SAJUS Nicolas
- Docteur en psychologie clinique et psychopathologie
- Docteur en Sciences du langage
- Psychanalyste – Psychothérapeute
- Conseiller conjugal et familial – Sexothérapeute
- Psychocriminologue
- Membre CUMP et AFORCUMP/SFP
- Laboratoire de recherche : CRPMS (ED 450)-Université de Paris – Paris Diderot
- Enseignant / chercheur en psychologie et psychopathologie
- Expert près la Cour d’Appel de Montpellier
- 9 boulevard d’Estourmel 12000 RODEZ
- 0565684231/0679689830
- Nicolas.sajus@yahoo.fr
Résumé :
Les conséquences à long terme des traumatismes de l’enfant vont dépendre de nombreuses variables.
Ces dernières comprennent la nature, la durée le nombre de fois et la fréquence à laquelle le traumatisme se répète, l’intensité, l’âge, l’état de santé préexistant, la personnalité du sujet. A cela s’ajoutent, les évènements associés comme les maladies, les accidents ou les pertes qui précèdent ou suivent le ou les traumatisme(s). Le sentiment de sécurité demeure une des bases pour le sujet. Il faut ici préciser la nature et l’importance de cet affect afin de comprendre pourquoi il relève des besoins fondamentaux de l’enfant, à respecter absolument. Ce sentiment de sécurité constitue une des conditions de la santé mentale pour le sujet.
Mots clés : psychotraumatisme, liens d’attachements, trouble de la personnalité, adolescence
Abstract :
The long-term consequences of childhood trauma will depend on many variables.
These include the nature, duration, number of times and frequency with which the trauma repeats, intensity, age, pre-existing medical condition, personality of the subject. In addition, associated events such as illnesses, accidents or losses that precede or follow the trauma (s). The feeling of security remains one of the bases for the subject. Here we need to specify the nature and importance of this affect in order to understand why it is a basic need of the child, which must be respected absolutely. This feeling of security constitutes one of the conditions of mental health for the subject.
Keywords: psychotrauma, attachment ties, personality disorder, adolescence
* * *
Les conséquences à long terme des traumatismes précoces de l’enfance sont très difficiles à évaluer et dépendent de nombreuses variables. Ces dernières comprennent la nature, la durée le nombre de fois et la fréquence à laquelle le traumatisme se répète, l’intensité, l’âge, l’état de santé préexistant, la personnalité du sujet. A cela s’ajoutent, les évènements associés comme les maladies, les accidents ou les pertes qui précèdent ou suivent le ou les traumatisme(s).
Le sentiment de sécurité demeure une des bases pour le sujet. Il faut ici préciser la nature et l’importance de cet affect afin de comprendre pourquoi il relève des besoins fondamentaux de l’enfant, à respecter absolument. Ce sentiment de sécurité constitue une des conditions de la santé mentale pour le sujet. Il correspond essentiellement à la conscience, voire à la conviction, de disposer d’une base sécure dans sa vie. Il s’agit pour l’enfant d’avoir une figure d’attachement stable et fiable, dont il peut s’éloigner, mais dont il est sûr qu’il la retrouvera et qu’il peut y revenir se reposer, se ressourcer, se réparer avant de s’envoler à nouveau affronter et découvrir le monde et la vie. Cette stabilité s’élabore grâce à sa disponibilité continue et sa capacité à soutenir l’enfant, le comprendre et le réconforter lorsque celui-ci en a besoin. En général, pour le bébé et le jeune enfant, c’est sa mère qui est figure d’attachement. J’apporte ici deux précisions : tout d’abord, il s’agit de la mère lorsque c’est elle qui s’occupe le plus souvent de l’enfant depuis sa naissance, et lorsqu’elle est en état psychique de le faire de façon adaptée. Néanmoins, ce n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, il ne s’agit pas systématiquement de la mère biologique, en effet, dans certains contextes, c’est le père, une grand-mère, une grande sœur, un grand-frère, une tante, un oncle, ou encore un parent adoptif un professionnel (un(e) éducateur (trice)), etc. Isée Bernateau reprenant la théorie freudienne développe que : « L’enfant freudien n’est toutefois pas à la recherche d’une réassurance contre le danger ou la solitude en elles-mêmes : si la personne aimée lui manque c’est parce qu’elle seule peut mener à la satisfaction ses pulsions qui, sinon, risquent de se muer en angoisse. » [1]
L’angoisse de séparation serait donc vouée donc à disparaître lorsque le sujet assure sa survie. Cependant, elle peut réapparaître notamment à l’adolescence sous des formes très violentes, certains adolescents développant certains troubles comme la phobie sociale, la phobie scolaire, le phénomène des Hikikomoris, où ils demeurent cloitrés chez eux, habités par le vide abyssal de l’objet perdu et ce dissocié des satisfactions que ce dernier peut leur apporter.
L’enfant qui ne peut vivre dans ses premières années de vie avec une figure apte à favoriser l’apparition de liens d’attachement en sécurité affective, se détourne peu à peu de la relation pour se détacher complètement. L’enfant se lie de façon superficielle à l’adulte qui devient facilement interchangeable à ses yeux. Par ailleurs, il se montre peu disposé à aimer. En outre, l’enfant développe des attitudes d’agrippage tyrannique à sa figure de référence. Il cherche à la contrôler et ne supporte pas de perdre son attention et le contact physique avec elle. Lorsque l’enfant vit une situation de négligence voire de maltraitance, la représentation de son image est négative : il se sent non-aimable et non désirable. La représentation de référence de l’adulte est celle d’un objet non préoccupé, qui rejette voire qui persécute[2].
En 1978, Ainsworth, Waters, Bleahernn, et Wall, différencient et définissent trois autres types d’attachement[3]. Chaque attachement correspond à la réponse plus ou moins adaptée et rapide de la figure d’attachement aux signaux de détresse du nouveau-né. Ils les nomment : sécure, insécure évitant, et insécure ambivalent-résistant.
Main et Hesse[4] étudient le principe d’interrelation entre les modes d’attachement et le type d’imago parentales intégrées. Ils mettent en évidence que le type sécure est associé à des figures parentales libres et autonomes, tandis que le type insécure évitant correspond à des figures parentales détachées vis-à-vis de leurs propres expériences d’attachement. Le type insécure-résistant ou ambivalent est associé à des figures parentales préoccupées. La façon de prendre soin du bébé s’inscrit sous un mode contradictoire reflétant les auto-représentations mentales séparées de la figure d’attachement. En 1990, Main ajoute un nouveau et 4ème type d’attachement. Elle le nomme désorganisé-désorienté[5]. Contrairement aux enfants sécures ou insécures évitants et ambivalents-résistants, les enfants désorganisés-désorientés ne développent pas de stratégies adaptées pour gérer le stress lié à la séparation. Après une séparation avec la figure d’attachement, lorsque le bébé la retrouve, il présente des réactions singulières variables. L’enfant peut demeurer immobile, transit de peur, tomber face contre terre, avoir des balancements, des stéréotypies ressemblant à des tics, ou montrer simultanément des modèles de comportements paradoxaux, comme marcher en détournant la tête. Souvent, on observe un mouvement vers l’adulte qui se freine et se détourne au dernier moment. Les comportements de l’enfant traduisent son incapacité à faire face au stress, et à résoudre la situation anxiogène, car la figure de référence est paradoxale : à la fois source d’anxiété et de sécurité. Cette perspective mène à un effondrement des comportements d’attachement organisés. L’enfant ne peut ni s’accrocher par des stratégies sécurisés et résistantes ambivalentes, ni détourner son attention par des stratégies évitantes. De nombreuses recherches[6] montrent que les enfants construits sous un mode d’attachement désorienté-désorganisé ont été confrontés à des référents parentaux très angoissés, et ont souvent subi des maltraitances traumatiques. Selon ces recherches, ce dernier type d’attachement désorganisé-désorienté associe la maltraitance de l’enfant, et des traumas non résolus au plan transgénérationnel chez les parents. Cette prévalence de l’attachement désorienté-désorganisé est fortement associée à la présence de facteurs de risque dans la famille comme la maltraitance, la dépression majeure, le trouble bipolaire, l’alcoolisme et la toxicomanie[7].
La clinique des enfants ayant vécu des maltraitances précoces et ayant développé un trouble sévère de l’attachement montre un fonctionnement issu de la confrontation précoce prolongée à des situations de négligences, de maltraitances, sources de traumatismes psychiques. Certains enfants vivent dans leurs premiers moments d’existence des expériences terrifiantes et des séries de rencontres manquées dans les relations avec leur entourage : soit de par l’imprévisibilité parentale et des contextes très angoissants pour eux, soit parce qu’ils se trouvent isolés au plan affectif, impuissants face à leurs états émotionnels. Ils ne trouvent pas de soutien en termes d’étayage affectif, de réconfort, de reconnaissance de leurs états subjectifs de la part d’un adulte empathique, bienveillant et aimant. Autrement dit, ils sont traumatisés par des répétitions d’interactions d’attachement manquées. Ces émotions vécues dans la solitude déclenchent des états de tension et d’excitation dont l’intensité extrême a débordé les capacités de traitement de leur appareil psychique.
Or, Freud a indiqué dès 1920 que c’est ce phénomène qui crée le traumatisme. Par ailleurs, plus le sujet est jeune, moins son appareil psychique est structuré tout comme son cerveau afin de réaliser les fonctions de liaison et de régulation. La vulnérabilité d’un enfant aux expériences traumatogènes est proportionnelle à son immaturité. Les trois premières années de vie d’un enfant correspondent au stade le plus critique. Si les troubles que présentent ces enfants sont issus de la confrontation répétée à des expériences traumatiques, ils sont la conséquence de l’expression de la construction psychique particulière qu’ils ont développée, pour tenter de palier leurs effets. Cette construction crée des carences avec un développement psychique et neurologique particuliers. Ces enfants n’ont pas bénéficié de relations qui contribuent à constituer les grandes fonctions psychiques susceptibles de traiter les expériences et de ne pas être débordés par les émotions qu’elles suscitent. En outre, les dernières recherches récentes en neurologie, dont je parlerai suite à mon approche clinique, montrent que les ratés successifs dans les interactions précoces, et les expériences de stress extrêmes répétées, non suivies d’expériences de réconfort, ont une incidence sur la constitution des fonctions cérébrales responsables de la reconnaissance des perceptions corporelles, de la gestion des émotions et du contrôle de l’impulsivité et d’agressivité.
L’approche psychopathologique structurale exhorte à étudier l’influence de l’organisation des liens d’attachements traumatiques sur la personnalité impulsive et agressive. En effet ce type de comportements, induits par l’attachement, n’est pas sans incidence sur les perspectives de répétition traumatique, d’orientation perverse de la personnalité. En regard du lien d’attachement et notamment des différents ratés, l’impulsivité et l’agressivité vont s’exprimer de façon plus ou moins adaptée en regard des structures névrotiques, psychotiques et perverses. Ma clinique professionnelle en psychocriminologie m’amène à souligner les apports de Lopez et Bornstein en 1994[8] concernant le crime chez un sujet dit « normal », qui revêt toujours un caractère d’imprévisibilité. Bergeret (1972), quant à lui, postule que la solution idéale de la perspective violente s’exprime dans l’organisation névrotique puisque le surmoi se montre assez consistant pour autoriser une alliance saine entre le moi et le ça[9]. Chabrol et Sztulman [10] décrivent, eu égard à l’auto-agression, que dans le cadre d’un trouble dépressif ou névrotique, la tentative de suicide peut devenir un moyen de compromis, face au clivage, visant l’évitement d’une désorganisation psychique en rétablissant un équilibre fragile. Au niveau métapsychologique, lorsque s’origine une rupture relationnelle, elle vient faire répétition avec le lien d’attachement désorganisé vécu. Elle fait basculer le sujet dans une équivoque entre pulsion de vie et pulsion de mort et l’équilibre psychique est instable. L’agressivité devient conditionnelle au type de sentiment de culpabilité issu d’un surmoi plus ou moins sévère qui se construit dès la prime enfance.
Dans la problématique de la structuration limite, où l’attachement demeure insécure voire désorganisé, l’agir agressif sera co-dépendant du vécu de dépendance à l’objet. L’acte agressif devient symptomatique, répondant de manière impulsive à l’angoisse, en se transformant en une source de satisfaction pulsionnelle directe. Kernberg[11], décrivant l’état limite, évoque une faiblesse non spécifique du moi impliquant une défaillance de la gestion de l’agressivité, une intolérance à la frustration générée par l’angoisse et un développement insuffisant des aptitudes sublimatoires. Balier[12], quant à lui, décrit l’incapacité du sujet à réguler et neutraliser son agressivité. De la défaillance de symbolisation résulte la tentative d’évacuer le conflit intrapsychique de la pensée par l’acting-out, conséquence d’une angoisse abandonnique primitive. En outre, le caractère dépendant de ces personnalités, associé à la consommation de substances (alcool, cannabis, L.S.D, héroïne etc.) favorisent de manière considérable ces passages à l’acte. Ce postulat amène à considérer la contiguïté existante entre la personnalité limite et addictée. Les productions de Sztulman, sur le concept de personnalités limites addictives[13], revêtent un intérêt d’une grande pertinence car elles en dégagent des spécificités psychodynamiques et psychopathologiques. La vacuité laissée par le trauma, l’incapacité à la gestion pulsionnelle, à la frustration, mais aussi la loi du « tout, tout de suite », « du tout ou rien », du « plein et du vide », du surinvestissement et désinvestissement de soi ou de l’objet, témoignent de la grande fragilité du moi. C’est le primat de l’Idéal du moi qui constitue l’organisation de la personnalité, le surmoi, lui, étant lésé. La censure, de par la défaillance du surmoi est donc assurée par l’objet, vécu comme étant plus ou moins persécuteur. Le sentiment de culpabilité n’est pas introjecté, ni érotisé et laisse place à un sentiment de honte, à une blessure narcissique.
Dans une perspective métapsychologique, la déliaison pulsionnelle et l’indifférenciation des investissements qui s’est créé dès la prime enfance sous-tendent les passages à l’acte agressif par la suite dans l’évolution du sujet. En conséquence, on observe des enfants qui paraissent ne pas percevoir les sensations de chaleur, de froid, de douleur, de faim, de satiété, de soif, de douleur, de fatigue, etc. Ils ont également beaucoup de difficultés à contenir leurs impulsions. Solange Carton souligne toute cette dimension clinique et évoque l’abaissement voire l’extinction des affects en regard des nouvelles pathologies adolescentes dites « limites » qu’elles soient dépressives, addictives ou psychosomatiques avec tout un travail de conscientisation à co-construire avec ces sujets[14].
On peut dire que ces enfants, habituellement qualifiés de tout-puissants, sont en réalité plutôt tout-impuissants, pour reprendre une expression de René Roussillon, face au surgissement en eux de la violence, du désir ou de la souffrance. Ils ne peuvent pas s’empêcher de frapper, de coller, ils ne savent pas différer, attendre, renoncer, dans le sens où ils n’ont pas les aptitudes psychiques et neurologiques pour y parvenir. Ces systèmes sont donc pathologiques parce qu’ils posent des problèmes, notamment par rapport aux inadaptations du sujet à la vie sociale, et qu’ils sont sources de souffrance. Ils s’inscrivent enfin dans un schéma de répétition.
Cependant, ces enfants n’arrivent pas à percevoir immédiatement leur dysfonctionnement, l’inadaptation, voire la nocivité de leur comportement. Ils ne connaissent pas d’autres adaptations et leur modèle dans l’agir devient leur mode organisationnel et leurs repères. Les liens d’attachements traumatiques vont donc avoir des conséquences graves sur les aptitudes interpersonnelles. Les signes indicateurs sont identifiables dès que l’on tente d’entrer en lien direct avec eux, que ce soit physiquement, ou verbalement, voire pour certains, par le simple regard, car ce type de contact, à visée de rapprochement, d’amorce relationnelle, éveille une excitation très importante qui répète l’enjeu émotionnel premier de la relation à la figure d’attachement qui a été traumatogène. Ces enfants répondent rarement lorsque l’on tente de s’adresser à eux et il est très difficile de capter leur regard, on ne peut que suivre des yeux leurs déplacements brusques, maladroits et peu coordonnés. D’autres paraissent s’envelopper dans des mots incompréhensibles ; d’autres encore se livrent parfois à une logorrhée coprolalique. Le langage est souvent utilisé pour le bruit qu’il produit : certains produisent un flot de paroles continu et envahissant qui ne laisse aucune place à l’expression de l’autre. Du côté de celui qui assiste à ces comportements, un sentiment d’agression semble émerger dans le champ perceptif. En situation de groupe, ils parlent sans s’arrêter. Ils ont toujours quelque chose à dire, à raconter. Souvent c’est inintéressant, et on s’aperçoit qu’ils inventent au fur et à mesure : l’enjeu est de recentrer l’attention, surtout si un autre enfant est en train de raconter quelque chose d’intéressant : « Et moi, et moi » … moi c’est pire, moi c’est mieux… ».
La plupart de ces enfants sont intolérants à la frustration, à la contradiction ou à la contrainte. Cela déchaîne de véritables crises de larmes ou de rage, durant lesquelles ils peuvent chercher à détruire tout ce qui leur tombe sous la main, ou s’infliger des coups ou des blessures. La relation à leur figure d’attachement ne paraît tolérable que dans le maintien de l’illusion d’un contrôle absolu. Ils sont très agrippés à leur objet d’attachement qu’ils sollicitent en permanence d’une manière ou d’une autre. L’éducateur, l’enseignant, le professeur au collège, deviennent très vite une figure d’attachement, c’est-à-dire une personne très investie sur le plan affectif, compte-tenu du temps que l’enfant passe à leur contact. Ils sont l’objet d’un transfert affectif très fort. Certains enfants tolèrent très difficilement que l’attention de l’adulte se détourne d’eux pour se porter sur autre chose, fût-ce pour une minute. Ils font preuve d’une avidité massive, utilisent toutes les stratégies pour obtenir l’exclusivité de la relation, surtout lorsqu’ils se sentent en rivalité avec d’autres enfants. Ils développent des attitudes d’évitement et de contrôle, ou des attitudes de collage et d’emprise tyrannique. Ils ne supportent pas la confrontation à la différence, donc à l’individuation et à la séparation, de leur figure d’attachement. Il faudrait que celle-ci soit à leur disposition exclusive en permanence à la figure d’attachement ou le référent affectif. Ils ont tendance à se coller à quelques centimètres de leur visage et à agripper leurs membres ou leurs vêtements pour leur parler. La plus infime frustration déclenche un débordement d’angoisse automatique qui suscite une explosion de rage, une crise de larmes ou un repli dans une bulle autistique. Il existe une grande contribution du traumatisme précoce de l’enfance au conflit adulte. Les différences de style de réactivité à l’âge adulte sont souvent une cause plus puissante de dissonances inter-personnelles que ne l’étaient les traumatismes infantiles. Certains enfants qui montrent une conduite dite difficile dans l’après-coup et indépendante du traumatisme, sont les plus menacés. L’enfant peut se replier devant des situations nouvelles, a tendance à des expressions d’humeur négatives et intenses et n’est pas adaptable, ou lentement adaptable. Cet enfant est à haut risque pour le développement futur d’une pathologie psychiatrique. En matière psychocriminologique, les travaux concernant les enfants victimes d’abus constatent que ces enfants sont particulièrement menacés par la dépression, les troubles du comportement et par l’abus sexuel. Par ailleurs, le trauma peut impacter l’identité sexuelle à long terme, les relations affectives d’un adolescent, l’individuation de sujets et le choix d’un partenaire.
L’exposition soutenue et pénétrante au rejet parental, l’attaque et la privation ont des effets destructeurs sur le développement des relations qui vont suivre dans lesquelles ils anticipent la violence et le rejet comme étant les éléments majeurs des rencontres humaines. Ces enfants dont on a abusé qui étaient très primaires dans leurs mécanismes de défense, apparaissaient découragés. Ils se déprécient eux-mêmes. Ils deviennent autodestructeurs. Ils montrent des difficultés croissantes dans les séparations d’avec leurs parents. Ils ont des difficultés avec les relations interpersonnelles. Un évènement traumatique isolé de courte durée peut ne pas avoir une grande signification dans le long parcours de la vie du petit enfant, en fonction de ses conséquences. Mais les expériences répétées d’abus traumatiques ou d’abus soutenus, ou de négligence soutenue, d’abandon et de séparations peuvent produire un parcours de développement gravement perturbé.
Avant l’acquisition de l’aptitude au langage les nourrissons peuvent montrer leurs réactions au traumatisme, comme le stress, ou comme des expressions telles les coliques, le fait de ne pas cesser de bouger, des insomnies ou des pleurs. Dans les cas sévères, il y a des interférences avec la prise de poids, la croissance du corps, et la maturation sensori-motrice. S’ils ne sont pas soignés, ces problèmes de la petite enfance peuvent conduire à des interférences avec les fonctions du développement telles la marche, la parole, et l’habileté dans la coordination entre l’œil et la main. La dépression persistante, les troubles de la personnalité borderline et la personnalité multiple sont quelques conséquences à long terme des stress traumatiques répétés et soutenus dans la petite enfance.
Dans les populations de sujets psychiatriques adolescents et de délinquants juvéniles, des évènements d’abus ont été retrouvées fréquemment. Les délinquants juvéniles qui ont été abusés disposent d’une vulnérabilité plus grande à répéter les violences et à devenir des parents criminels. Certains abusent fréquemment de la drogue et de l’alcool pour s’identifier à travers la substance à leurs parents, tout autant que pour lutter avec leur manque d’estime de soi et avec les problèmes accablants qu’ils ont avec tout un chacun dans leur entourage : la famille, les camarades et l’école. Quand l’enfant arrive à l’âge pubère, le traumatisme ajouté de l’acte sexuel peut s’accroître et contribuer au fardeau déjà existant de l’abus physique. Les réactions de l’enfant à l’abus sexuel apparaissent souvent comme une des formes d’un syndrome de stress post-traumatique très proche de ce qu’on observe chez les survivants de guerres, de crime ou de catastrophe. Les caractéristiques principales du syndrome post-traumatique comprennent l’angoisse, la culpabilité, les perturbations du sommeil, les troubles de l’humeur, de la concentration et de la mémoire. La victime peut ou non répéter et revivre un traumatisme brusquement et de façon intrusive, comme dans les cauchemars, ou dans les souvenirs de ces évènements, ou comme dans des ressentis brutaux ou des reviviscences soudaines des évènements. L’abus sexuel peut donc être considéré comme appartenant à la même catégorie des évènements traumatiques avec une mémoire traumatique, tout comme les abus physiques.
En somme, l’agressivité est une attitude qui relèverait du narcissisme dans une démarche d’affirmation de soi, de sa puissance face à autrui. Elle est fondamentalement relationnelle. Si elle est bien gérée, elle a une fonction essentielle dans la poursuite et l’atteinte de projets, ou de démarches sublimatoires. Cependant la violence, quant à elle, est déliée d’une dimension relationnelle. Elle vise la destructivité totale du sujet et se situe en dehors des cadres sociaux. Il est donc fondamental au plan clinique de réaliser le repérage des modèles répétitifs et parfois de travailler avec la famille. Il est nécessaire de prendre en compte les mythes familiaux.
Le mythe familial est une croyance à laquelle chacun dans la famille adhère, sans que quiconque ne la remette en cause. Son but est de maintenir la cohésion de la famille à la suite d’un événement qui l’a mise en danger. Il fait donc agir différents mécanismes de défense et il importe de les repérer. Analyser le mythe familial permet de mieux articuler les éléments regroupés de la famille et d’améliorer la compréhension de l’ensemble de la problématique traumatique intrafamiliale. Chaque famille est habitée d’une mission familiale. Cette dernière est le message qui est transmis (consciemment ou inconsciemment) dès la naissance d’un enfant par ses parents et ascendants, pour que soit accomplie en leur nom une tâche familiale spécifique. Dans cette dernière perspective se forment la crypte et le fantôme familial. Le courant de recherche sur le fantôme familial est issu des travaux publiés en 1978 par Nicolas Abraham et Maria Török en1987. Abraham définit le fantôme comme « une formation de l’inconscient qui a pour particularité de n’avoir jamais été consciente (…) et résulter du passage (…) de l’inconscient d’un parent à l’inconscient d’un enfant [15]». Le fantôme familial est constitué à partir de la représentation psychique d’un ancêtre meurtri ou mort dans des conditions tragiques. L’effet traumatique de l’évènement est si lourd que la famille est incapable d’effectuer le travail de deuil qui seul peut drainer la souffrance affective. L’image de l’ancêtre objet du traumatisme s’enkyste dans l’inconscient des membres les plus proches de la famille. Elle vient constituer ce que Abraham et Torok (1987) ont appelé la « crypte ». De cette crypte, émane le fantôme qui va fondre sur la descendance, et dans certains cas, occasionner des dégâts importants, jusqu’à la répétition du traumatisme.
La clinique enseigne donc que les destins du traumatisme sont très variables et singuliers. Ils sont co-dépendants de la construction du sujet au sein de sa famille, de son héritage transgénérationnel, de ses liens d’attachements, de l’âge d’impactage du trauma, des vicissitudes de la vie, etc. L’enjeu sublimatoire va également s’articuler autour de ces mêmes données et s’orienteront selon la structure de la personnalité du sujet. Comme évoqué précédemment, il existe une bivalence de l’aptitude sublimatoire qui participe à réorganiser de manière très favorable la psyché du sujet traumatisé ou à l’inverse un impactage négatif à la fois sur la personnalité et/ou sur la répétition traumatique.
NOTES DE BAS DE PAGE
[1] Bernateau I., L’adolescent et la séparation, Paris, PUF, pp. 97-117.
[2] Berger M., Bonneville E., « Théorie de l’attachement et protection de l’enfance », Dialogue, 2007, pp.49-62.
[3] Ainsworth M., Bleahernn C., Waters E., Wall E., Patterns of attachment: A psychological study of the strange situation, Spring, First, 1980, pp. 68-70.
[4] Main M., Hesse E., « Disorganized infant attachment strategies and helpless-fearful profiles of parenting: integrating attachment research with clinical intervention », Harvard medical school, Chicago, University of Chicago Press, 1990, pp. 161-184.
[5] Ibid.
[6] Solomon J., George C., DeJong A., « Children classified as controlling at age six, Evidence of disorganized representational strategies and aggression at home and at school », Development and Psychopathology, Chicago, University of Chicago Press, 1995, pp. 447–463.
[7] Lyons-Ruth K., Bronfman E., Atwood G., « A relational diathesis model of hostile-helpless states of mind: Expressions in mother–infant interaction », Attachment disorganization, New York, Guilford Press, 1999, pp.33–70.
[8] Lopez G., Bornstein S., Les comportements criminels, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1994, p. 125.
[9] Bergeret J., (1972), Abrégé de psychologie Pathologique, 9ème édition, Paris, Masson, 2004.
[10] Chabrol H., Sztulman H., Splitting and the psychodynamics of adolescent and young adult suicide attempts, Psychoanal, 1997.
[11] Kernberg O. A Psychoanalytic Classification of Character Pathology, Journal of the American Psychoanalytic Association, 1970, pp. 800-802.
[12] Balier C., Psychanalyse des comportements violents, Paris, PUF, 1988 et Psychanalyse des comportements sexuels violents, Paris, PUF, 1996.
[13] Sztulman H., « Déception, Dépression essentielle et illusion chez les patients états-limites », L’Évolution Psychiatrique, 1994, 1, pp. 13-21. – Sztulman H., « Entre addictions et ordalie : les toxicomanes », Adolescence, 1997, 2, 15, pp. 57-65- Sztulman H., « Vers le concept des personnalités limites addictives », Annales médicopsychologiques, 2000, 159, pp. 201-207.
[14] Carton S., Chabert C., Corcos M., Le silence des émotions, Paris, Dunod, 2013.
[15] Abraham, N., Torok, M. (1978), L’écorce et le noyau, Paris, Flammarion, 1987, p. 429.
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