SAWADOGO Brahima
- Psychiatre
- Service de psychiatrie de Ouagadougou
- La Causerie : Unité intersectorielle ethnopsychiatrie d’Aubervilliers
Introduction
Selon la CIM 10 l’état de stress post traumatique, classé parmi les troubles en rapport avec une réaction à un facteur de stress sévère, et troubles de l’adaptation, constitue une réponse différée ou prolongée à une situation ou à un événement stressant (de courte ou de longue durée), exceptionnellement menaçant ou catastrophique et qui provoquerait des symptômes évidents de détresse chez la plupart des individus.
Le trouble de stress post traumatique constitue actuellement un problème santé publique. La prévalence est variable mais demeurent élevées dans les populations spécifiques [Robjant et al, 2010]. En population générale, elle est relativement faible [Zajac et al, 2011], inférieures à 10 %.
Dans ces groupes spécifiques, les recherches de ces dernières années, se sont intéressées aux populations fuyant les zones de conflit ou la violence politique [Brenda Shook et al, 2018].
Parmi les réfugiés la prévalence du trouble du stress post traumatique (TSPT) est très élevée [Robjant et al, 2010 ; Onyut et al, 2009 ; Rasmussen et al, 2010]. Ainsi, certaines études ont rapporté des prévalences pouvant atteindre plus de 80% de la population des réfugiés.
Les personnes en situation de migration contrainte ont été largement exposées à des phénomènes de violence et confrontées à des événements traumatisants.
L’Afrique subsaharienne est marqué depuis des années par une recrudescence de conflits armés, des exactions et des violences de tout genre [Sweileh et al, 2017 ; Onyut et al, 2009], ce qui contraint les populations à fuir les zones de conflits. Ainsi, chez les exilés récemment arrivés en France, les psychotraumatismes résultent en premier lieu des causes ayant provoqué leur départ (guerres, violences, tortures, emprisonnement, mutilations sexuelles, mariages forcés, terrorismes…), ainsi que des conséquences immédiates de l’exil (perte des proches, des repères, du statut social…).
De nombreux auteurs ont noté l’existence d’inégalités sociales et culturelles chez les individus dans la rencontre traumatique [Penk & Allen, 1991 ; Schreiber, 1995 ; Young, 1995].
En ce qui a trait aux représentations des maladies et des troubles de santé mentale en Afrique, plusieurs recherches révèlent des attributions relevant de facteurs surnaturels chez plusieurs populations africaines [Chalmers, 1996], en particulier dans les pays subsahariens [Adewuya et Makanjuola, 2008; Brown et collab., 2011; Furnham, Akande et Baguma, 1999; Patel, 1995]. Ainsi, des facteurs tels que la sorcellerie, l’influence de mauvais esprits ou des ancêtres et une intervention divine ont été cités comme causes potentielles dans ces études.
Ainsi Levesque, A. et R. Rocque (2015) dans une étude sur les représentations culturelles des troubles de santé mentale chez les migrants et réfugiés de l’Afrique francophone subsaharienne au Canada, 16 participants ont attribué les troubles mentaux à des facteurs externes, imposés à la personne, hors de son contrôle et qui relèvent du domaine du surnaturel, par exemple les sortilèges. De plus, des démons ou des mauvais esprits peuvent être selon eux à l’œuvre dans certains cas de troubles mentaux.
A la lumière de ces auteurs et notre rencontre avec les migrants et des réfugiés traumatisé, notre étude vise à décrire les représentations culturelles des troubles de stress post traumatique des migrants et des réfugiés d’Afrique subsaharienne fréquentant l’unité intersectorielle d’ethnopsychiatrie d’Aubervilliers, selon les causes, et les traitements.
Objectifs
Objectif général
Décrire les représentations culturelles des troubles de stress post traumatique (TSPT) chez les migrants et les réfugiés d’Afrique subsaharienne fréquentant l’unité intersectorielle d’ethnopsychiatrie d’Aubervilliers.
Objectifs spécifiques
Décrire les évènements traumatiques vécus par les migrants et les réfugiés d’Afrique subsaharienne fréquentant l’unité intersectorielle d’ethnopsychiatrie d’Aubervilliers.
Décrire les manifestations du TSPT chez les migrants et les réfugiés d’Afrique subsaharienne fréquentant l’unité intersectorielle d’ethnopsychiatrie d’Aubervilliers.
Décrire l’explication culturelle du TSPT chez les migrants et les réfugiés d’Afrique subsaharienne fréquentant l’unité intersectorielle d’ethnopsychiatrie d’Aubervilliers.
Décrire les pratiques traditionnelles, religieuses ou spirituelles pour la prise en charge du TSPT chez les migrants et les réfugiés d’Afrique subsaharienne fréquentant l’unité intersectorielle d’ethnopsychiatrie d’Aubervilliers.
Hypothèse
Les représentations de la maladie sont soumises à l’influence de nombreux facteurs, notamment la culture d’appartenance.
Méthodologie
Critères d’inclusion
Nous avons inclus dans notre étude, tous les patients migrants et les réfugiés fréquentant l’unité intersectorielle d’ethnopsychiatrie d’Aubervilliers originaire de l’Afrique subsaharienne pendant la période d’étude (14 Aout au 15 Septembre 2020), et chez qui le diagnostic de TSPT a été posé.
Sources des données
Les dossiers des patients nous ont servi de sources de donnée.
Collecte des données
Nous avons procédé à un recensement de tous les patients migrants et les réfugiés fréquentant l’unité intersectorielle d’ethnopsychiatrie d’Aubervilliers originaire de l’Afrique subsaharienne pendant la période d’étude.
La technique utilisée pour la collecte des données a été l’étude de dossiers. Les données des patients ont été recueillies au moyen d’une grille de collecte de données individuel : il s’agit d’un questionnaire écrit, administré de façon anonyme (joint en annexe).
Nous avons recueilli les données sociodémographiques, les données relatives aux évènements potentiellement traumatisants, les manifestations du TSPT, l’explication culturelle du TSPT et les pratiques traditionnelles, religieuses ou spirituelles pour la prise en charge du TSPT.
Nous avons posé des questions culturellement orientées [Spierings, 1999], basiques, permettant à la fois d’obtenir les repères culturels du patient et de relever des éléments cliniques pertinents :
- comment explique-t-on votre maladie dans votre pays ?
- comment serait soignée votre maladie dans votre pays ?
- s’il y avait un/e sage de votre famille avec nous, que dirait-il/elle sur votre maladie et sa guérison ?
Résultats
Caractéristiques sociodémographiques
La fréquence : nous avons enregistré sur notre période d’étude 184 patients qui fréquente l’unité intersectorielle d’ethnopsychiatrie d’Aubervilliers avec 59 patients ressortissants de l’Afrique subsaharienne soit 32.06 %. Parmi les patients ressortissants de l’Afrique subsaharien (59) recensés, notre étude a porté 19 cas de troubles de stress post traumatique répondant aux critères d’inclusions.
Le sexe : parmi les 19 patients présentant des troubles de stress post-traumatiques, 7 étaient de sexe masculin et 12 de sexe féminin, soit un sexe ratio de 1,7
Discussion
Limites
Notre étude a connu des limites.
Le caractère rétrospectif de notre étude a été source de limites notamment par l’insuffisance d’informations dans des dossiers. Nous n’avons pas eu l’autorisation des premiers responsables du service pour interroger les patients. Malgré ces limites, nous sommes parvenus à des résultats que nous avons comparés aux données de la littérature.
Commentaires
Dans notre étude, les femmes représentaient 63.1% des patients. Les résultats corroborent avec d’autres études. [Kessler, R.C. et al. 1995]. Une interprétation possible de cette différence consiste en une plus grande vulnérabilité des femmes aux événements de vie traumatiques et il est toujours plus facile de s’attaquer à une femme qu’à un homme. Il y a des traumatismes qui n’existent que pour les femmes, c’est le cas de l’excision.
L’âge moyen des patients est de 29 ans ± 8, l’âge minimum est 19 ans et l’âge maximum est 46 ans. Les différentes études mentionnent une plus grande vulnérabilité chez les sujets d’âge jeune. Ces résultats s’expliquent également par le fait que les patients qui fréquente le service d’ethnopsychiatrie sont majoritairement des jeunes.
Dans notre étude les évènements potentiellement traumatique comprennent les violences interpersonnelles que sont : les violences sexuels, victime d’excision ; Avoir été témoin ou victime de coups ou de tortures. Ces types d’EPT sont rapportés par les populations qui avaient subi des violences dans leur pays d’origine. [Amad, A., et al. 2013]. Dans notre étude certains individus ont eu l’impression d’une mort imminente pendant la traversée de la méditerranée ou du désert, et d’autre ont perdu leurs enfants pendant la traversée de la méditerranée (2 femmes).
Les participants ont identifié un certain nombre de cause susceptible de contribuer au développement de leur trouble : La sorcellerie, Mauvais esprits ou des ancêtres : Djinn ; Action d’un marabout ; La malédiction ; Les maris ou femmes de nuit, L’animal totem (serpent python qui est rapporté par un patient qui dit qu’au lieu de le protégé se présente à son fils ; ce qui le rend agité) et une intervention divine.
Dans notre étude certain répondants évoquent comme solution à leur trouble un recoure à la pratique traditionnelle ou de nature religieuse et spirituelle.
Les tradipraticiens (médecin traditionnels) possèdent des plantes ayant des vertus thérapeutiques et peuvent également procéder à des rituels de purification pour guérir ce genre de trouble.
D’autre évoque la pratique traditionnelle et religieuse ou la spiritualité. Ils évoquent la prière, le recours à des rituels de délivrance ou d’exorcisme pour chasser les mauvais esprits. La prière peut être faite par un prêtre, un marabout ou l’imam de la mosquée.
Le sage de la famille détenteur des fétiches ou secret de la famille peut intercéder auprès des ancêtres pour rétablir la santé. Ces représentations ont été rapportées par d’autre auteur [Levesque, A. et R. Rocque (2015)]. D’où la nécessité de prendre en compte la représentation culturelle.
Conclusion
Les migrants et les réfugiés d’Afrique subsaharienne fréquentant l’unité intersectorielle d’ethnopsychiatrie d’Aubervilliers ont été victimes de plusieurs évènements potentiellement traumatiques. Aussi, leurs manifestations du trouble stress post traumatique sont similaires à celles des réfugiés des autres cultures. Cependant ils ont une représentation culturelle de leur trouble d’où la nécessité d’une prise en compte de cette problématique dans la prise en charge des patients.
Biographie
Amad, A., et al. (2013). “Increased prevalence of psychotic disorders among third-generation migrants: results from the French Mental Health in General Population survey.” Schizophr Res 147(1): 193-19
American Psychiatric Association (2015). DSM-V : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Paris: Elsevier-Masson
Amara P. (2017) EMDR therapy in intercultural context / European Journal of Trauma & Dissociation 183–195
Brenda Shook et al. Pre-migration trauma experience of east African refugees in the United States. American international Journal of contemporary research, 2018; 8 (1): 12-23.
Levesque, A. et R. Rocque (2015). Représentations culturelles des troubles de santé mentale chez les immigrants et réfugiés de l’Afrique francophone subsaharienne au Canada. Alterstice, 5(1), 69-‐82.
Tapié de Céleyran F, Astre H, Aras N, Grassineau D, Saint-Val T, Vignier N, et al. Étude nationale sur les caractéristiques des personnes migrantes consultant dans les Permanences d’accès aux soins de santé en France en 2016. Bull Epidémiol Hebd. 2017; (19-20):396-405. http://invs.santepubliquefrance. fr/beh/ 2017/19-20/2017_19-20_4.html
Moro, M.-R. (2004). Bases de la clinique transculturelle. In Moro, M.-R., De La Noé Q., Mouchenik Y Manuel de psychiatrie transculturelle : travail clinique, travail social. Grenoble: La pensée sauvage, 159-177
Moro, M.-R., De La Noé, Q. et Mouchenik, Y (2004). Manuel de psychiatrie transculturelle : travail clinique, travail social. Grenoble: La Pensée sauvage
Môhlen, H., Parzer, P., Resch, F. et Brunner, R. (2004). Psychosocial support for war-traumatized child and adolescent refugees: evaluation of a short-term treatment program. Australian and New Zealand Journal of Psychiatry, 39, 81-87
Nathan, T (1986). La folie des autres : traité d’ethnopsychiatrie clinique. Paris: Dunod
Nathan, T. (1988). Le sperme du diable : éléments d’ethnopsychothérapie. Paris : Presses universitaires de France
Kessler, R.C., Sonnega, A., Bromet, E., Hughes, M. et Nelson, C.B. Posttraumatic Stress Disorder in the national comorbidity survey. Arch Gen Psychiatry, 1995, 52, 1048-1060.
Adewuya, A. et Makanjuola, R. (2008). Lay beliefs regarding causes of mental illness in Nigeria: Pattern and correlates. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 43, 336-‐341.
Onyut LP. et al. Trauma, poverty and mental health among Somali and Rwandese refugees living in an African refugee settlement-an epidemiological study. Conflict and Health, 2009; 3:6.
Robjant K et al. The emerging evidence for Narrative Exposure Therapy: A review Clinical Psychology Review, 2010; 30: 1030–1039.
Zajac K. et al. Adolescent Distress in Traumatic Stress Research: Data From the National Survey of Adolescents-Replication Journal of Traumatic Stress, April 2011; 24 (2): 226–22
Rasmussen A. et al. Rates and Impact of Trauma and Current Stressors Among Darfuri Refugees in Eastern Chad. American Journal of Orthopsychiatry, 2010; 80: 227–236.
Sweileh WM. Bibliometric analysis of medicine – related publications on refugees, asylum-seekers, and internally displaced people: 2000 -2015. Int. Health and Human Rights, 2017 17:7.
Chalmers, B. (1996). Western and African conceptualizations of health. Psychology and Health, 12, 1-‐10.
Young Alan (1995).The Harmony of Illusions. lnventing Post Traumatic Stress Disorders. Princeton, Princeton University Press, X-327 p. /p. 53/
Penk, w.e., Allen, i.m. (1991). Clinical assessment of PTSD among American minorities who served in Vietnam. Journal of Traumatic Stress, 4, 41-66
Schreiber, s. (1995). Migration, traumatic bereavement and transcul-tural aspects of psychological healing:loss and grief of a refugee woman front Begameder country in Ethiopia. British Journal of Medical Psychology, 68, 135-142
Louis Crocq et al. (2007). Traumatismes psychiques : prise en charge des victimes. Paris : Masson.
CIM-10: Classification Internationale des Troubles Mentaux et des Troubles du Comportement, Masson, 1993.
American Psychiatric Association (2013), Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5th Edition: DSM-5, American Psychiatric Press, Washington D.C.
__________________________________________________________
Annexe
Fiche de collecte numéro /___/
Caractéristiques socio-démographiques
-Age : ……………….
-Sexe : M /_/ F/_/
Caractéristiques cliniques :
Evènements Potentiellement Traumatiques
- Avoir vu des cadavres ou des corps mutilités oui /_/ non /_/
- Bombardement ou attentat à la bombe oui /_/ non /_/
- Avoir vu un blessé par arme au feu oui /_/ non /_/
- Avoir été la cible de tirs nourris ou de tireur d’élite oui /_/ non /_/
- Avoir été témoin ou à l’intérieur d’une maison incendié oui /_/ non /_/
- Avoir été témoin/victime de coups ou de tortures oui /_/ non /_/
- Assister au combat oui /_/ non /_/
- Avoir été témoin d’un meurtre oui /_/ non /_/
- Harcèlement par les hommes armés oui /_/ non /_/
- Séparation forcée des membres de la famille oui /_/ non /_/
- Echapper de justesse à la mort oui /_/ non /_/
- Avoir eu l’impression d’une mort pendant la traversée de la méditerranée ou du désert. oui /_/ non /_/
- Décès non naturel de la famille ou d’un ami oui /_/ non /_/
- Avoir été enlevé ou s’être perdu oui /_/ non /_/
- Isolement forcé des autres oui /_/ non /_/
- Victime de blessures grave ou témoins des blessures grave oui /_/ non /_/
- Avoir été emprisonné ou témoin d’emprisonnement oui /_/ non /_/
- Viol ou violance sexuel oui /_/ non /_/
- Victime d’excision oui /_/ non /_/
- Avoir été témoin du meurtre d’un inconnu oui /_/ non /_/
- Destruction des cultures oui /_/ non /_/
- Destruction de maisons oui /_/ non /_/
- Mise à mort de bétail oui /_/ non /_/
- Autre :……………………………………………………………….
Les symptômes du TSPT
Intrusion/réviviscence
- Pensées ou souvenirs répétitifs oui /_/ non /_/
- Cauchemars répétitifs oui /_/ non /_/
- Sentiment de reproduction du ou des EPT oui /_/ non /_/
- Réaction comme si répétition EPT oui /_/ non /_/
Evitement
- Evitement des activités lié EPT oui /_/ non /_/
- Evitement des pensées liées à l’EPT oui /_/ non /_/
- Désintéressement des activités oui /_/ non /_/
- Incapacité de se souvenir des aspects important EPT oui /_/ non /_/
Hyperréactivité
- Insomnie d’endormissement oui /_/ non /_/
- Hypervigilance oui /_/ non /_/
Troubles cognitifs
- Difficultés de concentration oui /_/ non /_/
- Se sentir comme on n’a pas d’avenir oui /_/ non /_/
- Incapable de ressentir des émotions oui /_/ non /_/
- Se sentir nerveux ou facilement surpris oui /_/ non /_/
- Se sentir irritable ou avoir des accès de colère oui /_/ non /_/
- Se sentir détaché ou retiré des personnes oui /_/ non /_/
Interprétation culturelle
– Comment explique-t-on votre maladie dans votre pays ? :……………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………………………………….
– comment serait soignée votre maladie dans votre pays ? :……………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………………………………….
– s’il y avait un/e sage de votre famille avec nous, que dirait-il/elle sur votre maladie et sa guérison ? ……………………………………………………………………………………………………………………………….
New mail
New mail