Contexte
Le Collectif Pour L’Enfance (CPLE) réunit une trentaine d’associations et de personnalités qualifiées réclamant l’adoption dans la loi d’un âge en-dessous duquel un enfant serait reconnu comme ne pouvant consentir à des relations sexuelles avec des majeurs. Considérant que la loi du 3 août 2018 visant à renforcer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (dite « loi Schiappa ») ne répond pas aux exigences de protection de l’enfance des associations, le CPLE souhaite promouvoir une nouvelle solution législative.
Le 10 octobre 2019, à l’université Paris II Panthéon-Assas, le CPLE et l’Institut de Criminologie ont organisé un colloque intitulé « Comment incriminer les agressions sexuelles sur mineurs?» Le CPLE souhaite tirer les leçons des interventions de nombreux universitaires et professionnels et ainsi rendre officielle la formulation de nouveaux articles pour le code pénal.
Discussion
Deux grandes options se présentent :
- Élargir la définition actuelle de l’agression sexuelle, et plus particulièrement l’acception des adminicules de « contrainte » et de « surprise », afin que ces derniers soient automatiquement retenus dans les cas d’atteintes sexuelles sur mineurs.
- Créer une infraction autonome sanctionnant les atteintes sexuelles sur mineurs, en dehors des dispositions spécifiques de l’agression sexuelle et du viol.
La première option présente des difficultés liées au respect des grands principes constitutionnels, notamment celui de la présomption d’innocence. En effet, les nouvelles dispositions législatives devront respecter le principe selon lequel c’est à l’accusation d’apporter la preuve de la culpabilité, et non à l’accusé d’apporter la preuve de son innocence.
Or, la première option, qui mobilise les adminicules susmentionnés, présume de façon irréfragable que la victime est moralement contrainte. C’est précisément cette irréfragabilité qui pose problème du point de vue du respect de la présomption d’innocence, car l’accusation n’aura aucune preuve à apporter, et l’accusé n’aura aucune possibilité d’apporter des arguments contradictoires.
La seconde option évacue ce problème en ne mobilisant plus les adminicules. Elle pose simplement le principe que l’atteinte sexuelle devient délictueuse ou criminelle lorsqu’elle est commise par un majeur sur un mineur de 15 ans, ou un mineur de 18 ans dans les cas incestueux. Elle requiert donc :
Comme élément matériel :
- la commission d’une atteinte sexuelle ;
- des critères d’âge pour l’auteur et la victime ;
Comme élément intentionnel :
- a connaissance par l’auteur de l’âge de la victime ;
- la volonté délibérée de l’auteur de commettre l’atteinte sexuelle.
Ces critères respectent la présomption d’innocence, car ils ne reposent sur aucune présomption, et il incombera toujours à l’accusation d’en apporter les preuves.
Un consensus se dégage donc en faveur de la seconde option. (Ce choix est notamment conforme aux recommandations de la mission pluridisciplinaire réunie autour du Premier ministre pour la préparation du projet de loi.)
Propositions du CPLE
Le CPLE suggère d’adopter dans la loi les nouvelles dispositions suivantes :
Pour l’atteinte sexuelle non incestueuse sans pénétration
« Le fait, par un majeur, de commettre sur un mineur de 15 ans ou d’obtenir de ce dernier, par quelque moyen que ce soit, une atteinte sexuelle de quelque nature qu’elle soit est puni de 10 ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende. »
Pour la pénétration sexuelle non incestueuse
« Le fait, par un majeur, de commettre sur un mineur de 15 ans ou d’obtenir de ce dernier, par quelque moyen que ce soit, une pénétration sexuelle de quelque nature qu’elle soit est puni de 20 ans de réclusion criminelle. »
Pour l’atteinte sexuelle incestueuse sans pénétration
« Le fait de commettre sur un mineur ou d’obtenir de ce dernier, par quelque moyen que ce soit, une atteinte sexuelle de quelque nature qu’elle soit est puni de 10 ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende lorsque l’auteur est
- Un ascendant ;
- Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ;
- Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait. »
Pour la pénétration sexuelle incestueuse
« Le fait de commettre sur un mineur ou d’obtenir de ce dernier, par quelque moyen que ce soit, une pénétration sexuelle de quelque nature qu’elle soit est puni de 20 ans de réclusion criminelle lorsque l’auteur est :
- Un ascendant ;
- Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ;
- Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait. »
Abrogation de l’article 227-25
Attendu que les propositions ci-dessus s’appliqueraient à toutes les atteintes sexuelles commises par des majeurs sur des mineurs de 15 ans, il conviendra d’abroger l’article 227-25 du Code pénal, puisqu’il entrerait en contradiction avec les dispositions nouvelles.
Avantages de ces formulations
Ces solutions présentent l’avantage de s’affranchir de la définition globale du viol en créant une infraction autonome. Celle-ci garantit la protection de tous les mineurs, sans requérir de prouver les éléments de contrainte ou de surprise. En outre, les termes « commettre [ou] obtenir […] par quelque moyen que ce soit » permettent de suffisamment caractériser l’élément intentionnel de l’infraction. Enfin, l’idée d’« obtenir » une pénétration sexuelle permet d’inclure les cas de fellations subies.
Respect de la présomption d’innocence
Il est souvent reproché au projet d’instauration d’un âge de non-consentement de contrevenir aux droits fondamentaux de la défense, et plus particulièrement concernant la présomption d’innocence. Ces arguments, qu’il convient de prendre en compte avec la plus sérieuse attention, ne résistent pas à une analyse approfondie du débat en question.
En effet, les solutions proposées par le CPLE respectent la présomption d’innocence. Cette dernière consiste à demander à l’accusation d’apporter les preuves de la culpabilité, sans requérir de la part de la défense d’apporter les preuves de son innocence. Or, le CPLE entend bien laisser à l’accusation la charge de la preuve, puisque le ministère public devra établir que :
- la personne accusée a effectivement commis une atteinte sexuelle sur un mineur de 15 ans (élément matériel) ;
- la personne accusée avait conscience de l’âge de la victime (élément intentionnel) ;
- la personne accusée a eu l’intention délibérée de passer à l’acte (élément intentionnel).
Par ailleurs, rappelons-le, les solutions du CPLE ne repose pas sur le principe d’une présomption de contrainte ou surprise, car ces considérations seront écartées par les nouvelles infractions autonomes. Elles sont donc parfaitement compatibles avec les droits constitutionnels et les traités internationaux. C’est ce qui explique que d’autres pays (Belgique, Allemagne, Royaume-Uni, etc.) ont adopté des âges de non-consentement sans être inquiétés par le Conseil de l’Europe.