SAJUS Nicolas
- Docteur en psychologie clinique et psychopathologie
- Docteur en Sciences du langage
- Psychanalyste – Psychothérapeute
- Conseiller conjugal et familial – Sexothérapeute
- Psychocriminologue
- Membre CUMP et AFORCUMP/SFP
- Laboratoire de recherche : CRPMS (ED 450)-Université de Paris – Paris Diderot
- Enseignant / chercheur en psychologie et psychopathologie
- Expert près la Cour d’Appel de Montpellier
Cabinet libéral
- 9 boulevard d’Estourmel 12000 RODEZ
- 0565684231/0679689830
- Nicolas.sajus@yahoo.fr
Résumé
La question du traumatisme est d’une grande complexité. Elle tient de la dialectique qui existe entre liens intrapsychiques du sujet et monde extérieur ; enjeux de répétition ; rupture et perte. xfÀ la fois, à la lumière d’un exemple clinique il semble pertinent de revisiter cette notion, de préciser les différentes formes que revêt la souffrance psychique, en relation avec la destructivité du sujet en regard d’enjeux qui peuvent osciller entre répétition, perversion afin d’en assurer une meilleure compréhension pour une meilleure prise en charge.
Mots clés : traumatisme, répétition, psychocriminologie, perversion
The trauma is one of the most complex concept in psychology. It derives from the dialectic that exists between the subject’s intrapsychic links and the outside world; repetition issues; rupture and loss. At the same time, in the light of a clinical example, it seems relevant to revisit this notion, to specify the different forms that psychic suffering takes, in relation to the destructiveness of the subject with regard to issues that can oscillate between repetition, perversion in order to ensure a better understanding for better care.
Keywords : trauma, repetition, psychocriminology, perversion
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ANAMNESE DE VIE :
Monsieur V. a 29 ans. Il est sous tutelle et bénéficie de l’Allocation aux Adultes Handicapés. Il exerçait dans un Établissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT).
Son père serait décédé d’un cancer. Sa mère a 80 ans. Monsieur V est le quatrième d’une fratrie de cinq. Monsieur V évoquant le milieu familial décrira une enfance : « compliquée avec mon père. Il nous laissait pas jouer. Il voulait qu’on aille chercher du bois ». Évoquant sa mère il dira : « Je ne me rappelle plus, elle était très sympa, elle nous défendait ». Trois de ses frères auraient été sexuellement agressés par un oncle (frère de sa mère). Le concernant Monsieur V. dira : « Il voulait me prendre pour le faire ». Il dit porter des couches depuis l’âge de 16 ans. Il urinerait et éjaculerait dedans mais irait aux toilettes pour déféquer. Aujourd’hui il utilise toujours des couches mais adultes. Monsieur V ne pourra dire plus sur son vécu. Il fera une formation de maçon et travaillera dans un ESAT. Il ne pourra dire à quel âge il est arrivé à l’ESAT.
Monsieur V est très pauvre dans son discours, aussi l’entretien sera très limité. Il décrira deux relations affectives : une alors qu’il aurait 23 ans. La personne se prénommait Cathy. La relation aurait duré 5 à 6 ans selon ses dires. Puis il y aurait eu Danielle, elle avait 38 ans. Il les a rencontrées toutes les deux à l’ESAT. Monsieur V peut dire que son attirance pour les enfants a commencé en 2013. Il dit découvrir les sites d’enfants via un reportage sur TF1 : « Ils parlaient des sites pornographiques où se trouvaient des enfants ». Il aurait par la suite découvert ces sites d’enfants sur Internet. Monsieur V peut également évoquer que sur Facebook il est connecté « sur des pages où il y a des enfants ». Monsieur V évoquera « avoir eu des problèmes avec une jeune fille de 11 ans : je lui avais fait des avances. Elle m’avait contacté par Facebook. ». Il ne se souviendra pas comment s’est réalisé le lien. Il évoquera qu’il a été condamné.
EXAMEN PSYCHOLOGIQUE :
L’entretien clinique est corroboré par la passation de différents tests : le Mini Mental State Examination de Folstein, le Rorschach, le PDQ-4 (Personnality Diagnostic Questionnaire), le Young Parentig Inventory (questionnaire des attitudes parentales).
Nous émettrons l’hypothèse diagnostique d’une schizophrénie heboïdophrénique associée à une oligophrénie.
LES CONSEQUENCES DE SES TRAITS DE PERSONNALITE :
Nous évoquons le terme de pseudo-psychopathique car nous ne pourrions parler à proprement parler de perversion de type pédophilique chez Monsieur V. Évoquer ce diagnostic différentiel a une double perspective. À la fois il peut être utile eu égard à une expertise demandée par un magistrat dans le cadre d’une procédure pénale. Par ailleurs, l’intérêt pour le clinicien est la pertinence du diagnostic de structure pour adapter au mieux le cadre psychothérapeutique notamment les enjeux transféro-contretranférentiels.
Nous pouvons supposer que la structure psychique que nous évoquons chez Monsieur V serait sans doute la conséquence de nombreux traumatismes familiaux, tels que la ou les séparation(s), la violence, la négligence, voire les violences sexuelles (par exemple il subsisterait un doute sur l’oncle de Monsieur V, qui aurait violé trois de ses frères et où il aurait essayé… Monsieur V ne pourra en dire plus). Aussi il serait à interroger si l’attirance qu’évoque Monsieur V ne serait pas un enjeu d’une scène primitive ? Ainsi cette attirance éviterait la confrontation à ses propres menaces traumatiques. Il s’agirait moins de sexualité et de jouissance tel le pédophile que de violence et de destructivité dont Monsieur V s’avèrerait contraint à ces recours agis pour se défendre contre ses angoisses primitives et massives. Par ailleurs Monsieur V, de par son immaturité psychique, ne semblerait pas avoir de censure c’est-à-dire de conscience morale à savoir un surmoi pré-oedipien poussant à jouir sous la forme d’un recours à l’acte. Ce surmoi – contrairement au surmoi œdipien qui, par la castration symbolique permet d’introjecter le rapport moral à soi et à l’altérité – confère une toute puissance, une jouissance de grande destructivité. En effet il est cruel, tyrannique, despotique, ordonnant la transgression de toute limite pouvant même amener le sujet à la cruauté envers l’être qui lui semble le plus cher.
Cet inachèvement ne lui permettrait pas de constituer correctement les instances psychiques, assurant une humanité structurée avec un discernement de ce qu’est l’altérité.
LECTURE PSYCHOCRIMINOLOGIQUE : ANALYSE DE LA DIALECTIQUE ENTRE TRAUMATISME, SUBLIMATION ET PERVERSION
Le modèle pour rendre compte de la construction d’actes criminels est d’une grande complexité. Au plan intrapsychique, évoquer la notion d’acte, que ce soit le passage à, ou par, ou encore le recours à l’acte, constitue une source de confusion psychique.
Houssier (2008) propose de définir le recours à l’acte comme une régression motrice de l’ordre du registre symptomatique qui s’antagonise avec l’élaboration psychique et la mise en mots tels que le vivent par exemple certains adolescents. La déficience du fantasme est alors suppléée par le langage de l’acte.
Le passage à l’acte ou « acting out » relève du registre de la rupture, et se définit comme une réponse de l’ordre de la décharge en direction d’autrui. Laplanche et Pontalis (1967) font du passage à l’acte un prolongement du retour du refoulé. Il est « la réalisation achevée et répétitive, comme si l’énergie bloquée passait toute entière dans l’acte, de manière habituelle » (Ey, Bernard, Brisset, 1974). Il interroge la dialectique entre répétition, acte manqué et retour du refoulé.
Le symptôme va signer que l’élaboration de mise en représentation a échoué. Ainsi, l’analyse portera moins sur l’équilibre des forces dynamiques motivationnelles internes que sur cette défaillance structurelle qui a été l’objet d’une mise en échec. D’emblée donc, c’est vers l’histoire du sujet qu’il me semble que le clinicien trouve un intérêt dans la perspective psychopathologique. Et l’expérience clinique démontre que, plus précisément encore, il s’agira d’étudier les conditions d’établissement du champ des affects du sujet. L’affect, produit psychique, qui comme la symbolisation, est un des deux représentants de la pulsion. Il est le tiers qui permet la mentalisation des actes d’un sujet. Il est à la fois l’expression subjective d’une attitude, mais aussi la voie de transmission de la subjectivité des traces mnésiques, celles que l’on peut déceler en cas de traumatismes. L’ensemble de ces données met en perspectives l’incapacité du sujet auteur de violences, à négocier psychiquement les excitations internes qui le régissent, et qui pourront apparaître comme des menaces plus ou moins grandes pesant sur l’identité. Dès lors, le sujet ne voit que l’environnement comme seul recours pour évacuer la surcharge. La victime sera la partie de l’environnement utilisée par l’agresseur pour réguler et donc atténuer sa menace interne. Ce qu’il est important de percevoir en matière psychodynamique, c’est la désubjectivation du sujet dans de tels épisodes. Ainsi, pour échapper à une surcharge d’excitation qu’il ne peut symboliser, le sujet la clive de lui-même. C’est ce qui semble émerger dans l’exemple de Mr V que j’ai choisi de présenter. Dans un second temps, comme il perçoit cette excitation comme menace, comme un élément étranger, il convient dès lors de l’expulser. Cette dimension particulièrement violente, destructrice, indique l’absence d’un régulateur au plan psychique. Ce contexte éminemment terrifiant est alors identifié à celui de la mère première, défaillante, celle qui n’a jamais su médier les excitations pour son enfant, en le laissant seul régler ce débord d’affects, avec pour uniques compétences celles de son immaturité affective.
Je tente de démonter présentement, que l’analyse du passage à l’acte sur la victime est alors essentielle. C’est ici la source du recours à l’acte, qui surgit comme dimension salvatrice, face à la menace que crée le processus de pensée. Néanmoins, le recours à l’acte ne veut pas dire pour autant que le sujet le réalise de manière désorganisée. L’acte, aussi violent soit-il, suivra les traces de sa construction sensori-motrice et peut être hautement réfléchi, pensé, mais de manière opératoire, « même s’il se déroule, assez souvent en état semi-crépusculaire » (Ciavaldini, 2005). Il existe une deuxième temporalité du sujet, notamment si la désubjectivation subit moins de prégnance. Cela entraînera également une utilisation de la victime comme si elle était chosifiée. Le sujet est dans une situation de perte de subjectivité qui induit une déperdition de ses limites et donc la disparition de la notion d’altérité autour d’un puissant mécanisme défensif : le déni. Il est la conséquence du clivage de la personnalité et permet un mode de survie. Par ce déni, la victime devient un objet plus ou moins externalisé au sujet, sur lequel s’exerce une projection de manière concomitante d’une excitation interne clivée permettant en même temps le retour au calme. Dans la première situation, la victime devient menaçante pour le sujet, avec le risque d’agression qui s’en suit. Dans la deuxième, elle devient celle par qui le sauvetage adviendra, faisant cesser la menace d’effondrement identitaire. Cependant dans les deux situations, la victime a perdu sa singularité et son aptitude à l’altérité. Elle se trouve désobjectalisée (conséquence du processus de désubjectivation), enfermée dans un contexte dont elle a peu de chance de sortir. Cette altération de mise en représentation psychique du vécu affectif, et donc les excitations, est la marque d’un trouble majeur du narcissisme que j’ai développé dans la partie conceptuelle de la recherche. Ces sujets sont organisés sur une modalité de « faux-self ». L’établissement du narcissisme étant sous l’instance de l’environnement familial primaire, cela suppose que les conditions d’attachement précoce dans les premières interactions de vie du sujet devront être prises en considération.
En effet, les auteurs de violences sexuelles et plus généralement de violences en général ne disposent pas d’un « appareillage » interne pour réguler leurs excitations, sur leur environnement ou pour réguler un système pulsionnel en défaillance de représentation. Il peut être même envisager qu’ils sont co-dépendants à l’environnement. C’est cette clinique que j’ai voulu exposer notamment dans les deux premiers exemples que j’ai voulu décrire. Je souligne alors la nécessité de préciser au plan clinique de travailler avec les éléments environnementaux comme la PJJ (Protection Judicaire de la Jeunesse) par exemple, les différentes instances de justice, les acteurs du champ social, éducatif et d’insertion. Le but est d’élaborer autour du sujet un environnement qui soit adapté à ses compétences et ne pas exiger de lui ce qu’il ne peut pas mettre en œuvre. Il s’agit par la même de ne pas être acteur d’enjeux de répétitions qu’il a pu vivre dans son environnement de la prime enfance.
CONCLUSION
En somme notre propose s’organise sur la mise en lien qui doit s’effectuer dans une démarche thérapeutique autorisant un travail psychique. Se retrouve ici la pensée de Freud reprise sous une forme différente par Winnicott (1962) : « Je m’aperçois que je fais œuvre de psychanalyste, même si je ne pratique pas une analyse standard, lorsque je rencontre certaines conditions que j’ai appris à reconnaître ».
Le suivi au long cours de ces personnalités indique que lorsque le cadre environnemental est suffisamment contenant, au sens qu’il permet la gestion des excitations (Cénac, 1966) le risque de récidive s’amoindrit, sans pour autant que le risque zéro ne puisse être affirmé. Il s’agira d’établir une relation de grande communication pluridisciplinaire des différents acteurs, dans le respect de leurs missions et de leurs identités afin de rendre l’environnement contenant.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- Ciavaldini, A. (2005). L´agir : un affect inachevé, in Monographie de psychanalyse, Paris : PUF.
- Ey, H. ; Bernard, P. ; Brisset, Ch. Manuel de Psychiatrie, Paris : Masson.
- Ferenczi, S. (1919-1926). Psychanalyse et criminologie, in Œuvres complètes. t. 3. Paris : Payot
- Cénac, M (1986). Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie, Paris : Seuil, 1966.
- Houssier, F. (2008). Transgression et recours à l’acte : une forme d’agie d’appel à l’objet. Annales Médico Psychologiques, Revue psychiatrique. Paris : Elsevier Masson, 2008, p 711-716
- Laplanche, J. ; Pontalis, J.B. (1967). Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF.
- Mednoick, S. et al. (1976). Criminality in XYY and XXY men, Newyork: Science.
- Winnicott, W.D.(1970). Processus de maturation chez l’enfant et développement affectif. site internet, psycha.ru/fr/winnicott/1970/maturation14.html.