REFLEXIONS SUR L’INCESTE EN ISRAEL

Bernard-Israël Feldman

Psychanalyste-Psychologue-Victimologue

 

 

L’INTERDIT

L’interdit de l’inceste existe dans toutes les sociétés humaines. Il a un caractère universel.

Il aide les êtres humains à passer de la Nature à la Culture (C. LEVI-STRAUSS, 1967).

Pourtant, c’est un sujet dont on parle peu en Israël (comme partout ailleurs), ou le moins possible, car il perturbe trop les sphères religieuse, émotionnelle, familiale, sociale, à cause de la confusion des rôles, des générations, et donc des sentiments de “תוהו ובוהו” ou “tohu-vabohu[1] qu’il engendre dans le pays, comme dans tout groupe humain.

Tous les Juifs israéliens ne sont pas religieux, loin de là. Mais, le “תנ”ך” ou “Tanach[2], alias La Bible (ou Ancien Testament pour les Chrétiens), est enseigné obligatoirement dans toutes les écoles, religieuses comme non-religieuses.

[Dans les écoles laïques, il est envisagé sous les angles moral, philosophique, historique et géographique et comporte un coefficient « 5 » au “bagrout” (équivalent du baccalauréat).]

Il est donc inscrit dans la culture du pays (il n’est pas rare d’entendre, par exemple, les députés de la “Knesset”, ou Parlement, s’invectiver avec des versets bibliques).

Dans le livre du Lévitique, l’interdit de l’inceste est clairement mentionné.

Je pense qu’il s’avère indispensable de citer ce passage, car, encore une fois, il est connu de tous en Israël, et à la base de nombreux textes modernes de la loi du pays :

“Que nul de vous n’approche d’aucune proche parente, pour en découvrir la nudité : je suis l’Éternel.

Ne découvre point la nudité de ton père, celle de ta mère : c’est ta mère, tu ne dois pas découvrir sa nudité.

Ne découvre point la nudité de la femme de ton père : c’est la nudité de ton père.

La nudité de ta soeur, fille de ton père ou fille de ta mère, née dans la maison ou née au dehors, ne la découvre point.

La nudité de la fille de ton fils, ou de la fille de ta fille, ne la découvre point; car c’est ta propre nudité.

La fille de la femme de ton père, progéniture de ton père, celle-là est ta soeur : ne découvre point sa nudité.

[3] Ne découvre point la nudité de la soeur de ton père : c’est la proche parente de ton père.

Ne découvre point la nudité de la soeur de ta mère, car c’est la proche parente de ta mère.

Ne découvre point la nudité du frère de ton père: n’approche point de sa femme, elle est ta tante.

Ne découvre point la nudité de ta bru : c’est la femme de ton fils, tu ne dois pas découvrir sa nudité.

Ne découvre point la nudité de la femme de ton frère : c’est la nudité de ton frère.

Ne découvre point la nudité d’une femme et celle de sa fille ; n’épouse point la fille de son fils ni la fille de sa fille, pour en découvrir la nudité: elles sont proches parentes, c’est une impudicité. N’épouse pas une femme avec sa soeur : c’est créer une rivalité, en découvrant la nudité de l’une avec celle de l’autre, de son vivant.” [4].

On sait que l’expression hébraïque :”גילוי עריות”, ou “guilouï araïot”, c’est à dire “dé couvrement de la nudité“, est un euphémisme qui désigne, de manière déguisée et pudique, l’inceste. C’est en tous les cas le sens que l’hébreu moderne lui a donné.

Le terme “inceste”, lui-même, vient du latin “in-cestus”. En français, cela veut dire : “non-chaste, impur, souillé”. Le mot ne serait apparu que vers 1350 selon Yves-Hiram L. HAESEVOETS (1997).

Dans ce texte du Lévitique, on voit que l’inceste y est interdit pratiquement dans tous ses aspects. C’est qu’en effet, du temps de cet écrit, la mythologie qui inspirait les mœurs des populations que connaissaient les Hébreux, regorgeait de scènes incestueuses. Ainsi, en Égypte, d’où les Israélites venaient de sortir d’après le texte biblique, les mots “frère” et “soeur” signifiaient également “amant” et “amante”, et il était obligatoire, chez les aristocrates, de se marier entre frères et soeurs. Cette obligation avait un caractère religieux.

Chez les Grecs, l’inceste était un privilège des dieux. C’était une union interdite chez les humains. Il s’agissait des unions père-fille, mère-fils, frère-sœur.

Dans le langage de toutes les mythologies, posséder sexuellement c’est connaître totalement, donc s’approcher de la Connaissance du Sacré, en conséquence de l’Interdit.

Nous savons tous que, dans le texte de la Genèse, qui concerne le “Jardin d’Éden”, lorsque Adam et Ève mangent de l’arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, ils découvrent qu’ils sont nus.

Le texte dit : “וידעו כי עירומים הם”, “va yed’ou ki éroumim hem”, ce qui se traduit par : “ils connurent qu’ils étaient nus

Or le texte sacré montre que le serpent avait séduit la femme, en lui disant : “Dieu sait que, du jour où vous en mangerez, vos yeux seront dessillés, et vous serez comme Dieu, connaissant le Bien et le Mal[5]

La connaissance absolue est donc liée à la sexualité, ou plutôt, la connaissance sexuelle est la conséquence de la connaissance (interdite) absolue, divine.

Il est vrai que toute sexualité débridée, non codifiée par la Société (au travers les rites des fiançailles, mariages, etc.), entraîne une culpabilité plus ou moins consciente importante, même si elle masquée par des rationalisations, comme dans les déviations[6].

La Sexualité est donc liée au Sacré, car elle est le symbole de la transmission de la vie, la manifestation des « Puissances créatrices de l’Univers ». Les hommes cherchent à s’identifier à ces Puissances, en fantasmant sur la sexualité des êtres divins.

Et l’accouplement avec le Divin, c’est l’accomplissement primordial de l’inceste.

Dans la Genèse, Ève s’écrie à la naissance de Caïn : “J’ai fait naître un homme conjointement avec l’Éternel ![7].

On sait ce qu’a fait Caïn à son frère Abel plus tard, d’après le texte sacré…

Tout se passe comme si le désir d’Ève de “copuler avec Dieu” ne pouvait produire qu’un assassin.

De même, au chapitre 6, versets 2 et 7 :

Les fils de la race divine [8] (“בני-האלוהים”) trouvèrent que les filles de l’homme étaient belles, et ils choisirent pour femmes toutes celles qui leur convinrent. (…). Et l’Éternel dit : “J’effacerai l’homme que j’ai créé de dessus la face de la terre ; depuis l’homme jusqu’à l’animal, jusqu’à l’insecte, jusqu’à l’oiseau du ciel, car je regrette de les avoir faits !

L’union charnelle de l’humain et du sacré (“l’Inceste absolu”) est donc interdite, car elle prend racine dans l’Indifférenciation de la période qui précède la Création, domaine réservé à la divinité: “La terre n’était que solitude et chaos (tohu vabohu) ; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de Dieu planait sur la face des eaux[9].

L’Indifférenciation c’est le domaine du “souffle de Dieu”, et non de l’homme.

L’engendrement hors inceste permet l’établissement des généalogies, donc prolonge l’action cosmogonique.

Dans la Bible, un autre cas d’inceste est mentionné : il s’agit de l’union entre Loth (neveu d’Abraham) et ses filles, à la suite de la destruction de Sodome et de Gommorhe, où ils avaient habité. Les deux femmes y avaient perdu leurs époux dans la tourmente.

Le texte dit :

“Il (Loth) demeura dans une caverne, lui et ses deux filles. L’aînée dit à la plus jeune : “Notre père est âgé, et il n’y a plus d’hommes dans le monde, pour s’unir à nous selon l’usage de toute la terre. Eh bien ! enivrons de vin notre père, partageons sa couche, et par notre père nous obtiendrons une postérité”. Elles firent boire du vin à leur père cette même nuit, la fille aînée vint partager sa couche, et il ne la reconnut point lorsqu’elle se coucha, ni lorsqu’elle se leva. Puis, le lendemain, l’aînée dit à la plus jeune: “voici, j’ai partagé hier la couche de mon père ; enivrons-le encore cette nuit, tu iras partager son lit, et nous recevrons de notre père une postérité”. Elles firent boire, cette nuit encore, du vin à leur père ; la cadette se leva, vint à ses côtés, et il ne la reconnut point lors de son coucher et de son lever. Les deux filles de Loth conçurent du fait de leur père. La première eut un fils, qu’elle appela Moab ; ce fut le père des Moabites qui subsistent aujourd’hui. La seconde aussi enfanta un fils et le nomma Ben-Ami ; ce fut des Ammonites qui subsistent aujourd’hui[10].

Les Ammonites et les Moabites ont “subsisté“, mais ils firent ensuite l’objet de violentes malédictions de la part des prophètes d’Israël : “Je ferai de Raba un pacage de chameaux et des fils d’Ammon un cantonnement de brebis, et vous saurez que je suis l’Éternel ![11].

Et :“J’infligerai des châtiments à Moab, et ils sauront que Je suis l’Éternel !”[12]

La Bible indique donc que si ces peuples, issus de l’inceste, ont subsisté, c’est pour être des exemples de malédiction.

La condamnation de l’inceste a sûrement permis les premières alliances entre les tribus humaines. En effet, l’exogamie a dû entraîner les échanges entres les humains et donc leur survie.

Lors des échanges exogamiques, les hommes se sont faits des “cadeaux” (nourriture, territoires).

Seuls les êtres considérés comme divins purent continuer à pratiquer l’inceste.

C’est ce que nous avons signalé à propos des Égyptiens : les Pharaons (et à leur suite les aristocrates de l’Égypte antique) ont gardé le droit de posséder sexuellement leur fratrie, leur ascendance et leur descendance, pour assurer la perennité de “la race pure divine”, mythe repris, entre autres, on le sait, par Hitler à propos de “la race supérieure aryenne” ne devant pas se mélanger avec “les races inférieures”, à commencer par les Juifs.

Dans l’optique hébraïque, les sociétés débridées sur le plan sexuel sont condamnées à l’extinction[13].

En fait, d’après la pensée anthropologique, l’interdit de l’inceste possède un caractère universel, comme nous l’avons écrit plus haut. Lorsque cet interdit est enfreint, le groupe humain est en danger grave : si la société est de type archaïque, elle est vouée à s’éteindre ; si elle est sophistiquée, elle risque le retour au chaos qui a précédé sa “cosmogonie”.

 LE TABOU

L’inceste est donc “tabou“. Selon le capitaine James COOK, “tabou” désignait à Hawaï, îles qu’il a découvert en 1769, ce qui était prohibé, ce qu’il était interdit de toucher dans tous les domaines, sans exception. Le tabou était donc, pour ces populations, le sacré et l’impur, l’insolite et le dangereux, l’interdit, l’inaccessible[14].

A Hawaï, les tabous établissaient les interdits et les restrictions à deux niveaux:

  • Soustraction de l’être humain aux contacts d’éléments considérés comme dangereux pour le groupe : personnes, animaux, lieux, objets.
  • Évitement de l’établissement de relations entre ces éléments et le reste de la tribu, afin de ne pas permettre la transmission des dangers réels ou potentiels, notemment par les liens du sang.

Les tabous sont donc rattachés à la peur du sang.

Pour DURKHEIM (1886, 1897) et son école, l’horreur et la fascination que suscite l’inceste, sont liées à la peur du sang féminin qui s’écoule lors des périodes menstruelles.

D’où nombreux rites autour de l’accouchement, de la défloraison des vierges, de l’avènement des règles, des incisions, de l’infibulation (bref, autour du sang des femmes), dans toutes les sociétés humaines.

Il est important d’indiquer ici que le texte du Lévitique (chapitre 18), concernant l’inceste, cité plus haut, se poursuit par le verset suivant:

Lorsqu’une femme est isolée par son impureté, n’approche point d’elle pour découvrir sa nudité[15].

La femme qui a ses règles est donc considérée comme “tabou”, au même titre que celle qui est “du même sang”, et encore de nos jours, un Juif religieux ne touchera pas une femme en âge d’avoir ses règles et qu’il ne connaît pas (en lui serrant la main ou en l’embrassant), par peur qu’elle ne soit dans la période de ses menstruations.

Ce comportement, on s’en doute, déclenche périodiquement la colère des mouvements féministes d’Israël !

Dans les sociétés musulmanes, le mariage entre cousins et cousines (germains) est toléré. Mais, l’union entre un homme et une femme qui ont eu la même nourrice, est prohibée, car ils sont considérés comme frère et sœur.

De fait, le Coran interdit d’épouser mères, filles, sœurs, nourrices et sœurs de lait.

La prohibition de l’inceste est donc effective en Israël, et chez les Juifs (80% de la population), et chez les Musulmans (14%) et chez les Chrétiens (6%). Au moins sur ce point, il y a consensus.

Si l’on envisage l’inceste d’un point de vue finaliste, son tabou a plusieurs fonctions :

  • C’est une mesure eugénique qui permet la non-transmission des maladies dues à la consanguinité.
  • Il permet d’éviter l’affrontement des hommes à l’intérieur du clan, pour la possession des femmes, car il entraîne l’exogamie.
  • Il protège la famille nucléaire contre la jalousie et les luttes intestines (FREUD).
  • Le tabou favorise l’apparition des grandes sociétés, grâce à un partage des femmes de plus en plus étendu (C. LEVI-STRAUSS).
  • Il permet la maturation psycho-sexuelle de l’enfant en l’obligeant à quitter sa famille pour choisir un-e partenaire sexuel-le à l’adolescence.

Du point de vue déterministe, la fonction du tabou de l’inceste est :

  • D’origine biologique, d’où horreur instinctive.
  • D’origine psychologique : la tendance incestueuse naturelle serait réprimée par les règles familiales et sociales (non-consentement du parent de sexe opposé, agressivité et jalousie du parent de même sexe, sentiments de culpabilité chez l’enfant, d’où refoulement des désirs oedipiens. Cf. FREUD).
  • D’origine animale : le tabou de l’inceste chez l’homme ne serait que la continuation d’une règle qui existerait dans de nombreuses espèces animales. Cette théorie est à rattacher à la première (biologique). Cependant, l’Éthologie ne confirme pas l’exogamie chez les animaux. Il y a donc chez l’humain un point de rupture “Nature-Culture” dans l’interdit de l’inceste, qui a permis l’avènement du symbolique. En d’autres termes, il y a eu transmutation de l’ordre biologique en ordre symbolique, d’où supériorité écrasante de l’Homme sur l’Animal.

René GIRARD, dans son livre “La violence et le sacré” (1972), estime que les désirs sexuels, loin d’unir les hommes, les a divisés au départ, à cause de la rivalité entre les “mâles” pour ce qui était de la possession des femmes du clan.Pour éviter le chaos, c’est à dire le meurtre du père dépositaire de la Loi, et qui avait le monopole sexuel, les premiers humains ont institué une sorte de contrat social anti-incestueux, qui a consisté à sacrifier un animal totémique à la place du père. Ces sacrifices sont devenus “violence sacrée” et ont donné naissance à l’interdit d’ordre culturel. Les hommes du clan, autres que le père, ont alors été conduits à déplacer leur désir sexuel à l’extérieur du groupe familial.

FREUD, quant à lui, écrivait en 1912, dans “Totem et Tabou” : “Le parricide, l’ambivalence affective à l’égard du père, l’inceste, le cannibalisme, l’identification et l’introjection du Sur-Moi s’articulent“.

Dès ses premières théories, FREUD considérait le passage à l’acte incestueux comme la non-élaboration des fantasmes oedipiens, fondamentaux à la structuration de la personnalité.

Pour lui, le tabou de l’inceste, comme tous les rites, est lié à l’introjection du Sur-Moi, donc à rattacher aux symptômes obsessionnels.

Citons le [16]:

Derrière les conduites protégées par les règles du tabou, le totémisme est à l’œuvre chez l’enfant : lié au meurtre du père de la Horde primitive et à l’union totémique des frères assassins pour commémorer ce meurtre, le totem introduit la déification du père et l’interdiction œdipienne des mères, qu’on retrouve au cœur des fantasmes névrotiques et des règles morales qu’aggravent la religion et le névrose obsessionnelle“.

Pour FREUD, le désir d’inceste est donc “naturel”, et vient chez l’enfant en réponse aux désirs sexuels de ses parents à son égard. Mais à cause du mythe originel du meurtre du père de la Horde primitive, il est prohibé.

En fait, cette prohibition, selon FREUD, empêcherait deux tendances naturelles fondamentales qui existeraient chez tout être humain de sexe masculin :

  • à tuer son père
  • à épouser sa mère.

L’intériorisation de cet interdit (par la formation du Sur-Moi) serait à l’origine de la Culture et de “l’humanisation” de notre espèce.

Pour Claude LEVI-STRAUSS, la prohibition de l’inceste ne dépend pas forcément du degré de parenté réel, mais du groupe social qui désigne certains sujets comme père, mère, fils, frère, soeur. Elle est donc liée à la Culture et est structurée comme un langage.

La pratique de l’inceste est, dans cette perspective, le résultat d’une non-transmission de l’interdit, d’une faillite de la Culture, ce qui entraîne violence, chaos pour une société, et angoisse, confusion pour l’individu.

LACAN, reprenant cette thèse le 4 juillet 1956, lors de la dernière séance de son séminaire consacré aux psychoses, dit que l’enfant ne peut avoir accès au symbolique que par la Loi édictée par le père, c’est à dire l’interdit de l’inceste avec la mère. S’il y a “Forclusion du Nom du Père“, rejet d’un signifiant fondamental hors de l’univers symbolique du sujet, l’enfant risque la psychose, car le signifiant est “forclos“. Il faut donc que l’homme désiré par la mère soit signifié comme père symbolique, pour qu’il soit “père nommant“, donc antidote de la psychose[17].

On a reproché à FREUD de reléguer, à partir de 1897, la théorie de la séduction traumatique (inceste réel) au profit de celle de l’imaginaire œdipien (inceste fantasmé).

Cela ne veut pas dire que FREUD niait les faits réels d’inceste, mais pour les besoins de l’élaboration de sa théorie du Complexe d’Œdipe, il a été obligé de prendre ses distances par rapport à la violence sexuelle, au viol incestueux. En fait, il captait bien la réalité des agressions sexuelles dont sont victimes certains enfants au sein de leurs familles, mais il a préféré insister sur le fait que les besoins sexuels de l’enfant l’orientent naturellement vers le parent du sexe opposé, sans qu’il y ait passage à l’acte dans la plupart des cas.

FREUD ET/OU S. FERENCZI ?

Malgré cette prise de distance, pour les besoins de l’élaboration de sa Psychanalyse, FREUD a ouvert une brèche par la notion de “traumatisme sexuel précoce“, dans laquelle se sont engouffrés certains de ses disciples, comme Sandor FERENCZI.

FERENCZI écrit dans “Confusionde langue entre les adultes et les enfants” [18] :

“Dans l’érotisme de l’adulte, le sentiment de culpabilité transforme l’objet d’amour en un objet de haine et d’affection, c’est à dire un objet ambivalent. Tandis que cette dualité manque encore chez l’enfant au stade de la tendresse (c’est à dire le stade d’identification précédant la capacité d’éprouver un amour objectal), c’est justement cette haine qui surprend, effraye et traumatise un enfant aimé par un adulte. Cette haine transforme l’être, qui joue spontanément et en toute innocence, en un automate, coupable de l’amour et qui imitant anxieusement l’adulte, s’oublie lui-même. C’est ce sentiment de culpabilité et la haine contre le séducteur qui confère aux rapports amoureux des adultes l’aspect d’une lutte effrayante pour l’enfant, scène primitive qui se termine au moment de l’orgasme“.

En d’autres termes, l’enfant, victime d’agression sexuelle de la part d’un adulte, subit un choc inattendu, écrasant à cause de son immaturité psychique, qui l’anesthésie, le transforme en “automate“, en provocant l’arrêt de son activité psychique. Il devient passif absolu, il est paralysé. Sa pensée se fige et il reste sans protection, face à cet adulte, encore plus lorsqu’il s’il s’agit de son tuteur (père ou beau-père) ! Les conséquences sont la possibilité de tomber dans la névrose ou la psychose.

FERENCZI a donc développé l’idée de l’origine extérieure du traumatisme sexuel. Pour lui, l’analyste doit non seulement interpréter, mais aussi réparer. Ces conceptions lui ont valu de s’engager sur une voie de réforme complète de la technique psychanalytique. Il inventa la “technique active“, qui consistait à intervenir directement dans la cure par des gestes de tendresse et d’affection, puis “l’analyse mutuelle” (où l’analysant est invité à diriger la cure en même temps que le thérapeute), et enfin “la théorie du trauma“, où il montre que dans beaucoup de cas, la séduction opérée par l’adulte sur son enfant a été réelle et non-fictive.

FERENCZI, on s’en doute, a été durement contesté, pour ses thèses, par FREUD, mais ce dernier lui a tout de même rendu un vibrant hommage à la fin de sa vie.

TRAITEMENT DE L’INCESTE EN ISRAËL

Si le tabou de l’inceste est très à l’œuvre en Israël, et qu’en parler est toujours très difficile, le « Centre de Tel-Aviv d’aide aux personnes agressées sexuellement », au contraire, insiste sur cette déviation, car elle fait l’objet de nombreux appels téléphoniques ou consultations dans cette institution.

Ainsi, Afi ZIV, coordinatrice des professionnels et groupes de soutien de L’Association, a publié, un article, dans le “Cahier des Comptes” n° 6 d’avril 1998, intitulé : “Le syndrome de la mémoire sélective ou processus de refoulement chez les survivantes de l’inceste”[19]. Cet article est, en fait, un compte-rendu du congrès sur “la mémoire sélective“, qui a eu lieu à l’Université BAR-ILAN les 16 et 17 juin 1998, et où les soignants et intervenants du Centre de Tel-Aviv pour les agressions sexuelles ont joué un rôle majeur.

Afi ZIV y indique que 25% des demandes d’aide de la part du Centre de Tel-Aviv, concernent des cas supposés d’inceste. Le plus souvent, les faits rapportés par ceux qui demandent de l’aide relèvent d’une période qui date de loin (depuis des mois, voire des années). Le psychotraumatisme est bien présent, mais sa reconstitution est difficile, car la mémoire de l’être humain est sélective. Beaucoup pensent qu’il ne faut accorder que peu de crédit à cette “mémoire reconstituée” et parlent de “syndrome de la mémoire faussée“, en se référant à l’Association américaine, “Le Fonds Pour le Syndrome de la Mémoire Faussée”, fondée en 1992, par le Docteur FARID, qui avait été accusé d’inceste (à tort) par sa fille, qui a reconnu, plus tard, avoir menti pour “se venger de son père”.

Aux USA, cette Association s’est donné pour but de lutter, par tous les moyens possibles, contre la mémoire reconstituée, car elle estime que cette mémoire est le résultat d’implantations de souvenirs faux par l’équipe des travailleurs sociaux, médicaux, psychologiques et juridiques. Selon le Docteur FARID, cela entraîne, très souvent, la destruction de familles entières (traînées devant les tribunaux, livrées à la presse) à cause des dépressions graves, des envies et/ou des actes de vengeance, des morts (par somatisations ou suicides). Il rappelle qu’un certain nombre de personnes, qui auraient souffert de l’inceste, ont été traitées par hypnose, et qu’elles se seraient souvenues d’expériences traumatiques inexistantes (après enquête).

Pour Afi ZIV, cependant, le nombre de ces personnes est très petit, mais il a été grossi par la presse, très friande de ce genre de scandales (erreurs judiciaires). Elle rappelle que, dans la plupart des cas, celle (ou celui) qui a subi l’inceste, a reçu l’ordre de se taire de la part de son agresseur, et que l’ampleur du traumatisme a donc été édulcorée par le refoulement opéré par la victime. De plus, très souvent, la victime aime son agresseur et ne veut pas le désigner, afin de lui éviter un procès ; ou bien elle cherche à protéger le reste de sa famille, et sélectionne ses souvenirs traumatiques en fonction de ces données. En d’autres termes, dans les cas d’incestes, pour ZIV, le nombre de personnes qui accusent, à tort, leurs familles est beaucoup moins important que le nombre de victimes qui cherchent à protéger leurs agresseurs.

“L’inceste est une affaire de silence et de secret”, écrit Yves-Hiram L. HAESEVOETS.

Il faut donc, d’après ZIV, dans tous les cas, prendre en considération la mémoire des demandeurs d’aide, même si elle est, par nature, sélective.

Elle rappelle dans son article que les femmes, les enfants, et les hommes, qui ont subi des abus sexuels dans leur enfance, sont à considérer comme des victimes, donc souffrant de “P.T.S.D.” ou “Post Traumatic Stress Disorder”, soit “Trouble de stress post-traumatique” (TSPT)

Le Docteur Laura Ann Mc. CLOSKEY et Marla WALKER (1999) de l’Université de HARVARD ont fait une recherche sur un échantillon de 337 enfants de 6 à 12 ans, qui ont souffert de traumatismes dus à des violences sexuelles familiales:

  • 19% des enfants qui avaient assisté à des violences sexuelles contre leurs mères, ont présenté les symptômes du trouble de stress post traumatique,
  • contre 34% qui ont eu à souffrir d’incestes de la part de leurs pères ou de leurs beaux-pères. Ceci suggère donc un traumatisme beaucoup plus important (presque le double de cas), lorsque l’enfant est victime directe et non secondaire.

ZIV décrit la définition donnée par le DSM-IV de l’Association Américaine de Psychiatrie (“Manuel Statistique et Diagnostique des troubles Mentaux”), qu’il me parait important de citer ici :

A. Le sujet a été témoin ou a été confronté à un évènement ou à des évènements traumatiques dans lequel les deux éléments suivants étaient présents : Le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un évènement ou à des évènements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée. La réaction du sujet à l’évènement s’est traduite par une peur intense, un   sentiment d’impuissance ou d’horreur. NB. Chez les enfants, un comportement désorganisé ou agité peut se substituer à ces manifestations.

B. L’évènement traumatique est constamment revécu, de l’une (ou de plusieurs) des façons suivantes :

  • Souvenirs répétitifs et envahissants de l’évènement provoquant un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions. NB. Chez les jeunes enfants, peut survenir un jeu répétitif exprimant des thèmes ou des aspects du traumatisme
  • Rêves répétitifs de l’évènement provoquant un sentiment de détresse. NB. Chez les enfants, il peut y avoir des rêves effrayants sans contenu reconnaissable
  • Impression ou agissements soudains “comme si” l’évènement traumatique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l’évènement, des illusions, des hallucinations, et des épisodes dissociatifs (flash-back), y compris ceux qui surviennent au réveil ou au cours d’une intoxication). NB. Chez les jeunes enfants, des reconstitutions spécifiques du traumatisme peuvent survenir
  • Sentiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l’évènement traumatique en cause
  • Réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices internes ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de l’évènement traumatique en cause

C. Évitement persistant des stimulus associés au traumatisme et émoussement de la réactivité générale (ne préexistant pas au traumatisme), comme en témoigne la présence d’au moins trois mois des manifestations suivantes :

  • Efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés au traumatisme
  • Efforts pour éviter les pensées, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatism
  • Incapacité de se rappeler d’un aspect important du traumatisme
  • Réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la participation à ces mêmes activités
  • Sentiment de détachement d’autrui ou bien de devenir étranger par rapport aux autres
  • Restrictions des affects (p.ex. incapacité à éprouver des sentiments tendres)
  • Sentiment d’avenir “bouché” (p.ex. pense ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir des enfants, ou avoir un cours normal de la vie).

D. Présence de symptômes persistants traduisant une activation neurovégétative (ne préexistant pas au traumatisme) comme en témoigne la présence d’au moins deux des manifestations suivantes :

  • difficultés d’endormissement ou sommeil interrompu
  • irritabilité ou accès de colère
  • difficultés de concentration
  • hypervigilance
  • réaction de sursaut exagérée

E. La perturbation (symptômes des critères B, C et D) dure plus d’un mois.

F. La perturbation entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération     du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

Spécifier si :

  • Aigu : si la durée des symptômes est de moins de trois mois.
  • Chronique: si la durée des symptômes est de trois mois ou plus.

Spécifier si :

  • Survenue différée : si le début des symptômes survient au moins six mois après le facteur de stress”.

ZIV insiste sur le fait que les troubles de la mémoire sont caractéristiques du TSPT chez les victimes d’agressions sexuelles, notamment d’incestes.

Elle a constaté que le système utilisé par ces victimes était le déni, mécanisme de défense, qui consistait, selon Sigmund FREUD (1923), à refuser de reconnaître la réalité d’une perception négative[20].

A l’instar de FREUD, elle apparente ce mécanisme au processus de la psychose (par opposition au refoulement, caractéristique de la névrose), car le sujet, qui a subi un grave traumatisme, nie la réalité extérieure pour reconstruire une réalité hallucinatoire, donc une mémoire faussée.

Il s’opère aussi chez lui un clivage du Moi, qui consiste d’une part à dénier la réalité, et d’autre part à l’accepter. Tout ceci entraîne une mémoire sélective, ou “une amnésie dissociative”, selon ZIV, par laquelle la victime se protège inconsciemment de la détresse intense qui a résulté du traumatisme psycho-sexuel insupportable consciemment.

Évidemment tous les traumatismes ne sont pas semblables ; de plus, l’âge, le sexe, la personnalité du sujet varient. Et cela influe sur la mémoire ou l’oubli.

Dans les cas de violences familiales (maltraitances, incestes, tortures morales et physiques de la part des parents), ZIV a noté, dans son Centre, que les sujets auront tendance à développer “une amnésie des détails“. Ainsi une jeune fille, qui a souffert d’attouchements sexuels et/ou de pénétration(s) de la part de son père, et qui lui a promis le silence, souffre souvent de troubles de la mémoire des détails de ces évènements. ZIV rappelle que cette amnésie est accentuée par la dépendance affective de l’enfant au père.

Ainsi donc, il est vrai que les difficultés de la mémoire sont présentes chez les victimes d’incestes (cela est même inévitable), mais ZIV pense que “le corps ne peut pas mentir”, car la plupart des hommes et des femmes qui ont souffert de ce genre de traumatisme pendant l’enfance, auront un langage du corps caractéristique :

  • problèmes de poids inexplicables,
  • nervosité dans leurs gestes,
  • postures caractéristiques.

En d’autres termes, ZIV affirme que si quelqu’un s’adresse à son Centre de Tel-Aviv, en affirmant avoir vécu un traumatisme de nature incestueuse, il est aisé de vérifier ses dires, malgré le peu de fiabilité des “souvenirs-flash” (mémoire sélective), en se référant à la symptomatologie du TSPT et à son langage du corps, qui est lui témoin fiable de son histoire traumatique.

Si j’ai cité longuement ces thèses de ZIV, ce n’est pas pour minimiser le traumatisme dû à l’inceste, mais pour montrer que, dans le Centre de TEL-AVIV, fortement marqué par l’engagement féministe, le risque de condamner, par erreur, un parent non abuseur, n’est peut-être pas assez pris en compte. Certaines mères peuvent incriminer, avec l’aide (naïve) de certains médecins, psychologues, travailleurs sociaux, avocats, leurs ex-maris pourtant innocents. Ces derniers vivent alors un véritable calvaire, avant de parvenir à prouver leur innocence.

Ce problème d’accusation jugée abusive existe aussi en France[21].

Étant donné que l’inceste (ainsi que le viol et toutes les autres agressions sexuelles) est vu sous l’angle féministe par le personnel du Centre de Tel-Aviv, les actions seront donc d’abord envisagées comme une lutte contre la masculinité et son idéologie du viol (contre “le violeur héroïque”, selon les dires d’une des psychologues cliniciennes du Centre, qui cite Suzan BROWNMILLER).

Mais reprenons le problème de l’inceste.

Un des consensus, qui se retrouve dans toutes les recherches concernant cette déviation, c’est que l’abus sexuel intrafamilial, la plupart du temps l’inceste père-fille, représente un traumatisme très marquant dans la vie d’un enfant, et qu’il laisse donc des blessures psychologiques irréversibles.

Si l’on reprend les thèses de ZIV (de tout le Centre de Tel-Aviv, en fait), on doit admettre que, mis à part le risque d’erreur judiciaire peut-être non assez pris en compte, elles sont en conformité avec celles de la plupart des cliniciens chargés de prendre en charge les cas d’inceste.

Il y a des pulsions infanticides, qui partent des expériences incestueuses de l’enfance.

A Tel-Aviv, cet aspect de la victimologie de l’inceste est particulièrement mis en exergue.

Le Centre de Tel-Aviv parle de “Syndrome post-abus sexuel” à propos des victimes sexuelles (particulièrement d’inceste) qui s’adressent à lui, et sa symptomatologie est souvent citée à cause de l’engagement idéologique féministe.

La symptomatologie prend des formes différentes en fonction du niveau auquel l’on se situe :

  • niveau de l’enfant lui-même
  • niveau de la dynamique familiale
  • niveau de la fratrie
  • niveau de la mère (parent non incestueux)
  • niveau social, socio-économique, juridique et administratif
  • niveau du père incestueux.

Elle peut être aussi envisagée selon

  • le court terme (si l’affaire est dévoile rapidement)
  • le moyen terme (après des mois)
  • le long terme.

Nous l’avons vu, les symptômes sont souvent, à cause de la mémoire sélective, indéterminés, ou “endormis”. Ils se déplacent, disparaissent, réapparaissent, se convertissent.

J’ai fait remarquer au Centre de Tel-Aviv (non sans mal) que d’autres facteurs, que les constatations actuelles doivent être pris en compte, dans l’appréciation de la symptomatologie. En effet, la plupart des modèles théoriques tiennent compte des faits suivants :

  • Certains symptômes, chez l’enfant ayant souffert de l’inceste, sont inséparables des problèmes psychologiques antérieurs qu’il avait avant l’agression,
  • ces troubles antérieurs ont pu être aggravés (ou non) par l’évènement,
  • Plusieurs facteurs peuvent entraîner l’émoussement et/ou la non-apparition des troubles actuels : la ponctualité et la rareté de l’acte, sa dédramatisation, le soutien psychologique de l’enfant, l’amnésie enfin (seule envisagée au Centre),
  • les abus sexuels chroniques peuvent entraîner des symptômes, qui servent de défense, de protection, et qui sont devenus vitaux à l’enfant de manière paradoxale (sorte de “guérison monstrueuse” que l’on retrouve chez toutes les victimes) ; il faut donc se méfier de toute action thérapeutique abusive qui entraînerait l’effondrement de ces défenses sans en proposer d’autres à l’enfant,
  • Une violence sexuelle de type incestueuse peut être accompagnée de violences physiques ; les conséquences en seront aggravées si l’enfant recevait déjà des coups avant l’acte, ce qui doit être vérifié,
  • La richesse intérieure de la victime doit être appréciée (facteur d’aggravation ou de banalisation de l’acte par le sujet agressé), avec son niveau de mentalisation,
  • la comparaison entre l’âge réel et l’âge affectif de l’enfant abusé doit être effectuée,
  • Le rôle de la victime dans l’interaction avec son parent incestueux est à estimer,
  • son niveau de maîtrise de soi (qui interagit avec le fait de parler ou non de l’acte) est un facteur dont on se doit de tenir compte,
  • La symptomatologie est tributaire de la place de l’abusé au sein de sa famille, de la société des enfants et des adultes.

De fait, en général, la symptomatologie est classifiée de la manière suivante :

symptômes physiques ou physiologiques (lorsqu’ils sont présents) :

  • Lésions des organes génitaux, avec hématomes de l’abdomen, et zones péri-génitales lacérées,
  • Saignements, douleurs dans les régions génitales, à la miction,
  • Dilatation du vagin, de l’anus et de l’urètre,
  • Présence de corps étrangers dans le vagin, l’anus, la vessie et l’urètre,
  • Infections des voies urinaires,
  • Présence de MST (maladies sexuellement transmissibles),
  • Grossesses cachées ou dont l’origine reste suspecte (chez les pubères).

Symptômes psychosomatiques:

  • énurésie et/ou encoprésie,
  • douleurs abdominales,
  • céphalées,
  • conversions hystériques,
  • troubles du sommeil,
  • Anorexie et/ou boulimie.

Symptômes psychologiques chez les enfants pré pubères :

  • Dépression (inhibitions, anxiété, tristesse),
  •  manque de confiance en soi et/ou en autrui,
  • Perte de l’estime de soi,
  • négligence (manque d’hygiène),
  • Isolement,
  • préoccupations d’ordre sexuel exagérées (dans les jeux et le dessin) et conduite sexuelle excessive (masturbation intense et érotisation des relations humaines),
  • troubles du caractère (agressivité, sautes d’humeur, actings-out violents),
  • confusion et ambivalence des sentiments,
  • attitude typique de victime, comportement de « cible »,
  • conduites antisociales,
  • troubles intellectuels et d’apprentissage scolaire (dyscalculie, dysorthographie, difficultés de concentration) avec chute brutale du rendement scolaire.

Troubles psychologiques chez les enfants pubères :

  • Culpabilité liée à la participation plus ou moins importante à l’acte incestueux,
  • agressivité (mêlée de culpabilité) à l’égard de la mère (parent non abuseur)
  • troubles de la personnalité et de l’identité,
  • fugues, tentatives d’autolyse, auto-lésions, toxicomanie,
  • Effondrement des résultats scolaires,
  • troubles du comportement sexuel (homosexualité coupable, dysfonctionnement au niveau de l’orgasme, frigidité, confusion dans l’orientation sexuelle, promiscuité sexuelle déviante, prostitution, masochisme violent),
  • délinquance.

LE PARENT INCESTUEUX

En général, peu d’intérêt est porté en Israël au parent incestueux sur le plan psychodynamique. On le considère uniquement sur le plan juridique, c’est à dire pour le punir. Seule la victime est prise en charge.

Cependant, je pense qu’il s’avère indispensable, dans le cadre de cet article, de nous pencher également sur le dysfonctionnement psychologique des agresseurs.

Caractéristiques psychologiques du parent incestueux; la symptomatologie

Dans la majorité des cas, l’agresseur incestueux est le père, ou le beau-père de la victime.

Il existe aussi des situations où l’acte incestueux est commis par un frère ou un demi-frère, plus âgés, un grand-père, un oncle, ou un cousin également en autorité par son âge.

Les mères sont rarement mentionnées comme autrices (ou co-autrices) d’actes incestueux.

En Israël, je n’en ai pas trouvé mention. En revanche, leur rôle passif et/ou consentant dans l’agression de leur enfant par le père, est souvent mentionné.

L’inceste est une perversion sexuelle.

La perversion désigne toutes les déviations de l’instinct sexuel par rapport à son but.[22]

Le pervers transgresse la Loi, volontairement, car il recherche un plaisir égocentrique, le plus souvent destructif.

La perversion est donc liée à l’agressivité.

L’affectivité d’un pervers est prégénitale, c’est à dire fixée aux stades psychodynamiques sadique-anal et/ou sadique-oral selon la Psychanalyse.

Elle n’est donc pas soumise à la castration symbolique de la période de l’Œdipe.

Le parent incestueux (comme le pédophile) vit dans le déni de la castration, de tout désaveu. L’enfant représente en conséquence l’objet-fétiche idéal de sa jouissance, qu’il choisira, afin de ne pas être soumis au risque d’un refus (vécu comme une castration).

Car, l’enfant, étant donné sa nature, lui est soumis. Il y a donc abus de pouvoir et de confiance de sa part, pour échapper à l’angoisse de la castration (qu’il éprouve avec un objet sexuel adulte).

Le parent incestueux est en position d’autorité, de contrôle par rapport à sa progéniture.

Il l’utilise dans un but de stimulation sexuelle inappropriée à son âge, à son développement psycho-sexuel.

L’enfant est manipulé, forcé, entraîné dans une relation sexuelle, avec peu ou pas de véritable satisfaction sexuelle, le plus souvent.

Il y a là rencontre de deux structures, psychique et le plus souvent aussi somatique, totalement incompatibles.

Nous ne reviendrons pas sur la symptomatologie de l’enfant abusé par inceste.

Mais, même si le jeune sollicite son parent sexuellement (l’enfant est pervers polymorphe d’après Freud), la question de son consentement n’est pas prise en compte lors des procès, car il est dépendant, soumis à l’autorité des parents. De plus, il recherche amour, affection, attention de leur part, et non sexualité adulte ou initiation sexuelle par son parent.

Les abus de la part du parent incestueux envers l’enfant peuvent être sans toucher:

  • exhibitionnisme
  • voyeurisme
  • Paroles obscènes et orientées vers les relations sexuelles de type adulte
  • invitation à visionner des cassettes pornographiques avec lui.

Ils peuvent être avec toucher sans violence :

  • caresses des zones érogènes, des organes génitaux
  • Masturbation de l’enfant et/ou réciproque
  • attouchements avec pénétration
  • relations sexuelles complètes

Avec violence:

  • viol
  • mise en prostitution de l’enfant
  • Entraînement du jeune au tournage de films pornographiques

Ces deux derniers abus comportent en plus l’exploitation financière de l’enfant.

FERENCZI parle de confusion de langue entre l’enfant et l’adulte.

Le parent incestueux cherche en l’enfant son double narcissique, afin de combler ses manques adultes (défauts d’amour, de jouissance avec un partenaire de son niveau), alors que l’enfant attend de l’affection de sa part.

Plusieurs facteurs interviennent dans les agressions incestueuses:

  • Le degré de psychopathologie du parent abuseur,
  • sa structure psychologique,
  • la dynamique familiale,
  • la situation socio-économique.

Au point de vue symptomatologique, le rôle de l’alcool est important dans les abus sexuels intrafamiliaux.

La plupart des auteurs écrivent que dans 50% des cas, l’alcool a joué un rôle déterminant dans le passage à l’acte incestueux, car c’est un désinhibiteur des pulsions sexuelles destructrices. (D’autres addictions influencent aussi l’acte incestueux).

Mais l’alcool n’est pas la cause de l’inceste. Il ne peut être qu’un facteur déclencheur.

Nous l’avons vu, la majorité des parents incestueux sont des hommes (99% dans presque toutes les études).

Les hommes sont donc plus en risque que les femmes de conserver de leur enfance des attitudes perverses, prédatrices, notamment dans le domaine de la sexualité.

 POURQUOI L’HOMME DEVELOPPE PLUS DE TENDANCES PERVERSES QUE LA FEMME ?

Freud l’explique par sa théorie du développement sexuel.

Dans un premier temps, lorsque le petit garçon (à un degré bien moindre la petite fille), découvre la différence des sexes, le monde se met à posséder pour lui deux catégories d’individus:

  • Les personnes pourvues d’un pénis,
  • celles qui en sont dépourvues.

Ceci entraîne chez lui une terreur de la castration, qui risque d’être effectuée, dans son esprit, par le père, et/ou tout tuteur de sexe mâle.

Dans un second temps, il refuse cette représentation insupportable, afin d’échapper à sa terreur.

Enfin, dans une troisième étape, il opère un compromis entre le refus et l’acceptation de la représentation de la castration symbolique (clivage du Moi).

Chez l’adulte incestueux, cette troisième étape n’est pas opérante : il n’a pas soumis son désir au vécu de la castration symbolique. Dès lors, toute manque par rapport à son désir lui sera insupportable.

Ces trois étapes, décrites par FREUD, montrent bien que le point faible du développement psycho-sexuel de l’être humain de sexe masculin, c’est la perversion, alors que, chez la femme, il reste exceptionnel, sauf chez celles qui cherchent absolument à échapper à leur identité sexuelle, parce que vécue comme insupportable.

De fait, l’être humain de sexe féminin n’a pas à élaborer des scénarios pervers pour échapper à l’angoisse de la castration.

Jacques ANDRE (1995), considère que l’angoisse de perte d’amour de la part de la mère, même si elle d’abord celle du nourrisson, quelque soit son sexe, est amplifiée considérablement lors de la période de l’Œdipe chez la fille, car cette dernière est contrainte d’échanger l’objet premier commun (la mère) contre l’objet œdipien (le père). L’angoisse de perte d’amour serait donc à la femme ce que l’angoisse de castration est à l’homme. Il est vrai que les femmes ont en général pour les départs, les séparations, les pertes d’amour donc, une sensibilité que les hommes ont rarement.

Il écrit : “Le point de vue de Freud ne se comprend qu’à partir d’un raisonnement retenant l’angoisse de castration comme seule angoisse génératrice du Sur-Moi. La prise en compte de l’angoisse de perte d’amour, de son ancrage primitif, permet d’envisager les choses autrement. La culpabilité de ne plus être aimée vaut bien d’autres tortures.”      

L’abus sexuel génitalisé vis-à-vis de l’enfant est donc l’apanage de l’homme (du mâle humain), même si quelques femmes entretiennent des climats incestueux, sans passer à l’acte (nursing pathologique le plus souvent appartenant au registre des psychoses ou de civilisations dégénérées).

Dans le rapport BADGLEY (Canada, 1984), les abus sexuels des enfants se présentaient ainsi :

  • 24,8% pour les cas d’incestes (liens de sang ou de tutelle)
  • 57,4% pour les cas où l’abuseur est une connaissance de l’enfant (voir plus loin le chapitre sur la pédophilie)
  • 17,8% pour les cas où l’agresseur est un inconnu.

On retrouve à peu près ces chiffres en Israël. On découvre des parents incestueux dans toutes les couches de la population, mais la majorité provient de milieux défavorisés, carencés, marginaux, socialement stigmatisés. Les familles y sont dysfonctionnelles, perturbées sur le plan socio-économique.

Une question se pose : un ancien abusé sexuellement par son père deviendra-t-il père incestueux ?

Il est vrai que l’apprentissage pathologique sexuel précoce avec un adulte entraîne souvent une répétition compulsive de l’acte abusif, qui a victimé le sujet, pour en maîtriser les effets néfastes. Le risque de devenir abuseur sexuel d’enfants (y compris des siens) est donc relativement important chez lui.

De plus, les femmes qui ont été abusées dans leur enfance se retrouvent le plus souvent avec des partenaires qui abusent de leurs enfants.

La victimation par abus sexuel au cours de l’enfance se reproduira donc sur plusieurs générations.

Voici un tableau clinique des caractéristiques du parent abuseur, retenu par la majorité des chercheurs en Criminologie :

  • incapacité de gérer les conflits autrement que par la violence physique et/ou psychologique (colères, impulsivité, agressivité) ; tendances aux passages à l’acte,
  • éducation sexuelle aberrante, perturbée par des abus au cours de l’enfance, connaissances inadéquates du fonctionnement sexuel de l’être humain,
  • défenses psychologiques contre l’angoisse (de castration) par l’abus sexuel des enfants
  • présence d’autres perversions, sexualisation à outrance des relations, confusion entre l’amour et le sexe, entre l’amour et la haine (pulsion sexuelle mortifère),
  • sexualité dysfonctionnelle avec un partenaire adulte : impuissance, éjaculation précoce, masturbations compulsives, comportement érotomaniaque,
  • personnalité “clivée”,
  • tyrannie domestique,
  • alcoolisme, autres addictions,
  • vécu d’infériorité, d’impuissance face au monde adulte,
  • échecs répétitifs sur les plans amoureux, professionnel, familial, social,
  • troubles narcissiques,
  • identité sexuelle perturbée.

Le parent incestueux utilise des stratégies pour parvenir à ses fins :

  • pression psycho-affective sur son enfant,
  • emprise morale trop importante sur lui (elle déborde l’enfant),
  • chantage affectif,
  • séduction amoureuse de type adulte,
  • jeux avec rapprochés corporels,
  • initiation sexuelle,
  • menaces de représailles physiques contre l’enfant, ceux qu’il aime, son animal, torture morale, terrorisme,
  • renforcements positifs (gratifications, cadeaux) lors de l’approche sexuelle,
  • passages à l’acte sexuels violents sur son enfant.

Les parents incestueux provoquent l’effroi, la stupeur autour d’eux (à cause de l’interdit de l’inceste dans pratiquement toutes les Cultures, comme indiqué plus haut).

Ils perturbent profondément leurs familles, et à un degré moindre mais néanmoins important, les intervenants (juristes, médecins, psychologues, assistants sociaux, avocats) qui sont chargés de leur sort. Leur violence sexuelle déroute, fait peur, dégoute, alors qu’en fait, ce n’est là qu’une défense, destinée à masquer une extrême vulnérabilité. Il est vrai que leur mode pervers de communication manipulatoire est pour le moins révoltant:

  • Négation radicale des faits, même si toutes les preuves sont réunies,
  • Déni de la conséquence de leurs actes incestueux,
  • Apparente absence de culpabilité,
  • Ou transfert de la culpabilité, si elle consciente, sur autrui (l’enfant, la conjointe, la société, etc.),
  • Ignorance des interdits,
  • Conséquemment, rapport pervers à la Loi.

Après avoir manipulé son enfant, sa famille, le parent incestueux s’évertue à manipuler les intervenants. Il cherche à attirer la compassion, une adhésion à sa logique. Il se présente comme la victime d’un complot monté spécialement contre lui.

En Criminologie (en Israël, comme ailleurs), l’absence de véritable culpabilité est une constante: c’est l’enfant qui est l’instigateur de la relation sexuelle incestueuse pour le parent pervers, qui s’évertue à banaliser son acte pars des paroles telles que : “J’ai voulu monter de l’affection à mon enfant“, ou, “il valait mieux que ce soit moi qui lui fasse son éducation sexuelle“, ou bien, “je n’ai fait que répondre à la demande sexuelle de mon enfant“.

Étant donné leur rapport problématique à la Loi, certains incestueux ne comprennent pas les raisons de leur arrestation. Ce qui s’est passé est du domaine privé pour eux ; la société n’a aucun droit de pénétrer dans les secrets de famille, pensent-ils sincèrement. Ils sont convaincus du droit d’appropriation sexuelle des enfants par les parents. Ils sont en fait restés fixés à un mode de relation très immature, où l’enfant, qu’ils ont été, se défendait, face aux accusations, par des phrases telles que: “c’est pas moi, c’est lui !”

Parfois ils font « comme si » : ils se présentent comme repentants, puisque c’est ce qu’on attend d’eux, mais sont prêts à recommencer dès que possible.

Ils se forgent donc une identité de victime, mettent en échec les intervenants, fuient constamment leurs responsabilités ; ils étaient des “dictateurs domestiques”, ils se débrouillent à devenir des dictateurs par rapport à ceux qui les prennent en charge, par la confusion psychologique qu’ils induisent chez eux.

On parle de “jonglerie perverse avec la Loi” (Yves-Hiram L. HAESEVOETS).

C’est un jeu subversif avec les règlements juridiques, pour se détourner de l’Interdit, de la culpabilité, pour les “retourner” (en latin, “pervertere” veut dire : “retourner”) en quelque chose d’insignifiant[23].

C’est une démarche de déni, de clivage de la personnalité.

Le clivage se traduit par la coexistence au sein du Moi (c’est à dire de la personne humaine, consciente d’elle-même et objet de sa pensée) de deux attitudes contradictoires : l’une consistant à dénier la réalité (le déni), et l’autre à l’accepter.

La personnalité des pervers en général, et des parents incestueux en particulier, a été jalonnée par des traumatismes au cours de l’enfance, dont les souvenirs difficiles ont été refoulés. Et ce refoulement a été verrouillé, par un clivage de la personnalité pour ne pas revivre ces traumatismes.

Donc, ce mécanisme de défense, dans la perversion, entraîne un antagonisme entre le refoulé et l’agi.

Ce clivage empêche l’abuseur de prendre conscience de la gravité du problème de l’inceste.

Cette prise de conscience représenterait un danger majeur pour la structure de sa personnalité, et il y aurait effondrement psychique. D’où fuite dans l’irresponsabilité, la non-culpabilité, l’absence d’interdit, la transgression de la règle fondamentale de la prohibition de l’inceste établie par la société.

L’action thérapeutique est donc très difficile, et les rechutes nombreuses, puisqu’il y a une résistance forcenée chez le pervers incestueux pour ne pas revivre l’angoisse de l’enfance.

L’enfant, dont il abuse, lui renvoie sa propre image souffrante (de son enfance), dont il essaye de guérir par l’acte incestueux. Il y a compulsion, répétition de l’acte, comme dans l’usage de la drogue, et le pervers s’enfonce dans ce système aliénant, comme un autre le ferait dans l’addiction. L’enfant abusé devient sa propriété exclusive, sa drogue. Le père incestueux devient le “gourou” de son enfant, lui fait subir un véritable lavage de cerveau, afin de conserver sa jouissance, son omnipotence, sa mise à distance de son angoisse.

WEINBERG (1955) a décrit trois types de pères incestueux :

  • “le père endogame“, fidèle à son épouse et qui concentre ses activités sexuelles à l’intérieur de la famille, avec sa femme et sa (ses) fille(s),
  • le père pédophile”, qui recherche la promiscuité sexuelle avec tous les enfants, le sien aussi parce qu’accessible,
  • “le père promiscu“, qui abuse de son enfant, car il lui faut assouvir ses besoins sexuels le plus rapidement possible.

Chez tous les pervers incestueux, on retrouve une imago maternelle abandonnique et une imago paternelle rigide, cassante, incestueuse et/ou pédophile.

Dès que leur épouse leur devient inaccessible sexuellement (ils la décrivent comme froide, impitoyable, sévère, lointaine), ils reportent leurs manques sur leur enfant, afin d’assouvir un besoin de maternage intense. Et, inévitablement, ils finissent par avoir des relations sexuelles avec lui.

Généralement, les pères incestueux sont de conduite irréprochable à l’extérieur de leurs familles, même si leur vie sociale est souvent pauvre.

Ils sont maris fidèles et vertueux, alors qu’ils sont pères indignes et incestueux.

Du point de vue statistique, l’inceste père-fille est le plus répandu.

Mais il existe aussi l’inceste père-fils, de type homosexuel donc. Ceux qui le pratiquent présentent les mêmes caractéristiques que les autres parents abuseurs, mais ils ont refoulé et clivé leurs expériences traumatiques homosexuelles de l’enfance (avec leur père, un oncle ou un cousin plus âgé). Ils se sont mariés pour les convenances sociales, alors qu’ils étaient inhibés, à l’adolescence, avec les filles. Sous l’influence de l’alcool, ils passent à l’acte avec leur fils, qui devient une victime dont l’évolution psycho-affective est complètement compromise.

Les grand-frères, dans les familles nombreuses, prennent souvent le rôle du père, car celui-ci est instable, immature, absent. Ils peuvent devenir éventuellement incestueux avec leurs jeunes soeurs. Cela témoigne toujours d’un dysfonctionnement familial important. En général, les parents sont distants, inaccessibles, puritains, ayant désinvesti affectivement leurs enfants. C’est en tous cas ce que j’ai noté dans ma pratique clinique. Les frères et soeurs se rapprochent alors sexuellement l’un de l’autre, afin de retrouver une affection. Il existe souvent des secrets dans ces familles (adultères, inceste anciennement vécu par la mère). Les enfants se replient alors sur eux-mêmes, et les jeux sexuels de la petite enfance (présents et normaux chez tous les petits enfants) se transforment en inceste. La durée de la relation dépend de la différence d’âge et du degré de complicité affective des deux partenaires.

L’abuseur peut être aussi le beau-père de l’enfant. S’il occupe une place de substitut paternel depuis la tendre enfance de la victime, le cas s’apparente à celui des pères abuseurs. S’il est arrivé tardivement dans sa vie, le risque de violence est élevé, car l’enfant ne l’a pas investi affectivement ; l’abus sexuel est accompli alors de manière violente, sans stratégies, avec des menaces, des coups, de la brutalité. L’abus s’apparente au viol, à cause du refus de l’enfant, et, même s’il est de moins longue durée que l’inceste père-fille (qui peut s’étaler sur des années), il est aussi violent et grave quant aux conséquences.

Le beau-père abuseur, surtout s’il est arrivé tard dans la vie de sa belle-fille, ne ressent pas le tabou de l’inceste, car elle n’est pas une émanation biologique de lui-même.

Par ailleurs, il arrive que parfois le beau-père soit à peine plus âgé que sa belle fille adolescente, ce qui témoigne de l’immaturité affective dans les choix de partenaires chez la mère.

Mais la plupart du temps, les beau-pères incestueux s’en prennent aux enfants plus jeunes.

De toutes façons, l’inceste beau-père-belle-fille constitue aussi une transgression parce que les générations sont inversées, le “cycle cosmogonique” rompu.

Il est plus répandu que l’inceste père-fille, car l’attachement affectif est moins important et le frein des élans incestueux moins efficace.

L’inceste mère-fils existe, mais il est peu répandu dans le monde (environ 1%).

Les mères incestueuses sont immatures, abandonniques, souvent psychotiques, et/ou adonnées à la drogue, ou bien issues de cultures cassées, dégénérées. Elles dorment avec leur enfant, jusqu’à un âge avancé de ce dernier, et pratiquent avec lui des jeux à connotation sexuelle, avec masturbation. Lorsqu’il devient adolescent, il arrive que la mère entretienne avec lui une relation avec coït complet.

Les enfants accomplissent alors dans le réel les désirs oedipiens de leur petite enfance, ce qui compromet gravement leur avenir psychique : dépressions, conduites autodestructrices, avec tentatives d’autolyses, addiction à des drogues dures. Ceci est révélateur d’une immense culpabilité d’avoir eu des relations sexuelles avec leurs mères.

Les grands-pères peuvent devenir également incestueux. Ils sont plus souvent attirés par leur petite fille (l’inceste grand-père-petit-fils existe aussi, mais il est moins répandu).

L’abus a des conséquences tout aussi néfastes pour l’enfant que l’inceste père-fille.

Ces grands-pères ont été la plupart du temps des pères incestueux avec la mère de leur petite fille ou des pédophiles.

Mais pas toujours : “Le plus ou moins soudain manque d’attraction de leur partenaire peut amener certains hommes (de cinquante ans et plus) à fréquenter des femmes de quinze ans à vingt ans plus jeunes, à s’engager dans une sexualité plus perverse (dont l’inceste et la pédophilie) (…).” (Sylvain MIMOUN & Elizabeth CHAUSSIN. 1995).

Ils se sentent seuls ou rejetés. Les grands-mères les couvrent dans leur méfait, et il arrive même que les mères le fassent aussi (comme pour leur échapper en leur “livrant” leur progéniture).

EN CONCLUSION

Que doit-on faire face à une victime d’inceste ?

  • La croire, ne pas mettre ses souvenirs en doute, et ne pas penser immédiatement à des faux souvenirs,
  • L’écouter avec patience,
  • Reconnaître avec empathie le dommage qui lui a été fait,
  • Accepter et approuver ce qu’elle ressent ; car la douleur, la peur, la colère sont des réactions normales,
  • Respecter le temps qu’il lui faut pour guérir,
  • Lui demander ce dont elle a besoin et comment l’aider,
  • L’aider effectivement, et pas seulement par des promesses,
  • Prendre en compte l’état de ses forces psychologiques,
  • L’encourager à demander un soutien dans un des centres de thérapie des victimes,
  • Demander de l’aide aussi pour soi, en tant que thérapeute, si le stress est trop intense,
  • Prendre en charge la victime le plus rapidement possible si elle montre des tendances au suicide.

Ce qu’on ne doit pas faire :

  • “Disparaître”, c’est à dire abandonner la victime à son sort,
  • Prendre l’affaire en mains de manière autoritaire,
  • La culpabiliser,
  • Exprimer de la sympathie pour l’agresseur,
  • La faire taire quand elle fournit des détails sur l’agression, en insinuant que ce sont peut-être des faux souvenirs,
  • Lui promettre un soutien qu’on peut pas vraiment lui donner,
  • Espérer de la victime une aide si on ne peut pas supporter sa souffrance.

NOTES DE BAS DE PAGE

[1] Expression hébraïque, qui signifie « le chaos tumultueux initial avant la création du monde.

[2] Contraction de trois mots : « Torah, Néviim (prophètes) et Chétuvim » (Hagiographes).

[4] Lévitique 18.

[5] Genèse chapitre 3, verset 7.

[6] Dans l’inceste ou la pédophilie, il n’est pas rare, en effet, d’entendre les agresseurs rationaliser leurs actes par des phrases telles que : « c’est un acte d’amour envers les enfants », etc.

[7] Genèse chapitre 4, verset 1.

[8] “ Bnai Ha Élohim », c’est-à-dire littéralement : « Les fils des dieux »

[9] Genèse chapitre 1, verset 2.

[10] La Genèse, chapitre 19, versets 30 à 38.

[11] Raba était la capitale des Ammonites. On suppose que c’est l’actuelle « Aman », ou « Rabat Ammon » en hébreu, capitale de la Jordanie.

[12] Ézéchiel, chapitre 25, versets 5 à 11.

[13] Cf. le récit de la disparition de Sodome et Gomorrhe dans la Bible.

[14] Il est intéressant de noter que « Gaal » en hébreu veut dire « libérer, sauver », mais aussi « souiller, salir ». Or ce thème s’applique au Messie, personnage « tabou » par excellence, susceptible de sauver mais aussi de souiller les êtres humains…

[15] Verset 19.

[16] Totem et Tabou, 1912.

[17] On sait, pour la petite histoire, que la fille Judith de Lacan, qu’il avait eue avec sa maîtresse Sylvia Makles-Bataille, en 1941, n’a pu porter son nom qu’en 1964, et que cette impossibilité de transmettre, pendant longtemps, son patronyme sera l’une des déterminations plus ou moins conscientes de l’élaboration de la « Forclusion du nom du père » chez lui.

[18] In Psychanalyse, Œuvres complètes, Payot, 1982.

[19] Traduit par moi-même.

[20] Pour Freud, on le sait, cette réalité concernait particulièrement l’absence du pénis, chez la femme…

[21] Cf. l’article de Dominique Simonot, paru dans le journal « Libération » du mercredi 14 avril 1999, à propos du jugement et de la condamnation, opérés par le Conseil de l’Ordre des Médecins contre la Dr. Catherine Bonnet, auteur du livre L’enfant cassé (Albin Michel), où elle prend parti pour les enfants qui lui ont raconté qu’ils ont été victimes d’agressions sexuelles de la part de leurs pères. Ces derniers ont été attaqués en justice par les mères, qui exigèrent la garde des enfants et même la déchéance de leur autorité parentale. Cependant, les avocats réussirent à convaincre les juges de l’innocence des pères.

[22] On parle de « paraphilies ».

[23] En hébreu, également, « pervers » se dit « סוטה », ou « soté », c’est à dire « celui qui s’écarte, se détourne (du chemin imposé par la société).

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