L’ECRITURE ET LE TRAUMATISME : UNE EQUATION A VALEUR SYMBOLIQUE ET REELLE

« C’est le désastre obscur qui porte la lumière ». Maurice Blanchot.

Isabelle Lelouch

  • Art-thérapeute diplômée Paris V
  • Fondatrice de l’Association Enfance Intégrité
  • Animatrice certifiée Aleph écriture, spécialisée publics en difficulté.
  • www.enfanceintegrite.net
  • D.U Art en Thérapie, Hôpital Sainte Anne, sous la direction du Docteur Anne-Marie Dubois.

 

INTRODUCTION 

Dans l’encours du travail auprès d’enfants migrants en milieu social, et d’enfants présentant des problématiques diverses en milieu clinique, il est apparu que le travail avec la médiation écriture comportait d’étonnantes ressources, lorsque sont surmontés certains freins.

En effet, l’enfant qui est en difficulté scolaire peut identifier cette médiation à une instance où se reproduira son échec à maîtriser la langue écrite, il pourra donc être inhibé, voire inquiété, opposant à ce dispositif. Bien que la médiation écrite ne soit en aucun cas un dispositif psycho pédagogique, il s’avère que les contraintes proposées sont inévitablement investies à l’intérieur d’un espace réglementé. Les « contraintes » sont d’ordre soit formel soit processuel, et la singularité de chacune des propositions d’écriture insufflées par l’art-thérapeute est inhérente à l’intention et à l’objectif de l’atelier.

En effet, la médiation Ecriture confronte directement ou indirectement à l’acte de penser, car elle est la forme écrite du langage, forme de symbolisation qui énonce et nomme.

En ce qui concerne les enfants migrants, le psychotraumatisme erre dans les confins de ces territoires où de génération en génération la parole est déficiente, et où s’opère une fidélité aux non-dits qui obèrent la transmission, en barrant l’accès à la symbolisation, et donc l’accès au savoir et à la culture.

Pour ces enfants qui ont souvent été victimes de psychotraumatismes (exil, perte de repères, violences…), dont la parole n’a pu ouvrir un champ d’élaboration, la médiation Ecriture offre un terrain propice à une possible reprise, reconstruction de sa propre histoire là où des pans entiers étaient engloutis dans le déni, la sidération, l’amnésie, des trous actifs qui ne permettaient plus le mouvement.

Aussi, une hypothèse a-t-elle vu le jour au travers de ces rencontres, de ce travail auprès d’enfants en milieu clinique et social.

Puisque l’écriture est acte de tracé de l’incréé, de l’informe à l’évènement, donc liée à l’aventure humaine elle-même ponctuée de psychotraumatismes à un niveau structurel, une analogie se présente avec les différentes étapes qui jalonnent le développement de l’enfant. A savoir qu’il s’agit là aussi d’une série de psychotraumatismes à surmonter, pour accéder à une humanisation la plus satisfaisante possible au niveau de chacun. Nous rappelons que la naissance en elle-même représente un premier traumatisme.

Comme à l’appui de cette hypothèse, l’étude des processus de création nous éclaire quant à la nature de ce qui est à l’origine de l’acte d’écrire. En effet, il y est question là aussi d’une temporalité, d’une série d’étapes qui jalonnent le processus, impulsé par un débordement, un afflux de stimuli, dont le caractère est également traumatique.

Cette convergence ne peut être ignorée ou maintenue à l’écart de l’analyse qui se fait jour. Elle vient achopper ce qui peut être dévoilé, reconnu dans le travail auprès d’enfants victimes de psychotraumatismes, et confirmer le bien fondé de la médiation Ecriture comme étant un dispositif dont la pertinence est validée par les déplacements, et mouvements qu’elle introduit dans la psyché des sujets.

Le cadre théorique repose essentiellement sur la théorie psychanalytique.

L’intérêt de cette recherche est d’avancer que le psychotraumatisme est lié à l’histoire de l’écriture et inversement, lié aux fonctionnements inconscients des processus de création, et aux différentes étapes de construction psychique de l’enfant.

Cela confirmera le bien-fondé de la pratique de l’Art-thérapie par l’écriture, auprès de ce public d’enfants et d’adultes, victimes de psychotraumatismes.

LE PSYCHOTRAUMATISME ET L’ECRITURE

Définition

Tout d’abord, quelle est la définition du mot « Traumatisme » ?

Trauma et traumatisme sont des termes anciennement utilisés en médecine et en chirurgie. Trauma qui vient du grec=blessure, et de percer, désigne une blessure par effraction. Le traumatisme serait plutôt réservé aux conséquences sur l’ensemble de l’organisme d’une lésion résultant d’une violence externe. Evènement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique.

En termes économiques, le traumatisme se caractérise par un afflux d’excitations excessif, qui sollicite la tolérance du sujet et sa capacité à maîtriser et élaborer psychiquement ces excitations [2]. 

Par psychotraumatisme, nous entendons deux faces d’une agression, qui vient marquer psychiquement et dans la construction même du sujet, par les traces mnésiques qui en seront les empreintes, et par les symptômes qui en résulteront. L’appareil psychique sera littéralement envahi dans sa partie somatique, comme dans ses investissements, ce qui conduira aux angoisses, voire à la sublimation.

« L’après-coup » pourra remanier les traces mnésiques ultérieurement, en fonction d’intégration d’expériences nouvelles, pour accéder à un autre degré de développement. Ainsi, l’expérience de l’écriture pourrait-elle par son rôle de déclencheur et de catharsis, participer du remaniement, en donnant sens au vécu traumatique, et participer de ce mouvement dit de « l’après-coup », qui voudrait que les impressions et traces mnésiques ne prennent tout leur sens, que dans un temps postérieur à celui de leur première inscription.

Dans les cas de traumatisme, nous pouvons subodorer que le mouvement de l’après-coup soit lié à la temporalité même du trauma, tel que le refoulement qui en est une figure. Ainsi seraient liées les traces laissées par le traumatisme, notamment celles qui ne sont pas encore arrivées au conscient et non symbolisées, avec le mouvement de l’acte d’écrire.

Que ce soit directement ou indirectement manifeste dans le contenu de la production, l’objectif n’étant pas de soulever d’une manière objective les freins à l’expression même du traumatisme, mais plutôt d’accompagner une capacité de réappropriation de son propre itinéraire.

Notons que l’écriture est acte de désir, pulsion parachevée dans l’aire du symbolique et du langage, dans un travail de déploiement de la pensée.

Elle ne vise pas directement « l’abréaction », apparition dans le champ de la conscience, d’un affect jusque-là refoulé, mais soutient sa mise en œuvre.

Nous pouvons donc dire que l’évènement et sa trace sont restés hors du système de représentation du langage. Ils vont donc pouvoir prendre forme dans l’encours du travail par l’écriture.

Nous allons observer une des quatre réactions de stress dépassé :

  • Ce peut être l’inhibition avec sidération, stupeur, immobilité et mutisme.
  • Ce peut être une réaction d’agitation combinant turbulence motrice, logorrhée intarissable, ou même comportement agressif.
  • Ce peut être encore une réaction de fuite éperdue, avec une angoisse panique qui ne sera même pas réduite lorsque l’enfant sera parvenu à l’abri.
  • Chez certains enfin, le comportement est désorganisé, voire automatique, l’enfant poursuivant pendant de longues minutes une activité inadaptée au contexte, ou proférant des propos incohérents dans un état d’indifférence à ce qui se passe autour de lui, et d’imperméabilité aux exhortations données par les adultes.

On a observé aussi des réactions immédiates franchement pathologiques, telles qu’états confusionnels ou confuso-oniriques suivis d’amnésie, de crise d’angoisse massive et d’attitudes phobiques avec recherche désespérée de réassurance.

Pour cela, plusieurs réponses au stress sont possibles : Il s’agit donc pour le sujet de re-déclencher la disjonction du circuit émotionnel. Notamment en augmentant le niveau de stress par une conduite agressive ou auto-agressive, une conduite à risque, une conduite addictive, ce qui entraîne une anesthésie affective et physique voire une dissociation, ce qui permet de calmer l’angoisse.

L’écriture recrée du sens là où la désorganisation et le non-sens ont gagné du terrain.

Enfin, le langage écrit est-il conçu comme le lieu privilégié des interactions groupales à finalité cognitive, écrire c’est penser avec soi-même et avec les autres.

Le monde intelligible dont le patient a été exclu par l’effraction traumatique se déploie à nouveau parce qu’il y a écriture au sein d’un groupe contenant, représenté par l’atelier d’écriture thérapeutique.

Le rôle de l’écriture et la notion de jeu

Ferenczi dans « Confusion des langues entre les adultes et l’enfant », parle à ce sujet du risque de « fragmentation » d’un moi en débris distincts, par perte du lien entre ce qui a été vécu et ce qui ne peut être compris, donc assimilé et élaboré.

L’écriture va agir comme « liant » entre ces différentes parties, dans l’organisation même d’un fantasme, ce qui donnera lieu à la fiction.

« C’est dans les expériences hors du commun, sur les bords de l’imaginable, de l’irreprésentable que nous constatons l’irrépressible besoin de l’être de préserver ce que nous appelons la fiction. Nous inventons quelque chose pour combler le trou dans le réel, ce trou lié au trauma [3]. »

C’est en effet la fonction même du « jeu » d’ouvrir la porte à l’imaginaire pour remanier de façon acceptable pour l’enfant la violence d’un réel innommable. Ce qui permet donc de réguler l’angoisse.

Winnicott dans « Jeu et Réalité, et l’espace potentiel » nous explique comment l’objet transitionnel (la culture, l’objet auquel l’enfant s’attache avec passion) pourra non pas se substituer à la fonction maternante, mais au contraire lui permettre de l’introjecter de manière satisfaisante).

L’écriture pourra donc revêtir la fonction de l’objet transitionnel.

A propos de l’angoisse, Freud écrit qu’elle est une conséquence directe du refoulement. L’angoisse se relie assez directement à la notion de perte d’objet.

Nous savons que l’enfant, qui n’a pu bénéficier de soins suffisants, mais aussi dont le sevrage fut problématique, est un enfant traumatisé par la défaillance de l’objet d’amour à un moment crucial de son développement.

En effet, le travail en art-thérapie par l’écriture consistera à favoriser un processus de transformation, pour amener des représentations là où la douleur est muette. Il s’agit d’empêcher la pétrification et la fascination autour du trauma. L’écriture mise en jeu permet d’accomplir ce travail d’élaboration.

Ne s’agit-il pas pour l’enfant traumatisé, en réintégrant cette aire de créativité, de sortir peu à peu de l’immobilité, en s’emparant dans le jeu de l’écriture et de la fiction, du mouvement même qui impulse vie et remaniement à son vécu ?

Winnicott [4] place l’expérience culturelle dans les premiers liens, notamment celui établi entre la mère et le bébé qui parce qu’elle est « suffisamment bonne », permettra à l’enfant le passage au symbolique, soit de l’illusion à la désillusion : En utilisant le symbolique, le petit enfant établit déjà une distinction nette entre le fantasme et le fait réel.

L’écriture comme objet

Qu’en effet, l’objet transitionnel « Ecriture » soit en soi, comme l’est le sein, ce qui permet l’accès au langage et au symbolique, donc à l’humanisation, permet que ce qui se joue dans l’écriture thérapeutique soit ce qui permet ou non ce franchissement ?

Il faut une quantité suffisante d’angoisse pour fournir une base à une abondante formation de symboles et de fantasmes : une bonne aptitude du moi à supporter l’angoisse est indispensable, pour que celle-ci soit élaborée d’une manière satisfaisante, pour que cette phase fondamentale ait une issue favorable, et pour que le moi ait un développement normal.

En effet, nous pouvons revenir à notre hypothèse, les étapes qui jalonnent le développement de l’enfant peuvent être mises en parallèle avec celles qu’il faut passer pour accéder à la création, à savoir maîtriser suffisamment l’angoisse, la désillusion afin d’entrer dans le symbolique.

Ainsi, S. Freud ajoute : « Ne devrions-nous pas chercher les premières traces d’activité littéraire, déjà chez l’enfant ? L’occupation la plus chère et la plus intense de l’enfant est le jeu. Peut-être sommes-nous autorisés à dire : chaque enfant qui joue se comporte comme un poète, dans la mesure où il se crée un monde propre, ou, pour parler plus exactement, il arrange les choses de son monde suivant un ordre nouveau, à sa convenance. Ce serait un tort de penser alors qu’il ne prend pas ce monde au sérieux, il y engage de grandes quantités d’affect. L’opposé du jeu n’est pas le sérieux, mais… la réalité. L’enfant distingue très bien son monde ludique, en dépit de tout son investissement affectif, de la réalité, et il aime étayer ses objets et ses situations imaginés sur des choses palpables et visibles du monde réel. Ce n’est rien d’autre que cet étayage qui distingue encore le « jeu » de l’enfant de la «  fantaisie ».

Le créateur littéraire fait donc la même chose que l’enfant qui joue ; il crée un monde de fantaisie, qu’il prend très au sérieux, c’est-à-dire qu’il dote de grandes quantités d’affect, tout en le séparant nettement de la réalité [5]. »

Nous observons que les instances qui permettent la mise en jeu de la création littéraire sont liées au refoulement, aux insatisfactions, aux désirs, aux réparations symboliques, aux romans familiaux qui viennent rendre acceptable une réalité qui ne l’est pas à l’origine.

De même, S. Freud ajoute : Faisons connaissance avec quelques uns des caractères de la fantaisie. On est en droit de dire que l’homme heureux ne s’y livre jamais, seulement l’homme insatisfait. Les désirs insatisfaits sont les forces motrices des fantaisies, et chaque fantaisie particulière est l’accomplissement d’un désir, un correctif de la réalité non satisfaisante. »

L’écriture et le traumatisme.

L’écriture comme trace et empreinte existe dans sa structure sur un plan mixte, qui parce que son système s’appuie sur deux registres à la fois, est celui du verbe et celui du graphisme.

Le langage est un soubassement de l’écriture, en ce qu’il la fertilise, mais pas seulement… L’écrivain est parfois littéralement devancé  par la membrane écrite, et ses mots ne sont que peau à lire d’un autre lieu de lui-même, non encore visité.

« Vous remarquerez que je ne vous ai pas posé cette question que vous redoutez : sur quoi écrivez-vous ? Je crois en effet qu’il est pratiquement impossible de définir un texte qui se cherche avant de l’avoir terminé, ou d’être très en avance dans sa réalisation, ce que montreraient sans doute les avant-textes, puisque le projet se transforme en cours de route, et que l’écriture continue à elle seule un processus d’éclaircissement de ce qui était obscur lorsqu’on a entrepris le texte [6]. »

Par sa dimension symbolique, l’écriture est telle qu’elle peut par ce conflit qu’elle nomme à l’insu de son scripteur, être la trace primitive d’une forme inaccessible à la conscience, et remonter le courant du refoulé par l’énigme du jeu à être « hors soi » entre les lignes.

Plus l’homme se perd, plus l’écriture vient, comme une inaccessible passerelle, relayer les fonctions à vivre et à dire, s’appuyant sur ce qui ne peut se dire qu’en écrivant.

Le silence (le non-écrit) est ami de l’écriture, il lui fournit sa substance dans ce corps à corps qu’est la lutte intestine entre la vie et le rêve, entre les désirs et les empêchements, entre les registres vie mort qui encerclent par leurs rythmes toutes nos formes de naissance.

Une fragilité se lit à l’œil, s’entend à l’oreille. Dans toute écriture, s’élève une voix vindicative, crainte autant qu’admirée et respectée. Celle de cet objet d’amour qui aussitôt atteint, se dérobe. Cela nous renvoie aux différents freins à l’écriture, cette voix intérieure peut être celle du professeur, et rappeler au normatif du système scolaire qui sanctionne, ou à un parent ambivalent aimant et censeur.

La feuille blanche est un vide au mutisme effroyable, tant que la plume ne s’y est pas couchée. Et vos doigts ne pourront jamais faire crier le papier sans l’épreuve du désir. Etreindre la langue, la palper, la humer, s’associer à ses singularités, épouser ses formes.

Et pour un enfant, qu’est ce que c’est finalement ce désir, si ce n’est celui de mordre ce sein, de l’attaquer, le dévider comme un territoire dont il faut se départir pour être et penser ? Ainsi que le développe Mélanie Klein [7] dans « Psychanalyse d’enfants. ».

Dans « l’inquiétante étrangeté », Freud nous parle de ces « fantaisies du créateur littéraire, qui seraient des productions de rêves diurnes, qui seraient eux-mêmes des résidus de désirs. » Le créateur littéraire joue avec les mots comme l’enfant joue solitaire ou accompagné, fantasmant ce qui est désir insatisfait pour que la fantaisie accomplisse par la sublimation, le destin des pulsions.

Lorsque l’enfant est victime de traumatisme, le souffle et le cri sont enkystés dans le corps qui est anamnèse des empreintes traumatiques non élaborées.

Ainsi, l’écrit libère t’il des zones où le souffle était circonscrit à une impossible rencontre, coincé, ligoté, l’enfant traumatisé pactise en silence avec les monstres qu’il ne peut affronter.

Peut-il encore jouer ?

Le travail de l’Art-thérapeute est de pouvoir l’amener à entrer dans l’aire transitionnelle de Winnicott.

En quoi pouvons nous préjuger et prétendre que l’acte d’écrire peut être d’un quelconque secours, lorsque le soi est hors monde, divisé, dissocié pour survivre ?

L’écriture comme trace

Artaud disait dans sa correspondance avec Jacques Rivière, du 5 Juin 1923 « Lors donc que je peux saisir une forme, si imparfaite soit-elle, je la fixe dans la crainte de perdre toute pensée. »

« L’écriture permet également d’exprimer de façon tolérable l’amour et la haine que suscite le patient, de leur donner une forme présentable en les nouant l’une à l’autre. Ecrire est à la fois une manière d’attaquer l’objet, de le contrôler, voire d’en finir imaginairement avec lui, et aussi une façon de le réparer, de le consoler, de le cajoler [8]. »

Ainsi en va-t-il souvent des écrits autobiographiques, des récits, témoignages d’enfances meurtries, qui en passant par l’écriture, vont « réparer » la blessure, le trauma, fixés en une trace, qui donnera sens à l’impensable de l’expérience.

Une trace sur le papier, un support, une tablette, ont permis les premiers signes écrits depuis les origines de l’écriture, née il y a 6000 ans, des hiéroglyphes égyptiens aux pictogrammes sumériens, jusqu’à l’écriture cursive, et l’alphabet.

Et déjà bien avant, il y a 40.000 ans, les hommes préhistoriques dessinaient, commençaient à graver et à peindre.

Mais aussi, « l’écriture est d’abord première inscription, traces sur lesquelles vient s’appuyer le travail psychique ; en ce sens, elle donne lieu à ce qui n’a jamais eu lieu faute de lieu, elle met à distance et localise le trouble ressenti, donne forme à cette « chimère » par laquelle Michel de M’Uzan désigne le vécu confusionnel que le thérapeute partage par moments avec son patient.

En effet, la relation transférentielle entre le patient et le thérapeute, entre le groupe et le thérapeute, est très importante et cruciale dans le dispositif d’atelier d’écriture.

Il s’agit de partager ensemble des mots, des idées, des sons, des rythmes, et de leur donner vie en les transformant. Cet échange se fait à plusieurs niveaux, ce vécu non identifiable qui est le trou du traumatisme trouve un point de fonctionnalité dans la fiction individuelle comme dans la fiction partagée. La fiction, comme l’illusion, se joue de la réalité tout en n’étant pas en contradiction avec le réel. C’est à l’intersection des récits bâtis par chacun que l’on remâche le réel pour en éprouver la saveur, l’incorporer, et finalement en dégager le fil de son trajet propre.

La fiction est un pas de côté, une voie parallèle face à l’inhibition ou la répression interne ou externe, à l’intersection de soi et de l’autre, de la différence des sexes et des générations, du passé et de l’avenir. La fiction n’est pas à entendre comme simple invention individuelle, mais le collectif et le groupe sont les espaces propices à l’émergence de l’illusion nécessaire qui permet d’affronter les peurs, les terreurs et les transformer. La fiction qui est toujours plus ou moins auto-fiction, produit du sens et nous ramène finalement à une réalité que nous sommes plus aptes à appréhender. Nous ne pouvons imaginer un monde sans fictions, toute civilisation est baignée dans les récits oraux ou écrits qui la détermine. Mythologie, contes, légendes.

L’écriture permet de faire la part des choses, de « démêler le tien du mien » en rétablissant les limites entre soi et l’autre, de construire un récit plausible des traumas qui ont suscité une telle catastrophe, de tels trous de mémoire, de telles zones dévastées par la sidération. Ecrire pour passer outre à l’effondrement actuel et dire quelque chose de l’effondrement originaire. ».

Oui, il s’agit bien à travers l’écriture, et ce depuis les premiers alphabets, pictogrammes, hiéroglyphes, de laisser traces des transactions, et des faits civils et religieux de l’Homme. De laisser trace de ce qui doit se dire autrement que par la parole, c’est-à-dire en fixant un récit afin qu’il prenne sens dans la communauté humaine. Notons que les trois religions monothéistes ont en commun une source révélée et des torrents d’écriture, de commentaires, de prescriptions …

« Vingt deux lettres fondamentales : Dieu les dessina, les grava, les pesa, les permuta et produisit avec elles tout ce qui est et sera. » Traité de cabale.

Et dans le christianisme, Dieu se manifeste sous la forme du Verbe : « Au commencement, était le Verbe ». dans le Prologue de Saint Jean. Car comme le souligne Philippe Mac Leod, dans Variations sur la Parole, chez Ad Solem :«  On peut donc affirmer sans difficulté que le langage en ce qu’il a de naturel, de corporel, est essentiellement Présence. »

Nous pouvons aussi y voir ce que le sang, les larmes et l’encre peuvent avoir de commun dans la recherche de sens et de vérité.

Les mots ont selon Marc Alain Ouaknin [9] une fonction thérapeutique, d’autant plus dans l’éclosion du lire écrire, qui sont indissociables. Dans le dispositif d’atelier d’écriture, que ce soit en groupe ou en individuel, la lecture précède le geste d’écriture.

II L’ATELIER D’ECRITURE

Les propositions ou contraintes d’écriture apportées par le thérapeute sont issues de la littérature dans le sens le plus large qui soit : poésie classique et expérimentale, contes, nouvelles, aphorismes, lettres, extraits de romans, mythes, tout ce qui peut se lire, se partager dans l’aventure du sens et de la rythmique d’un texte.

Proposition d’un texte, d’une image qui soit un stimuli visuel, un support qui soit olfactif, voire d’une combinaison de ces différents médias. Le thérapeute en dégage une contrainte d’écriture. Deux axes s’entrecroisent, l’un porte sur la forme, l’autre sur le thème. Nous faisons donc entrer de plain pied le patient dans l’aire de cette préoccupation majeure pour l’enfant, en ce qui concerne son développement, à savoir le jeu.

Selon Winnicott dans Jeu et réalité p.105 : « Dans cette aire, l’enfant rassemble des objets ou des phénomènes appartenant à la réalité extérieure et les utilise en les mettant au service de ce qu’il a pu prélever, de la réalité interne ou personnelle. Sans halluciner, l’enfant extériorise un échantillon de rêve potentiel et il vit, avec cet échantillon, dans un assemblage de fragments empruntés à la réalité extérieure. ». Nous mettons donc à la disposition du patient et du groupe un « échantillonnage », une « boîte à outils » dans lesquelles il peut puiser de quoi manipuler les objets que sont les mots, les images, les extraits de roman…qui insufflent les productions directement dans un jeu d’associations libres et de contenus manifestes mêlés.

Toujours Winnicott, P.126 : « Ces réflexions nous fournissent une indication sur le procédé thérapeutique à adopter : il faut donner une chance à l’expérience informe, aux pulsions créatrices, motrices et sensorielles de se manifester ; elles sont la trame du jeu. C’est sur la base du jeu que s’édifie toute l’existence expérientielle de l’homme. »

Temps d’écriture délimité.

Afin que l’objet ne soit pas détruit, la fonction contenante du thérapeute, relayée par le cadre : (règles partagées de l’atelier et édictées par le thérapeute, acceptées par le groupe, dont fait partie la limite de temps) permet un ajustement entre la demande extérieure soit la réalité extérieure, et le temps de la création, temps de rêverie pendant lequel le sujet « se relie à l’objet ».

Le temps d’échange notamment entre le thérapeute et le patient qui vient de lire son texte, doit être resserré uniquement sur la production et non sur de quelconques interprétations. Il serait préjudiciable de dévoiler dans une toute puissance s’apparentant à une analyse sauvage, les commentaires suscités par ce que le thérapeute perçoit dans la production.

Henry Bauchau [10] nous rappelle certes à cette dimension de l’inconscient si présent dans la production littéraire : « Il est vrai que l’écriture, l’aventure poétique ressemble à un lapsus, à une irruption de l’inconscient à contre-courant de l’immense phrase de la vie courante et du tumulte du temps. La dictée intérieure de la création naît de l’intense loisir du silence pour aller vers celui d’une écoute. » Si l’art-thérapeute est là pour « décoder » le matériel, il ne s’agit pas d’en faire part au patient, et objectiver sa production ne doit pas la réduire, ou l’enfermer dans un schème ou système simpliste d’interprétation.

Tout est mouvement dans ce dispositif qui s’inscrit lui aussi dans un espace temps propre à son objectif, et le changement souhaité provient d’un ensemble de facteurs : expression des émotions, communication dans le groupe, recherche d’une élaboration et transformation, changement souhaité.

L’axe processuel est le principal enjeu, c’est-à-dire faire entrer le patient dans un processus de création. En ce qui concerne la spécificité du public des enfants, les objectifs sont les mêmes.

Le thérapeute va entendre, puis lire seul lors de sa prise de notes post-atelier, ce que lui inspire (à partir du contexte de l’atelier, en y incluant les enjeux de place, et tout ce qui est dit en langage verbal ou non verbal) le contenu du texte, mais aussi la manière dont le patient s’est emparé de la contrainte. L’utilisation de l’espace de la feuille, de l’espace- temps etc. seront autant d’indicateurs pour le thérapeute.

Il est bon de souligner que particulièrement lorsque nous avons affaire avec un enfant atteint d’un traumatisme psychique : « le thérapeute, par sa présence contenante surajoutée à un étayage par la médiation écriture, formera un appui solide afin de réconcilier l’enfant avec le monde extérieur et rétablir certaines règles extérieures floues, voire bafouées [11]»

La médiation Ecriture en Art-thérapie et ses freins :

Voyons brièvement quelle est la position de l’art-thérapeute, qui elle-même découle de la position de l’artiste, puisqu’il est amené à faire traverser au patient le même processus de création que lui-même expérimente dans sa propre pratique artistique. Voyons tout d’abord pourquoi la terminologie Art-thérapie renvoie à des malentendus et des attentes subjectifs et non réels :

Le danger de l’Art-thérapie réside dans l’accolement de ces deux idiomes aussi antagonistes que complémentaires : Art et Thérapie.

L’Art est par essence une création neuve et absolument irréductible, émanant d’une seule nécessité, celle pour un individu de se recréer à travers ce qui est son langage, sa propre manière de résister à tout ce qui le limite, l’enferme et l’empêche. Le langage qu’il utilise est matériau issu de sa propre contingence à regarder, ressentir et être traversé par ses émotions intérieures comme par ce que le monde, les autres lui inspirent.

L’Art est lutte entre le Moi et la Réalité. De cette réalité, le Moi de l’artiste est brisé et tout à tour contraint ; de cette lutte, il peut expérimenter toutes les dimensions dont il dispose pour ne pas être réduit à ses seules angoisses ou pertes, le deuil, l’absence, l’anéantissement peuvent être redéfinis dans une fiction que son inconscient pétrit à l’épreuve de la réalité. Il peut donc se réorganiser avec la matière, avec l’origine des ressources mises à sa disposition et dont il s’empare dans un mouvement vital qui de la pulsion de mort fait acte de vie.

André Green [12] écrit : « Le travail de l’écriture présuppose une plaie et une perte, une blessure et un deuil, dont l’œuvre sera la transformation visant à les recouvrir par la positivité fictive de l’œuvre. »

Il navigue avec des codes et des structures propres à son art pour s’extirper d’une réalité sans issue.

Dans l’écriture, il peut en manipulant cet alphabet commun à tous, œuvrer à une association de sons, de rythmes, de sens, qui lui sont aussi étrangers que personnels, qui s’avancent vers une vérité subjective que lui seul porte et recouvre, et qu’il espère néanmoins partager.

L’écrivain n’affirme rien moins que cette singularité qui dans le même mouvement l’exclut par la force de cette différence, et l’inscrit néanmoins dans une époque et une communauté humaine à laquelle il ne peut se soustraire totalement, sans prendre le risque de réintégrer l’absence et la solitude.

Traversant, traversé, le créateur est donc impulsé par toute la gamme des inspirations et expirations du souffle, ne se protégeant des influx morbides que par la seule voix de sa création.

Il est en effet perméable et hautement exposé, excessivement temporaire et éphémère, mais la trace à laquelle il ne peut se soustraire lie son angoisse à ce sursaut qui lui intime de sauver de la mort psychique et physique l’entièreté de son être, de son Moi le plus profond.

Extraordinairement vivant dans la seule contingence qui le pousse à créer, le retournement œuvre sur lui, comme l’œuvre à l’œuvre en lui ; qu’elle persiste à s’enkyster dans l’inachèvement ou l’exposition publique.

L’inachèvement venant signer l’échec du compromis, la résistance  envahissant les frondaisons mêmes de son possible, il reste ainsi coincé, ligoté entre la liberté et le cloisonnement.

Comme si une force, une impossibilité à être était plus souveraine et plus habile, l’empêchant de réaliser ce à quoi il est sur le point d’accéder.

Ainsi maintenu dans cet écart, cet entre-deux suffocant, il surnage entre deux rives, celle de l’accomplissement et de l’acceptation de sa différence, liberté consubstantielle et recherchée frénétiquement, puis ajournée car trop risquée, le renvoyant à un néant, à un inconnu symbolique qui à nouveau lui donnerait l’impression d’être exclu de cette communauté à laquelle il lui est nécessaire d’être lié. Luttant entre l’effondrement et l’élan, le créateur est balloté au gré de son extrême fragilité et de ses inépuisables ressources.

Art et Thérapie

Si l’art libère, et que nous le juxtaposions au mot « Thérapie », cette relation s’avère en soi particulièrement ambigüe.

Si l’art a des effets thérapeutiques, c’est, du moins dans l’intention, à l’insu de son créateur, jamais dans cet objectif conscient, cela pétrifierait le mouvement.

L’Art est comme l’Amour, il ne peut s’exiger, se conformer, se réduire à quoi que ce soit d’intentionnellement efficace ou satisfaisant.

Ce serait un non-sens, un dévoiement, un parjure de ce que revêt l’Art.

Même au sein des contraintes esthétiques ou références héritées, l’Art se mobilise comme acte révolutionnaire, transformateur, il côtoie les limites pour les dépasser, les repousser dans un au-delà des possibles.

Qu’est ce alors, qui serait thérapeutique dans l’Art ?

Tant d’artistes accomplis sont morts dans le dénuement, la misère, la maladie, et la souffrance…

Là encore aucune garantie. L’Art peut détruire, consumer, comme libérer et donner lieu à une renaissance.

Des artistes, donc, formés à cette pratique : l’Art-thérapie prétendraient pouvoir améliorer la santé de leurs patients en les soumettant à l’épreuve de l’Art ?

Sur quoi reposent leurs convictions ?

La théorie élaborée dans les arcanes des recherches psychanalytiques ? La pratique issue des ateliers ?

Depuis l’Antiquité, la Poésie fut utilisée comme médecine de l’âme, examinons ses apports en atelier. Pour autant, dans un atelier d’écriture thérapeutique, le thérapeute utilise dans le cadre contenant qui permet d’instaurer le dispositif, des extraits de textes littéraires, contes, mythes, poèmes, qui lui servent de matériau, d’outils à faire « perlaborer », c’est à dire élaborer et donner sens, à transfigurer un réel intériorisé et arrêté, visant dans la cure psychanalytique à la suppression du symptôme névrotique. Il permet la mise en œuvre d’un processus qui est induit par le thérapeute. L’Art est donc utilisé comme médiation entre le thérapeute et le patient dans un objectif thérapeutique. Ce n’est pas le désir de rendre le patient artiste qui fonde le pacte, mais de lui rendre accessibles les modalités d’un art dont il peut s’approprier les contours, et expérimenter les effets. Cette utilisation de l’Art peut paraître étonnante, mais il n’y a pas d’autre façon de le mettre à la disposition des profanes dans un atelier d’art-thérapie. Il s’agit bien donc d’extraire la matière Art de sa gangue sacralisée et intellectualisée pour la donner à connaître, à vivre à traverser à des non artistes, et qui plus- est en souffrance.

C’est certainement cette part qui relie l’artiste au patient, cette part fragmentée qui peut se réinitialiser par l’Art.

Winnicott a compris que cet espace à conquérir, que l’enfant inaugure spontanément dans le jeu est un espace de survie !

Qu’il est ce lieu où s’expérimentent l’absence et le manque, que c’est là que cela devient supportable.

Serait-il dangereux de faire de cet espace d’illusion un espace projectif et consenti ?

Dangereux de penser que l’Art puisse ainsi être pillé, sans en être perverti ?

Illusoire de croire que l’Art et le soin puissent être reliés dans une intention codifiée ?

En effet, des choses sensibles et profondes se passent, évoluent, transmuent sous l’impulsion des matériaux mis à disposition, de ce transfert qui est présent entre la médiation, le thérapeute et le patient.

L’Art-thérapie est aux confluents de l’Art, de la psychiatrie, de la psychanalyse une pratique intrigante, mal comprise, et parfois mal exploitée et détournée de sa mission.

Elle est mal comprise dans le sens où elle ne reposerait que sur une volonté, un contrat simplifié jusqu’à l’absurde à savoir, vouloir réunir les conditions d’un lieu d’artiste et l’ouvrir aux malades.

Il ne s’agit pas que de cela. La gageure, le défi sont bien plus subtils, et structurés.

La formation, l’écoute, le regard du thérapeute, son engagement, sont les principaux ressorts de cette pratique, tout autant que sa qualité d’artiste.

En cela, ce qui serait nuisible, serait d’enfermer l’Art-thérapeute dans une position de praticien au seul service du processus de création.

Les séances individuelles notamment, attestent qu’il s’agit d’un travail qui repose sur une posture où l’inconscient du thérapeute est mis au service de l’inconscient du patient.

La qualité d’analyse, la créativité, toutes caractéristiques qui le rapprochent d’un espace de parole et de création, éminemment porté par les références analytiques et le transfert participent de cette dynamique.

En cela, tout est à créer dans la posture de l’art-thérapeute. Et c’est bien en cela que réside le véritable défi à plusieurs titres.

Pour ce faire, qu’il ne s’octroie pas une position de toute puissance.

Donc, qu’il continue à investiguer sa propre création pour être réceptif à ce que le patient traverse dans le processus de création.

Et que lui-même continue à travailler ses propres failles et brèches, tant dans un espace thérapeutique personnel, que dans un lieu de supervision qui lui permettront de prendre du recul par rapport à sa pratique.

Serge Boimare [13] insiste sur le fait notamment en cas d’échec scolaire, (ce à quoi sont souvent confrontés nos jeunes patients), qu’il y a, quelle qu’en soit la cause, impossibilité ou refus de s’appuyer sur la capacité de penser. Ces enfants perturbés par cette phase lors de laquelle il leur est demandé de se frotter avec le temps de l’incertitude, qui est temps d’appropriation des liaisons et transformations indispensables à la mise en route des savoirs fondamentaux, auraient-ils échappé à cette phase de frustration nécessaire, qui est celle de la désillusion qui mène à expérimenter l’espace potentiel ?

Nous pouvons donc légitimement nous poser la question suivante : Ces enfants auraient ils tous été en proie au traumatisme d’une absence prolongée et non négociable, qui aurait évidé leur capacité à parer au risque d’effondrement ?

Boimard écrit : « A la source de ces intrusions qui dérèglent et perturbent le travail de la pensée, on voit émerger des craintes archaïques, des peurs infantiles et des préoccupations identitaires.

Ces enfants dont le monde interne n’est pas assez fiable pour affronter contrainte et doute, et qui touche en priorité les enfants qui, dans les premières années de leur vie, n’ont pas été suffisamment sollicités pour mettre des mots sur leur ressenti, ou pour évoquer des évènements imaginaires passés ou à venir. Ce manque de stimulation précoce de leur entourage, cette non-initiation à la parole et à l’échange, nous prouve à quel point la pensée a besoin du langage pour se structurer…

Comment des enfants, aussi intelligents soient-ils, pourraient-ils affronter le manque et la règle qui font partie intégrante de l’apprentissage, alors que leurs familles ne les ont jamais initiés à l’épreuve de la frustration ? »

Comment donc déjouer ces freins au sein de l’atelier d’art-thérapie par l’écriture ?

Il s’agira pour le thérapeute d’être garant du cadre, et de proposer à l’intérieur de celui-ci une ligne variée de contraintes qui stimuleront l’envie de jouer, comme de lire et d’élargir ses connaissances, par exemple en lisant de séance en séance les chapitres qui initient à l’histoire de la mythologie grecque.

L’enfant attendra la prochaine séance pour connaître la suite, excellent moyen de lui faire expérimenter la frustration, la notion de temps et de progression, pour éveiller son intérêt.

Les contraintes seront issues de la littérature générale, contes populaires, extraits de roman, jeux oulipiens, etc.

La diversité est garante de l’étonnement et permet de déstabiliser « juste comme il faut » l’enfant, afin qu’il soit « tremblé » par la proposition sans pour autant s’écrouler sous son poids.

La contrainte doit conserver un caractère contraignant, en cela qu’il est demandé de s’insérer dans ses règles, tout en permettant la liberté de créer.

Ce double princeps permet à l’enfant de considérer que l’effort est garant de la satisfaction.

En ce qui concerne l’analyse que le thérapeute fera de ses notes d’après séances, il lui faut s’adonner à une double lecture. Celle qui est d’ordre symbolique, et celle qui est d’ordre comportemental.

Cela donnera lieu à des grilles d’observation, à des commentaires. Seront pris en considération au niveau formel, les associations que le thérapeute a pu faire par exemple entre un mot et un comportement, ou entre un blocage et la manière dont l’enfant l’aura négocié, mais les interactions sont infinies entre le jeu de ce qui s’écrit, ce qui ne s’écrit pas, ce qui est tu ou délivré brutalement. Ce qui se joue dans l’encours de ce travail est extrêmement riche, et doit être observé avec attention.

Le transfert et la manière dont il est investi est également très instructif quant aux enjeux de place, et à ce que le patient est en train de traverser.

En ce qui concerne le travail avec les enfants atteints d’un traumatisme psychique, ses troubles doivent être, selon Ferenczi, considérés comme résultant d’une absence de réponse de l’adulte face à une situation de détresse de l’enfant.

Selon Chidiac : « Le thérapeute, par sa présence contenante surajoutée à un étayage par l’écrit, formera un appui solide afin de réconcilier l’enfant avec le monde extérieur et rétablir certaines règles extérieures floues, voire bafouées.

Ainsi, pour l’enfant abusé qui se sent fragmenté, la sensation d’un tout retrouvé avec la possibilité d’exprimer ses émotions dans un cadre de confiance établi par un poème à réaliser, peut avoir un effet de reconstruction. » 

III LES PROCESSUS DE CREATION LITTERAIRE :

A l’épreuve des stades affectifs et intellectuels de l’enfant, et sur l’émergence du langage : En effet, du manque au désir, c’est la division du sujet qui mène au langage et au symbolique, au prix d’une perte irréparable. Voici ce qui sera important d’observer, et de noter dans la grille d’observation : Son rapport au temps, tant dans la dimension écrite que lue, les questionnements, la manière dont la page est investie, le positionnement face à la contrainte, opposition ou adhésion, hésitations, et bien sûr tout ce que contiennent en significations para textuelles les ratures, les blancs, un mot, un dessin ou gribouillage, tout ce qui fait trace sur le contenant papier.

Puis, comment la trace écrite au niveau graphique permet l’acquisition d’une autonomie psychique : Le travail de la main, dans l’acte d’écrire, a d’abord dans l’histoire de chaque sujet, un enjeu essentiel. C’est celui du détachement.

En effet, le détachement physique du nouveau-né est assuré à la naissance par la sortie du corps maternel et la section du cordon ombilical.

Mais le détachement psychique est beaucoup plus long et les premières activités d’inscription manuelle y participent grandement.

Ainsi l’écrivain (écrivant) au travail renforce, confirme et objective sa propre organisation mentale et sa relation psychique à la mère intériorisée au fur et à mesure de son travail, du seul fait des enjeux propres à la création du texte et indépendamment des contenus spécifiques de son œuvre. L’organisation spatiale de l’écriture sur un support plat à deux dimensions permet en effet la mise en jeu de quatre séries d’investissements complémentaires :

  1. La décharge des excitations et des représentations menaçantes par leur intensité ;
  2. La liaison de ces excitations à un mouvement qui laisse une trace, c’est-à-dire une première forme de symbolisation qui substitue à la seule décharge motrice la possibilité de sa représentation ;
  3. La constitution d’un contenant de pensée métaphorisé par la capacité de la feuille blanche à accueillir et contenir les traces ;
  4. L’exploration de l’espace qui sépare l’enfant de sa mère, et que le trait tente de combler, dans le mouvement d’attachement et de détachement, d’éloignement et de rapprochement, de jet et de réappropriation qui caractérise sa dynamique.

Ensuite seulement intervient la fonction de mise en sens du texte lui-même, selon les règles grammaticales et syntaxiques de l’écriture utilisée. »

Selon Serge Tisseron [14] : « On voit donc comment ces manifestations apparemment parasitaires du travail du manuscrit font partie intégrante de ce travail même.

Les ratures, les gribouillis et les petits dessins plus ou moins abstraits ne sont pas des procédures d’attentes de l’inspiration et encore moins des divertissements de la pensée.

Il s’agit au contraire d’activités essentielles par lesquelles le scripteur investit psychiquement le support d’inscription de la possibilité de recevoir des traces et de participer à la transformation de sa pensée. A travers l’ensemble de ces apartés du texte, le scripteur peut continuer à s’appuyer sur l’investissement du papier comme contenant métaphorique à la fois du corps maternel et du corps propre. Au contraire, l’angoisse de la feuille blanche correspond à l’angoisse d’un contenant défaillant à accueillir un contenu. »

De M’Uzan [15] nous éclaire quant à la notion de « saisissement « : (ce terme a pour mérite de rendre à l’évènement son caractère brusque et essentiel, qui le rapproche du caractère singulier de ce qu’est le traumatisme.)

Pour De M’Uzan, le « saisissement » est un moment où le sujet cristallise ses pulsions sur un objet, en l’occurrence dans le travail littéraire, le moment est celui décrit par les poètes lors de la venue de l’inspiration, lorsqu’ils se mettent à écrire sous la dictée d’une autre partie d’eux-mêmes, ils sont « saisis ».

La situation traumatique

Il peut être éclairant de situer ce mouvement par rapport au jeu d’appropriation par chacun, de l’ensemble des processus qui permettent d’élaborer une œuvre d’art.

« Ce n’est qu’au moment où des pulsions se dégagent et se cherchent des objets, tandis que le monde extérieur commence à être reconnu comme tel, que les tensions naissent, engendrant une situation traumatique que le sujet va devoir affronter.

Cette nécessité vitale le conduit à élaborer l’expérience par le moyen qui est le plus immédiatement accessible : une représentation de sa situation qui est une tentative de synthèse, une recherche de l’unité. Pour y parvenir le sujet recourt spontanément à son souvenir nostalgique de l’union narcissique perdue et il réussit d’autant mieux qu’il retrouve là le sentiment primitivement vécu. Dans l’œuvre qui, éventuellement, résulte d’une pareille représentation intérieure, ce n’est pas nécessairement le traumatisme qui apparaît, mais souvent au contraire, l’union, la réconciliation, la communion avec le monde exprimée directement dans une forme. » De M’Uzan.

Michel de M’Uzan rajoute : » La représentation créatrice s’exerce donc de façon continue, le plus souvent silencieuse et automatique, dans un rapport particulier avec les mouvements pulsionnels. Elle cherche sans cesse à saisir un présent, dont l’émergence se produit à tous les instants, et par là même constitue une micro-expérience traumatique. »

Nous voyons bien là une similitude avec les différentes étapes du processus de développement de l’enfant qui continuent à être opérantes tout au long de la vie, et notamment chez le créateur littéraire, qui y est d’autant plus vulnérable que son Moi est sans cesse remanié par les pulsions, par l’environnement et les affects dont il est traversé, avec toute la “porosité” dont il est pourvu.

« Cette description de l’actuel, qui se fait par une récupération active du passé, et accomplit le passage du discontinu au continu, crée littéralement la réalité dont, autrement, l’opacité serait totale puisqu’elle se réduirait à un ensemble incohérent de formes abstraites. »

Dans ce passage, apparaissent les conditions de remaniement propre au travail que doit faire le sujet victime de psychotraumatisme pour réintégrer sa propre unité.

Michel de M’Uzan continue son analyse en ces termes : Bien entendu, l’expérience traumatique varie dans son contenu à mesure du développement psycho-sexuel de l’individu.

Ce qui appuie encore notre hypothèse sur les stades du développement de l’enfant, et la similarité avec les étapes du travail de création littéraire.

Plus avant, il expose comment Freud en donne un exemple avec le jeu de la bobine, « qui permet à l’enfant d’élaborer l’expérience traumatique et de lui donner une issue positive. L’enfant en lançant la bobine, la perd, la retrouve, et recrée les conditions de perte de la mère dans ce va et vient traumatique.

A un moment donné, cette expérience fondamentale trouve sa pleine expression dans l’angoisse de castration qui devient alors l’expérience cruciale et qui, selon le mouvement de « projection en arrière » dont parle Bouvet, prend la valeur d’un modèle rétroactif de tous les états traumatiques antérieurement vécus. »

Nous pensons donc que la démarche créatrice qui permet la confrontation à ce moment critique lors duquel l’enfant apprend à se séparer de sa mère, permet de symboliser.

Le travail créateur

Didier Anzieu [16], quant à lui, propose dans Le corps de l’œuvre une représentation du travail créateur en cinq phases successives :

Ces différentes phases se recouvrent, s’interpénètrent dans un jeu d’allers-retours permanent : La première phase dite du saisissement créateur initial, quasi-hallucinatoire, suscite le passage à l’écriture. Il y a là inondation, débordement, afflux envahissant d’informations et d’images, sensations, qui mettent en péril l’unité psychique.

Le passage à une forme, à une modélisation créatrice par l’écriture va aménager un détour, une issue pour que de cette force jaillisse l’œuvre, le texte, le poème, ordonnancés par une activité de liaison rendue possible dans la deuxième phase, lorsque survient la notation du matériel refoulé. Cela transforme en noyau central certains représentants dans l’écrit, d’états ou de produits psychiques jusque là ignorés ou écartés de la conscience.

La troisième phase consiste à exercer une activité de liaison sous la juridiction du Moi idéal.

La composition de l’œuvre constitue la quatrième phase : ce serait un compromis entre tout le jeu des repentirs, modifications, variantes, recours à la documentation, préoccupations morales, logiques, esthétiques qui est celui d’une élaboration secondaire.

Elle est idéalement suivie de la venue au jour de l’œuvre, qui suppose selon Anzieu que soient surmontées certaines inhibitions, sentiments de honte ou de culpabilité dans un mouvement de prise en compte d’un lecteur potentiel ou effectif.

Didier Anzieu note ce nécessaire dédoublement créateur qui apparaît tout à fait dans le travail d’écriture en atelier thérapeutique, lorsqu’est insufflée une contrainte qui va ordonnancer, codifier le moment de saisissement provoqué.

Ce retournement permet de ne pas s’abandonner totalement, il y a d’un côté ce qui se constitue dans un mouvement de recul par rapport au mouvement initial, et de l’autre, ce qui est acceptation d’une perte de maîtrise.

Les cinq phases du travail créateur

Le travail de création parcourt donc cinq phases : éprouver un état de saisissement ; prendre conscience d’un représentant psychique inconscient ; l’ériger en code organisateur de l’œuvre et choisir un matériau apte à doter ce code d’un corps.

  1. Devenir créateur, c’est laisser se produire au moment opportun d’une crise intérieure, une dissociation ou une régression du Moi partielle, brusques et profondes, c’est l’état de saisissement.
  2. La partie du Moi restée consciente (sinon c’est la folie) rapporte de cet état un matériel inconscient, réprimé, ou refoulé, ou même jamais encore mobilisé. L’organise selon un code, donne corps à l’œuvre.
  3. Activité de liaison pour transformer en noyau central, organisateur d’une découverte ou d’une création possibles, un ou plusieurs de ces représentants de processus, d’états ou de produits psychiques primaires.
  4. Travail de compromis, de composition de l’œuvre, qui ne peut être menée à bien qu’avec le soutien du Surmoi. Le style utilise la stratégie propre aux mécanismes de défense inconscients. Les remords, les retouches, les variantes, le recours à une documentation, les préoccupations logiques, éthiques, esthétiques remplissent la même fonction d’élaboration secondaire, qui dans le rêve nocturne fait la toilette du contenu manifeste dès qu’il apparaît à la conscience.
  5. Enfin achevée et publiée ou jouée et exposée-si le créateur surmonte ses ultimes inhibitions et sentiment de honte et de culpabilité, l’œuvre d’art ou de pensée produit un certain nombre d’effets sur le lecteur, le spectateur…

Nous allons étudier maintenant en quoi le travail d’écriture ouvre les portes psychiques chez les enfants.

IV LE PUBLIC DES ATELIERS D’ECRITURE

Voici comment apparaissent certains freins, et certaines ressources au sein de l’atelier d’écriture, notamment auprès d’adolescents.

Le travail en atelier d’écriture est très bien senti et éprouvé par Elisabeth Bing, en voici quelques lignes de résonnance, extraites du colloque de Cerisy-la-salle [17].

« Mots, phrases, structures, sont à nouveau « tremblés » par les autres. A partir de là, le scripteur s’entend alors proférer ce que souvent il ignorait lui-même, coups de sonde féconds et à nouveau déclencheurs, tenus jusque là comme masqués derrière le tain du miroir. Travail à l’image d’une autre scène, celle de l’écrivain qui, parlant de son texte, sondé par l’impromptue parole d’un autre, se surprend en ressac à dire, à trouver le mot, l’idée, la structure, la forme que la raideur d’un premier travail lui soufflaient, le tenant interdit et prisonnier. »

Ecoutons aussi Béatrice ANG, psychopédagogue, psychothérapeute au Centre Etienne Marcel, au sujet de l’expérience de création avec les adolescents en difficulté : « … Les effets d’une carence symbolique, incapacité à la concentration, à un temps de pause, où peuvent se calmer l’excitation et son expression gestuelle-décharge des excitations tant internes qu’externes, jusqu’à ce que soit rendu possible l’investissement de l’objet de médiation que l’adulte propose.

Il me semble, d’autre part, que ces effondrements symboliques peuvent apparaître à l’adolescence, mais ceux qui travaillent avec les plus jeunes en sont également familiers.

Autrement dit, soit la constitution de cet interface symboligène a eu lieu, mais le processus de l’adolescence le défait, soit cela ne s’est pas trouvé/créé et tout processus d’apprentissage reste bloqué ; ces jeunes provoquent alors rapidement des rejets, projections de leur propre haine du symbolique à la mesure de la souffrance qu’ils engendrent en eux ; mais c’est là un effet et non une cause. Cependant, le travail s’il peut se nouer avec nous deviendra contenant pour l’adolescent et leur rendra tolérable le lien à l’objet par l’intermédiaire du symbole. »

V LA FEUILLE BLANCHE COMME ESPACE DE PROJECTION :

En ce que le support même de l’écriture peut recéler de sens, relativement au vécu corporel, Sami-Ali [18] évoque une séance lors de laquelle un enfant lui montre comment il investit la feuille blanche.

La feuille blanche, sans cesser d’être une surface rectangulaire, est inconsciemment assimilée à un vide que Marc s’emploie à combler par différents gribouillages.

Mais pour spontanée qu’elle soit, cette activité ne s’effectue pas au hasard.

Pour Marc en effet, écrire ou dessiner en se laissant aller à un rythme que non seulement la main mais tout le corps imprime est un geste des plus plaisants. Il s’y livre pendant qu’il tète avidement le dos de sa main interposée entre la feuille et lui, tout en me regardant et me souriant. Quand il change le crayon de main, comme cela lui arrive souvent, il se hâte de tâter le dos de sa main interposée entre la feuille et lui tout en me regardant et me souriant. Quand il change le crayon de main, comme cela lui arrive souvent, il se hâte de tâter le dos de l’autre ou de l’introduire dans sa bouche. Activité auto-érotique qui se poursuit tout aussi bien sur le corps que sur des objets substitutifs comme la feuille blanche. Celle-ci remplace le corps, le prolonge dans le monde, devient une surface corporelle. L’espace qu’y dessine le gribouillage reflète une topologie corporelle où « dedans » et « dehors » désignent par projection l’intérieur et l’extérieur du corps propre. La page se remplit comme une bouche qui reçoit le sein ou son équivalent symbolique, la main. D’où l’assimilation inconsciente de la surface plane à une cavité buccale et la réduction consécutive du dehors au-dedans. »

C’est ainsi que nous pouvons dire, avec B. Cyrulnik [19] : « L’écriture rassemble en une seule activité le maximum de mécanismes de défense : l’intellectualisation, la rêverie, la rationalisation et la sublimation.

Elle permet en même temps de s’affirmer, de s’identifier, de s’inscrire dans une lignée glorieuse, et surtout de se faire accepter tel qu’on est, avec sa blessure, car tout écrivain s’adresse au lecteur idéal. »

En effet, ce sont les ressorts de l’écriture qui permettent de confronter au matériau organisateur de la feuille blanche, et de mettre noir sur blanc une pensée, une production, afin de réorganiser les pulsions en un contenu cohérent.

VI LES INDICATIONS A L’ENGAGEMENT DANS UN TRAVAIL EN ART-THERAPIE PAR L’ECRITURE.

Dispositif individuel ou groupal selon la problématique et évolution du patient :

– Fragilité et/ ou pauvreté du monde interne, insuffisamment fiable pour alimenter et relayer les capacités réflexives.

– Difficulté à gérer la frustration, le moment d’entre-deux du doute, ce qui peut court-circuiter les étapes du déploiement de la pensée, et freiner les apprentissages.

– Difficultés à différer l’agir, le passage à l’acte notamment chez l’adolescent, ce qui peut sous-tendre des troubles du comportement.

– Troubles de la mémoire et de la concentration

– Troubles du rapport au temps et à l’espace

– Pauvreté de l’expression ou de l’imaginaire

– Difficulté à tolérer l’autorité, rapport compliqué à la loi

– Problématique avec la place occupée au sein du groupe

– défaut d’étayage et de contenant qui sera abordé par les fonctions de l’art-thérapeute, du cadre et de l’écrit

– Relation conflictuelle avec l’écrit en général

– Problèmes d’inhibition, d’identité

– Perte d’estime de soi, narcissisme défaillant

– Difficulté à appréhender le réel et à le symboliser

– Blocage des capacités associatives

– Vécu traumatique à élaborer (en individuel lorsqu’il est récent), selon un protocole respectant la temporalité de ce processus

– Persistance de scénarios de répétition

– Enfants précoces démobilisés

– Enfants qui entretiennent un rapport complexe à la langue française et à l’écrit, notamment pour des raisons de loyauté à leur culture et milieu familial

– Troubles des conduites alimentaires, en priorité en dispositif individuel

– Troubles dépressifs

Ces indications ne sont pas exhaustives, et permettent de situer un champ possible de cette médiation.

CONCLUSION :

Le développement structurel mobilisé par l’enfant, est d’advenir à l’adulte qu’il porte en lui, donc de grandir en passant par les étapes propres à la fois à notre espèce, et au milieu langagier et éducatif, et en intégrant les signifiants représentés par les parents (ce qui dans le cas des maltraitances, s’avère ambigu, car l’enfant a vécu dans un environnement toxique et hostile.)

Dans les cas d’inceste, selon Gérard Lopez et Isabelle Aubry [20] dans « L’Inceste » chez Dunod, les troubles de la personnalité traumatique complexes, la difficulté à gérer les émotions, les troubles dissociatifs, les phénomènes de répétition, le risque suicidaire, etc., sont caractéristiques d’une symptomatologie multiforme.

Notons que la maltraitance a un impact sur la criminalité, notamment lorsque ces troubles sont aggravés par la consommation de produits psychotoxiques, favorisant la délinquance.

Mesurons ensemble combien l’enjeu de donner à la victime un moyen d’élaboration, de verbalisation, et de tracé au travers de l’écriture, serait d’une façon majeure bénéfique pour la société.

Nous pourrions sans aucun doute atténuer ces conséquences du traumatisme ou traumatismes répétés, au sein du dispositif de l’atelier d’écriture thérapeutique, conduit par un art-thérapeute sensible à la clinique du Trauma.

Il est indiscutable que l’écriture offre des ressources pertinentes pour les enfants (et les adultes) victimes de psychotraumatismes, et pour cela, il faudrait que le langage dont l’enfant est exclu puisse être revisité par l’appropriation de la sonorité, du rythme, du sens d’une histoire, d’un conte, de la beauté d’une poésie.

C’est en ouvrant à l’enfant la possibilité de s’introduire dans ce domaine où la violence, toutes sortes de violences d’ailleurs, politiques, sociales, intrafamiliales sont transcendées, (où les héros, qui le plus souvent ont vécu un drame ou traumatisme initial) en l’invitant à suivre les mots pas à pas pour remonter le courant, et entrer à nouveau dans le champ des possibles détruits par un traumatisme ou une défaillance grave, qui l’exclut de l’humanité pensante et agissante, que nous pouvons ainsi œuvrer à lui redonner une place.

Dans Psychanalyse d’enfants, Mélanie Klein écrit : « C’est le défaut de symbolisation qui est à l’œuvre dans la psychose et fera l’objet du traitement. »

Par l’intermédiaire du jeu et de l’espace transitionnel, Winnicott montre qu’un développement affectif réussi se révèle à travers des possibilités de création.

Aussi, est-il intéressant de remarquer que Winnicott dans Jeu et réalité, fait une mise en parallèle constante entre le développement de l’enfant en interaction avec sa mère, et l’évolution de la relation avec le psychothérapeute.

Il met en évidence les similitudes de la mère et du thérapeute dans leur fonction de miroir et de soutien vers le même objectif : Le passage de la dépendance à l’autonomie, l’accession à la capacité de jouer ensemble, la découverte du soi (vrai self) à travers la créativité.

En cela les ateliers d’écriture thérapeutiques, en dispositif de groupe ou individuel, permettent au sujet à travers ses textes d’accéder à une plus grande souplesse entre ses instances psychiques.

L’utilisation de la littérature psychanalytique comme source principale, largement exploitée dans cet article, est un parti-pris volontaire dans le sens où nous n’aurions pu confirmer notre hypothèse sans son appui.

Les résultats de cette recherche confirment la pertinence de l’Art-thérapie par l’Ecriture malgré les freins auxquels elle est confrontée.

Ces freins portent en eux le ferment positif de cette pratique, s’ils sont utilisés comme étant des leviers propres à amorcer la fonction même de ce qu’ils semblent apparemment entraver.

Ce travail ouvre sur un désir d’œuvrer plus avant vers une pratique, nourrie de théorie, sans laquelle nous ne pourrions être soutenus.

D’autre part, cela permet de se projeter dans l’avenir sur une étude plus approfondie des ressorts de la médiation Ecriture comme étant une des voies pouvant accompagner le processus thérapeutique, dans le cas de psychotraumatismes plus ciblés.

Aussi, il va sans dire, que derrière le public des enfants, se dessine à l’évidence le champ d’une pratique auprès des adultes, dont nous savons que les pathologies sont directement liées aux problématiques rencontrées dans l’enfance.

Nous terminerons sur cette citation de Georges Bataille : « Ecrire, c’est rechercher sa chance. ».

Cette phrase peut paraître simpliste, or, elle est l’illustration de ce que l’écriture permet à celui qui en fait acte, qui est de savoir aller puiser, re- chercher une deuxième fois et à l’infini, ce qui en lui et en son histoire, est une chance.

OUVRAGES CITES

  1. Conférence à l’Unesco 2011 dans le cadre de l’Association «  Paroles d’enfant. »
  2. Laplanche J. et Pontalis B. Vocabulaire de la psychanalyse, Puf, 2007
  3. Cote A. La fiction ou la vie, Ces fictions nécessaires, numéro 79 revue du Grape. Erès, 2010.
  4. Winnicott D.W, Jeu et Réalité, Folio essais, 2006, 276 p
  5. Freud S. Le créateur littéraire et la fantaisie, in l’inquiétante étrangeté, Folio essais, 2007, 340 p.
  6. Arnaux A. L’écriture comme au couteau, entretien avec Frédéric Yves Jeannet, Stock, 2010
  7. Klein M. Psychanalyse d’enfants, Petite bibliothèque Payot, 2005
  8. Cadoux B. Ecritures de la psychose, La Rumeur Libre, 1999.
  9. Ouaknin M.-A. Bibliothérapie , Lire, c’est guérir, Editions du Seuil, 1994
  10. Bauchau H. L’Ecriture à l’écoute, Actes Sud, 2000, p.31
  11. Chidiac N. Ateliers d’écriture thérapeutiques, Masson, 2010.
  12. Green A. La Déliaison, 1998, Hachette littérature, 1998
  13. Boimare S. Ces enfants empêchés de penser, Dunod, 2008
  14. Tisseron S. Fonctions du corps et du geste dans le travail d’écriture, Genesis, N°8, 1995, p.37-50.
  15. De M’Uzan M. De l’art à la mort, Gallimard, 2006, 202 p
  16. Anzieu D. Le corps de l’œuvre, Gallimard, 2009,
  17. Oriol Boyer C. (dir). Histoire d’une pratique, ses postures, ses risques, Editions l’Atelier du Texte (Ceditel), 1992.
  18. Sami Ali. L’espace imaginaire, Gallimard, 1979,
  19. Cyrulnik B. Un merveilleux malheur, Odile Jacob,1999 .
  20. Aubry I., Lopez G. Inceste, Dunod, 2017.
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