Myriam Aissaoui
- Mémoire pour le diplôme universitaire de psychotraumatologie de l’Université Paris Descartes –Université de Paris
Résumé
Une revue de littérature a pour objectif d’identifier les différents mécanismes pouvant intervenir dans la transmission transgénérationnelle des traumatismes.
Les principaux résultats de cette revue de la littérature démontrent que la transmission s’effectue souvent de manière inconsciente et silencieuse.
Grâce aux avancées dans le domaine de l’épigénétique, des études ont montré que la transmission s’effectuerait par des modifications sur les gènes impliqués dans la réponse au stress touchant l’axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien (HHS).
Une piste est à explorer, celle des traumatismes transmis au moyen des neurones miroirs.
Mots-clés : Traumatisme ; Transmission transgénérationnelle ; Mécanismes
Abstract
The objective of this literature review is to identify the different mechanisms that may intervene in the transgenerational transmission of trauma.
The main results show that transmission often takes place unconsciously and silently.
Thanks to advances in epigenetics, studies have shown that transmission occurs through changes in genes involved in the stress response affecting the HPA axis.
An interesting reflection is to be explored, that of trauma transmitted by means of mirror neurons.
Keywords : Trauma ; Transgenerational transmission ; Mechanisms
Chaque être humain appartient à une lignée familiale. Les ascendants transmettent un héritage à leurs descendants. Cet héritage contient le patrimoine génétique mais peut également contenir des traumatismes. Celui-ci qu’il soit visible ou non, a un impact sur celui qui le reçoit. Tout le monde peut donc être concerné par la transmission transgénérationnelle des traumatismes. Le sujet du traumatisme transgénérationnel n’est pas récent, il est étudié depuis plusieurs décennies. Après la Seconde Guerre Mondiale, des travaux de recherche ont été effectués sur les générations descendantes des survivants de l’Holocauste. Ces travaux ont ainsi démontré une corrélation entre le traumatisme vécu par les ascendants et l’état de santé psychologique et physique des descendants.
Des générations ont été marquées par la guerre et ses atrocités. Des enfants nés pendant la guerre, mais ayant grandi à l’après-guerre, ont développé des séquelles. De nombreuses études ont mis en évidence que les traumatismes vécus par les parents influencent le comportement de leurs descendants. Il faut cependant préciser que les descendants ne vont pas fatalement manifester les mêmes troubles que leurs ascendants mais peuvent développer de l’anxiété, du stress, des phobies, des troubles du comportement, des troubles de l’attachement, des maladies psychosomatiques…
Ainsi je retiens qu’il y aurait une répercussion sur les générations suivantes. Se questionner sur le sujet de la transmission transgénérationnelle des traumatismes, m’est donc apparu indispensable. J’ai donc émis plusieurs hypothèses sur les moyens de transmissions : d’un point de vue de l’épigénétique, l’environnement joue t-il un rôle ? La transmission peut-elle s’effectuer par des réactions de stress ? Le traumatisme se transmet-il par la narration du « souvenir » ou au contraire à travers des secrets de famille ?
Toutes ces questions m’ont amené à la problématique suivante : par quels moyens, le traumatisme peut-il se transmettre aux générations suivantes ?
Dans cette revue de littérature, après un rappel sur plusieurs notions essentielles telles que le traumatisme, la transmission et le transgénérationnel, nous identifierons les différents mécanismes pouvant intervenir dans la transmission transgénérationnelle des traumatismes.
Contexte et justification de la question
Dans le cadre de mon travail d’infirmière dans différents services de psychiatrie, accompagnée d’un psychiatre, nous avons reçu des patients (adultes et enfants) présentant des symptômes divers et variés dont certains pouvaient évoquer des manifestations que l’on peut retrouver suite à un traumatisme.
Lors des premières consultations (anamnèse infirmière, consultation médicale en binôme psychiatre / infirmière), et en nous intéressant au cercle familial, certains patients nous ont fait part de l’existence de traumatismes chez leurs ascendants. Ainsi, nous avons pu, dans certains cas, mettre en corrélation les symptômes présents chez ces patients avec les traumatismes vécus par leurs ascendants. Sans la connaissance de ces traumas, nous n’aurions sans doute pas pu établir de lien entre ces traumatismes et la symptomatologie présentée par les patients.
En effet, pour différentes raisons, les traumatismes sont souvent passés sous silence.
Ces différentes expériences m’ont permis de constater que le traumatisme affecte non seulement la personne traumatisée mais également l’entourage proche. C’est pourquoi, souvent les enfants subissent les maux de leurs parents. Un traumatisme non résolu peut être assimilé à un fardeau qui se transmettrait d’une génération à l’autre. C’est à partir de ces constats, que je me suis intéressée à la transmission transgénérationnelle des traumatismes, et cela m’a conduit à m’interroger sur les différentes modalités de cette transmission.
C’est dans ce cadre que j’ai décidé de mettre en place une méthodologie afin de constituer une revue de littérature sur ce sujet.
Cette recherche a pour but d’identifier les différents mécanismes cités dans la littérature pouvant intervenir dans la transmission transgénérationnelle des traumatismes.
Dans un premier temps, nous avons identifié les mots-clés suivants nécessaires à notre recherche : « transmission » « traumatisme » « trauma » « transgénérationnelle ». Nous avons utilisé cette association de mots-clés sur la base de données CAIRN, et avons obtenu 1039 résultats.
Nous avons affiné cette sélection en y appliquant plusieurs critères d’inclusion : les mécanismes de transmission des traumatismes / la relation parent-enfant / un vécu traumatique familial / article écrit en anglais ou en français / article accessible en totalité.
Nous avons également appliqué des critères d’exclusion : la transmission intergénérationnelle / si présence d’une étude, la taille de l’échantillon doit être supérieure à vingt participants.
Il est nécessaire de différencier la transmission transgénérationnelle de la transmission intergénérationnelle.
Nous avons donc retenu huit articles. Après les avoir lu et analysé, nous avons identifié des notions pertinentes, ce qui nous a poussé à approfondir notre recherche.
Dans un second temps, nous avons utilisé cette combinaison de mots-clés « transgenerational » « effects » « traumatism » « parental » « expose » sur PubMed. Nous avons obtenu six articles, et avons appliqué les mêmes critères d’inclusion et d’exclusion, ce qui nous a conduit à obtenir deux articles.
Pour finir, nous avons employé les mots-clés suivants « DNA methylation » « HPA » « trauma » « mother » sur la même base de données et sommes parvenus à un article.
Au détour de lectures personnelles, hors des bases de données, nous avons retenu deux articles qui nous semblent judicieux pour notre travail.
Notre sélection finale comprend donc treize articles.
Approche théorique préliminaire
D’un point de vue étymologique, « trauma » signifie « blessure ». Ici, nous nous intéressons au traumatisme psychique ou psychotraumatisme. Il existe différentes définitions du psychotraumatisme, nous en retiendrons deux, qui nous semblent être les plus précises.
Louis Crocq définit le psychotraumatisme comme « un phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou pour l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu qui y est exposé comme victime, comme témoin ou comme acteur »
Le DSM-IV, la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le caractérise comme des « troubles présentés par une personne ayant vécu un ou plusieurs événements traumatiques ayant menacé son intégrité physique et psychique ou celle d’autres personnes présentes, ayant provoqué une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’effroi, et ayant développé des troubles psychiques liés à ce(s) traumatisme(s) ».
Le nom féminin transmission vient du nom latin transmissio, provenant du verbe transmisttere.
Transmission qui signifie « action de transmettre quelque chose. » (Larousse)
Transmettre signifiant « Faire passer quelque chose à ceux qui viennent ensuite, à ses descendants, à la postérité / Communiquer quelque chose à quelqu’un après l’avoir reçu. » ( Larousse)
L’adjectif transgénérationnel est l’association du préfixe trans et du nom féminin génération.
Trans : préfixe du latin trans, au-delà, « exprimant l’idée de changement, de traversée. » (Larousse)
Génération : « Ensemble d’êtres, de personnes qui descendent d’un individu à chaque degré de filiation. » (Larousse)
Transgénérationnel ou transgénérationnelle signifie « Qui concerne toutes les générations, tous les âges. » (Larousse)
Transmission transgénérationnelle
Elle concerne plusieurs générations d’une même famille, générations qui peuvent être distantes dans le temps. Elle s’établit dans une seule direction : des ascendants vers les descendants.
Anna Maria Nicolo et Eleonora Strinati (2007) définissent que « Dans la transmission transgénérationnelle sont transmis des objets non élaborés, des vécus, des traumatismes qui restent enkystés et inertes à l’intérieur du sujet de la transmission »
Elle est à différencier de la transmission intergénérationnelle, qui elle, est un mécanisme conscient, où des contenus psychiques élaborés, les habitudes familiales, les mémoires familiales sont transmis. Elle touche les générations en contact direct et s’établit dans les deux sens : ascendants vers descendants et descendants vers ascendants. « Cette transmission comporte une partie des mythes familiaux qui sont racontés de génération en génération, l’histoire de la famille, et de façon générale, ce qui est explicite ou explicitable » (A Nicolo & E Strinati, 2007).
Les principaux mécanismes de transmission identifiés
Parfois, les patients souffrent sans savoir quelle est la cause de leur souffrance. « On peut avoir hérité des traumatismes de ses ancêtres, sans en être conscient. » (F Calicis, 2006). Florence Calicis affirme que le « symptôme de l’enfant agit comme révélateur du traumatisme enfoui de son parent »
La transmission peut avoir lieu de manière inconsciente et silencieuse. Pour que la transmission ait lieu, il est nécessaire qu’un média existe, cela peut être les mots, le langage du corps ou la manière de se taire. Les enfants sont comme des éponges, ils absorbent les émotions à travers ces signaux (P De Neuter, 2014). Un silence transmet quelque chose de fort. Se taire, pour protéger et se protéger. Les parents ne parlent pas pour préserver leur enfant (P De Neuter, 2014). L’enfant comprend qu’il y a évitement de la part du parent (P Hachet, 2003).
Calicis expose le mécanisme de transfert d’un traumatisme parental vers son enfant via la notion de transfert de K.Stettbacher (1991). « Quand le traumatisme n’est pas digéré, quand il n’est pas mis en mots, ce sont les attitudes qui le suintent » (F Calicis, 2006). L’enfant observe son parent, si il perçoit un comportement qui l’intrigue, celui-ci va le répéter, et se l’approprier. La charge émotionnelle des générations précédentes peut s’amplifier chez les enfants. F. Calicis nomme ce phénomène : le processus de sélection / amplification de G.Ausloos (1995). Dans cet espace de non-dits qui englobe à la fois les secrets, la non élaboration et l’incapacité à symboliser l’événement traumatique par les parents, l’enfant reçoit des informations non élaborables, il va se questionner, ce qui amènera le transfert du traumatisme. Quand le traumatisme ne peut s’exprimer, un mécanisme de défense se met en place, le déplacement (A Nicolo & E Strinati, 2007). Le souvenir du trauma, son vécu seront transmis aux générations suivantes mais également « les défenses transpersonnelles » qui vont permettre au groupe de se protéger du trauma, ainsi que d’en éviter les répétitions (A Nicolo & E Strinati, 2007).
Serge Tisseron requalifie le terme de transmission transgénérationnelle par le terme « d’influence transgénérationnelle ». Il propose également le terme de « ricochets » à la place de celui de « transmission ». Il faut distinguer les fantômes des revenants. Les revenants sont « des morts qui reviennent hanter des vivants qu’ils ont bien connus et avec qui ils ont eu des histoires un peu louches » (F Calicis, 2006). Quand aux fantômes, ce sont « des morts qui viennent hanter des vivants mais des vivants qui ne les connaissent pas » (F Calicis, 2006). Quand il y a un traumatisme parental, les enfants ressentent un fantôme. Inconsciemment, l’enfant assimile les évènements traumatiques refoulés de ses parents. Si le traumatisme n’est pas traité, il peut continuer d’exister à travers les fantômes. Les traces du traumatisme sont alors enkystées chez les générations descendantes (P Hachet, 2003; S Tisseron, 2007). Cet impact transgénérationnel peut s’étaler sur au moins trois générations (F Calicis, 2006; P Fossion & M Rejas, 2007). « Face à la transmission de ce matériel psychique non élaboré, l’enfant peut adopter plusieurs attitudes : s’imaginer être la cause de la souffrance parentale dans le but de préserver le postulat de l’innocence des parents ; essayer d’être parfait pour racheter la faute ; se désespérer ou encore s’obliger à ne rien comprendre, mettant ainsi son intelligence en veilleuse; ne pas avoir lui même d’enfant afin de « tarir » la transmission » (P Fossion & M Rejas, 2007). « Ce qui est dramatique, c’est que le travail d’un fantôme -s’il n’est pas déconstruit lors d’une cure psychanalytique- persiste bien au delà de l’enfance. » (P Hachet, 2003).
Un traumatisme se transmettrait de génération en génération via des mécanismes dits épigénétiques. Celui-ci modifierait l’expression d’un ou plusieurs gènes chez la victime du trauma et pourrait se transmettre à la génération suivante. La transmission s’effectuerait par des modifications sur les gènes impliqués dans la réponse au stress touchant l’axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien (HHS) « sous l’effet de soin de maternage de plus ou moins bonne qualité » (X Benarous & D Cohen, 2019). On parle d’altération dans la méthylation de l’ADN (X Benarous & D Cohen, 2019; N Lambert, 2014). Plusieurs études cliniques sur les animaux et chez l’Homme étayent ce propos (A Paoloni Giacobino, 2014; N Perroud et al., 2014; R Yehuda et al., 2005). Rachel Yehuda, a analysé la salive de 38 femmes enceintes ayant été touchées par les attentats du 11 septembre 2001 à New York, elle a observé que les femmes enceintes avaient un faible taux de cortisol. Les bébés âgés d’un an, descendants des mères ayant développé un syndrome de stress post-traumatique (SSPT), montrent un taux bas de cortisol également (R Yehuda et al., 2005).
Rappelons que le cortisol est une hormone du stress. Dans les SSPT, le niveau de cortisol n’est pas élevé mais à l’inverse, abaissé, ce qui induit un dérèglement au niveau de l’axe HHS. N. Perroud s’est intéressé à 25 femmes Tutsies enceintes, ayant été exposées au génocide Rwandais. Il a observé des altérations biologiques de l’axe HHS (soit des taux de méthylation élevés de l’exon1 NR3C1, des taux de glucocorticoïdes inférieurs, taux de cortisol bas…) chez ces mères et leurs enfants contrairement aux mères non exposées au génocide (N Perroud et al., 2014). D. Kertes a constaté une augmentation de la méthylation des gènes du Brain-Derived Neurotrophic Factor (BDNF) chez la mère et le nouveau-né associée à l’exposition prénatale maternelle à un trauma de guerre. Le BDNF ou facteur neurotrophique dérivé du cerveau est impliqué dans les processus de développement du cerveau. Des niveaux différents de méthylation de l’ADN à travers le gène BDNF ont été observés dans le sang maternel, dans le sang du cordon ombilical et dans le tissu placentaire (D Kertes et al., 2017). Cela pose la question de la transmission du trauma, car les descendants n’ont pas vécu le traumatisme.
Dans ces différentes études, la transmission du SSPT a été associée aux différentes altérations biologiques de l’axe HHS. « Les effets transgénérationnels des traumatismes ont été observés cliniquement dans un large éventail de population, et le PTSD parental a été associé à des modifications de l’excrétion de cortisol urinaire et également à un risque accru de psychopathologie chez les descendants » (N Lambert, 2014). Rappelons que pendant la grossesse, l’anxiété, le stress éprouvés par la mère agissent sur le développement du cerveau du foetus. Le stress prénatal aurait donc un effet sur le dysfonctionnement de l’axe HHS (N Perroud et al., 2014). Plusieurs études mettent en lumière la répercussion des traumatismes sur différents gènes ainsi que l’impact des traumatismes sur la santé des descendants (X Benarous & D Cohen, 2019; N Lambert, 2014; N Perroud et al., 2014; R Yehuda et al., 2005). De nombreux problèmes de santé sont transmis d’une génération à l’autre. Les générations descendantes ne vont pas forcément souffrir des mêmes troubles que leurs ascendants, mais peuvent être plus vulnérables au stress, et à des pathologies psychiatriques « comme le PTSD, et la dépression » (N Lambert, 2014). Lors du passage d’une génération à l’autre, la plupart des marques de méthylation de l’ADN sont effacées (N Lambert, 2014). L’épigénétique est réversible. « la réversibilité semblant être influencée par la durée et le type d’exposition » (N Lambert, 2014).
Les neurones miroirs sont des neurones spécifiques, responsables des processus d’apprentissage, d’imitation et d’empathie. L’individu va à travers les neurones miroirs se mettre inconsciemment à la place de l’autre. Ainsi notre cerveau peut réagir à une douleur perçue chez l’autre. Les enfants vont donc s’identifier à la souffrance de leurs parents. Ils interviennent également dans le processus de dissociation. Les neurones miroirs transmettent les états du corps. Dans son article, Hélène Dellucci (2009) expose deux vignettes cliniques montrant deux patientes présentant des séquelles post-traumatiques liées à des évènements du passé (Seconde Guerre Mondiale) qu’elles n’ont pas vécu. Madame A née en 1958, évoque que son père a été déporté pendant la guerre et qu’il lui racontait lorsqu’elle était enfant des anecdotes concernant cette période. Madame A a donc été témoin indirect de ces évènements (traumatisme vicariant) et présente des symptômes invalidants. Madame B née en 1948, énonce un père soldat allemand, qui quant à lui, n’a jamais fait de récit à ce sujet. Madame B présente des troubles post-traumatiques complexes avec des symptômes invalidants. H. Dellucci affirme que « les réseaux neuronaux traumatiques peuvent rester dormants, tant que la personne ne rencontre pas de déclencheurs trop importants ». Elle pose l’hypothèse que le matériel non verbal (images, émotions, sensations corporelles) contenu dans la mémoire iconique pourrait être transmis au moyen des neurones miroirs, et qu’il y aurait donc une probable transmission des traumatismes vécus par les adultes vers les générations suivantes. H. Dellucci conclut « qu’il y ait eu récit ou non, la présence de séquelles post-traumatiques non traitées entraine leur transmission à la génération suivante ».
L’intérêt de cette revue de littérature est de déterminer les différents mécanismes pouvant intervenir dans la transmission transgénérationnelle des traumatismes. Cependant celle-ci est non exhaustive, puisque nous avons choisi les mots-clés nous semblant les plus pertinents à notre recherche.
Dans les familles qui ont éprouvé un trauma, la transmission se fait souvent à travers des mécanismes inconscients. Le traumatisme modifie la cellule familiale, au niveau des relations, des comportements. Les auteurs prennent en considération le vécu parental ainsi que l’impact du traumatisme sur les enfants. Les descendants sont à la fois affectés psychologiquement et biologiquement. Dans notre revue, nous avons constaté que le traumatisme chez les ascendants sera contenu d’une différente façon chez les descendants. Il est donc nécessaire de travailler sur plusieurs générations, au moins trois.
Les auteurs abordent les différentes modalités de transmission transgénérationnelle des traumatismes : la notion de transfert de K.Stettbacher (1991) ; le processus de sélection / amplification de G.Ausloos (1995) ; le fantôme. Les auteurs s’accordent à dire que la transmission s’effectue presque toujours de manière inconsciente et silencieuse. Le parent qui a vécu un trauma, et qui présente des séquelles post-traumatiques, souffre et peut donc envoyer malgré lui des signaux. L’enfant ou petit-enfant qui observe son ascendant souffrir, va s’imprégner de ces signaux comme une éponge. Il va donc vouloir le protéger et va s’identifier à sa souffrance. Les auteurs montrent l’importance du poids du traumatisme non résolu porté par l’ascendant, sur le descendant.
Nous pouvons constater qu’un traumatisme qui n’a pas été correctement symbolisé, prendra l’aspect d’un fantôme et se transmettra à la génération suivante. Ainsi, les auteurs concluent que pour échapper aux fantômes, il faut affronter le passé, l’histoire familiale. Ils soulignent la place prépondérante des silences, des secrets et de la souffrance au sein de ces familles.
Les auteurs évoquent des modifications épigénétiques, provoquées par le traumatisme de l’ascendant sur les descendants. Ils suggèrent ainsi que la transmission s’effectuerait par des altérations sur la méthylation de l’ADN, provoquant un dérèglement sur l’axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien (HHS). Les auteurs ont mis en évidence d’importantes modifications épigénétiques à divers niveaux : sur différents gènes, sur les récepteurs aux glucocorticoïdes, et sur le taux de cortisol associé au SSPT. Les gènes touchés, sont impliqués dans la réponse au stress. Ces différents taux de méthylation de l’ADN sont observables à la fois chez l’ascendant ayant vécu le traumatisme et sur son descendant.
L’épigénétique reste un domaine controversé malgré un grand intérêt scientifique pour ce sujet. Les traumas pris en compte pour les différentes études sont variés : génocide, exposition à un attentat, traumatisme de guerre (ce qui peut sous-entendre violences physiques, viol…). Nous pouvons constater que la population étudiée est diverse, provenant de pays différents, issue de toutes origines. La taille d’échantillon dans les différentes études reste tout de même limitée.
L’étude de Kertes et al. (2017) est la première étude chez l’Homme explorant la méthylation du BDNF en lien avec l’exposition prénatale au stress maternel dans trois tissus différents (dans le sang du cordon ombilical, dans le tissu placentaire, dans le sang maternel veineux) et simultanément. Il n’existe pas d’études en France concernant la transmission transgénérationnelle des traumatismes.
L’épigénétique étant réversible, nous pouvons émettre l’hypothèse qu’un travail thérapeutique entrepris pourrait apporter des changements épigénétiques chez des patients présentant un trouble de stress post-traumatique et donc stopper la transmission. Actuellement, très peu d’études ont pu démontrer cette hypothèse.
Les neurones miroirs transmettent les états du corps, les émotions, les sentiments. Ici H. Dellucci, en s’appuyant sur deux vignettes cliniques, émet l’hypothèse que cette identification a lieu grâce à l’activation de neurones miroirs, et ceux là pourraient être responsables de la transmission du trauma. Elle met en corrélation la transmission du contenu de la mémoire iconique avec la transmission des trauma. Toutefois, il existe très peu de recherches sur le lien entre les neurones miroirs et les traumatismes.
Nous vivons dans une société où l’on observe une hausse de la fréquence des évènements traumatiques (Insécurité et délinquance en 2019 : bilan statistique, Ministère de l’intérieur). Lors de la confrontation à de tels évènements, il y a un réel impact sur la personne ayant subi le trauma mais également sur son entourage. La prise en charge des traumatismes devient un enjeu de santé publique prioritaire.
Nous avons à travers cette revue de littérature, apporter quelques éléments de réponse à notre problématique, cependant, actuellement certaines données concernant les mécanismes de transmission transgénérationnelle restent incomplètes.
Nous pouvons dire qu’il existe plusieurs mécanismes inconscients intervenant dans cette transmission. Comme nous l’avons constaté, les secrets, les non-dits, la non élaboration ainsi que l’incapacité à symboliser l’événement traumatique, occupent une place importante dans la transmission.
Concernant, les mécanismes épigénétiques, la transmission s’effectuerait par des modifications sur les gènes impliqués dans la réponse au stress touchant l’axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien (HHS).
Au sujet des neurones miroirs, ils pourraient intervenir dans cette transmission transgénérationnelle, il faut toutefois poursuivre les recherches afin de vérifier cette hypothèse.
Cet héritage traumatique peut laisser une trace sur au moins trois générations. Il est indispensable d’accompagner le patient et son entourage ainsi nous pourrions limiter la transmission entre les générations. Une approche globale est nécessaire afin de ne pas laisser les générations descendantes devenir dépositaires de la souffrance de leurs ascendants.
- Benarous, X., Cohen, D. Rôle des mécanismes épigénétiques dans le développement et la transmission des traumas psychiques. Corps & Psychisme, 2019/2 n°75, 23-38
- Calicis, F. La transmission transgénérationnelle des traumatismes et de la souffrance non dite. Thérapie familiale, 2006/3, Vol 27, 229-242
- Dellucci, H. Les neurones miroirs : une nouvelle clé pour comprendre les traumatismes transmis ? Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratique de réseaux, 2009/2, n°43,197-216
- De Neuter, P. La transmission transgénérationnelle. Cahiers de psychologie clinique, 2014/2, n°43, 43-58
- Fossion, P., Rejas, M.C. Prise en charge des familles traumatisées : l’apport de Siegi Hirsch. Thérapie Familiale, 2007/3 Vol 28, 231-247
- Hachet, P. Le « fantôme dans l’inconscient » raté de la vie psychique entre les générations. Face à Face [en ligne], 5 / 2003, mis en ligne le 01 mars 2003
- Kertes, D.A., Bhatt, S.S, Kamin, H.S., Hughes, D.A., Rodney, N.C., Mulligan, C.J. BNDF methylation in mothers and newborns is associated with maternal exposure to war trauma. Clinical Epigenetics, 30 Jun 2017, Vol 9.68
- Lambert, N. Génétique et transmission transgénérationnelle. Cahiers de psychologie clinique, 2014/2, n°43, 11-28
- Nicolo, A.M., Strinati, E. Transmission du traumatisme et défense transpersonnelle dans la famille. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratique de réseaux, 2007/1, n°38, pages 61-79
- Paoloni Giacobino, A. Epigénétique et transmission. Rev Med Suisse, 2014, volume 10, 1153
- Perroud, N., Rutembesa, E., Paoloni Giacobino, A., Mutabaruka, J., Mutesa, L., Stenz, L., Malafosse, A., Karege, F., The Tutsi genocide and transgenerational transmission of maternal stress: epigenetics and biology of the HPA axis. The World Journal of Biological Psychiatry, 2014, 15, 334-345
- Tisseron, S. La transmission troublée par les revenants et les fantômes. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratique de réseaux, 2007/1, n°38, 29-42
- Yehuda, R., Mulherin Engel, Brand, S.R., Seckl, J., Marcus, S.M., Berkowitz, G.S. Transgenerational Effects of Posttraumatic Stress Disorder in Babies of Mothers Exposed to the World Trade Center Attacks during Pregnancy. The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, Volume 90, Issue 7, 1 July 2005, 4115–4118