RENCONTRE ADOPTIVE : CONSTRUCTION DE LA MATERNITE ET MALTRAITANCE DU PARENT PENDANT L’ENFANCE DU PARENT

ACCOMPAGNEMENT D’UNE MERE ADOPTANTE

Céline CHOMBEAU-CLAUDEL

  • Psychologue unité adoption
  • philippe.claudel87@sfr.fr

RESUME

La parentalité adoptive peut connaitre des difficultés comme toute parentalité. L’expérience de la maltraitance pendant l’enfance de la mère peut avoir un effet non négligeable sur la construction de la relation mère-enfant. Nous vous proposons une étude clinique d’un accompagnement des premiers temps d’une adoption de M. 4 ans : observations cliniques, entretien clinique avec Madame F. et passation de la Post traumatic Checklist Scale (PCLS) et du questionnaire des évènements de vie traumatique (THQ). Une revue de la littérature sur les maternités et agressions sexuelles pendant l’enfance du parent vient compléter ce travail.
Conclusion : de l’importance du repérage et de l’accompagnement psychologique précoce des mères dont l’enfance a été teintée de maltraitance afin de leur proposer une prise en charge adaptée à leur trauma et d’éviter les échecs de placement d’enfant.
Mots clés : mère adoptive, agression sexuelle dans l’enfance, maltraitance.

ABSTRACT

Background : Becoming an adoptive parent may be difficult like any other parenthood. However, a history of childhood maltreatment may affect the adjustment to mother- child bonding.We offer you a case report of the first months of M.’s adoption,4 year-old child, clinical observation, mother interview, and she was administred the PCLS Post traumatic Checklist Scale and the Traumatic History Questionnary. A review of literature about maternity and childabuse will complement the study.
Conclusion : it is important to identify and take care of adoptive mothers with childhood’s experiences of maltreatment so as to offer them a psychochological therapy and to avoid the failures of the child’s adoption.
Keywords : adoptive mother, childabuse, maltreatment.

INTRODUCTION

Si l’avènement de la parentalité est une période de remaniements psychologiques importants pour le futur père comme pour la future mère, il est parfois possible qu’elle s’accompagne de reviviscences traumatiques lorsque, notamment, l’enfance du parent a été teintée de maltraitance.

En 2018, la France a accueilli 615 enfants issus de l’adoption internationale (chiffre de la Mission de l’Adoption Internationale) et 1050 enfants pupilles de l’Etat vivent dans une famille en vue de leur adoption (au 31.12.2016, données de l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance).

La rencontre adoptive est un moment particulier, intense, parfois à l’origine d’un « coup de foudre » ou bien de désillusion entre un enfant privé de famille et des parents, souvent confrontés à une infertilité ou une stérilité et désireux de fonder une famille. Les premiers temps de vie commune nécessitent une attention particulière des professionnels, notamment dans la mise en place des liens d’attachement parents-enfant.

Psychologue au sein d’une unité dédiée aux adoptions, dans le service de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) du Conseil départemental, nous avons, à plusieurs reprises, été témoins d’arrêts dans « le placement en vue d’adoption » (article 351 et suivants du Code Civil) d’enfants pupilles de l’Etat confiés à une famille adoptive. Pour ces situations, outre le fait que les enfants étaient des enfants « grands », nous avons observé la difficulté pour les mères adoptives d’être en lien avec l’enfant confié. Les pères, quant à eux, avaient eu des contacts très satisfaisants avec l’enfant. Malgré l’attention et le soutien des professionnels, tant envers les enfants que les familles, les projets ont cessé.

Nous nous sommes alors interrogés sur les facteurs à l’origine de ces échecs de placement, malgré le désir de         « faire famille » avec l’adoption et plus particulièrement autour des craintes des mères adoptives.

Pendant le cursus de formation du Diplôme Universitaire de Psychotraumatologie dispensée à l’Université Paris Descartes, nous avons été référentes d’un nouvel apparentement, d’une mise en relation et d’un suivi de placement en vue d’adoption d’un jeune enfant de 4 ans, pupille de l’Etat. Cette pratique professionnelle a accompagné toute notre année de formation. Il était évident pour nous d’en faire un sujet du travail de fin d’année.

CONTEXTE

Le statut de pupille de l’Etat est un statut qui est protecteur pour un enfant (article L224-4 du Code de l’action sociale et des familles). L’enfant est alors confié à l’ASE, service gardien ; l’autorité parentale étant détenue par le Préfet, en son représentant le tuteur et le conseil de famille. Le projet de vie de l’enfant est évalué annuellement par le conseil de famille et le tuteur, il peut être un projet d’adoption pour l’enfant mais pas seulement (article 34, loi n°2016-297 du 14 mars 2016).

Pour pouvoir adopter en France ou bien dans un pays ouvert à l’adoption internationale, toute personne doit être en possession d’un agrément en vue d’adoption (article R 225-1 et suivants du Code de l’action sociale et des familles). Celui-ci est délivré par le Conseil départemental du lieu de résidence de la personne candidate. Cette autorité procède alors à des investigations sociales et psychologiques de la candidature afin d’évaluer non seulement la situation familiale, les capacités éducatives ainsi que les possibilités d’accueil en vue d’adoption d’un enfant pupille de l’Etat ou d’un enfant étranger, mais aussi d’évaluer le contexte psychologique dans lequel est formé le projet d’adopter.

Le conseil de famille fait le choix de postulants à l’adoption, agréés, pouvant répondre aux besoins d’un enfant adoptable. L’équipe de l’unité dans laquelle nous travaillons s’occupe de la préparation de l’enfant et de ses futurs parents, accompagne la première rencontre et assure un suivi de l’adaptation de l’enfant dans son nouveau milieu de vie. C’est une équipe pluridisciplinaire de psychologues et travailleurs sociaux. Une puéricultrice de la Protection Maternelle et Infantile se joint au suivi lorsque l’enfant a moins de six ans.

La rencontre avec un enfant, les remaniements d’une nouvelle parentalité peuvent faire surgir chez les parents des angoisses et réactions de rejet auxquelles ils n’auraient jamais pensé. Le temps de l’agrément ne leur a pas permis de les faire émerger afin de les mettre au travail à ce moment-là. C’est au cours du suivi de l’adaptation de l’enfant qu’elles vont se révéler.

Il est à présent admis que la maltraitance physique, l’agression sexuelle et psychologique et la négligence pendant l’enfance ont des conséquences non seulement sur la personnalité du futur adulte mais aussi sur le processus de parentalité. Ainsi, lorsque la filiation n’est pas biologique, qu’en est-il de la construction des liens du parent avec l’enfant adopté ? De plus, lorsque l’enfance du parent a été teintée de maltraitance comment ces liens peuvent-ils se construire ? Est-ce qu’une filiation adoptive permet de faire l’impasse d’une reviviscence traumatique chez le parent adoptant ?

METHODE

Nous proposons une synthèse de l’état actuel de la recherche en lien avec la problématique de la parentalité adoptive et ses écueils. Nous avons fait une recherche sur les sites de la bibliothèque de l’Université Paris Descartes, ScienceDirect, Taylor & Francis Online et American Academy of Pediatrics avec des mots clés comme « adoptive parents », « adoptive mother », « childhood adversty », « parenthood », « motherhood », « childabuse », « bonding ».

Nous proposons une illustration de cette revue par l’accompagnement psychologique du parcours de Monsieur et Madame F., titulaires d’un agrément en vue d’adoption depuis plus de 2 ans qui adoptent M., 4 ans, enfant pupille de l’Etat.

L’illustration clinique se base sur la consultation du dossier d’agrément en vue d’adoption du couple de Monsieur et Madame F. ainsi que du dossier de l’Aide Sociale à l’Enfance de M, enfant adopté, des observations cliniques au domicile de la famille dans le cadre du suivi du placement en vue d’adoption, la passation du questionnaire des évènements de vie (THQ) de Green (1996). Celui-ci est divisé en catégories d’évènements liés à une catastrophe, à des évènements traumatiques et des expériences physiques et sexuelles. Il s’agit pour le patient d’indiquer le nombre de fois où l’évènement s’est produit, l’âge approximatif et la nature du lien avec la personne concernée et quelques éléments contextuels de l’évènement. C’est un auto-questionnaire que nous avons passé en hétéro-questionnaire. La passation du PCL-S (Weathers et al.1993) : Post traumatic Stress Disorder Checklist Scale évalue l’intensité de 17 symptômes de l’état de stress post traumatique regroupés en 3 sous-échelles concernant les répétitions, l’évitement et l’hyperactivité neurovégétative (critères du DSM IV). Les items sont gradués de 1 (pas du tout) à 5 (très souvent). Habituellement en auto-passation d’une durée de 5 à 10 minutes, nous l’avons réalisée en hétéro-questionnaire. Ce dépistage est apprécié tant dans la clinique que pour la recherche. Enfin, la passation d’un entretien clinique basé sur le protocole de l’entretien d’attachement de l’adulte (Main et al., 1985) a été réalisée.

Monsieur et Madame F. ont donné leur consentement pour participer à l’étude ainsi que le tuteur de l’enfant M.. Nous avons retranscrit l’intégralité des entretiens et tests au sein d’une annexe.

REVUE DE LA LITTERATURE

Plusieurs auteurs se sont interrogés sur les conséquences de la maltraitance pendant l’enfance des sujets sur la construction de la personnalité mais aussi sur ses effets dans la construction des liens à un enfant lorsque, à son tour, il devient parent.

Définition de la maltraitance sexuelle et son impact

Nous reprenons dans le texte la définition de la maltraitance sexuelle qui « recouvre toutes ces situations d’exposition d’un mineur d’âge, par un adulte ou un partenaire plus âgé, à une stimulation sexuelle inappropriée à son âge, à son niveau de développement et à sa place dans sa famille et son groupe social. Cet acte imposé est la manifestation d’une transgression des normes sociales et d’un abus de pouvoir et/ou de confiance. Il peut être ponctuel ou répété, planifié ou non et prendre un caractère verbal ou non verbal. Dans toutes ses formes, il représente une atteinte à l’intimité et à l’intégrité corporelle pouvant entrainer des dommages importants chez la victime et une perturbation de ses liens familiaux et sociaux ». (Becker & Maertens, 2015).

Les répercussions traumatiques sur l’enfant à court ou à long terme sont incluses dans la notion de PTSD et tiennent compte des facteurs de risques et de résilience de l’enfant. Cependant, nous pouvons noter l’effraction sur le psychisme de l’enfant causée par le bouleversement des repères internes de par la culpabilité, les ambivalences qui viennent alimenter angoisses et affects.

La maltraitance sexuelle perturbe également l’organisation générale du développement neuropsychologique par des difficultés d’organisation du travail, de mémorisation, par une fragilité de la concentration mais il arrive aussi que la victime investisse les apprentissages scolaires dans un détachement du lien à l’abuseur.

La capacité parentale d’un enfant victime de maltraitance sexuelle peut être altérée par les expériences relationnelles traumatiques précoces. Le traumatisme psychologique complexe est marqué par un trouble dissociatif s’exprimant par des comportements automatisés, une fragmentation émotionnelle, une altération de l’identité face à la réalité indicible. Cette dissociation, dans l’apport de la théorie de l’attachement, fait écho à la défaillance des modèles internes opérants (MIO) qui sont une représentation mentale que le sujet a de lui-même, de l’autre et de lui en relation. Chez les enfants victimes de maltraitance, les MIO sont dégradés, les représentations de soi, des autres et de soi en relation avec les autres sont négatives.

Maltraitance pendant l’enfance et parentalité biologique

La revue de la littérature (Christie et al., 2017) nous dit que la maltraitance pendant l’enfance est un facteur de risque dans la construction de la parentalité (prénatale et postnatale jusqu’au 2 ans de l’enfant) tant au regard de la santé mentale du parent (dépression, syndrome post- traumatique, anxiété, consommation de substances et idéation suicidaire) que de la représentation mentale de l’enfant (lien et attachement, perception maternelle du comportement de l’enfant) et que sur sa propre représentation en tant que parent (propre représentation en tant que parent et identité, représentation de la parentalité).

Maltraitance pendant l’enfance et maternité précoce

Pour Riva Crugnola & al. (2019), la maternité précoce est un risque pour la parentalité et la qualité de l’interaction mère-bébé. C’est la première étude qui montre que le risque est majoré lorsque les mères ont un passé de maltraitance pendant l’enfance. Cela vient affecter la régulation des émotions mère-enfant aux niveaux individuel et dyadique. Le risque est majoré lorsque les mères ont plusieurs expériences de maltraitance pendant l’enfance.

Maltraitance pendant l’enfance, maternité et qualité du maternage

La réactivation du syndrome post traumatique vient perturber les différentes étapes de la maternalité entrainant des risques de maltraitance psychologique ou physique (déni de grossesse avec risque d’infanticide, avortements répétés, fœtus battu, relations ambivalentes, comportement fusionnel ou rejetant…) (Chabert & Chauvin, 2005).

« La puerpéralité est un moment de remaniements psychiques qui peut prendre soit valeur de répétition du traumatisme soit permettre de le dépasser » (Rainelli et al., 2012). Le rôle de l’entourage est primordial, tant au moment de la révélation de l’agression, avec les réactions de la famille et le recours au judiciaire, parce qu’il peut modifier la portée traumatique de l’évènement, qu’au moment de la grossesse et des capacités de soutien du conjoint, de la famille et du soignant.

Maltraitance pendant l’enfance, maternité et symptôme de dépression

Khan & Renk (2018) s’interrogent sur le mécanisme en jeu dans les difficultés d’attachement entre mère et enfant lorsque celles-ci ont connu un contexte de maltraitance pendant l’enfance. Les auteures concluent que les dépressions maternelles sont un intermédiaire entre l’expérience de maltraitance dans l’enfance et les patterns d’insécurité (anxieux, évitant, désorganisé) dans le lien des mères avec leur jeune enfant. Ainsi, le symptôme de dépression dans un contexte de maltraitance pendant l’enfance de la mère est relié plus directement à la question de l’attachement mère-enfant qu’au vécu de maltraitance seul.

Mais qu’en est-il pour la construction du lien d’attachement dans une parentalité adoptive ?

Le sentiment de parentalité se construit dans l’adoption

Nous nous appuierons sur les travaux de Vinay et al. (2014). La procédure d’agrément en vue d’adoption, phase d’élaboration d’un désir d’enfant vers un projet d’enfant, est un temps de « grossesse adoptive » selon Lévy-Soussan (2010) parce que le processus de parentalité est uniquement psychique sans une appropriation de l’enfant sur le plan physique. Les deux parentalités ont en commun l’émergence de représentations idéalisées de l’enfant chez le parent. Qu’elles s’appuient sur le corps ou non, ces idéalisations de l’enfant ou de la rencontre avec celui-ci provoquent des projections émotionnelles identiques chez les parents ; cela participe à la construction du sentiment de parentalité. La comparaison du niveau de stress chez les parents biologiques et adoptants nous apprend que les futurs pères biologiques sont plus stressés que les mères et inversement chez les futures mères adoptives.

Le processus de parentalité s’accompagne de remaniements psychiques, lorsque l’enfant réel prend sens, certains parents peuvent ressentir une effraction psychique susceptible de modifier transitoirement les modèles d’attachement, notamment dans la première année qui suit. Celle- ci tend à retrouver une certaine homogénéité pour le groupe de parents depuis plus de trois ans.

Fontenot (2007) montre que « les mères adoptives naviguent sur un chemin incertain et stressant vers la maternité et ont réussi à s’adapter ». Elle compare l’accompagnement prénatal et du postpartum avec le soin d’une préparation pré adoptive and post adoption précoce. Ses recherches sont à l’attention des infirmières.

Mères adoptantes et estime de soi maternelle

L’étude exploratoire (Fournier & Séjourné, 2016) montre que l’âge de l’enfant lors de l’adoption et l’état d’anxiété de la mère étaient des prédicteurs significatifs de l’estime de soi maternelle et des troubles de la relation à l’enfant. L’intensité de la dépression post adoption était liée au stress perçu pendant la procédure d’adoption et au stress parental à l’arrivée de l’enfant. Elle porte l’attention sur la qualité de l’entourage dans les fonctions d’aide et d’accueil des mères pendant la procédure mais également à l’arrivée de l’enfant par l’adoption.

ETUDE CLINIQUE

Monsieur et Madame F. ont accepté le placement en vue d’adoption de M., 4 ans, pupille de l’Etat.

M est une fillette de 4 ans, emmenée à ses 20 mois au service des urgences pédiatriques par des adultes qui ne se sont plus manifestés. La situation sanitaire de l’enfant était inquiétante et a nécessité l’interpellation du Procureur de la République au titre de la protection de l’enfance. La nature des maltraitances et carences subies par M. est inconnue mais les traces laissées sur son corps sont éloquentes. Les médecins constatent des hématomes et traces d’anciennes fractures sur des vertèbres thoraciques et l’un des tibias. Des lésions anales laissent supposer une agression à caractère sexuel. Enfin, M. a dû être transfusée suite à une importante anémie. Après quelques jours d’hospitalisation, l’enfant a rejoint une pouponnière départementale où elle a continué de bénéficier de soins, tant médicaux que psychothérapeutiques. L’enfant est préparée à l’adoption par la psychologue de notre unité, soutenue par toute l’équipe de la pouponnière.

La mise en relation de Monsieur et Madame F. avec M. s’effectue dans le lieu de vie tous les jours pendant une semaine. Le placement à domicile prend la suite. L’accompagnement pluridisciplinaire commence à ce moment-là.

Madame F. a eu des difficultés à aménager sa représentation de l’enfant idéalisé à la réalité de l’enfant (bébé versus fillette de 4 ans). La relation mère-enfant est teintée d’affects négatifs qui font émerger chez le parent un sentiment de culpabilité propice à contribuer à l’instauration d’un mécanisme dépressif.

Nous observons que, dès les premières semaines, M. ne voulait pas que Madame F. la touche. C’est à Monsieur de donner les soins du quotidien. M. faisait des colères et Madame F. « se sentait agressée et menacée par l’enfant» qu’elle n’arrivait pas à calmer. Puis, au bout de 4 mois d’accueil, Madame F. exprime de plus en plus de difficulté dans la prise en charge de l’enfant face au rejet que manifeste M. à son égard. Nos observations nous amènent à penser dans un premier temps que Madame F. montre tous les signes d’une dépression du postpartum : baisse d’appétit et perte de poids (- 4 kg), augmentation de la consommation de tabac, peu ou pas d’expression du visage, peu d’échanges de regard avec l’enfant, fonctionnement automatique en présence de M. ou mère absente, appréhension des moments où elle va être seule en présence de l’enfant, cauchemars avec thématique de ramener M. à la pouponnière, associés à un sentiment de soulagement et enfin, idéation suicidaire. Madame F. nous a révélé, à ce moment-là, des agressions sexuelles intrafamiliales pendant son enfance. Celles-ci ont cessé lorsqu’elle a fréquenté le collège et ont été révélées à ses parents au moment du décès de l’auteur. Sa mère aurait eu comme réaction de minimiser les faits et lui aurait fait part des agissements de l’auteur également à son égard dans son enfance.

Madame F. s’interroge sur ses capacités à être mère de cette enfant, et ses capacités à pouvoir protéger M., en identification à M. (et son histoire) mais également en identification à sa propre mère parce qu’elle devient mère à son tour.

Invitée à consulter son médecin traitant, il lui prescrira un traitement qu’elle ne prendra pas.

Nous décidons alors d’intensifier notre suivi à domicile ce que le couple accepte volontiers. Monsieur F. qui, au début banalisait les difficultés de son épouse, semblait prendre de plus en plus conscience de la gravité de celles-ci. Le couple semble nous faire confiance. Nous proposons alors à Madame F. une prise en charge par l’unité mère-enfant du secteur avec laquelle nous avons pris soin de faire une liaison. Deux entretiens avec le médecin responsable lui seront proposés. Nous invitons également à Madame F. d’entrer dans notre étude, ce qu’elle acceptera très spontanément ayant le besoin de témoigner et de sensibiliser les parents ou futurs parents mais aussi d’être aidée.

Les résultats au PCLS nous montrent la prégnance du syndrome d’intrusion (trois items cotés 4 (items de 1 à 5) et de l’anesthésie émotionnelle (deux items cotés 3 et 4 (items de 6 à 12 syndrome de l’évitement). Le score de 32 est proche du seuil de repérage des sujets relevant d’une prise en charge psychothérapeutique au-delà de la présence ou non d’un ESPT. Nous invitons Madame F. à poursuivre dans une prise en charge par l’EMDR des reviviscences de son passé de maltraitance. Le Centre Médico Psychologique de son secteur dispose d’une professionnelle formée à cet outil et encline à la prendre en charge. Madame F. est entourée de son mari et de sa belle-famille. Elle est en contact régulier avec ses parents et souhaite s’en rapprocher depuis qu’elle est mère. Elle dispose d’un bon soutien amical.

Nous terminerons cette présentation par le regard de Madame F. sur son parcours et celui à venir de sa fille : « Mon expérience dans l’enfance, mon vécu, est un fait et pas une excuse. C’est à elle (M.) de décider ce qu’elle va faire d’elle. Les choses sont arrivées, parfois elles sont aussi la cause d’une réussite. »

CONCLUSION ET PERSPECTIVES

Les traumas sexuels de l’enfance marquent de toute évidence l’exercice de toute parentalité en constituant un facteur de risque dans la qualité des liens d’attachement.

La découverte d’antécédents de maltraitance sexuelle intrafamiliale dans l’enfance d’une femme devenant mère adoptante a permis de donner des éléments de compréhension dans la difficulté de mise en place de lien mère-fille. L’intensité de la symptomatologie et ses potentiels effets sur les troubles de la relation mère-enfant nous ont interrogés.

Le temps de préparation à l’adoption mais aussi le suivi pluridisciplinaire de ces nouveaux apparentements permette de faire émerger les traumas qui ont été tus lors des enquêtes de l’agrément en vue d’adoption. La prise en charge de ces traumas est essentielle pour l’établissement d’un lien d’attachement sécure. Elle permet peut-être d’éviter un arrêt du placement en vue d’adoption.

Nous n’avons pas évalué ici les retentissements potentiels de l’histoire de l’enfant sur la mère mais nous avons observé les interrogations de cette mère sur ses compétences à être mère de cette enfant essentiellement autour de la thématique de la protection de l’enfant.

Le parent a aussi été un enfant qui a grandi avec son passé parfois teinté de carences et maltraitance.

Ces dernières années, le nombre d’enfants pupilles de l’Etat augmente suite à l’évolution des lois sur la protection de l’enfant. Les unités adoptions travaillent autour des projets de vie des enfants placés et sont déjà sensibilisés à leur trauma. La détection et l’organisation de la prise en charge de celui du parent adoptant lorsqu’il émerge autour de l’accueil de l’enfant peut être le prochain défi de nos unités. L’information des futurs parents sur l’existence de ces traumas de l’enfance et leur prise en charge ainsi que la formation des professionnels de la protection de l’enfance sont essentiels.

BIBLIOGRAPHIE

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