FACILITER LA PAROLE DES MINEURS VICTIMES DE VIOLENCES SEXUELLES – CREATION DE CARTES SOUS FORME DE BD-LANGAGE

RAOUL Lucie

  • Psychologue clinicienne
  • Pour tous renseignements : raoul-lucie@live.fr
  • Mémoire pour le diplôme universitaire de victimologie de l’université Paris-Descartes – Université de Paris

 

Résumé

Ce travail a pour objectif de créer un outil sous forme de BD-Langage pour faciliter la parole des mineurs victimes de violences sexuelles (VS) lors d’une prise en charge thérapeutique auprès de professionnels formés.
Méthode. La méthodologie consiste, en première partie, à comprendre en quoi l’accès à la parole pour les mineurs est difficile voire impossible; d’exposer les répercussions des VS sur les mineurs. Dans une deuxième partie, nous avons cherché à comprendre en quoi l’utilisation de médias est pertinent dans la prise en charge thérapeutique auprès de ces jeunes, associée à de la psychoéducation.
Résultats. Ce travail a permis la création de 27 cartes de BD-Langage. Les cartes ont été catégorisées en cinq grandes thématiques: répercussions psychologiques, perturbations somatiques, comportements à risque, retentissements cognitifs, et « Fausses Croyances ».
Conclusion. L’ambition de ce travail est de pouvoir proposer un outil gratuit, accessible, et adapté aux enfants et aux adolescents. Sa modalité visuelle permet de s’adapter à des profils variés (handicap, déficience intellectuelle, langue maternelle différente…). Une validation de son utilisation au long terme est nécessaire. Des améliorations ainsi que des ajustements pourront être effectués.
Mots Clés: média, violence sexuelle, mineur, parole, BD-Langage

 

Summary

This project aims to create a tool in the form of Comic-Language to facilitate the speech of minors victims of sexual violences (SV) during therapeutic care with trained professionals.
Methods : The methodology consists in the first part of understanding why access to speech for these minors is difficult or even impossible; then to expose the repercussions of SV on minors. In the second part, we sought to understand how the use of media is relevant in the therapeutic care of these young people, associated with psychoeducation.
Results : This work led to the creation of 27 Comic-Language maps. The cards were categorized into five major themes: psychological repercussions, somatic disturbances, risky behavior, cognitive repercussions, and “False Beliefs”.
Conclusion : The ambition of this work is to be able to offer a free, accessible tool suitable for children and adolescents. Its visual modality makes it possible to adapt to various profiles (handicap, intellectual disability, different mother tongue, etc.). A validation of its long-term use is necessary. Improvements as well as adjustments may be undertaken.
Key Words : media, sexual violence, minors, speech, Comic-Language

 

* * *

Introduction

La convention Internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) définit le terme « enfant » comme étant tout être humain âgé de moins de 18 ans. Cette CIDE a été ratifiée par tous les pays du monde, sauf par les Etats-Unis. Elle a comme objectif de protéger l’enfant de toutes formes de violences, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles. Selon l’enquête « Violences sexuelles de l’enfance » menée pour l’association française « Mémoire Traumatique et Victimologie » en 2019 [1], les enfants sont les principales victimes de VS. Elles représentent chaque année en France, environ 130.000 jeunes filles et 35.000 jeunes garçons. Le terme de « violences sexuelles » comprend : 1) les agressions sexuelles qui sont des délits (article 222-22 du Code Pénal), et définies comme étant « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte (physique ou morale ; implicite ou explicite), menace, ou surprise» ; 2) Le viol qui est un crime (article 222-23 du Code Pénal), est défini comme « tout acte de pénétration de quelque nature que ce soit commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. Les délais de prescriptions et les peines encourues varient selon la nature des faits, l’âge de la victimes et les circonstances aggravantes. Selon le dernier rapport de l’ONPE (Observatoire National de la Protection de l’Enfance [2]), seul 10% des faits de VS sur mineur feraient l’objet d’une plainte. Et 79% des professionnel(le)s de santé ne feraient pas le lien entre les VS subies dans l’enfance et l’état de santé actuel des victimes. Lorsque des victimes mineurs décideraient de parler, seul 12% des professionnels effectueraient un signalement. Pourtant, celui-ci est obligatoire, lorsque des VS sont détectées ou suspectées chez un mineur ou une personne vulnérable. Tout manquement par un professionnel est puni par de lourdes sanctions (jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75.000€ d’amendes, article 434-3 du Code Pénal). Les adultes doivent protéger les mineurs, les rassurer et les soigner. Les conséquences (physiques et psychiques) des VS faites sur les enfants sont destructrices et traumatisantes, tant pour leur intégrité et leur développement. Lorsqu’elles existent, il est primordial de pouvoir leur proposer une prise en charge pluridisciplinaire adaptée, afin qu’une reconnaissance (sociale, médicale, psychologique, judiciaire, …) de ce qu’ils ont subi soit possible. Elle doit pouvoir être proposée par des professionnels formés et alertés des conséquences et des conduites à tenir. L’utilisation de médias est souvent utilisé pour faciliter l’échange avec ces mineurs.

Contexte et justification de la question

Avoir accès à la parole de l’enfant est un facteur plus que déterminant dans cette prise en charge. Les VS ont de graves conséquences sur le développement psycho-affectif mais aussi sur la santé physique, cognitive et psychique. Sur le plan psychologique, l’évènement traumatique est vécu comme une effraction corporelle faisant naitre un sentiment d’horreur, de peur, de culpabilité, de dégoût. Il a été montré que dans 90% des cas, un trouble de stress post-traumatique (TSPT) apparaissait à la suite de VS (Lebourg et Kédia, 2013 [3]). Le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5ème édition, 2015 [4]) défini le TSPT comme étant une pathologie survenant après un événement traumatique (agressions, viols répétés, …) conduisant à de nombreux symptômes tels que: les intrusions (rêves récurrents, flashbacks, détresse psychique, etc.), les évitements (des pensées, souvenirs, ou personne lieu, etc.), l’altération des cognitions et de l’humeur (amnésie, croyances négatives, émotions négatives, etc.), et la modification de l’état d’éveil et de la réactivité (accès de colère, hypervigilance, troubles du sommeil, etc.); qui seraient non attribuables à une cause physiologique ou à une substance, et dont les symptômes perdureraient depuis plus d’un mois. Il est donc essentiel de pouvoir proposer une prise en charge psychologique la plus précoce possible afin de diminuer au maximum le risque de chronicisation du traumatisme.

De nombreux livres destinés aux enfants existent dans la prévention des VS (« Kiko et la main », Ponga 2011 [5]; « Stop aux VS faites aux enfants », Boulet et Saulière 2018 [6]). Mais lorsque les violences ont déjà eu lieu, l’accès à la parole est très difficile voire impossible pour ces enfants. L’utilisation d’autres outils, tels que le dessin, des poupées sexuées, des puzzles, ou l’utilisation du protocole de NICHD (National Institute of Child Health and Human Development) sont communément utilisés au cours des procédures judiciaires par les policiers et les psychologues des Unité Médico-Judiciaires pour accéder à la parole des enfants. Ils tendent à recueillir leurs témoignages, en limitant le risque de victimisation. Il semble important que ce type de médias puissent aussi être utilisés, à la suite de l’enquête de police, par les professionnels de santé accompagnant ces mineurs victimes de VS dans leur reconstruction. La création d’un outil le permettant, et sa diffusion gratuite à destination de tous les professionnels accompagnant un mineur victime de VS semble pertinent. L’objectif de cette recherche est donc de construire un outil adapté aux enfants et adolescents sous forme de cartes utilisant le BD- Langage, avec la collaboration de Marc Lalevée, dessinateur, qui a participé gracieusement au projet. Son but sera :

1) de faciliter la prise de parole des mineurs victimes de VS, pour qu’ils puissent mettre des mots sur leurs cognitions, leurs réactions, leurs émotions ; et 2) de faciliter l’échange entre le mineur et le professionnel avec bienveillance et respect afin de lui expliquer les répercussions multiples (psychologiques, somatiques, cognitive,…) des VS.

Méthode

Pour mener à bien ce projet, j’ai, en premier lieu, recherché dans la littérature en quoi l’accès à la parole pour les mineurs victimes de VS pouvait être difficile voire impossible. Il est possible d’en déduire les principales répercussions et conséquences (physiques, cognitifs et psychiques) de l’étude des VS. Dans un second temps, je me suis intéressée à l’intérêt d’utiliser des médias auprès de mineur victimes de VS, associé à une prise en charge thérapeutique de psychoéducation. J’ai utilisé des ouvrages abordant la victimologie et la psychotraumatologie, ainsi que différents moteurs de recherche tel que : Google Scholar, Sciences Direct, Pub Med. J’ai ainsi sélectionné les chapitres des livres, les articles scientifiques, les enquêtes, les témoignages qui m’ont paru les plus pertinents, en privilégiant les plus récents. J’ai pu ensuite résumer et catégoriser ce travail de recherche en établissant les principales thématiques utiles à la création des cartes du BD-Langage. Sans oublier d’établir une fiche succincte de recommandation des bonnes pratiques de l’outil.

Résultats

Pourquoi les mineurs ont-ils du mal à prendre la parole ?


Aider les enfants à prendre la parole suite à des VS par un média adapté, rappelle qu’il est souvent impossible, voire très difficile pour eux d’aborder ce qu’ils ont vécus. Ceci tient du fait, que les agresseurs utilisent des stratégies d’intimidation, les manipulent en les culpabilisant, en les trompant, et en envahissant leur environnement. L’enfant se sentira prisonnier de cette situation. Une étude réalisée par Collin-Vézina et al., 2013 [7], a montré que les mineurs retarderaient ou s’empêcheraient de révéler leur agression selon trois facteurs : interpersonnel, relationnel et socio-culturel. Le premier regroupe l’internalisation du blâme (sentiment de honte, peur…), les mécanismes d’auto protection (minimisation, replis, amnésie…), et l’immaturité du développement. Le second correspond à la violence, au dysfonctionnement de la famille (peur des représailles, sentiment d’insécurité…), aux dynamiques de pouvoir (manipulation, menace, loi du silence,…), à la conscience des répercussions (sociale, juridique…), ou au réseau social fragile (absence de soutien…). Enfin, le troisième concerne les stigmas sociaux (peur d’être jugé fou ou homosexuel,…), le tabou de la sexualité, la difficulté d’accès aux services, la culture, la religion et la période historique.

Même si l’enfant n’en parle pas, des signes d’alertes sont présents dès le plus jeune âge (Paquette et al., 2019 [8]). Ainsi, les bébés, de 0 à 24 mois, présenteront des retard de développement, des troubles du développement psychomoteur, avec des régressions, une perte des acquisitions, une apathie ou au contraire une agitation avec des pleurs et des cris incessants, une peur présente, des troubles du sommeil et de l’alimentation, avec des problèmes cutanés et une difficulté de séparation. A l’âge de 3- 6 ans, des dessins et comportements répétitifs en lien avec les VS s’ajoutent au tableau, ainsi que des conduites d’évitement, des angoisses de séparations fortes, avec des réactions d’agrippement et une tristesse profonde, des douleurs physiques sont présentes (maux de tête, mal au ventre, …), des phobies et troubles du sommeil sont aussi dominants. A l’âge de 7- 12 ans, on observe aussi des symptômes dépressifs et anxieux, avec un repli sur soi, une diminution ou un changement des intérêts, on remarque aussi une hypervigilance et des troubles de la concentration, induisant des difficultés scolaires. A l’adolescence, 13-17 ans, les symptômes dépressifs se majorent, avec une perte de confiance en soi et en l’avenir, des idées suicidaires et des passages à l’acte, il existe des troubles des conduites, avec des comportements auto/hétéro-agressifs, des prises de stupéfiants, et une diminution de la fréquentation scolaire.

Suite au traumatisme, les schémas de pensées des mineurs vont aussi être modifiés. En effet, les VS entrainent un sentiment de perte de contrôle et conduisent à une perturbation des croyances que l’enfant a sur le monde, sur les autres, et sur lui-même. Il pourra penser que « le monde est dangereux » ; qu’il « ne peut faire confiance à personne », qu’il « ne vaut rien ». Ces changements de croyances sont à prendre en compte dans la prise en charge thérapeutique du mineur. Les TCC (Thérapie Cognitivo-Comportementales) sont recommandées. Elles utilisent la reconstruction cognitive pour replacer les distorsions cognitives lié au(x) traumatisme(s) dans une réalité plus objective. Elle questionne trois thématiques fréquemment mentionnées dans le discours des patients : la prévisibilité, « Aurais-je pu prévoir que cela arriverait ?»; la contrôlabilité, « Aurais-je pu empêcher cela ? »; et la culpabilité, « Aurais-je pu me défendre ? » (Sabouraud-Séguin, 1998 [9]). Cela illustre tout à fait les bouleversements affectifs et les conflits intérieurs que peuvent vivre les mineurs. Oui, mais par quels biais faciliter l’échange et la communication, suite à des VS auprès de ces jeunes?

L’Utilisation de médias auprès des enfants associée à la psychoéducation

Les médias (photographies, Bandes Dessinées, films, jeux, dessins, etc.) sont communément utilisés auprès des enfants et adolescents pour favoriser leur développement cognitif, entrer en communication avec eux et partager autour d’une thématique. Les livres aident les enfants à mieux comprendre certains évènements de leur vie (entrée en garderie, perte d’un animal, etc.). Grâce aux histoires racontées dans les livres, les enfants savent très tôt qu’il existe des personnes « méchantes » qui usent de ruses pour atteindre leurs objectifs (exemple du loup dans le petit chaperon rouge). Pour aborder la thématique des VS faites aux enfants, les livres sont utilisés dans la prévention, auprès des plus jeunes. Auprès des adolescents, d’autres médias sont utilisés tel que : le Photolangage©. Cet outil consiste en la présentation, à un groupe restreint, d’une ou plusieurs photographies afin de faciliter leur prise de parole sur un sujet donné. Alfano et Piccolo, en 2016 [10], ont utilisé cet outil auprès d’adolescents migrants non- accompagnés pour une prise en charge psychologique. Leur objectif était de faciliter, grâce aux Photolangage©, l’évocation des violences et des traumatismes vécus lors de leur périple. Cet outil s’est révélé être, selon les auteurs, un étayage essentiel pour soulager et contenir leurs angoisses et leurs souffrances psychiques. La BD est un média largement utilisé auprès des enfants et des adolescents. Il semble donc judicieux de créer des cartes sous forme de BD- Langage, pour proposer un média, tel que le Photolangage©, ayant comme objectif de faciliter l’accès à la parole des mineurs victimes de VS.

Il est essentiel d’utiliser ce type de médias en l’accompagnant de psychoéducation. La psychoéducation est une intervention thérapeutique visant à informer les patients d’un trouble psychiatrique en leur transmettant des informations pour leur permettre de mieux y faire face (Bonsack et al., 2015 [11]). Expliquer au mineur ce qu’il est en train de vivre est une stratégie thérapeutique. Il est toutefois primordial d’adapter son vocabulaire à l’âge de développement de l’enfant, à son niveau de compréhension et aux connaissances qu’il a de son anatomie et de la sexualité. Il est d’ailleurs recommandé de réutiliser les mêmes mots employés par l’enfant pour désigner les parties sexuelles du corps ou parler des VS subites. Pour comprendre les répercussions d’un TSPT, il est important que le professionnel de santé soit en capacité de les expliquer. Ainsi, utiliser un média adapté à l’âge de développement de l’enfant, pour favoriser la parole, tout en lui expliquant la symbolique de ses ressentis et des mécanismes neuro-psycho- biologiques en jeux semble pertinent dans l’accompagnement des enfants victimes de

Suite à ces recherches, cinq thématiques, comprenant chacune des intitulés, ont été dégagées pour créer 27 cartes sous forme de BD-Langage:

  1. Retentissement psychologique ;
  2. Perturbations somatiques ;
  3. Comportement à risque ;
  4. Retentissement cognitif ;
  5. « Fausses Croyances ».

Les intitulés de chaque thématique sont détaillés dans le tableau suivant, en respectant un code couleur (Tableau 1 : Répercutions des VS auprès des enfants).

Tab 1 : Répercussion des violences sexuelles sur les enfants
Retentissement psychologique
Carte 1 : Honte Culpabilité
Carte 2 : Difficulté à réguler ses émotions
Carte 3 : Tentative de suicide, Automutilation
Carte 4 : Isolement, Replis sur Soi, Timidité excessive
Carte 5 : Dépression
Carte 6 : anxiété, stress
Carte 7 : Peur, Evitement
Carte 8 : Sentiment d’impuissance, de trahison

 

Carte 9 : Trouble de l’humeur (agressivité, irritabilité, comportement destructeur, morsure, …)
Carte 10 : Incapacité à faire Confiance
Perturbation somatique
Carte 11 : Troubles du sommeil
Carte 12 : Troubles alimentaires
Comportement à risque
Carte 13 : Prise de stupéfiants
Carte 14 : Comportements sexuels à haut risque
Carte 15 : Fugue
Retentissement cognitif
Carte 16 : Jeux ou dessins avec thèmes persistants
Carte 17 : Difficultés de concentration
Carte 18 : Difficultés de mémoire
Carte 19 : Difficultés scolaires
Carte 20 : Hyper- vigilance

 

Carte 21 : Flashbacks, intrusions, pensées envahissantes
« Fausse Croyance »
Carte 22 : « Ils vont dire que je suis fous/ folles »
Carte 23 : « Je ne vaux rien »

 

Carte 24 : « Je ne suis pas en sécurité »

 

Carte 25 : « Si ça m’arrive à moi, ça n’arrive pas aux autres, je les protège »
Carte 26 : « Ils ne vont pas me croire »
Carte 27 : « Je ne peux avoir confiance en personne »

Pour la présentation des cartes du BD-Langage, nous avons préféré utiliser une taille de cartes rappelant les dimensions des cartes à jouer, facile à prendre en mains pour les enfants. Le verso caractérise la thématique et les intitulés des illustrations présentées, elles, au recto de chaque carte. Les 27 cartes se trouvent en Annexes. Elles sont classées selon un code couleur correspondant aux différentes thématiques (Cf. : Tableau 1).

Pour l’utilisation de l’outil, une ou plusieurs cartes sont choisies en fonction des objectifs thérapeutiques. Ensuite, une phase de présentation est proposée à l’enfant. L’objectif du praticien est de susciter une réaction chez l’enfant et de le faire verbaliser sur les dessins. Le second objectif est de proposer, à l’enfant, des explications autour des thématiques abordées. Une fiche des recommandations des bonnes pratiques de l’utilisation de l’outil a également été pensée à destination des soignants (Annexes).

Discussion 

La discussion est organisée en trois parties: les limites de l’outil, les avantages de l’outil, puis les perspectives de l’outil.

Lors de la création de l’outil, une première limite s’est dégagée dans son utilisation: l’outil ne peut se suffire à lui même. Il est essentiel qu’il soit utilisé par des professionnels formés à l’accompagnement et la prise en charge de mineurs victimes de VS. Ces professionnels doivent être légalement autorisés à exercer auprès d’enfants et soumis à un code de déontologie. Ils doivent aussi avoir les connaissances suffisantes dans les répercussions psychologiques, notamment de TSPT, pour être à même d’expliquer les conséquences d’un TSPT, mais aussi rebondir sur les ressentis, les pensées exprimées par le mineurs au cours des séances. L’utilisation de la psychoéducation en même temps que l’utilisation des cartes du BD-Langage nous paraît indissociable. Ce double-travail devra toujours prendre en compte l’état actuel du mineur et de sa situation (judiciaire, médicale, psychologique, sociale, …). Une étude de Purper- Ouakil, 2009 [12], préconise les prises en charge de psychoéducation associée à du soutien psychologique uniquement pour les cas de dépression légère à modérée chez l’adolescent. En cas de dépression modérée à sévère et de non réponse à la prise en charge proposée précédemment, un traitement médicamenteux combiné à une psychothérapie est préconisée. De plus, les cartes n’illustrent pas toutes les répercussions observées lors de VS. Certaines notions telles que: la dissociation péritraumatique et les symptômes de dépersonnalisation et de déréalisation devront être abordées et expliquées par le professionnel. Une autre limite de l’outil se trouve dans le graphisme même, utilisé dans les illustrations. La compréhension de chaque illustration dépend des capacités visuelles, de l’interprétation subjective de chacun et de son vécu. Il est possible que certaines cartes soient interprétées de manières différentes d’un sujet à un autre.

C’est aussi la richesse d’un tel outil, que de permettre l’accès au langage selon sa propre subjectivité, sa propre interprétation. L’objectif premier de l’outil étant de pouvoir faciliter l’accès à la parole de mineur. Il ne vise à aucun moment à pousser les mineurs à la parole. Car il existe un risque grave de forcer les victimes à retrouver des souvenirs perdus (lors d’amnésie), ou à exprimer une émotion violemment. Il est essentiel qu’une bonne alliance thérapeutique fasse partie de cette prise en charge, en favorisant en un espace sécure, bienveillant et de confiance où le mineur pourra librement prendre la parole pour inscrire l’évènement traumatique dans son histoire. Ce travail doit intervenir lorsque le mineur se sent prêt à s’engager dans un processus psychothérapeutique. En effet, afin d’éviter l’échec thérapeutique, le soignant devra rester vigilant aux capacités de l’enfant à faire face à ses émotions. La durée et le nombre des séances seront à adapter selon le profil et les habilités de l’enfant. Lors de la création des cartes de BD-Langage, s’est posée la question d’utiliser l’outil pour des séances en individuel ou en groupe. Une étude a listé les principaux avantages et inconvénients de l’éducation thérapeutique en individuel ou en groupe (Tableau 2, D’après Anne Lacroix, 2007, [13]) :

 

Tab 2 : Avantages et inconvénients de l’éducation thérapeutique en individuel ou en groupe
Éducation thérapeutique
Individuel
Groupe
Avantages
Personnalisation, Permet d’aborder le vécu du patient, Meilleure connaissance du patient, Possibilité de cerner les besoins spécifiques du patient, Respect du rythme du patient, Meilleur contact, Relation privilégiée
Échanges d’expériences entre patients Confrontations de points de vue Convivialité, Rupture du sentiment d’isolement Émulation, interactions, Soutien y compris émotionnel, Stimulation des apprentissages, Apprentissages expérientiels par « situations problèmes » Gain de temps
Inconvénients
Pas de confrontation avec d’autres patients, Absence de dynamique de groupe, Risque d’enseignement peu structuré, Risque d’incompatibilité avec un patient difficile, Risque d’emprise du soignant sur le patient Lassitude due à la répétition, Prend trop de temps
Enseignement impositif (vertical), Patients trop hétérogènes, Difficulté à faire participer les patients Inhibition des patients à s’exprimer, Difficulté d’accorder de l’attention à chacun, Difficulté à gérer un groupe, Horaires fixes des cours

 

L’OMS [14], dans son rapport publié en 2012, a conclu que les enfants handicapés encouraient environ 3 fois plus de risque d’être victimes de VS. Chez eux, l’accès à la communication et au langage peuvent être sévèrement impactés. Les enfants peuvent présenter un polyhandicap, associant une infirmité motrice et une déficience intellectuelle légère à sévère. L’utilisation de médias adaptés est couramment utilisé dans le secteurs du handicap, notamment l’utilisation de support visuels (exemple: pictogrammes dans l’autisme). En fonction de la gravité des atteintes cognitives et physiques du mineur, les cartes du BD-Langage pourront s’avérer être un outil innovant pour faciliter l’accès à la communication et les échanges avec le soignant. Se posera aussi la question des mineurs non francophone, où un médias utilisant des illustrations pourra probablement faciliter les échanges avec le soignant.

L’utilisation de cet outil, pourra aussi être étendu à d’autres situations dans lesquelles les mineurs peuvent présenter des répercussions similaires de celles observées lors de VS (maltraitance, violence conjugale, harcèlement scolaire…).

Conclusion

Ce travail de recherche s’intéresse à la création d’un média constitué de 27 cartes sous

forme de BD-Langage. Son objectif est double: il tend à faciliter, lors d’une prise en charge psychothérapeutique, l’accès à la parole de mineurs victimes de VS; il vise aussi à amorcer un travail de psychoéducation auprès de ces jeunes, où le soignant pourra aborder et expliquer les différents retentissements et conséquences pouvant exister lors de VS.

Nous avons tout d’abord rechercher les raisons de la difficulté pour les mineurs victimes de VS à prendre la parole. Ce qui nous a conduit à répertorier les principales répercussions existant des suites de VS (psychologiques, cognitives, comportementales et somatiques). Nous avons ensuite étudié les bénéfices d’utiliser un média sous forme de cartes de Bande Dessinée (BD). Nous nous sommes aussi intéressés à associer cet outil à une approche de psychoéducation.

Tout ce travail de recherche nous a amené au choix et à la création des cartes sous forme de BD. Ainsi, 5 thématiques ont pu être dégagées: répercussions psychologiques, perturbations somatiques, comportements à risque, retentissements cognitifs, et « Fausses Croyances »; avec un total de 27 cartes illustrées et catégorisées par code couleur.

L’outil se veut accessible à tous professionnels formés à la prise en charge de mineurs victimes de VS. Une validation de son utilisation au long terme est nécessaire. L’ambition est de pouvoir proposer un outil gratuit, adaptés aux enfants et aux adolescents. Grâce à sa modalité, les perspectives de son utilisation peuvent s’avérer nombreuses, que ce soit selon le développement cognitif de l’enfant (retard mental ?), ou de sa langue maternelle (média visuel permettant d’être utilisé par des enfants non francophones). Une réflexion pourra s’ouvrir sur l’utilisation de cet outil dans d’autres problématiques (harcèlement scolaire, maltraitance, violence conjugale, …). Sa richesse pourra être ajustée, modifiée, ou développée avec la création de nouvelles cartes, leurs présentations et un objectif thérapeutique précis.

Recommandation des bonnes pratiques pour l’utilisation des cartes du BD-Langage, 
 auprès de mineurs victimes de violences sexuelles :

Cet outil est à destination de tous professionnels de santé spécialisés et formés aux violences sexuelles (VS) auprès de mineurs, et souhaitant utiliser un média afin de faciliter la communication et les échanges, dans la prise en charge thérapeutique (individuel ou groupe).

Outil

Il est constitué de 27 cartes regroupées en 5 catégories : 1. Retentissement psychologique ; 2. Perturbation somatique ; 3. Comportement à risque ; 4. Retentissement cognitif ; 5. Fausses croyances. Au verso de chaque carte est indiqué le numéro de la carte, la thématique abordée ainsi que son intitulé ; au recto de chaque carte y figure l’illustration.

Recommandation de l’outil

Ces recommandations ne substituent à aucun moment l’affinement et l’ajustement par le soignant, dans son choix des cartes à présenter au mineur. Il doit impérativement prendre en compte la situation actuelle du mineur, sur le plan : social (familiale, scolaire), judiciaire (procédure judiciaire, ne pas interférer dans l’enquête!…), médical (prendre en compte les contres indications à l’utilisation de l’outil, si risque de décompensation, …), physique (déficit moteur sévère, …), cognitif (déficience intellectuelle sévère, déficit d’attention, trouble du langage, …), et psychologique (anxiété, dépression, perte d’estime de soi, …). Il jugera par lui même de la pertinence de l’utilisation ou non de l’outil pour le bien être et la sécurité du mineur.

  • Avoir des connaissances suffisantes dans la prise en charge des enfants victimes de TSPT (Trouble de stress post-traumatique, DSM 5). Ce qui implique d’être aux faits des répercutions physiques, psychiques et cognitives dans le développement psycho-affectif et la vie du mineur.
  • Prendre en compte l’âge de développement de l’enfant, ses connaissances des objectifs de la prise en charge, de la situation, mais aussi de son corps et la sexualité.
  • Adapter son vocabulaire selon le niveau de langage du mineur. Ré-employer le vocabulaire utiliser par l’enfant (zizi, zézette, …). S’assurer de la bonne communication et compréhension (reformulation, valider, poser des questions ouvertes, …). Expliquer simplement les termes ou le vocabulaire que l’enfant ne connaitrait ou ne comprendrait pas.
  • Restreindre le nombre de cartes présentées pour proposer un cadre structuré et rassurant à l’enfant (plusieurs séances sont préconisées). Proposer à l’enfant de choisir « une carte », pour communiquer et échanger dessus, puis apporter au mineur les connaissances relatives à la carte choisie (psychoéducation), avant de poursuivre le travail sur une seconde carte, et cetera.

Exemple de Consigne :

« Voici des cartes. Chacune montre un dessin différent. Il peut y avoir un comportement (une action), une émotion (je suis triste), ou une pensée. Ces dessins ont été choisis car ils représentent ce que des enfants/adolescents ont fait, ressenti ou penser après avoir vécu la même chose que toi. Regarde je vais te montrer quelques cartes. Est-ce qu’il y en a une que tu veux choisir pour que l’on parle sur le dessin? Prends ton temps, poses moi des questions si tu le veux».

Si l’enfant ne fait rien, possibilité d’amorcer une réponse en choisissant une carte.

« Par exemple, si je prend cette carte (carte 1: Honte/Culpabilité). D’autres enfants ont pu ressentir de la honte, de la culpabilité. (Laisser temps d’échanges). C’est normal de ressentir cela (déculpabiliser l’enfant). Tu n’as pas à avoir honte, tu n’as rien fait de mal, c’est aux adultes de protéger les enfants. Elle/Il n’avait pas le droit de faire ça. C’est puni par la loi, par des règles. (Laisser temps d’échanges). Toi qu’as tu ressenti?».
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Bibliographie

  1. Enquête Ipsos 2 pour Mémoire Traumatique et Victimologie (2019), « Violences sexuelles de l’enfance »
  2. Treizième rapport de l’ONPE au Gouvernement et au Parlement (2019)
  3. Kédia, M. (2013). Historique de la prise en charge du trauma en psychiatrie. L’Aide-mémoire de psychotraumatologie-2e éd.: en 49 notions, 2. chap. 15 Agressions Sexuelles p.108
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9780890425541)
  5. Ponga, Conseil de l’Europe, (2011), Kiko et la main
  6. Boulet, G. Et Sauliere, D. (2018), ed. Bayard Presse, Stop aux violences sexuelles faites aux enfants
  7. Collin-Vézina, D., De La Sablonnière-Griffin, M., Palmer, A. (2013). « Dévoilement de l’agression sexuelle durant l’enfance: Une analyse thématique de 70 entrevues auprès de survivants et leurs implications pour la pratique ». 7e congrès international francophone sur l’agression sexuelle, Québec, 204
  8. Paquette, M., Terradas, M. M., Chazan, S. E., Lepage-Voyer, C., & Guillemette, R. (2019). Les représentations d’attachement, les relations d’objet et le jeu des enfants victimes de mauvais traitements. Bulletin de psychologie, (3), 163-179.Sabouraud-Séguin A. (1998), chapitre 6, « traitement cognitive-comportemental du stress post-traumatique », In: Lopez G. Et Sabouraud-Séguin A., ed. Dunod (1998) Psychothérapie des victimes
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  12. Purper-Ouakil, D. (2009). Repérer et prendre en charge la dépression et les conduites suicidaires chez l’adolescent. L’Encéphale, 35(2), S3-S7.
  13. Lacroix, A. (2007). Quels fondements théoriques pour l’éducation thérapeutique?. Santé publique, 19(4), 271-282.
  14. OMS, B. M. (2012). Rapport mondial sur le handicap. site de l’Organisation Mondiale de la Santé.

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