EST-IL POSSIBLE DE PRÉVENIR DES TUERIES COMME CELLE QUI A DÉCIMÉ LA RÉDACTION DE CHARLIE HEBDO ?

 

Pr_Maurice_Cusson

Pr Maurice Cusson

Maurice Cusson

  • Professeur de criminologie
  • École de criminologie de l’Université de Montréal
  • Chercheur au Centre international de criminologie comparée

Jonathan James

  • Psychologue
  • Doctorant à l’École de criminologie de l’Université de Montréal

 

RÉSUMÉ

La plupart des terroristes présentent le profil des délinquants avérés. Il serait possible d’évaluer leur dangerosité en construisant un outil actuariel dédié qui permettrait de les surveiller et contrôler avec les moyens technologiques autorisés par la loi.
Il importerait d’affaiblir l’offre et la demande d’armes à feu en luttant contre les réseaux d’importation et en renforçant les mesures de contrôle (fouille, confiscation).
Les cibles de prédilection des terroristes devraient bénéficier des mesures de prévention situationnelle qui ont fait leur preuve (système de contrôle d’accès étanche, système de rayons X, caméras de surveillance, système d’alarme, sans oublier la vigilance des préposés).
Ces trois types de mesures permettraient de prévenir la majorité des crimes qu’ils risquent de commettre.

* * *

Est-il possible de prévenir des tueries comme celle qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo? Les services de police français et canadiens – pour ne nommer qu’eux – pourraient-ils faire mieux?

Si la riposte des organisations policières françaises a été rapide et efficace, c’était après les faits. Avant, c’est une autre histoire. Comment se fait-il que les terroristes aient pu se procurer kalachnikov, lance-roquette, dynamite, grenades? Comment se fait-il que des individus déjà connus des services de renseignement aient été aussi peu surveillés et contrôlés ? Comment se fait-il que les tueurs aient pu pénétrer sans difficulté dans les locaux de Charlie Hebdo, pourtant une cible probable des terroristes, prenant tout le monde par surprise?

Ce massacre n’était pas inéluctable. Car une meilleure utilisation des nouvelles technologies et des connaissances scientifiques aurait pu empêcher le pire.

Les criminologues ont déduit les conséquences de cette évidence voulant que la condition nécessaire d’un tel attentat doit réunir, dans un lieu et dans le temps, trois ingrédients : premièrement, des terroristes ; deuxièmement, des armes, troisièmement, une cible à la fois alléchante et mal protégée. Il suffit qu’un seul de ces éléments manque pour que l’attentat n’ait pas lieu. Une stratégie préventive à l’échelle macroscopique porte donc sur ces trois éléments.

Les terroristes

Ils sont fanatisés, « radicalisés ». Mais ce n’est pas leur seule ni même leur principale caractéristique. En effet, la plupart des terroristes qui ont sévi ces dernières années en Europe et au Canada présentaient le profil des délinquants avérés : ils avaient déjà été arrêtés pour cambriolages, braquages, trafics… Leur parcours familial et scolaire avait été celui du délinquant banal bien connu des criminologues. Marginaux, paumés et, de plus, désespérés et suicidaires, se disant qu’ils n’avaient plus rien à perdre : capables de tout. On déduit de ce portrait que les passages à l’acte terroriste ne sont pas seulement la conséquence d’une hypothétique « radicalisation ».

Il faut chercher ailleurs la méthode pour détecter les terroristes potentiels, et pour ensuite les surveiller et les contrôler. Une telle méthode consiste à déterminer les niveaux de risque pouvant être attribués à des suspects à partir de critères objectifs et valides pour ensuite doser l’intensité de la surveillance selon ce degré de risque. Pour ce faire, l’outil actuariel – dont l’efficacité démontrée est très supérieure à l’intuition clinique – paraît tout indiqué (1). Voici une liste d’indicateurs objectifs pouvant être inclus dans une échelle actuarielle visant à prédire le passage à l’acte terroriste : 1/ des mesures de carrière criminelle et d’inadaptation sociale qui se trouvent déjà dans toutes les bonnes échelles actuarielles visant à prédire la récidive ; 2/ les tentatives antérieures d’attentats ; 3/ les menaces proférées contre les juifs, journalistes, représentants de l’autorité et autres têtes de turc de terroristes ; 4/ les fréquentations de fanatiques et de délinquants connus de la police ; 5/ des voyages dans des pays pas vraiment touristiques connus pour être des bouillons de culture de l’islamisme radical, comme la Syrie ou l’Irak ; 6/ les achats ou tentatives d’achat d’armes à feu. Une telle table actuarielle pourrait être validée en comparant systématiquement un échantillon de terroristes qui, dans le passé, avaient commis des attentats avec un échantillon de suspects n’ayant pas passé à l’acte.

L’instrument ainsi mis au point servirait à déterminer le degré de risque que présente un individu. Plus ce niveau de risque serait élevé, plus et mieux le suspect devrait être surveillé et contrôlé : bracelet électronique muni d’un GPS délimitant des zones d’exclusion, écoutes téléphoniques, fouilles des véhicules, balises planquées dans des voitures, etc.

Ce dispositif de surveillance – imposé dans le cadre d’une libération conditionnelle – ferait découvrir des préparatifs et des armes. Des complots seraient éventés et tués dans l’œuf. Les agents chargés de la protection rapprochée d’une cible menacée seraient mis en alerte.

Les armes

Il n’est pas rassurant d’apprendre que des individus déjà identifiés comme de possibles terroristes disposaient d’un arsenal d’armes de guerre incluant un lance-roquette.

Contre la prolifération des armes à feu, il importe d’affaiblir aussi bien l’offre que la demande.

En Europe, il semble que l’offre d’armements provienne de trafiquants venus de l’Est. Ceux-ci devraient pouvoir être identifiés et arrêtés. Leurs réseaux et leurs circuits de distribution pourraient être démantelés. La demande, de son côté, provient des banlieues sensibles et des associations de malfaiteurs. Ceux-ci pourraient être fouillés régulièrement et leurs armes confisquées.

Il a été démontré, à New York et dans d’autres villes américaines, que les taux d’homicide ont sensiblement reculé dans les zones où les policiers n’hésitaient pas à interpeller les suspects qui faisaient ensuite l’objet d’une fouille systématique visant à découvrir et à confisquer les armes portées illégalement.

La prévention situationnelle

La possibilité d’un attentat terroriste risque de se matérialiser quand une cible de prédilection des terroristes est mal protégée (2).

Ainsi Charlie Hebdo était une cible de choix par sa notoriété. Ses locaux avaient déjà été incendiés. Ses rédacteurs avaient reçu des menaces.

Des sites et personnalités ainsi exposées et à fort contenu symbolique pourraient être répertoriés. Des niveaux de protection en fonction du degré de risque d’attentat leur seraient assignés, pour ensuite mettre en place le s technologies de protection des espaces bien connues des professionnels de la sécurité privée. Un système de contrôle d’accès étanche combine plusieurs éléments : sas d’entrée et de sortie, préposé à l’entrée protégé par une vitre pare-balles (comme il s’en trouve dans les palais de justice), système de rayons X, caméras de surveillance, système d’alarme, sans oublier la vigilance des préposés.

À Charlie Hebdo, un tel dispositif de contrôle d’accès aurait pu, à tout le moins, ralentir les tueurs et mettre sur leur garde les victimes potentielles et leur protection rapprochée.

Conclusion

Bref, des suspects étroitement surveillés, des armes inaccessibles et des cibles solidement protégées placeront les candidats terroristes – même suicidaires – devant la quasi-certitude de l’échec.

 NOTES

(1) Cusson M, Guay S, Proulx J, Cortoni F. (2013). Traité des violences criminelles : les questions posées par la violence, les réponses de la science. Montréal : Hurtubise

(2) Cusson M. (2009). Prévenir la délinquance. Les méthodes efficaces. Paris : PUF

Maurice Cusson

Professeur de criminologie

École de criminologie de l’Université de Montréal

Chercheur au Centre international de criminologie comparée

Jonathan James

Psychologue

Doctorant à l’École de criminologie de l’Université de Montréal

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