Sylvain JACOPIN
- MCF en droit privé et sciences criminelles
- Membre de l’Institut Demolombe, et du C.R.D.F.E.D
- Université de Caen-Normandie
« L’ETAT D’URGENCE » FACE AU TERRORISME
LES MESURES ADMINISTRATIVES CONFRONTEES AU DROIT PENAL
« L’État d’urgence n’est pas le contraire de l’État de droit ; il en est, quand la situation l’exige, le bouclier », déclarait le ministère de l’intérieur à l’occasion de l’adoption de la loi du 20 novembre 2015.
Face à la menace terroriste, et confronté aux évènements du « vendredi noir », qui se sont déroulés à Paris le 13 novembre 2015, a été adopté « l’Etat d’urgence »[1]. Une législation d’exception, des mesures d’exception. De quoi s’agit-il ? Comment apprécier ces mesures de police administrative sui generis au regard du droit pénal ?
De l’Etat d’urgence décrété, à l’Etat d’urgence légalisé
Ce sont les décrets n°2015-1475 (NOR INTD 1527633D) et n°2015-1476 (NOR INTD 1527634D) en date du 14 novembre 2015 qui ont déclaré l’état d’urgence à compter du 14 novembre 2015, à 0 heure, pour la France métropolitaine et la Corse, avec une extension par un décret n° 2015-1493 (NOR INTD1527976D) du 18 novembre pour l’Outre-mer (v. Dalloz actualité, 17 nov. 2015, obs. C. Fleuriot). Deux circulaires du 14 novembre 2015, provenant respectivement du ministère de l’intérieur et du garde des Sceaux ont été prises pour leur mise en oeuvre.
La loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions a été publiée le 21 novembre au Journal Officiel. Elle a été adoptée en trois jours : présentation en conseil des ministres le 18 novembre, adoption par l’Assemblée le 20, par le Sénat le 21, entrée en vigueur samedi 22 novembre (avant la fin de la période des 12 jours de l’Etat d’urgence décrété). La prorogation de l’état d’urgence est de trois mois.
Dans son avis rendu public[2], le Conseil d’État a pu rappeler que la loi du 3 avril 1955 n’a pas été abrogée par la Constitution de 1958, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel à propos de l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie (n° 85-187 DC du 25 janvier 1985), et qu’elle est compatible avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Ass, 24 mars 2006, Rolin et Boisvert, requête n° 286834[3]). Pour le Conseil d’Etat, « eu égard à la nature de l’attaque dont a été victime notre pays et à la persistance des dangers d’agression terroristes auxquels il demeure », la déclaration et la prorogation de l’état d’urgence « sont justifiées » et son application à l’ensemble du territoire « proportionnée aux circonstances »[4].
Bref rappel historique
La législation sur l’état d’urgence a été instituée à l’occasion de la guerre d’Algérie (suite à l’insurrection menée par le Front de Libération National algérien) et mise en place durant cette période (pendant douze mois dès 1955 – loi n° 55-385, 3 avr. 1955, puis réitérée ensuite à deux reprises, en 1958 – pendant quinze jours, et en 1961 – pendant deux années), ainsi que lors des événements intervenus en 1984 en Nouvelle Calédonie (dans un contexte de décolonisation – pendant six mois) ou, plus récemment, lors des violences urbaines survenues en octobre 2005 (pendant deux mois, avant même la fin de la période de prolongation). Son régime, qui est organisé par la loi du 3 avril 1955, modifiée notamment par l’ordonnance no 60-372 du 15 avril 1960, est proche de celui de l’état de siège, la principale différence résidant dans le fait que cette dernière procédure investit l’autorité militaire.
De lega lata
Il convient de préciser que le législateur n’a pas attendu la déclaration de l’état d’urgence pour accroitre les pouvoirs de police sui generis de l’autorité administrative, et en particulier ceux du ministère de l’intérieur dans la lutte contre le terrorisme.
Il suffit de citer à titre d’exemple deux mesures administratives pouvant être prononcées par le ministère de l’intérieur (issues de loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme)[5]. Contrairement aux mesures administratives inhérentes à « l’état d’urgence », il s’agit ici de viser spécifiquement des faits de terrorisme :
1° Le blocage administratif des sites à contenu terroriste (provocation ou apologie)[6], prévu dans le cadre de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et décidé, au sein de la Direction générale de la police nationale (et donc sous l’égide du ministère de l’intérieur), par l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (c’est le décret n° 2015-125 du 5 février 2015 qui le précise), et le déréférencement administratif de ces sites (pour les faire disparaître des Google, Bing et autres « annuaires » Internet) dont la procédure est entrée en vigueur suivant le décret n° 2015-253 du 4 mars 2015[7].
2° L’interdiction de sortie administrative du territoire, prévue dans le Code de la sécurité intérieure (article 224-1), décidée par la ministre de l’Intérieur, pour tout ressortissant français à l’encontre duquel existeraient des « raisons sérieuses » de penser qu’il projette[8] des déplacements à l’étranger pour participer à des activités terroristes ou sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes, avec confiscations en pratique des titres d’identité de la personne (carte d’identité, et le passeport), et, « en contrepartie », la remise d’un document-récépissé justifiant de l’identité et précisant que toute sortie du territoire est interdite en vertu des dispositions de l’article 224-1 CSI[9]– sorte de « carte terroriste potentiel », pour reprendre la formule de l’avocat à l’origine d’une QPC portant sur la constitutionnalité d’un tel dispositif[10].
Ces dernières années, les législations anti-terrorisme ont ainsi conféré davantage de pouvoirs à la police administrative, lesquels débordent largement du droit administratif classique préventif dans la mesure où il vient en quelque sorte « concurrencer » le droit pénal sur son propre terrain, mais sans l’intervention du juge judiciaire et sans les garanties processuelles qui lui sont propres, opérant une confusion des genres et une mutation du droit punitif, le risque d’un tel procédé étant alors une absorption du droit pénal par le droit administratif.
Il suffit pour s’en convaincre de rappeler que les sites dont l’autorité administrative ordonne le blocage sont contraires aux dispositions du Code pénal sanctionnant la provocation au terrorisme, ou encore l’apologie du terrorisme. Le blocage administratif est donc permis pour des actes relevant d’infraction terroriste (article 421-2-5 du Code pénal)[11]. Par ailleurs, l’intervention du juge des référés dans le champ pénal est prévue par la même loi du 13 novembre 2014 qui a introduit à l’article 706-23 du Code de procédure pénale la possibilité, pour le ministère public ou toute autre personne ayant intérêt à agir, de demander à ce magistrat l’arrêt d’un service de communication au public en ligne contenant des propos provoquant au terrorisme ou en faisant l’apologie ´ lorsqu’ils constituent « un trouble manifestement illicite ».
Un auteur a pu en trouver par ailleurs une autre illustration dans la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement : « une personne préalablement identifiée comme présentant une menace » terroriste peut faire l’objet d’un recueil en temps réel de ses données de connexion (L. n° 2015-912, art. 5 ; CSI, art. L. 851-2 créé), alors qu’elle pourrait déjà faire l’objet d’une telle mesure dans le cadre de l’article 421-2-6 CP » [12].
Dans ce contexte législatif de la lutte contre le terrorisme, le dispositif de l’état d’urgence par le recours accru au droit administratif qu’il permet donne aux autorités publiques des moyens d’action plus rapide. Mais, une confusion doit être évitée : si la justification de la loi du 20 novembre 2015 est la lutte contre le terrorisme (v. exposé des motifs du projet de loi- menace terroriste), les principales mesures administratives susceptibles d’être prises au titre de l’état d’urgence (perquisition, assignation à résidence) ont pour fondement la « menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Ce critère de la menace à l’ordre public, permettant le déploiement du droit administratif de l’état d’urgence, dépasse donc les seuls comportements de terrorisme pour lesquels pourtant l’état d’urgence a été déclaré, puis prolongé. Il aurait été certainement opportun qu’à l’occasion de la modification apportée à la loi du 3 avril 1955, le législateur encadre le dispositif juridique par une formulation générale permettant d’articuler les mesures prises au titre de l’état d’urgence avec les circonstances justifiant son recours, ce qui cantonnerait le déploiement des prérogatives administratives à « l’esprit » de la déclaration de l’état d’urgence (en l’espèce, la menace terroriste).
Dès lors, il convient d’examiner tout d’abord le dispositif de l’état d’urgence et son articulation avec le droit pénal (I), et ensuite d’envisager la façon dont le droit pénal soutient le régime de l’état d’urgence (II).
I. LE DISPOSITIF DE L’ETAT D’URGENCE ET SON ARTICULATION AVEC LE DROIT PENAL :
Il convient, d’une part, de relever que l’ensemble des dispositions de la loi du 3 avril 1955 n’ont pas été reprises dans le cadre de la loi du 20 novembre 2015. Un tri a donc été opéré.
A cet égard, est supprimée la possibilité de prendre des mesures assurant le contrôle de la presse et des publications de toute nature, ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales (art. 2 abrogé). Alors que le texte du gouvernement supprimait la possibilité de contrôler la presse ou la radio, la version définitive prévoit que « le ministre de l’intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie » (art. 11, II). Rappelons une nouvelle fois qu’il pouvait déjà bloquer ces sites Internet sous quarante-huit heures (v. supra). Le dispositif est en effet assez proche de la procédure de blocage administratif des sites introduite par la loi du 13 novembre 2014, sauf que les pouvoirs de l’administration sont ici accrus dans la mesure où celle-ci n’a plus besoin de formuler une demande de retrait préalable des contenus concernés ni à saisir la « personne qualifiée ». De plus, l’interruption prévue peut aller plus loin que la simple mesure de coupure des accès. L’état d’urgence permettra donc d’accélérer la disparition de ces sites, en supprimant les garanties qui avaient été mises en place en 2014 afin d’éviter les éventuels erreurs ou abus.
Est également supprimée la compétence des tribunaux militaires (juridictions d’exception) pour se saisir de crimes et délits (art. 12 abrogé).
D’autre part, pour celles qui ont été reprises par la loi du 20 novembre 2015, une adaptation a été nécessaire.
Dans le cadre de cette adaptation, l’un des principal objectif visé est de « s’assurer de leur totale efficacité dans la lutte contre des menaces nouvelles », mais aussi « de garantir que les mesures mises en œuvre sous l’empire de ce régime juridique puissent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif », signale l’exposé des motifs du projet de loi sur l’état d’urgence. La loi du 20 novembre 2015 a ainsi prévu un recours contre les mesures administratives prises soit par le préfet soit par ministère de l’intérieur[13] – la loi renvoie ainsi désormais explicitement aux dispositions de droit commun du code de justice administrative (livre V) pour la contestation de toutes les mesures prises sur son fondement (art. 14-1). Ainsi en va t-il tant pour les perquisitions et les mesures restrictives de liberté (A) que pour l’assignation à résidence (B).
A. Les perquisitions administratives et les mesures individuelles restrictives de liberté :
1° Les perquisitions administratives
En droit commun[14], les règles sont extrêmement dérogatoires et complexes. Le régime juridique applicables aux perquisitions en matière de terrorisme est inscrit quant à lui dans les articles 706-89 et suivants du code de procédure pénale (loi du 9 mars 2004) : dans le cadre d’une enquête flagrante, le juge des libertés et de la détention peut, sur requête du procureur de la République, autoriser des perquisitions et des saisies en dehors des heures légales en tout lieu
Dans le cadre d’une enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention peut, sur requête du procureur de la République, autoriser des perquisitions et des saisies en dehors des heures légales en tout lieu autres que des locaux d’habitation.
Dans le cadre d’une information judiciaire, le juge d’instruction peut autoriser les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire à procéder à des perquisitions et des saisies en dehors des heures légales en tout lieu autres que des locaux d’habitation. Le juge d’instruction peut également délivrer cette autorisation pour des locaux d’habitation en cas d’urgence lorsqu’il s’agit d’un crime ou d’un délit flagrant, lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves ou des indices matériels, ou lorsqu’il existe une ou plusieurs raisons plausible de soupçonner qu’une ou plusieurs personnes se trouvant dans les locaux où la perquisition doit être avoir lieu sont en train de commettre des crimes ou des délits flagrants entrant dans le champ d’application de l’article 706-73. Ces autorisations doivent être délivrées par écrit, et désigner précisément les lieux à visiter, avec motivation en droit et en fait. Elles sont insusceptibles d’appel (art. 706-92 CPP).
Les perquisitions administratives, que la loi du 3 avril 1955 autorise de jour comme de nuit (art. 11-cet aspect n’a pas été modifié par la loi du 20 novembre 2015)[15], et qui ne faisaient l’objet d’aucune restriction, font désormais l’objet d’une information obligatoire du procureur de la République, et les opérations donneront lieu « à l’établissement d’un compte rendu dont copie sera adressée sans délai au procureur de la République ».
Elles devront en outre être conduites en présence d’un officier de police judiciaire, celui territorialement compétent, de façon à assurer la meilleure articulation entre l’action administrative et l’action judiciaire. Ces mesures doivent également se dérouler qu’en présence de l’occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins.
Ainsi, lorsqu’une infraction est constatée, l’officier de police judiciaire doit en dresser procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République. Une procédure judiciaire sera immédiatement diligentée en flagrance ou dans le cadre préliminaire. Les saisies susceptibles d’intervenir à l’occasion de ces perquisitions devront alors bien évidemment obéir aux règles du code de procédure pénale (article 56 et s. CPP).
Les perquisitions administratives deviennent donc judiciaires dès lors qu’apparaît un indice permettant de supposer la commission d’une infraction, ou que la personne peut fournir des informations utiles à l’enquête judiciaire.
L’usage des perquisitions, qui n’était pas précisé jusqu’alors dans la loi de 1955, est limité aux circonstances où il existe « des raisons sérieuses de penser que le lieu concerné est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour l’ordre et la sécurité publics ». L’individu sujet de la perquisition n’a donc pas nécessairement commis une infraction : il pèse sur lui un soupçon de dangerosité. Ce seul critère de suspect permet un transfert de compétence des autorités judiciaires aux autorités administratives.
Les perquisitions sont possibles « en tout lieu », et ceci afin que les véhicules ou les lieux publics ou privés qui ne sont pas des domiciles soient inclus dans le champ de cette disposition[16]. Il en exclut toutefois les lieux affectés à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes. Il s’agit de préserver l’esprit de protection liée au secret professionnel et aux droits de la défense traditionnellement assurée en matière de perquisition judiciaire (v. art. 56-1 et s CPP).
Il est permis enfin – ce que la loi de 1955 ne pouvait prévoir- l’accès aux données informatiques (données des ordinateurs et des téléphones) accessibles depuis le lieu perquisitionné, ainsi que la prise de copies.
Notons qu’il n’est pas prévu qu’elles soient détruites si elles ne révèlent pas d’infractions. De plus, la loi est muette sur la question de l’admissibilité des éléments de preuve retrouvés dans le cadre de telles perquisitions à un procès au pénal.
2° Les mesures individuelles non précédées d’une procédure contradictoire
L’état d’urgence mis en place permet également aux préfets de l’ensemble du territoire métropolitain de restreindre la liberté d’aller et venir (droit de réquisition de personnes ou des biens, article 10 ; remise des armes, article 9; interdiction de quitter le département, périmètre réglementé de protection autour de bâtiments publics ou édifices privées, instauration de couvre-feux dans les lieux et aux heures fixées par arrêté[17], article 5 ; fermeture provisoire des spectacles, débits de boisson et autres lieux de réunion[18], article 8). À ce sujet, dans la circulaire précitée en date du 14 novembre 2015 (NOR INTK1500247J)[19], le ministre de l’intérieur indique aux préfets qu’un arrêté qui interdirait la circulation des personnes, à certaines heures, sur l’ensemble du territoire d’une commune «devra être particulièrement étayé ». Un tel arrêté devra être justifié « par l’existence d’une menace grave pesant soit directement, soit par propagation sur tous les quartiers de cette commune ». Est également indiqué aux préfets que, si leurs « attributions sont étendues, il n’en reste pas moins que [leurs] arrêtés doivent respecter les principes constants qui encadrent l’exercice du pouvoir de police administrative ». Ainsi, les mesures prises doivent être « nécessaires et proportionnées à l’importance des troubles ou de la menace qu’il s’agit de prévenir ». De plus, le ministre de l’intérieur souligne que les « décisions individuelles » devront « être suffisamment motivées » en droit et en fait, et faire l’objet d’une notification « dans les plus brefs délais ».
B. L’assignation à résidence et le placement sous surveillance électronique mobile
Concernant l’assignation à résidence (article 11), plusieurs dispositions nouvelles complètent le dispositif de 1955. Ces mesures s’inspirent du régime déjà applicable aux étrangers représentant une menace pour l’ordre public, assignés à résidence dans l’attente de leur éloignement du territoire[20].
1° L’assignation à résidence
Le texte prévoit désormais que le ministre de l’intérieur (compétence exclusive) peut prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne à l’égard de laquelle il existe « des raisons sérieuses de penser que son comportement (nous soulignons) constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Selon l’exposé des motifs, les termes de la loi de 1955 apparaissaient « trop restrictifs » (la loi de 1955 s’appliquait initialement à toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse »), et donc la nouvelle formulation permettra « d’inclure des personnes qui ont appelé l’attention des services de police ou de renseignement par leur comportement, ou leurs fréquentations, propos, projets ». C’est une extension considérable du prononcé d’une telle mesure dérogatoire.
Dans la mesure où le lieu de l’assignation à résidence, fixé par le ministre de l’Intérieur, peut être différent du lieu de résidence habituel de la personne concernée, il est prévu que le ministre puisse la faire conduire sur place par les services de police ou de gendarmerie. Dans ce cas, le suspect y est conduit immédiatement.
La personne à l’égard de laquelle il existe des « raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics » peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d’habitation déterminé par le ministre de l’intérieur, pendant la plage horaire qu’il fixe, dans la limite de douze heures (contre 8 dans le texte du gouvernement) par vingt-quatre heures.
Elle peut également être tenue de se présenter périodiquement aux services de police ou de gendarmerie, dans la limite de trois présentations par jour, avec la précision de savoir si cette obligation s’applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés, et de remettre son passeport ou toute autre pièce d’identité. Elle peut se voir interdire d’entrer en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes nommément désignées dont il existe des « raisons sérieuses de penser qu’elles constituent une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics ». Cette interdiction est levée dès qu’elle n’est plus nécessaire.
Les recours, autrefois examinés a posteriori par une commission consultative ad hoc, sont désormais soumis au juge administratif, dans le cadre bien plus protecteur des procédures de référé-suspension et de référé-liberté (le juge doit statuer en quarante-huit heures).
2° L’assignation avec surveillance électronique mobile
En droit pénal, le placement sous bracelet électronique s’applique soit comme modalité d’exécution d’une peine déjà prononcée, soit à des personnes mises en examen ou en attente de jugement, en complément d’une assignation à résidence, dans les conditions prévues par le code de procédure pénale[21] (l’assignation à résidence avec surveillance électronique, dite ARSE).
Elle est également possible dans le cadre de l’exécution de la peine complémentaire d’interdiction du territoire pour les étrangers (relai du droit administratif[22]).
La loi du 20 novembre 2015 permet désormais d’étendre l’ARSE dans un cadre purement administratif : le ministre de l’intérieur pourra en effet ordonner que la personne assignée à résidence soit placée sous surveillance électronique mobile. La personne concernée est astreinte, pendant toute la durée du placement, au port d’un dispositif technique permettant à tout moment de déterminer à distance sa localisation sur l’ensemble du territoire national. Ainsi, cette mesure pourra être appliquée aux personnes qui ont déjà été condamnées pour faits de terrorisme (ceux pour lesquels a été prononcée « une peine privative de liberté pour un crime qualifié d’acte de terrorisme ou pour un délit recevant la même qualification puni de dix ans d’emprisonnement ») et qui ont « fini l’exécution de [leur] peine depuis moins de huit ans ». C’est le seul dispositif visant expressément les terroristes, ceux déjà condamnés par le passé pour lesquels la mesure peut être prise indépendamment de toute condamnation ou procédure de mise en examen. La dangerosité révélée par l’acte passé est directement visée.
Dans le cadre de l’état d’urgence, l’ARSE va donc concerner des personnes ayant déjà purgé leur peine et soupçonnées de pouvoir représenter à nouveau un risque terroriste. Le dispositif permet ainsi grâce à la technique du GPS de suivre les déplacements de l’intéressé. Si la mesure paraît alors adaptée, elle interroge : est-ce à l’administration pénitentiaire d’assurer le suivi d’une mesure de police administrative ?
Quant aux modalités de mise en oeuvre, ce placement est prononcé après accord de la personne concernée, recueilli par écrit. Le régime est similaire ici à ce qui est prévu dans le code de procédure pénale. Par contre, elle ne peut être astreinte ni à l’obligation de se présenter périodiquement aux services de police et de gendarmerie, ni à l’obligation de demeurer dans le lieu d’habitation mentionné au deuxième alinéa.
Le ministre de l’intérieur peut à tout moment mettre fin au placement sous surveillance électronique mobile, notamment en cas de manquement de la personne placée aux prescriptions liées à son assignation à résidence ou à son placement ou en cas de dysfonctionnement technique du dispositif de localisation à distance
Le Conseil constitutionnel sera certainement amené à apprécier si cet élargissement du champ d’application de l’ARSE est justifié par le caractère exceptionnel des circonstances auxquelles répond l’état d’urgence. Compte tenu des limites temporelles de l’état d’urgence, du fait que seuls des condamnés à de lourdes peines sont concernés et que leur consentement est requis préalablement, la mesure devrait être validée.
Un autre changement concerne la possibilité de dissoudre les associations ou groupements de fait qui participent, facilitent ou incitent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public. Conformément au souhait du Conseil d’État (avis préc.), il ne sera pas nécessaire que ces structures comportent, en leur sein ou parmi leurs relations, des personnes assignées à résidence pour qu’elles puissent être dissoutes. Le texte prévoit donc une grande marge d’appréciation pour dissoudre les associations ou groupements. La dissolution de ces associations (celles qui gèrent par exemple des mosquées) est définitive. Notons que cette dissolution était déjà autorisée par le code de la sécurité intérieure (art. L212-1 CSI[23] – dissolution par décret en conseil des ministres).
II. LE SOUTIEN DU DROIT PENAL AU REGIME DE L’ETAT D’URGENCE
Il convient de préciser que le droit pénal soutient le régime de l’état d’urgence, à la fois dans le cadre de la loi du 20 novembre 2015 (A), et dans le cadre du code pénal (B).
A. Le droit pénal dans le cadre de la loi du 20 novembre 2015
1° L’alourdissement des peines
Les violations de l’interdiction de circulation, de séjour ou de la fermeture d’un lieu public sont punies d’une peine de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende – contre huit jours à deux mois en 1955, accompagnés d’amendes de 11 euros à 3 750 euros.
La violation de l’assignation à résidence est punie de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Le non-respect de l’astreinte à demeurer en résidence, le défaut de pointage au commissariat ou la violation de l’interdiction d’entrer en contact avec d’autres personnes sont punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
2° Des modes de poursuites rapides
Le placement en garde à vue, y compris pour les mineurs[24], est possible sur le fondement de ces seules infractions. Les comparutions immédiates et la procédure de jugement à délai rapproché, jusqu’alors impossibles au regard des quantums de peines de la loi de 1955, le sont avec la nouvelle loi[25]. Pour les mineurs, le droit commun continue de s’appliquer : convocation par OPJ devant le juge des enfants, la comparution à délai rapprochée ou défèrement avec requête devant le juge des enfants (art. 8-1, Ord. 2 février 1945).
B. L’état d’urgence dans le cadre du code pénal
Lorsque l’état d’urgence est déclaré, l’article 414-1, alinéa 1er, du code pénal prévoit l’aggravation des peines infligées à l’occasion d’atteintes à la défense nationale. C’est ainsi que le fait de provoquer des militaires appartenant aux forces armées françaises à passer au service d’une puissance étrangère est puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 € d’amende au lieu de dix ans de prison et de 150 000 € d’amende (art. 413-1 CP). Le fait d’entraver le fonctionnement normal du matériel militaire ainsi que le mouvement de personnel ou de matériel militaire ou de provoquer la désobéissance par quelque moyen que ce soit des militaires ou des assujettis affectés à toute forme du service national est puni des mêmes peines au lieu de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende (art. 413-2 et 413-3 CP). Le fait d’entraver le fonctionnement normal des services, établissements ou entreprises, publics ou privés, intéressant la défense nationale est puni de sept ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende au lieu de trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (art. 413-6 CP).
En outre, l’article 414-1, alinéa 2, du code pénal prévoit des infractions qui n’existent pas lorsque l’état d’urgence n’est pas déclaré. Ainsi, le fait de provoquer à commettre les infractions prévues aux articles 413-2 et 413-6 du code pénal est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende pour la première, et de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende pour la seconde.
Il convient également de rappeler une incrimination non spécifique à l’état d’urgence, mais qu’il importe de rappeler eu égard au contexte : l’obligation civique de dénoncer les crimes (art. 434-2 CP). Lorsque le crime visé au premier alinéa de l’article 434-1 constitue une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévue par le titre Ier du présent livre ou un acte de terrorisme prévu par le titre II du présent livre, la peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.
Il faut enfin citer le système des repentis (incitation à dénoncer) permettant une exemption[26] ou une atténuation de peine[27] (articles 414-2, 414-3 et 414-4 du Code pénal).
Rappelons, à cet égard, que ce mécanisme de « collaboration » est aussi prévu spécifiquement pour les terroristes depuis le Code pénal (art. 422-1 et 422-2). Un statut protecteur a été mis en place par la loi du 9 mars 2004, mais il n’est effectivement opérationnel que depuis le décret n°2014-346 du 17 mars 2014, et la loi du 13 novembre 2014 qui a enfin permis de résoudre la question de son financement, par le biais de la saisie des avoirs criminels (art. 706-161 CPP). Ce dispositif devrait permettre plus facilement d’identifier des filières.
Après les attentats de « Charly hebdo » du mois de janvier 2015, des comportements sociaux relevant des délits d’apologie du terrorisme, ou encore de dégradations contre des lieux de cultes, avaient été constatées. La réponse pénale avait été immédiate, et l’effet dissuasif de la peine avait été largement utilisé par les juges. A cet égard, il faut se souvenir que les juges ont multiplié et, assez rapidement, le prononcé de peines fermes d’emprisonnement. Car, les délits de provocation et d’apologie des actes terroristes, qui relevaient de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et transférés, depuis la loi du 13 novembre 2014, dans le « giron du Code pénal, substituant ainsi à la qualification de délit de presse celle d’infraction terroriste »[28], permettent désormais des procédures de jugement rapide, telle la comparution immédiate. Quelques jours après les attentats terroristes du 13 novembre 2015, des phénomènes identiques ont été signalés : ils seront traités avec la même fermeté.
Les mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence peuvent aller à l’encontre de la Convention européenne des droits de l’homme (le droit à la vie privé, ou encore le droit de manifester). Or, l’article 15 de la Convention européenne prévoit la possibilité de déroger un Etat signataire aux obligations de la convention, « en cas de danger public menaçant la vie de la nation », sous réserve d’en informer le Conseil de l’Europe (ce qu’a fait la France, le 24 novembre 2015[29]). Le « noyau dur » des droits fondamentaux ne peuvent être dérogés : l’article 2 (droit à la vie), à l’article 3 (interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants), à l’article 4, paragraphe 1 (interdiction de l’esclavage), ni à l’article 7 (pas de peine sans loi). Pour autant, l’article 15 implique également une proportionnalité des mesures avec la situation (« dans la stricte mesure où la situation l’exige », dispose le texte). La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), pourra a posteriori se prononcer sur la validité de cette dérogation, lorsqu’elle sera saisie de requêtes précises, alléguant d’éventuelles atteintes par la France.
Si le nouveau dispositif juridique de l’état d’urgence présente davantage de garanties qu’auparavant, il n’en demeure pas moins qu’un pouvoir exorbitant de droit commun a été octroyé aux autorités administratives, sans autorisation judiciaire. Leur mise en œuvre sera nécessairement soumis à l’examen de la proportionnalité et de la nécessité. Mais, que va t-il se passer après la fin de l’état d’urgence, programmée le 26 février 2016 ? Le retour au droit commun ou une nouvelle prolongation ?
Car, la question centrale est celle là : quand va cesser cet état d’urgence et comment en sortir ? Il est probable que la menace terroriste ne va pas disparaître d’ici là, et comment l’Etat de droit va t-il alors lutter contre la menace ? Allons-nous durcir le droit pénal, et renforcer une nouvelle fois le « droit pénal de l’ennemi » ? Comme l’a bien souligné Henri Leclerc, c’est le « temps des suspects »[30], objet de toutes les attentions législatives.
Dans la lutte contre le terrorisme, le législateur s’est doté d’un arsenal juridique « musclé » depuis quelques années : un droit pénal exceptionnel, associé à un droit administratif exceptionnel. La loi du 13 novembre 2014 fournit la meilleure illustration. Avec l’état d’urgence, c’est le recours accru au droit administratif exceptionnel. Certes, le dispositif juridique est limité dans le temps. Pour autant, il est déjà question dans le débat public du transfert possible des nouvelles mesures de police administrative dans le droit commun, dès la fin de l’état d’urgence. Une nouvelle loi ? Elle n’est pas nécessaire. Il faut maintenant se doter des moyens, humains et financiers, dans la lutte contre le terrorisme.
A cet égard, on ne peut qu’être circonspect sur la volonté du gouvernement d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, et ainsi de considérer la loi du 20 novembre 2015 comme une « disposition transitoire ». Il est prévu également d’étendre la déchéance de nationalité, telle que prévue à l’article 25 du code civil, aux individus binationaux nés en France. Actuellement, cette sanction administrative est applicable en cas d’actes particulièrement graves, notamment des infractions terroristes[31]. Pour de tels actes, tout « individu qui a acquis la qualité de Français peut (…) être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride », dès lors que les actes commis sont antérieurs à l’acquisition de la nationalité française ou ont été commis dans un délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition et dès lors que la déchéance est prononcée dans un délai de dix ans à compter de la perpétration des faits (la mesure est ici aussi plus sévère en matière terroriste puisque les délais sont de 15 ans : art. 25-1 c. civ.).
Hors le cadre de l’état d’urgence, le droit administratif est déjà beaucoup trop proche de la logique pénale. Face à la menace terroriste, le droit administratif est donc en marche, et il ne semble pas prêt de s’arrêter.
NOTES
[1] Sur l’état d’urgence, voir P. Caille, l’État d’urgence, Revue de droit public, 2007, n°2, p. 323-353 ; F. Rollin, L’Etat d’urgence, in Bertrand, Mathieu, 1958-2008. Cinquantième anniversaire de la Constitution française Dalloz, 2008, p. 610-619 ; M. Boumediene, L’Etat d’urgence : concilier la sauvegarde de l’ordre public et la protection des libertés individuelles, Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 2006, n° 4, p. 2089-2110. S. Le Gal, L’Etat de droit à l’épreuve de l’exception et de la lutte antiterroriste, séminaire de la MRSH portant sur “la ville face à la guerre”, Caen, 18 mars 2008 ; Ph. Zavoli, Etat d’urgence, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, mars 2014.
[2] CE, section de l’intérieur, en date du 17 novembre 2015, n° 390.786, avis sur le projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions.
[3] In AJDA 2006, p. 1033, chron. C. Landais et F. Lenica.
[4] V. également l’exposé des motifs du projet de loi : « La gravité des attentats, leur caractères simultané et la permanence de la menace établie par les indications des services de renseignement ainsi que le contexte international ont justifié cette mesure. Ces attentas sont l’un des pires actes de terrorisme commis en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale ».
[5] Sur ces mesures : E. Dreyer, Les restrictions administratives à la liberté d’aller et de venir des personnes suspectées de terrorisme, in Gazette du Palais du 24 février 2015 n° 55, P. 22 ; E. Dreyer, Le blocage de l’accès aux sites terroristes ou pédopornographiques, in JCP éd. G. 2015, n° 14; A. Capello, L’interdiction de sortie du territoire dans la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, in AJ pénal 2014, p. 562 ; Y. Mayaud, Terrorisme (en part. « les sanctions administratives »), in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, février 2015 (actualisé : avril 2015).
[6] L ‘autorité administrative peut tout d’abord demander à l’éditeur du service ou à son hébergeur « de retirer les contenus qui contreviennent à ces mêmes articles 421-2-5 et 227-23 » ; elle en informe simultanément les fournisseurs d’accès. Ensuite, s’il n’a pas été fait droit à cette demande dans les 24 heures, l’autorité administrative peut notifier aux fournisseurs d’accès déjà alertés « des adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant auxdits articles 421-2-5 et 227-23 » : ils « doivent alors empêcher sans délai l’accès à ces adresses ».
[7] Premièrement, l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) transmettra « aux exploitants de moteurs de recherche ou d’annuaires les adresses électroniques » les sites à déréférencer. Ce service composé de gendarmes et de policiers – le même qui gère la blocage administratif des sites – devra avertir par la même occasion et « sans délai » la personnalité qualifiée désignée par la CNIL, Alexandre Linden. Deuxièmement, les moteurs et annuaires seront tenus de prendre « toute mesure utile destinée à faire cesser le référencement de ces adresses », et ce « dans un délai de quarante-huit heures suivant la notification ». Sur ce point, le décret ajoute simplement que ces acteurs mis à contribution ne devront pas modifier « les adresses électroniques, que ce soit par ajout, suppression ou altération ». Une fois les sites déréférencés, l’OCLCTIC vérifiera « au moins chaque trimestre que les adresses électroniques notifiées ont toujours un contenu présentant un caractère illicite ». Si tel n’est pas le cas, l’institution avertira les moteurs et annuaires afin que ceux-ci « rétablissent par tout moyen approprié le référencement de ces adresses électroniques », à nouveau dans un délai de 48 heures.
[8] L’expression doit être rapprochée de celle « des raisons plausibles de soupçonner qu’un personne a commis ou tente de commettre un crime ou un délit » (critère du déclenchement de la garde à vue- art. 63-2 CPP), ou de celle « d’indices graves et concordants rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission d’infraction » (critère du déclenchement d’une mise en examen-art. 80-1 CPP).
[9] V. décret d’application du 14 janvier 2015 (c’est le préfet qui l’établit).
[10] Les juges constitutionnels n’ont pas censuré par la mesure administrative (Conseil constitutionnel, 14 oct. 2015, aff. 2015-490).
[11] En ce sens, CNCDH, ass. plén., avis, 25 sept. 2014 sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, p. 10, n∞ 19.
[12] R. Parizot, Surveiller et prévenir… à quel prix ? – Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, J.C.P. éd. G., n° 41, 5 Octobre 2015, doctr. 1077.
[13] L’Etat d’urgence n’a pas de conséquences sur l’étendue des pouvoirs de police du maire et sur leurs modalités d’exercice.
[14] Selon la chambre criminelle, « toute perquisition implique la recherche, à l’intérieur d’un lieu normalement clos, notamment au domicile d’un particulier, d’indices permettant d’établir l’existence d’une infraction ou d’en déterminer l’auteur » (Cass. crim., 29 mars 1994, bull. n°118). Les perquisitions sont réglementées aux articles 56 et s. (enquête de flagrance); articles 76 et s. (enquête préliminaire); et articles 94 et s. du code de procédure pénale (instruction).
[15] A titre de comparaison, sauf cas exceptionnel, le principe est que les perquisitions judiciaires ne sont pas possibles avant 6h, ni après 21h. Mais une perquisition commencée avant 21h peut se prolonger au-delà (art. 59 CPP).
[16] La notion de perquisition judiciaire est liée quant à elle en général à celle de « domicile », non définie par le code de procédure pénale. Dépassant la notion civiliste de domicile, le juge a admis qu’un chambre d’hôtel, un garage ou un bureau est un domicile, ce qui n’est pas le cas d’un local inhabitable, ou un véhicule automobile.
[17] Dans le droit commun, le couvre feu n’est connu qu’à l’encontre des mineurs. La loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (art. 43, V), dite LOPPSI 2, prévoit une nouvelle sanction éducative au titre de la répression pénale : “si la prévention est établie à l’égard d’un mineur âgé d’au moins dix ans, le tribunal pour enfants pourra prononcer par décision motivée une ou plusieurs des sanctions éducatives suivantes (…) l’ interdiction pour le mineur d’aller et venir sur la voie publique entre vingt-trois heures et six heures sans être accompagné de l’un de ses parents ou du titulaire de l’autorité parentale”. Un couvre-feu peut également être décidé par le préfet pour les mineurs de treize ans, au titre de la prévention de la délinquance.
[18] Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.
[19] Prise pour la mise en œuvre du décret 2015-1475 du 14 nov. 2015, la circulaire du ministère de l’intérieur en date du 13 novembre 2015 revient sur le droit de réquisition, la remise des armes, ou encore la police des réunions et lieux publics.
[20] Lorsque l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire français ou ne peut ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans aucun autre pays, l’autorité administrative peut, jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation, l’autoriser à se maintenir provisoirement sur le territoire français en l’assignant à résidence (art. L. 561-1 CESEDA). La décision d’assignation à résidence est motivée. Elle peut être prise pour une durée maximale de six mois, et renouvelée une fois ou plus dans la même limite de durée, par une décision également motivée (assignation alternative à la rétention).
L’autorité administrative peut prendre une décision d’assignation à résidence à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu’il se soustraie à cette obligation (art. L. 561-2 CESEDA). La durée maximale de l’assignation ne peut excéder une durée de quarante-cinq jours, renouvelable une fois. L’étranger astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés par l’autorité administrative doit se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. L’étranger qui fait l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire prononcés en tout point du territoire de la République peut, quel que soit l’endroit où il se trouve, être astreint à résider dans des lieux choisis par l’autorité administrative dans l’ensemble du territoire de la République. L’autorité administrative peut prescrire à l’étranger la remise de son passeport ou de tout document justificatif de son identité. Si l’étranger présente une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, l’autorité administrative peut le faire conduire par les services de police ou de gendarmerie jusqu’aux lieux d’assignation.
Le droit pénal n’est pas loin : les étrangers qui n’auront pas rejoint dans les délais prescrits la résidence qui leur est assignée en application des articles L. 523-3, L. 523-4, L. 523-5 ou L. 561-1 ou qui, ultérieurement, ont quitté cette résidence sans autorisation de l’autorité administrative, sont passibles d’une peine d’emprisonnement de trois ans (art. L.624-4 CESEDA).
[21] Article 142-5 et s. CPP. Par ailleurs, l’assignation à résidence est ordonnée pour une durée qui ne peut excéder six mois. Elle peut être prolongée pour une même durée selon les modalités prévues au premier alinéa de l’article 142-6, sans que la durée totale du placement dépasse deux ans (art. 142-7 CPP).
[22] La loi « Loopsi 2 » du 14 mars 2011 a introduit dans le CESEDA un article L. 561-3, renuméroté L. 571-3 par la loi du 16 juin 2011 permettant aux autorités administratives de placer sous surveillance électronique mobile (PSEM) l’étranger condamné à une interdiction du territoire français liés à des faits de terrorisme. Le placement sus surveillance électronique peut durer jusqu’à deux ans. Les mesures sont semblables à celles prévues par le PSEM en tant qu’aménagement de peine par le code de procédure pénale : il faut l’accord écrit de l’intéressé et du propriétaire ou du locataire du lieu où sera hébergé la personne placée sous surveillance et assignée à résidence. L’intéressé peut aussi produire un certificat médical attestant que le procédé nuit à sa santé pour le faire cesser. Il convient de relever que la mesure n’est pas prise par le JAP, mais par la seule autorité administrative, sans vérification de la situation familiale, matérielle et sociale de la personne concernée. Les agents pénitentiaires qui devront intervenir sur le dispositif seront systématiquement accompagnés des services de police ou gendarmerie. La sanction du non–respect des conditions de ce PSEM (par exemple, oublier de charger la batterie) peut aller jusqu’à un an d’emprisonnement en application de l’article L. 624-4 du CEDESA.
[23] Sept cas sont prévus : « les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ; 2° Ou qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ; 3° Ou qui ont pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ; 4° Ou dont l’activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ; 5° Ou qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ; 6° Ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; 7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger ».
[24] Les mesures spécifiques prévues dans l’ordonnance de 1945 demeurent inchangées
[25] Pour rappel, la comparution immédiate s’applique uniquement pour des délits punis d’au moins 2 ans de d’emprisonnement (6 mois pour un flagrant délit)- article 395 CPP.
[26]Une exemption de peine est prévue par l’article 414-2 au profit de la personne qui a tenté de commettre l’une des infractions réprimées par les articles 411-2 et 411-3 (livraison de troupes, de territoire ou de matériels), 411-6 (livraison d’informations), 411-9 (sabotage) et 412-1 (attentat contre les institutions de la République ou l’intégrité du territoire national), et à la condition que la dénonciation soit assez précoce pour permettre d’éviter que l’infraction soit consommée. La même exemption de peine résulte de l’article 414-3 en faveur de la personne qui a participé à un complot (art. 412-2), si elle en dénonce l’existence avant toute poursuite.
[27] Une atténuation de peine bénéficie, selon les termes de l’article 414-4, à l’auteur ou au complice de l’une des infractions réprimées par les articles 411-4 et 411-5 (intelligences avec une puissance étrangère), 411-7 et 411-8 (espionnage ouvert ; exercice d’une activité ayant pour but l’obtention ou la livraison d’informations à une puissance étrangère), si la dénonciation a permis de faire cesser les agissements incriminés ou d’éviter que l’infraction n’entraîne mort d’homme ou infirmité permanente.
[28] R. Ollard, et O. Desaulnay, La réforme de la législation anti-terroriste ou le règne de l’exception pérenne, in Dr. pénal n° 1, Janvier 2015, étude 1. Egalement, voir Portman, L’apologie et la provocation au terrorisme dans le Code pénal : ét