec son épouse.

Les parents des enfants victimes d’un enseignant ont créé une association de victimes.

Ils participent à toutes les activités et peuvent échanger entre eux ou avec les professionnels présents.

3- Les encadrants

Entourant Homayra Sellier, la présidente, il s’agit de la directrice d’IED Suisse, de deux art-thérapeutes, deux cuisinières, d’une vidéaste, et de psys, psychologue et/ou psychiatre, qui se relaient toutes les semaines environ.

Une stagiaire psychologue en master 1 de psychologie clinique est chargée de faire un compte rendu du séjour.

Une bénévole de l’association vivant sur place participe à l’organisation.

Les psy participent plus ou moins aux activités ; ils sont à la disposition des enfants et des parents qui voudraient s’adresser à eux ; ils participent au staff de fin de journée de 18 à 19 heures avant le dîner avec les encadrants , les parents et les enfants.

La vidéaste réalise un reportage sans jamais filmer un enfant mais uniquement les activités pour des raisons éthiques.

Deux avocates genevoises spécialisées dans le droit de la famille sont venues en qualité d’observatrices, ignorant ce que pouvait signifier un séjour dit de résilience.

4- Les activités

Elles sont exclusivement ludiques : activités artistiques (dessins, confection de masques, peinture sur toile), yoga, promenades en montagne, sports (tennis de table, basket, bowling, natation), visite d’une ferme laitière, accrobranche pour les plus grands, cinéma le soir.

Il est clairement établi qu’il ne s’agit pas d’un séjour à visée psychothérapeutique.

II. LE SEJOUR N’EST PAS L’EQUIVALENT D’UNE COLONIE DE VACANCES

1- La prise en compte des troubles liés aux maltraitances

Bien que la majeure partie des activités soit ludique, tous les intervenants, malgré leur manque d’expérience parfois, savent qu’ils sont en relation avec des enfants qui ont subi des maltraitances et que par conséquent ils doivent établir une relation de confiance qui ne répète aucun aspect du scénario traumatique. Les enfants qui ont subi des événements traumatiques répétés présentent comme principaux troubles : 1) un manque de confiance en soi et en toute forme d’aide possible ; 2) de grandes difficultés à gérer les émotions (impulsivité, troubles caractériels, hyper émotivité, troubles dissociatifs) ; 3) une tendance à répéter littéralement le scénario traumatique responsable des troubles [1]. Les éventuels problèmes comportementaux des enfants sont évoqués lors de la réunion quotidienne et traités en présence des psys qui leur dispensent ainsi une formation de façon informelle.

Ce n’est évidemment pas le cas dans une colonie de vacances où les troubles comportementaux que présentent les enfants psychotraumatisés entrainent des réactions de rejet qui sont une forme de répétition du scénario traumatique. Cette répétition ruine totalement les effets bénéfiques escomptés d’un séjour de rupture avec le milieu maltraitant. Rappelons que 10% des enfants sont maltraités dans les pays à hauts revenus [2] et que les moniteurs et autres encadrants ne bénéficient d’aucune formation.

Les règles de conduites sont discutées et acceptées de façon démocratique avec les enfants et les parents au début du séjour pour éviter de tomber dans le piège d’un autre aspect du scénario traumatique habituel : pendant le séjour ce n’est pas la loi du plus fort qui s’impose [3]. Les adolescents s’engagent librement à ne pas avoir des rapports sexuels pendant le séjour, sachant que les survivants de violences sexuelles présentent davantage de conduites sexuelles à risque : rapports non protégés, maladies sexuellement transmissibles, grossesses non désirées, interruptions volontaires de grossesse, comme l’ont démontré de nombreuses enquêtes et notamment « L’enquête sur les comportements sexistes et les violences envers les filles (CSVF) » réalisée par l’Observatoire de la violence de Seine Saint Denis en 2007 [4].

2- Les parents organisent un groupe de paroles spontané

Au bout de quelques jours, les parents, en grande majorité des mères, organisent un groupe de parole spontané. Ils évoquent leurs difficultés avec la justice, les expertises, les travailleurs sociaux, les enquêteurs sociaux dont l’incompétence présumée entraine une colère d’autant plus justifiée qu’il leur a fallu plusieurs années pour faire invalider des expertises ou des enquêtes sociales où il était dans tous les cas question du syndrome d’aliénation parentale.

Les parents échangent des informations sur les bonnes stratégies judiciaires et se plaignent tous de n’avoir pas été correctement renseignés et accompagnés au début de la procédure.

Une mère a décidé de rédiger un « Guide de survie de la mère en détresse » avec l’aide des parents présents.

Les psy se trouvent parfois engagés dans les discussions entre parents et apportent à l’occasion un éclairage exclusivement en rapport avec leurs compétences.

La présence d’un père de famille et d’un psychiatre a été bénéfique comme source d’identification positive pour les enfants qui ont le plus souvent rencontré des problèmes avec leur père.

Globalement, le séjour, très agréable, permet aux parents de se ressourcer et de s’occuper agréablement de leurs enfants.

3- Le rôle des professionnels de santé

Les psys ne sont pas en situation de soins, sauf si une situation d’urgence psychologique se présentait. Ce ne fut pas le cas pendant ce séjour.

Ils participent aux réunions de synthèse quotidienne et apporte leurs lumières, notamment en cas de difficultés comportementales avec un enfant ou plus souvent un adolescent.

Ils jouent un rôle de formateur informel sur le psychotraumatisme et ses conséquences.

Ils participent au « groupe de parole » qu’organisent les parents.

Ils renforcent leur expérience sur les difficultés que rencontrent certains parents et sur les stratégies utiles pour éviter les pièges judiciaires.

Ils sont bien acceptés par les enfants avec lesquels ils participent à des activités ludiques.

III. S’AGIT-IL D’UN SEJOUR DE RESILIENCE ?

1- La résilience

La recherche consacrée à la résilience [5] a essentiellement étudié les enfants vivant dans des conditions difficiles comme la pauvreté, la maladie mentale d’un parent, la guerre civile ou la maladie physique chronique. Elle postule qu’il n’est pas facile de proposer une thérapie à des milliers d’enfants vivant dans des conditions difficiles, mais qu’on peut en revanche mettre en place de simples facteurs externes susceptibles de les aider à mieux rebondir.

Les facteurs de résilience, à la fois interne mais essentiellement externes, répertoriés dans la littérature scientifiques sont toujours à peu près les mêmes. Mais dans une logique anglo-saxonne… éloignée des envolées théoriques et des affirmations d’experts, il s’agit d’évaluer, quantifier scientifiquement leur efficacité.

Garmezy [6], par exemple, a évalué le rôle protecteur des facteurs de résilience suivants :

  • une bonne relation avec, au minimum, un adulte référent ;
  • de bonnes capacités à faire activement face aux problèmes (coping) ;
  • une facilité à créer de bonnes relations interpersonnelles ;
  • une compétence reconnue, dans un domaine particulier, par l’enfant et par son entourage social.

Rutter [7] quant à lui inscrit les facteurs de protection dans le long terme et propose :

  • l’existence d’un domaine protégé (famille, école, quartier, état de santé) ;
  • des expériences positives auprès d’adultes, de pairs, dans des situations soutenantes et valorisantes ;
  • un système de croyances ou de valeurs qui permet de donner un sens aux événements.

Globalement, tout ce qui favorise les liens sociaux constitue un facteur protecteur. A ce titre, un bon accompagnement social et judiciaire constitue un facteur de protection. Le concept de résilience permet l’élaboration de programmes de prévention auprès des enfants à risque en se livrant à une évaluation scientifique des facteurs de soutien qui permettent de les aider à rebondir selon les critères de la « médecine fondée sur des preuves ».

2- Limites des séjours

Les enfants accueillis durant le stage, bien qu’ayant été victimes de violences répétées, ne présentent pas des troubles psychotraumatiques trop sévères et ont pu retrouver une stabilité familiale quand la procédure a restitué la résidence exclusive à leur mère.

Il est difficile de savoir quels seraient la faisabilité et les bénéfices de séjours avec des enfants très déstructurés.

3- L’étude d’IED Allemagne

Les programmes élaborés avec le concept de résilience anglo-saxon ne peuvent se concevoir sans une évaluation de leur efficacité. Si un facteur ne l’est pas, les chercheurs en expérimentent un autre qu’ils évaluent.

Ce serait précisément le cas. Une étude réalisée en Allemagne par IED en cours de publication, prouverait que les séjours organisés par IED auraient des effets bénéfiques durables pour les enfants et leurs parents.

NOTES

[1] Lopez G., Enfants violés et violentés : le scandale ignoré, Paris, Dunod, 2013

[2] Gilbert R., Widom C. S., Browne K., Ferguson D., Webb E., Janson S., Child Maltreatment 1. Burden and consequences in high-income countries, 3 décembre 2008, www.thelancet.com, 2009

[3] Chavez A., « La thérapie des enfants victimes » in Lopez G. et al., Traiter les psychotraumatismes, Paris, Dunod, 2016

[4] Observatoire de la violence du CG 93, Enquête sur les comportements sexistes et les violences envers les filles, https://www.seine-saint-denis.fr/IMG/pdf/lettre_violencemars_202007_exe.pdf, 2007

[5] Sadlier K., L’état de stress post traumatique chez l’enfant, Paris, PUF, 2001

[6] Garmezy N., « Stressors of childhood », in Garmezy N, Rutter M (Eds.) Stress, coping and development in children, NY, McGraw-Hill, 1983

[7] Rutter M., Giller H., Hagell A., Antisocial Behaviour by Young People, Cambridge University Press, 1998

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