Exemple de la méthode « Tension and Trauma Releasing Exercices » en période de gardes
Valentine GALANTAI
- Interne en psychiatrie
INTRODUCTION
L’écoute empathique de patients ayant vécu un ou plusieurs psychotraumatismes peut être à l’origine de traumatisation indirecte.
Dans la littérature, la traumatisation indirecte a été décrite selon trois terminologies: le stress traumatique secondaire, la fatigue compassionnelle et le traumatisme vicariant. Le traumatisme vicariant (TV) est défini par Pearlman et Saakvitne comme la « transformation durable de l’expérience intérieure personnelle résultant de l’engagement empathique avec des patients ayant vécu un traumatisme » (Pearlman LA, 1995). Il se manifeste par une modification progressive des perceptions de soi, d’autrui et du monde, résultant de cette exposition traumatique.
Le psychiatre est régulièrement en contact avec des vécus et des récits traumatiques. En effet, 43% à 81% des patients souffrants de troubles psychiatrique rapportent au moins un type de victimisation au cours de leur vie (Mueser KT, 2002). Ces mêmes patients souffrent davantage de Trouble de stress post-traumatique (TSPT) que la population générale, les taux de TSPT en cours allant de 28 à 43% (Creamer M, 2001). Lors de leur formation, multipliant les lieux de stages et les gardes dans le secteur public, les internes de psychiatrie semblent déjà exposés au phénomène de TV. Des symptômes proches du TSPT sont reconnus dans le TV avec une hyperréactivité émotionnelle, des évitements de situations ou pensées rappelant le traumatisme du patient, des reviviscences. Le TV impacte également les relations interpersonnelles et peut être source de conflits, d’isolement, de cynisme ou de méfiance. Une diminution de l’aptitude empathique peut générer des erreurs médicales, et induire des difficultés dans la relation au patient (Palm KM, 2004). D’authentiques troubles anxieux, épisodes dépressifs majeurs, troubles de l’usage de substance ou burnout peuvent compliquer le tableau (Sexton, 1999). Les troubles peuvent être source d’absentéisme, d’arrêt ou de réorientation professionnelle (Bober T, 2006). Ces conséquences lourdes justifient une reconnaissance précoce des répercussions du traumatisme vicariant et des mesures préventives adaptées.
CONTEXTE ET JUSTIFICATION DE LA QUESTION
Malgré une reconnaissance de plus en plus affirmée, notamment grâce aux médias, de la souffrance des internes en médecine, il n’existe pas à ce jour d’étude sur le traumatisme vicariant dans cette population. Nous souhaitons évaluer la prévalence et les répercussions du traumatisme vicariant chez les internes de psychiatrie.
D’après les données de la littérature, les facteurs de risque personnels connus du TV sont les suivants : jeune âge, isolement social, perte dans les douze derniers mois, histoire traumatique, trouble psychologique préexistant (Sodeke-Gregson, 2013). Les facteurs de risque professionnels sont le manque ou l’absence de supervision, le nombre élevé de victimes de psychotraumatismes dans la patientèle, le manque d’expérience, le manque de soutien entre les pairs, une mauvaise orientation ou un entraînement insuffisant, une mauvaise organisation du poste. Compte-tenu de ces données, nous faisons l’hypothèse d’un score de TV majoré chez les internes de psychiatrie moins expérimentés, ayant déjà été confrontés à des traumatismes durant leur cursus, et ayant déjà présenté des troubles post- traumatiques. L’absence de moyen de prévention (supervision, réseau d’entraide ou technique de gestion du stress) devrait également être un facteur prédictif d’un score élevé de TV.
La traumatisation est supposée fréquente chez les internes de psychiatrie, ces derniers étant régulièrement confrontés à des situations de violence en lien avec l’état psychique des patients. Les stratégies de coping devant de tels événements semblent fragiles à ce niveau d’expérience dans le domaine. A défaut de coping adapté, le traumatisme, qu’il soit direct ou indirect, est à l’origine de stratégies d’évitement émotionnel. Une étude avait mis en évidence l’usage de toxiques chez des infirmières en situation de TV (Jarrad R, 2018 ). Nous faisons l’hypothèse que le TV est à l’origine d’une augmentation des consommations de toxiques chez les internes de psychiatrie.
METHODE
Du 20 juillet au 20 août 2019, un auto-questionnaire en ligne a été transmis par mail et via les réseaux sociaux à tous les internes de psychiatrie adhérents à l’Association Français Fédérative des Etudiants en Psychiatrie. Le questionnaire était anonyme. L’interne devait renseigner son sexe, sa subdivision universitaire de formation parmi les 28 existantes en France, le nombre de semestres validés en troisième cycle d’études médicales. Le questionnaire était composé de trois sous-parties : traumatisme direct et secondaire, traumatisme vicariant, et pistes de prévention.
La première sous-partie évaluait l’exposition des internes à des traumatismes directs ou secondaires lors de son internat, la fréquence et nature des expositions, ainsi que les répercussions cliniques perçues. Les items correspondant aux répercussions cliniques reprenaient les critères diagnostiques du DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5e éd., 2013). Deux items exploraient les consommations de toxiques avant et après l’événement potentiellement traumatique. Les toxiques évalués étaient les suivants : tabac, alcool, benzodiazépine, cannabis, ou « autre ».
La seconde sous-partie évaluait l’exposition à des récits traumatiques de patients en psychiatrie lors de l’internat, ainsi que les répercussions cliniques perçues. Deux items exploraient les consommations de toxiques avant et après l’exposition aux récits traumatiques. Le critère de jugement principal correspondait au score de TV. Ce score a été élaboré en s’inspirant du Traumatic Stress Institute Belief Scale (TSI) (Adams, 2001) qui est composé de 80 items autour du trauma vicariant, de l’échelle de Qualité de Vie Professionnelle qui évalue le burn out, la fatigue compassionnelle et la satisfaction au travail, et du Test d’Usure Compassionnelle (Figley, 1997). Onze items décrivaient les différents aspects de la clinique retrouvée dans le TV. Chaque item valait un point. Les internes comptabilisant 5 points ou plus appartenaient au groupe « à risque de traumatisme vicariant ».
Dans la dernière sous-partie, les internes étaient interrogés sur l’existence dans leur subdivision de moyens de prévention du stress, et s’ils jugeaient utiles de telles mesures.
RESULTATS
250 internes de psychiatrie ont répondu au questionnaire, dont 72% de femmes, et 50% d’internes en quatrième année.
1 – Traumatisme direct ou secondaire
a) Exposition à un événement traumatique
Parmi les 250 internes, 234 soit 93,1% ont été exposés à des violences dans le cadre de leur internat en tant que victime « primaire » ou témoin direct (victime « secondaire ».) (Figures 1, 2)
Quatre (1,7%) internes ont présenté une blessure majeure nécessitant une intervention médicale et 22 (9,2%) internes déclarent un état de dissociation péritraumatique. Cent quinze internes eux ont été exposés plus de 5 fois (49,1%), 46,6% ont été exposés entre 2 et 5 fois, et seuls 4,3% ont été exposés une seule fois par cet événement.
b) Répercussions cliniques des traumatismes directs ou secondaires
Six internes (2,4%) déclarent avoir présenté dans le mois qui a suivi un Trouble de stress post-traumatique (TSPT) complet et 33 internes (13,2%) ont présenté un TSPT partiel. Les symptômes prépondérants étaient les suivants : Etre perturbé(e) par des souvenirs, pensées, images en relation avec cet épisode stressant (n=25), Se sentir très bouleversé(e) lorsque quelque chose vous rappelle l’épisode stressant (n=17), Avoir des difficultés de concentration (n=17), Etre en état d’hypervigilance, sur la défensive ou sur vos gardes (n= 16), Se sentir irritable ou avoir des bouffées de colère (n=16), avec des symptômes d’évitement rapportés de façon homogène. Dix-sept des TSPT développés (43,5%) ont duré plus de 3 mois.
c) Répercussions sur les consommations de toxiques
Treize internes (5,2%) déclarent avoir augmenté leur consommation tabagique dans la suite du traumatisme, 11 internes (4,4%) déclarent avoir augmenté leur consommation d’alcool (Tableau 3), et 5 internes ont augmenté leur consommation de benzodiazépines (2%).
ses consommations de tabac et d’alcool après l’exposition traumatique primaire, selon un test de Khi carré avec un intervalle de confiance de 99% (Tableau 2).
2 – Traumatisme vicariant
Sur les 250 internes, 43 ont obtenu un score de TV supérieur ou égal à 5 (Tableau 3).
a) Exposition aux récits traumatiques
Tous les internes ayant répondu au questionnaire déclarent avoir pris en charge un ou plusieurs patients faisant le récit d’une expérience traumatisante. La majorité (n=164) soit 65,6% des internes déclarent avoir pris en charge plus de 10 patients ayant partagé des traumatismes. (« Fréquence d’exposition », Tableau 3)
b) Répercussions cliniques du traumatisme vicariant
Cent soixante-dix neuf internes soit 71,6% ont observé au moins un symptôme cité. Par ordre de fréquence : 38,8% ont décrit une fatigue intense , 35,6% des difficultés à séparer vie privée/ vie professionnelle, 34,8% une impression d’un manque de soutien de l’institution, 31,2% une irritabilité et le sentiment d’être « sur les nerfs », 26% des difficultés à faire le travail par manque de concentration, 23,6% des difficultés à retourner en stage ou l’envie de changer de voie, 17,2% éprouvaient moins de compassion pour les patients, 13,6% l’impression de ressentir le traumatisme des patients, 10,4% des affects dépressifs du fait des expériences traumatisantes des patients, 9,2% des troubles du sommeil en lien avec les expériences traumatisantes des patients, 8% déclaraient un évitement de certaines activités ou situations car elles leur rappelait des expériences effrayantes des patients.
c) Répercussions du TV sur les consommations de toxiques
Quinze internes (6%) déclarent avoir augmenté leurs consommations d’alcool, et ils sont 9 (3,6%) à déclarer une augmentation du tabagisme suite aux entretiens à contenu traumatique. Un test de Khi Carré met en évidence un lien significatif à 95% entre la variable « Traumatisme vicariant » et l’augmentation des consommations d’alcool (Khi carré (alcool/TV) = 5,82) et de tabac (Khi carré (tabac/TV)= 9,64) pour un Khi Carré 5% = 3,84.
3 – Pistes de prévention du TV
Des méthodes de prévention ont été proposées à environ un quart des internes sous la forme de temps de supervision dédié, d’orientation vers une consultation spécialisée, de transmission de techniques de geste du stress parmi lesquelles la méditation pleine conscience, sophrologie ; et enfin des réseaux d’aide par téléphone ou mail visant à repérer les internes en souffrance. La moitié des internes déclarent ne pas avoir eu de possibilité de recours à de tels moyens au cours de leur cursus (Figure 4).
Dans cette étude, le test d’indépendance des variables « moyen de prévention dans la subdivision » et « risque de traumatisme vicariant » ne permet pas de conclure à une efficacité des moyens déployés. 96% des internes interrogés jugent une telle intervention utile durant leur internat. Les réticences étaient le plus souvent liées à l’expression de revendications de meilleures conditions de travail, ou la nécessité pour l’interne d’avoir recours à une psychothérapie individuelle indépendante de son parcours universitaire.
DISCUSSION
L’échantillon est assez représentatif des internes de psychiatrie en France. La plupart des subdivisions ont été représentées entre 10 et 23% du total réel des internes de psychiatrie en France, avec une bonne homogénéité. La prédominance féminine est conforme à la réalité des études de médecine, d’autant plus dans cette spécialité. Le fait que la majorité des internes répondants soit en 3ème et 4ème années permet d’avoir un regard plus représentatif de la réalité de l’internat. Cette répartition est conforme à l’effet cumulatif connu dans le traumatisme vicariant.
La participation des internes a été importante. Un biais de recrutement existe du fait des réponses données sur la base du volontariat. Les internes ayant répondu sont probablement plus intéressés et concernés par la question traumatique. Le taux élevé de TSPT (15,6%) montre qu’il s’agit d’une population plus à risque que la population générale, du fait d’une surexposition. Il aurait été intéressant de connaître les autres facteurs prédictifs, comme les antécédents personnels de trauma, mais cela aurait sans doute affecté le nombre de réponses. Un biais de déclaration a probablement affecté l’étude concernant les consommations de toxiques. L’anonymat des réponses ne suffit pas à garantir de « lever le tabou » concernant les conduites à risques. De plus, la prédominance féminine des répondants limite les déclarations d’augmentation de toxiques puisque selon l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, les taux de consommation régulière d’alcool et de tabac des hommes sont supérieurs à ceux des femmes (INPES, 2014). La déclaration de consommations des toxiques recueillie isolément ne permet pas de rendre compte de la notion complexe de trouble de l’usage de substance. Néanmoins, la significativité des résultats, pour le TSPT d’une part et le TV d’autre part, indique un lien réel entre traumatisme vicariant et consommation de tabac et d’alcool. Aucun interne n’a déclaré une augmentation des consommations de cannabis. Un faible effectif d’internes a déclaré une augmentation de l’usage de benzodiazépines, une hausse de l’hyperphagie, de l’hyperactivité sportive, ainsi que du temps consacré aux écrans. D’autres études sont nécessaires pour préciser l’impact du trauma vicariant sur ces comportements à potentiel addictif.
EXEMPLE CLINIQUE : TENSION AND TRAUMA RELEASING EXERCICES EN PERIODE DE GARDES
La Tension and Trauma Releasing Exercices (TRE) (Berceli D, 2014) est une technique qui consiste à relâcher les tensions des muscles profonds (activés chez tous les mammifères en cas de menace) par un mécanisme de tremblements auto-induits. Cela permet de passer d’un état de vigilance à un état de repos et de récupération une fois la menace écartée. Nous avons formé un groupe de TRE au CHU de Nantes, adressé aux internes de psychiatrie ayant développé des symptômes de TV. Le groupe était encadré par un praticien TRE certifié. Seuls 4 internes se sont engagés sur les séances, la plupart ayant dû abandonner le groupe du fait de difficultés à se libérer de stage. Tous ont déclaré des effets de détente à l’issue des séances. Un interne a présenté des manifestations vagales. L’apprentissage d’une autorégulation a permis de corriger ces effets. La TRE vise en effet à adapter le passage de la tension au relâchement selon le contexte, c’est-à- dire l’existence ou non d’une menace pour l’individu. La difficulté à passer d’un état de vigilance à un état de repos a été pour les internes le principal frein à la répétition des séances entre les gardes. Un soutien institutionnel, tant sur le plan organisationnel qu’éthique, permettrait aux internes de s’autoriser à bénéficier de ce type d’intervention.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
Largement touchés par le TV, les internes sont plus à risque de développer des troubles de l’usage de substances. Une vraie disparité de moyens entre les subdivisions et au sein même des subdivisions rend difficile l’accès à des mesures préventives de qualité. Les temps de supervision dédiés ne sont pas la règle, malgré l’importance du climat professionnel dans l’émergence du TV. L’étude permet de faire un constat de la solitude que vivent les internes de psychiatrie face à ces traumas répétés. Malgré une forte demande en santé publique, la spécialité reste à ce jour l’une des plus délaissées par les étudiants en médecine. Afin de renforcer l’attractivité et la qualité des soins psychiatriques en France, un devoir de reconnaissance du TV s’impose au niveau universitaire. Nous avons besoin de plus d’études concernant l’impact de mesures de prévention du TV afin de venir en aide aux internes, et de façon indirecte, aux patients qu’ils prennent en charge.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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- Pearlman LA, Saakvitne KW. Treating therapists with vicarious traumatization and secondary traumatic stress disorders. Compassion Fatigue Coping Second Trauma Stress Disord Those Who Treat Traumatized. 1995;23:150–177.
- Mueser KT, Goodman LB, Trumbetta SL, Rosenberg SD, Osher FC, Vidaver R, et al. Trauma and posttraumatic stress disorder in severe mental illness. J Consult Clin Psychol. 1998;66(3):493–
- Creamer M, Burgess P, McFarlane AC. Post-traumatic stress disorder: findings from the Australian National Survey of Mental Health and Well-being. Psychol Med. 2001;31(07):1237–1247.
- Palm KM, Polusny MA, Follette VM. Vicarious traumatization: Potential hazards and interventions for disaster and trauma workers. Prehospital Disaster Med. 2004;19(01):73–78.
- Sexton L. Vicarious traumatisation of counsellors and effects on their workplaces. Br J Guid Couns. 1999;27(3):393–403.
- Adams, K. B., Matto, H. C., & Harrington, D. (2001). The Traumatic Stress Institute Belief Scale as a measure of vicarious trauma in a national sample of clinical social workers. Families in Society, 82(4), 363-371.
- Test d’usure compassionnelle, Figley C. (1997) accessible sur
- http://www.redpsy.com/pro/tuc.html
- Sodeke-Gregson, E. A., Holttum, S., & Billings, J. (2013). Compassion satisfaction, burnout, and secondary traumatic stress in UK therapists who work with adult trauma clients. European journal of psychotraumatology, 4, 10.3402/ejpt.v4i0.21869.
- Jarrad R, Hammad S, Shawashi T, Mahmoud N (2018) Compassion fatigue and substance use among nurses. Ann Gen Psychiatry 17:13
- Baromètre santé 2014, INPES, exploitation par OFTD, accessible sur https://www.ofdt.fr/produits-et-addictions/vue-d-ensemble/#conso