La notion de dangerosité, corrélative à celle de risque de récidive, est une notion complexe, évolutive depuis la fin du XIX° Siècle.
La dangerosité criminologique se différencie de la dangerosité psychiatrique qui est directement liée à un trouble mental (1). Elle peut être définie comme le risque qu’un individu commette une infraction contre les personnes ou contre les biens. Elle dépend de différents facteurs et du contexte pré criminel. Il ne faut pas confondre récidive criminelle et rechute, confusion fréquente et à tort inquiétante pour les « profanes ». Les rechutes, fréquentes chez les psychotiques, surtout en cas de rupture de soins, sont dans l’immense majorité des cas sans danger criminel pour la société.
La notion « d’état dangereux », quant à elle, est définie par Geneviève Guidicelli-Delage comme un « complexe de conditions sous l’action desquelles il est probable qu’un individu commette un délit » (2).
I.- DEBAT CONCERNANT L’EVALUATION DE LA DANGEROSITE CRIMINOLOGIQUE EN FRANCE
La France, profondément marquée par le mouvement de défense sociale et par une psychocriminologie qui privilégie l’approche psychodynamique de la délinquance, rejette les approches statistiques qui ne peuvent s’appliquer à un sujet particulier.
Pourtant, l’évaluation de la dangerosité criminologique (3) a pourtant beaucoup évolué, sous la pression des arguments de ceux qui s’y sont longtemps opposés.
Le risque réel de dérive sécuritaire empoisonne encore davantage le débat comme en témoigne une série de lois :
- loi du 5 mars 2007 « relative à la prévention de la délinquance » ;
- loi du 10 août 2007 « renforçant la lutte contre la récidive de majeurs et de mineurs » avec des peines planchers pour les récidivistes, l’obligation de soins dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire ou le placement sous surveillance judiciaire en cas de condamnation, sauf décision contraire du juge de l’application des peines ;
- loi du 25 février 2008 créant la rétention de sûreté, conçue par le législateur comme un moyen de lutte contre la dangerosité criminologique et visant les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle pour des crimes réputés présenter en fin de peine, « une particulière dangerosité, caractérisée par une probabilité élevée de récidive, du fait d’un trouble grave de la personnalité » (selon le conseil constitutionnel, cette rétention doit être considérée comme une mesure de sûreté s’appliquant après l’exécution de la peine).
Cet arsenal juridique est remis en cause par la Conférence de consensus « Pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive (4) ». Mais quoi qu’il en soit, la volonté de « neutralisation » des individus considérés comme dangereux qui se rattache à la criminologie positiviste du 19ème siècle, reste très présente dans les débats actuels sur la prévention de la récidive.
1- Les facteurs de risque de dangerosité-récidive
Le développement de la sociologie, de la psychiatrie et de la psychologie, a permis de déterminer des facteurs de risque de dangerosité-récidive environnementaux et psychologiques validés par la recherche scientifique. Ils ont permis de créer des outils d’évaluation de la dangerosité criminologique dont nous verrons quelques exemples.
Ces facteurs ont été classés en facteurs de risque individuels, sociaux et environnementaux.
Parmi les nombreux facteurs de risque individuels, retenons :
- l’agressivité, l’hyperactivité, les troubles de l’attention et de la concentration ;
- la personnalité antisociale ou psychopathique que l’on évalue avec l’échelle PCL-R (décrite ci-dessous mais trop peu utilisée par les experts français) ;
- l’impulsivité, l’égocentrisme, la faible capacité à la résolution des problèmes, la difficulté à gérer les émotions (caractéristique des personnalités limites) ;
- l’abus de substances psychoactives ;
- les antécédents de comportements antisociaux et le type des infractions commises ;
- la précocité, la gravité et le nombre des comportements délinquants ;
- la sévérité des peines antérieurement infligées.
Parmi les facteurs de risque sociaux et environnementaux, retenons :
- de faibles compétences parentales ;
- des antécédents de maltraitance ;
- des antécédents de délinquance parentale ;
- les abus de substance parental (alcool, stupéfiants) ;
- l’appartenance à un groupe de pairs délinquants ;
- la précarité ;
- le chômage ;
- un environnement social difficile.
2- L’échelle PCL-R de Hare (5)
Cette échelle ne permet d’évaluer le risque statistique de récidive mais le diagnostic de « personnalité antisociale » que l’on retrouve dans les échelles de prédiction de la récidive.
Elle est bâtie sur la recherche de traits de personnalité et de comportements.
Items de la PCLR-20
Facteurs 1 Facteurs 2
1. Loquacité/charme superficiel
2. Surestimation de soi
3. Besoin de stimulation/tendance à s’ennuyer 4. Tendance au mensonge pathologique
5. Duperie/manipulation
6. Absence de remords ou de culpabilité
7. Affect superficiel
8. Insensibilité/manque d’empathie 9. Tendance au parasitisme
10. Faible maîtrise de soi
11. Promiscuité sexuelle
12. Pb précoces de comportement
13. Incapacité à planifier à long terme/ réaliste
14. Impulsivité
15. Irresponsabilité
16. Incapacité d’assumer la responsabilité de ses faits et gestes
17. Nombreuses cohabitations de courte durée
18 Délinquance juvénile
19. Violation des conditions de mise en liberté
20. Diversité des types de délits commis par le sujet
Chaque item est rigoureusement défini, coté de 0 à 2
Le score seuil de psychopathie varie selon les pays
- USA : score 30
- Europe : score 25
3- La prédiction de la récidive
Ces facteurs de risque de comportements délinquants ont permis la création d’instruments d’évaluation du risque de récidive, notamment des échelles actuarielles. Ces instruments sont utilisés dans les pays anglo-saxons par le système pénal pour définir les peines et accorder ou non des libérations conditionnelles. Les auteurs qui les utilisent et les promeuvent, font état d’études qui objectivent qu’elles permettent des diagnostics plus fiables que des évaluations purement cliniques réalisées par des cliniciens expérimentés.
La validité statistique de ces outils est évaluée selon la procédure ROC (Reicever Operating Characteristic) qui consiste en un tracé de courbe avec le taux de faux positifs en abscisse et le taux de positif en ordonné ; le calcul de l’aire sous la courbe (ASC) apprécie la fiabilité de l’instrument :
- ASC = 0 : prédiction fausse,
- ASC = 0,5 : prédiction équivalente au hasard,
- ASC = 1 : prédiction parfaite.
A titre d’exemple citons deux échelles actuarielles « statiques » : le VRAG et le SORAG.
A/ Le « Violence Risk Apraisal Guide (6) »
Le VRAG comprend 12 items permettant de classer les individus dans l’un des 9 groupes à risque correspondant à une probabilité élevée de risque de récidive.
Items du VRAG | Cotation | score | ||
1 | A vécu avec ses parents jusqu’à l’âge de 16 ans | Oui : -2Non : +3 | ||
2 | Difficultés durant la scolarité primaire | Aucun problème : -1Pb léger ou modéré : +2Pb sévères : +5 | ||
5 | Antécédents criminels concernant des condamnations ou des inculpations pour des délits non violents antérieurs à l’agression actuelle | Score de 0 : -2Score de 1 ou 2 : 0Score de 3 et + : +3 | ||
6 | Echec d’une libération conditionnelle antérieure | Non : 0Oui : +3 | ||
7 | Age lors de l’agression actuelle | ≥ 39 : -534-38 : -228-33 : -127 : 0≤ 26 : +2 | ||
8 | Blessures de la victime | Mort : -2Hospitalisation : 0Traité avec retour domicile : +2Aucune ou légère ou pas de victime : +2 | ||
9 | Victime de sexe féminin | Oui : -1Non : +1 | ||
10 | Trouble de la personnalité (critère DSM-III) | Non : -2Oui : +3 | ||
11 | Diagnostic de schizophrénie (critère DSM-III) | Non : -3Oui : +1 | ||
12 | Score élevé à la PCL-R (personnalité psychopathique) | ≤ 4 : -55-9 : -310-14 : -115-24 : 025-34 : +4≥ 35 : +12 |
Chaque item est coté selon les indications fournies par les auteurs.
Probabilité de récidive | |||
Catégorie VRAG | Score VRAG | A 7 ans | A 10 ans |
1 | ≤ -22 | 0% | 8% |
2 | -21 à -15 | 8% | 10% |
3 | -14 à -8 | 12% | 34% |
4 | -7 à -1 | 17% | 31% |
5 | 0 à +6 | 35% | 48% |
6 | +7 à 13 | 44% | 58% |
7 | +14 à +20 | 55% | 64% |
8 | +21 à +27 | 76% | 82% |
9 | ≥ +28 | 100% | 100% |
B/ Le « Sex Offender Risk Appraisal Guide (7) »
La SORAG est construite sur 14 items à partir des dossiers cliniques, du score de psychopathie sur l’échelle PCL-R et de la mesure phallométrique du sujet (cotée 0 lorsqu’elle n’est pas connue) :
Items du SORAG | Cotation | score | |
1 | Avoir vécu avec les deux parents biologiques jusqu’à l’âge de 16 ans | Oui : -2Non : +3 | |
2 | Des problèmes d’adaptation à l’école primaire | Aucun problème : -1Pb léger ou modéré : +2Pb sévères : +5 | |
3 | Avoir présenté des problèmes de consommation d’alcool dans le passé | 0 points : -11 ou 2 pts : 03 pts : +14 ou 5 pts : +2 | |
4 | Le statut marital | Marié ou équivalent : -2Pas marié : +1 | |
5 | Des antécédents de délits non violents | Score de 0 : -2Score de 1 ou 2 : 0Score de 3 et + : +3 | |
6 | Des antécédents de délits violents | Score de 0 : -1Score de 1 ou 2 : +1Score de 3 et + : +5 | |
7 | Le nombre de condamnations pour des délits sexuels | 0 : -11-2 : +13 et + : +5 | |
8 | Avoir commis des délits sexuels uniquement avec des filles de moins de 14 ans | Oui : 0Non : +5 | |
9 | La révocation de la libération conditionnelle lors de sentences antérieures | Non : 0Oui : +3 | |
10 | L’âge lors du délit actuel | ≥ 39 : -534-38 : -228-33 : -127 : 0≤ 26 : +2 | |
11 | Un diagnostic de trouble de la personnalité selon les critères du DSM-III | Non : -2Oui : +3 | |
12 | Un diagnostic de schizophrénie selon les critères du DSM-III (codifier négativement) | Non : -3Oui : +1 | |
13 | Les résultats de l’évaluation phallométrique | Coté 0 si inconnu | |
14 | Le score à l’échelle PCL-R | ≤ 4 : -55-9 : -310-14 : -115-24 : 025-34 : +4≥ 35 : +12 |
Les cotations doivent faites en fonction des indications données par les auteurs :
A 7 ans | A 10 ans | |||
Catégorie SORAG | Score SORAG | Probabilité récidive | Score SORAG | Probabilité récidive |
1 | ≤ -10 | 7% | ≤ -11 | 9% |
2 | -9 à -4 | 15% | -10 à -5 | 12% |
3 | -3 à +2 | 23% | -4 à +1 | 39% |
4 | +3 à +8 | 39% | +2 à +7 | 59% |
5 | +9 à +14 | 45% | +8 à +13 | 59% |
6 | +15 à +19 | +58 | +14 à +19 | 76% |
7 | +20 à +24 | +58 | +20 à +25 | 80% |
8 | +25 à +30 | +75% | +26 à +31 | 89% |
9 | ≥ +31 | 100% | ≥ +32 | 100% |
4- Critiques des instruments actuariels, la prise en compte des facteurs dynamiques
Ces instruments sont critiqués parce qu’ils déterminent un risque statistique de récidive que l’on ne peut évidemment appliquer à un individu particulier. D’autre part, ils ne prennent en compte que des variables statiques non modifiables et ne permettent donc pas d’évaluer l’évolution d’un individu dans le temps, pendant son incarcération par exemple. Il pointe le fait que les échelles actuarielles des années 1980 dispensaient de l’évaluation clinique des sujets examinés, ce qu’ont réintroduit les derniers instruments qui comportent tous des items cliniques.
Rappelons que Robert Martinson est revenu sur « Nothing works » : « […] Contrairement à ma position précédente, certains traitements ont des effets appréciables sur la récidive. […] De nouveaux faits tirés de notre recherche actuelle me conduisent à rejeter ma conclusion originale […] J’ai souvent dit que le traitement qui s’inscrit dans le système de justice criminelle est « impotent », je retire cela également. J’ai protesté contre le slogan « Nothing Works » utilisé par les médias pour résumer ce que j’ai déjà dit (8). »
A/ Les principe « risques, besoins, réceptivité »
C’est pour toutes ces raisons que les dernières échelles prennent mieux en compte les facteurs dynamiques (9). Afin de mieux protéger la population et de favoriser la réinsertion des auteurs d’infraction, on utilise actuellement des interventions basées sur les principes (RBR) des risques, des besoins et de la réceptivité (10)
L’intervention RBR
Le principe du risque stipule que les interventions doivent cibler prioritairement les auteurs à haut risque, lesquels doivent faire l’objet d’interventions d’intensité élevée. Le principe des besoins indique que les stratégies d’intervention ciblant en priorité les facteurs de risque associés aux comportements délinquants sont les plus susceptibles d’être efficaces. Le principe de réceptivité générale stipule que les approches comportementales structurées, les plus à même de réduire la récidive, alors que le principe de réceptivité spécifique suggère que les interventions doivent se moduler aux particularités des auteurs d’infractions. |
B/ L’échelle d’évaluation du risque de récidive violente HCR-20 (11)
C’est est une échelle d’évaluation semi-structurée de récidive des comportements violents qui comprend 20 items :
- 10 variables d’anamnèse
- 5 variables cliniques
- 5 variables de gestion future du risque
Un manuel permet de poser correctement les questions (Webster, 1997)
L’évaluation du risque n’est pas corrélée au score obtenu. A l’extrême, la HCR-20 pourrait être considérée comme un « check-list » des facteurs essentiels à l’évaluation du risque.
HCR-20 Feuille de cotation
Items chronologiques | Code (0, 1, 2) | |
H1 | Violence antérieure | |
H2 | Premier acte de violence durant la jeunesse | |
H3 | Instabilités des rapports intimes | |
H4 | Problèmes d’emploi | |
H5 | Maladie mentale grave | |
H6 | Problème de toxicomanie | |
H7 | Psychopathie | |
H8 | Inadaptation pendant la jeunesse | |
H9 | Troubles de la personnalité | |
H10 | Echecs antérieurs de surveillance | |
Total aux facteurs chronologiques | /20 |
Items cliniques | Code (0, 1, 2) | |
C1 | Introspection difficile | |
C2 | Attitudes négatives | |
C3 | Symptômes actif maladie mentale grave | |
C4 | Impulsivité | |
C5 | Résistance au traitement | |
Total aux facteurs cliniques | /10 |
Items de gestion du risque ☐ In ☐ On | Code (0, 1, 2) | |
R1 | Plans irréalisables | |
R2 | Exposition à des facteurs déstabilisants | |
R3 | Manque de soutien personnel | |
R4 | Inobservation des mesures curatives | |
R5 | Stress | |
Total aux facteurs de gestion du risque | /10 |
Total HCR-20 | /40 |
Jugement final du risque | ☐ Faible ☐ Modéré ☐ Elevé |
C/ Le LS/CMI (12)
C’est une échelle informatisée d’évaluation structurée couplée à un plan d’intervention auprès de l’auteur pour évaluer le risque de récidive et l’effet des mesures de prise en charge. Il existe un mécanisme dérogatoire discrétionnaire lorsque le professionnel juge que la catégorie de risque donnée par l’instrument est erronée.Il s’agit d’un véritable dossier comportant 11 sections :
LS/CMI feuille de cotation
Facteurs | Cotation |
1. Facteurs généraux liés au risque et aux besoins
|
Cote de 0 à 4 : risque très faibleCote de 5 à 10 : risque faible
Cote de 11 à 19 : risque moyen Cote de 20 à 29 : risque élevé Cote de 30 et + : très élevé |
2. Facteurs particuliers liés aux risques et aux besoins3. Expérience carcérale, facteurs liés à l’établissement de détention
4. Autres points se rapportant au délinquant (vie en société, santé et santé mentale) 5. Considérations particulières liées à la réceptivité |
Renseignent sur les indications et décisions dans la gestion de la surveillance, et sur l’évolution des régimes de détention et probation |
6. Sommaire du risque et des besoins (résumé des cotes relatives au risque et aux besoins) 7. Profil de risque et de besoins (représentation graphique des risques et des besoins)
8. Décision relative au programme ou au traitement 9. Plan de gestion des cas (Plan d’intervention correctionnel) 10. Registre d’avancement 11. Sommaire de fermeture |
Une forme révisée de la LS/CMI permet de réduire le temps de passation de l’examen de 6 à 5 heures avec une fiabilité aussi bonne. L’instrument anglais OASys s’inspire de cet instrument. La France n’est pas encore doté d’un tel instrument.
5- Les facteurs de désistance
On insiste actuellement sur les facteurs de « désistance » (13) qui permettent de renoncer à la délinquance. Ces recherches sont issues des « Developmental and Life Courses Théories » qui tentent de rompre avec les théories sociologiques dominantes des années 1980, elles ont pour objet d’étudier ce qui peut faire renoncer à poursuivre une trajectoire criminelle. Il s’agit de contrecarrer les « facteurs lourds » de la récidive qui sont, selon Cusson (14) : 1/ l’habitude du crime (nombre des délits commis, et d’autant plus s’ils sont précoces) ; 2/ l’immaturité ; 3/ les handicaps familiaux, sociaux et psychologiques (maltraitance, alcoolisme parental, échec scolaire, chômage, retard mental, trouble de la personnalité) ; 4/ l’expérience post carcérale (absence de travail, absence de soutien familial, fréquentation des pairs délinquants).
Les facteurs de désistance ou de protection sont propres à l’évolution du délinquant plus qu’à l’action des professionnels (travailleurs sociaux, psychologues). Ces facteurs de protection que la SAPROF (16) permet d’évaluer, sont des facteurs de modération des facteurs de risque et dépendent par conséquent du contexte. La SAPROF est une méthode de jugement professionnel structuré (JPS) qui nécessitent des expérimentateurs chevronnés. Mais quoi qu’il en soit, les professionnel de la prise en charge des personnes sous main de justice devraient les aider à réaliser les projets réalistes en adoptant une attitude empathique, avec clarification des rôles, encouragement pour les projets réalistes d’emploi, de retissage des liens familiaux, de changement de mode de vie, etc. Cette posture « thérapeutique » est largement décrite comme cadre relationnel nécessaire dans les thérapies des sujets présentant des personnalités traumatiques complexes, mais les auteurs qui les recommandent, insistent sur le fait que ces prises en charge sont difficiles, chronophages, souvent décevantes, et donc de réalisation difficile, surtout en milieu carcéral frappé par la pénurie des moyens.
6- Conclusion concernant la dangerosité criminologique
La dangerosité criminologique n’est pas définie en droit pénal. Elle renvoie au risque de commission d’une infraction contre les biens et les personnes. Sa prise en compte s’est développée dans tous les pays depuis les années 1980, avec une volonté de prévention de la récidive par des peines de plus en plus sévères, la mise en place de mesures de sûreté, allant jusqu’à la mise à distance, de façon « préventive » et potentiellement illimitée, d’individus considérés comme dangereux.
Les outils d’évaluation de la dangerosité criminologique, contestés en France, ont beaucoup progressé et insistent de plus en plus sur les facteurs dynamiques et en particulier sur les facteurs de désistance.
Le jury de la Conférence de consensus « pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive » recommande d’étudier des outils et des méthodes de prise en charge évalués à l’étranger et de s’attacher particulièrement aux conditions de leur adaptation au contexte français. Une phase d’expérimentation et d’évaluation lui parait nécessaire. Le développement et la coordination des dispositifs d’évaluation et de recherche sont recommandés pour soutenir une évolution raisonnée des pratiques professionnelles.
D’autre part, cette Conférence de consensus se fondant sur les derniers travaux sur la désistance, estime que la sanction pénale doit, pour garantir efficacement la sécurité de tous, viser en priorité l’insertion ou la réinsertion des personnes qui ont commis une infraction. Elle remet en cause l’efficacité de la peine de prison en termes de prévention de la récidive. Elle propose une nouvelle peine dite de probation. Elle recommande de s’orienter vers une politique de limitation de l’incarcération. Elle préconise d’adopter un système de libération conditionnelle d’office, mais de manière symétrique, les « sorties sèches » devraient être proscrites. Elle estime qu’une prise en charge efficace et pérenne des problématiques des personnes nécessite la coordination de l’ensemble des services publics afin de remédier à l’exclusion, de droit ou de fait, des dispositifs sociaux de droit commun que subissent les personnes sous main de justice. Elle recommande d’abolir la rétention de sûreté et la surveillance de sûreté. Elle propose la contrainte pénale pour éviter l’emprisonnement.
II- CONCLUSION GENERALE DES TROIS PARTIES
Les théories psychocriminologique sont nombreuses et bien antérieures à la naissance de la criminologie au XIX° Siècle.
Actuellement, elles devraient se fonder sur la recherche scientifique (16) pour se débarrasser des opinions d’experts et du dogmatisme qui inspirent certaines politiques criminelles. Prenons l’exemple de l’expertise collective de l’Inserm (2005, op. cit.) qui, en se référant à la recherche mondiale, proposait que l’on repère les 4 % d’enfants et d’adolescents qui restent constamment violents alors que les autres se « socialisent » progressivement. Ces enfants, qui présentent des troubles des conduites, des troubles oppositionnels avec provocation et des troubles déficit de l’attention/hyperactivité, devraient être pris en charge le plus précocement possible parce qu’ils sont en grand risque statistique de devenir délinquants. De nouvelles pratiques éducatives fondées sur ces études ont prouvé leur efficacité. Mais pour des raisons idéologiques cette expertise a entraîné un tollé général auquel les médias ont été convoqués. Une pétition a recueilli 200 000 signatures sur Internet dénonçant les risques de stigmatisation des enfants, les théories de la psychiatrie américaine, et la tendance actuelle de médicaliser des problèmes qui relèvent de l’environnement social, économique et culturel.
Cécile Prieur (17) à propos d’une autre expertise collective de l’Inserm sur les psychothérapies, elle-même très controversée, écrivait dans Le Monde du 7 février 2005 : « Aussi quand Philippe Douste-Blazy a expliqué, samedi 5 février, au Forum des psys, à la Mutualité, que « le premier devoir d’une société est de reconnaître qu’il n’existe pas une seule réponse à la souffrance psychique », laquelle n’est « ni évaluable ni mesurable », il a fait un triomphe. Et c’est debout, l’applaudissant à tout rompre, que le millier de psychanalystes et de professionnels de la psychologie a salué le ministre de la santé quand il leur a annoncé qu’il avait « fait retirer du site du ministère » le rapport contesté de l’Inserm sur les psychothérapies (Le Monde du 6 octobre 2006) et qu’ils n’en entendraient plus parler !
[…]
Alors que ses prédécesseurs, Jean-François Mattei et Bernard Kouchner, avaient relégué la psychanalyse au rang des vieilleries, lui préférant une approche biologisante du fait psychique qui privilégie la chimiothérapie et les thérapies comportementales, Philippe Douste-Blazy a clairement réaffirmé toute la légitimité de cette discipline centenaire. « Je sais que vous vous êtes sentis incompris et peu entendus. J’affirme solennellement que cette page est aujourd’hui tournée. »
La recherche abolie par une affirmation solennelle, on trouve ici une parfaite illustration du fait que la recherche doit être confrontée à l’épreuve des pratiques concrètes de terrain pour éviter tout détournement idéologique.
La psychocriminologie et la criminologie, dont la première est une des disciplines constitutives, progressent, mais la France vient de renoncer à créer cette discipline quand toutes deux résistent aux données qui proviennent de la recherche, surtout si elle est anglo-saxonne. Et après tout, pourquoi s’adonner à des travaux de recherche scientifique en France, si la souffrance psychique est considérée comme « ni évaluable ni mesurable » par un décret ministériel relayé par la presse nationale ?
NOTES
- Voyer M, Senon JL. (2013). « Dangerosité criminologique », in l’Aide mémoire de l’expertise pénale, psychiatrique et psychologique. Paris : Dunod
- Senninger JL. (1990). Dangerosité. Etude historique. Information Psychiatrique
- Nouveau G. (2011). Evaluation de la dangerosité et du risque de récidive. Paris : L’Harmattan
- Rapport du jury de consensus remis au Premier ministre. Pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive. Paris, 20 février 2013
- Hare RD. (1991). The Hare Psychopathy Checklist : Revised. Toronto, Ontario, Multi-Health System, Inc.
- Quinsey V, Harris G, Rice M, Cormier C. (1998). Violent Offenders : Appraising and Managing Risk. Washington, DC, American Psychological Association
- Rossegger A, Gerth J, Urbaniok F, Laubacher A, Endrass J. (2010). The Sex Offender Risk Appraisal Guide (SORAG). Fortschr Neurol Psychiat
- Martinson R. (1979). New Findings, New Views : A Note of Caution Regarding Sentencing Reform. Hofstra Law Review, 7
- Guay JP. (2014). « Les échelles actuarielles », in L’Aide mémoire de l’expertise pénale, psychiatrique et psychologique. Paris, Dunod
- Andrews DA & Bonta J. (2010). The psychology of criminal conduct. (5th) New Providence, NJ: LexisNexis Matthew Bender
- Webster C, Douglas K, Eaves D & Hart SD. (1997). HCR-20 Assessing Risk of Violence, The Mental Health, Lay and Policy Institute, Canada, Simon Frazer University
- Andrew DA, Bonta J. (2003). Psychology of Criminal Conduct. Cincinnati OH, Anderson Publishing Co
- Herzog-Evans M. (2010). Définir la désistance et en comprendre l’utilité pour la France. AJ pénal
- Mohammed M. dir. (2012). Les sorties de la délinquance. Théories, méthodes, enquêtes. Paris : La Découverte
- Cusson M. (1983). Le contrôle social du crime. Paris : PUF
- Cusson M, Guay S, Proulx J, Cortoni F. (2013). Traité des violences criminelles. Les questions posées par la violence, les réponses de la science. Montréal : Hurtubise
- lemonde.fr
BIBLIOGRAPHIE GENERALE SOMMAIRE
– Cusson, M. (1992). « Déviance » in Boudon, R. (éd.), Traité de sociologie. Paris : P.U.F – Cusson M. (2014). La criminologie. Paris : Hachette, 6° éd .- Cusson M, Guay S, Proulx J, Cortoni F. (2013). Traité des violences criminelles. Les questions posées par la violence, les réponses de la science. Montréal : Hurtubise – Lopez G, Cédile G. (2014). Aide mémoire de l’expertise pénale psychologique et psychiatrique. Paris : Dunod – Morvan P. (2013). Criminologie. Paris : LexisNexis – Senon JL, Lopez G, Cario R. (2012). Psychocriminologie. Paris : Dunod, 2° éd. – Senon JL, Jonas C, Voyer M. (2013). Psychiatrie légale et criminologie clinique. Paris : Masson |
Gérard Lopez
Secrétaire de la rédaction
Président de l’Institut de Victimologie