PSYCHOTRAUMATOLOGIE ET PROFILS DE MENTALISATION : RÉFLEXIONS EMPIRIQUES ET THÉORIQUES – PARTIE 1

 Jean-Philippe É. Daoust1,2, M.A.P., Ph.D

Malik Ait Aoudia3,4, Master, Ph.D

Catherine Juéry2,5, M.Sc., candadite D.Psy.

  1. Université d’Ottawa – Département de Psychiatrie de la Faculté de Médecine & Faculté d’Éducation [Ottawa, Ontario, Canada]
  2. Psychologie et Consultation Outaouais – PSYCO [Gatineau, Québec, Canada]
  3. Faculté de Médecine Paris-Descartes [Paris, France]
  4. Centre du Psychotrauma de l’Institut de Victimologie
  5. Université du Québec en Outaouais (UQO) – Département de psychoéducation et de psychologie [Gatineau, Québec, Canada]

Veuillez adresser toute correspondance à :

Dr Jean-Philippe É. Daoust: Clinique des Traumatismes liés au Stress Opérationnel

Le Royal – Santé mentale – Soins et Recherche,  1145 avenue Carling, Ottawa, Ontario, Canada, K1Z 7K4 – jpdaoust@uottawa.ca

Cette étude a été approuvée par le Comité d’Éthique à la Recherche (CER) de l’Hôpital Montfort selon les énoncés des trois conseils canadiens (no. JPD-20-10-14) avec approbation éthique complémentaire de l’UQO (no. 2074). Elle a été rendue possible grâce à une bourse de doctorat accordée à Catherine Juéry par l’Institut de Recherche de l’Hôpital Montfort

 

RESUME

L’objectif de cette étude est d’établir des profils de mentalisation propres à la psychotraumatologie. Pour ce faire, cent individus aux prises avec un trouble de stress post-traumatique (TSPT) ont été recrutés dans une clinique externe de santé mentale. Une entrevue clinique et des questionnaires ont été utilisés pour dresser un portrait de leur fonctionnement. D’un point de vue empirique, quatre regroupements de mentalisation ont été obtenus et sont associés à une symptomatologie traumatique particulière : (1) défaillante [n = 15] très faible capacité d’empathie + très forte alexithymie = symptomatologie psychotraumatique très élevée, (2) précaire [n = 50] faible empathie + forte alexithymie = symptomatologie élevée, (3) mitigée [n = 21] bonne empathie + alexithymie moyenne = symptomatologie moyenne et (4) salutaire [n = 14] bonne empathie + très faible alexithymie = symptomatologie faible. La réflexion s’est poursuivie au niveau théorique afin de pouvoir appliquer le concept de la mentalisation à la réalité clinique du TSPT. En conclusion, il semblerait que l’étude de la mentalisation fasse progresser les connaissances sur les avenues thérapeutiques à considérer en psychotraumatologie.

* * *

INTRODUCTION

 La mentalisation est le processus par lequel nous interprétons (explicitement et implicitement) le sens des actes des autres et de soi-même en termes d’états mentaux et d’intentionnalité (Bateman & Fonagy, 2012). Lorsque nous sommes en présence d’une autre personne, nous mentalisons ce lien relationnel de façon cognitive, affective et possiblement même somatique. Chaque personne porte donc en lui une représentation de l’esprit de l’autre (et de lui-même) ; ce qui permet une meilleure conscience de soi et de l’autre et offre des possibilités d’interventions correctrices au niveau psychothérapeutique.

Largement utilisé dans le domaine des troubles de la personnalité (Bateman & Fonagy, 2006), le concept de mentalisation n’a été que tout récemment appliqué au contexte de la psychotraumatologie. Étant donné l’avancement actuel des connaissances dans le domaine (début du cycle de la recherche), il fallait tout d’abord chercher à déterminer s’il était possible et pertinent de mettre en application le concept de mentalisation au contexte des psychotraumatismes. Plus précisément, il fallait savoir s’il était possible d’établir des profils distincts de mentalisation pour les individus aux prises avec un TSPT ; profils qui permettraient de différencier leur symptomatologie psychotraumatique et leur niveau de fonctionnement global.

 

METHODOLOGIE

Des franco-ontariens (N = 100) aux prises avec un TSPT et en provenance d’une population clinique (Programme de santé mentale externe de l’Hôpital Montfort) ont accepté de participer à cette étude. Ils ont tous été rencontrés en séance individuelle pour procéder à une évaluation structurée de leur statut psychotraumatique (Clinician-Administered PTSD Scale for DSM-5 ; CAPS-5) et de leur niveau de fonctionnement global (EGF) ainsi que pour compléter quelques questionnaires mesurant leur symptomatologie psychotraumatique (Posttraumatic Stress Disorder Checklist ; PCL-s) et leur capacité de mentalisation (Toronto Alexithymia Scale ; TAS-20 et Interpersonal Reactivity Index ; Perspective taking ; IRI-Pt-7).

 

 RESULTATS

 Les données récoltées semblent valides et dépeignent le portrait d’une population clinique lourde en conformité avec la provenance de cette dernière. Suite à une analyse par grappes et en fonction d’un critère d’« interprétabilité », une solution statistique en quatre regroupements a été obtenue et est présentée au Tableau 1.

 Tableau 1. Profils de mentalisation obtenus via une analyse par grappes.

 Capture d’écran 2017-07-20 à 19.23.14

Le premier regroupement est intitulé profil de mentalisation « défaillante » et rassemble des participants qui sont aux prises avec de l’alexithymie sur l’échelle globale du TAS-20 (M = 95.53 ; ÉT = 6.46) et une faible capacité d’empathie (adaptation contextuelle ; traduction française de perspective taking). Le deuxième regroupement est intitulé profil de mentalisation « précaire » et rassemble des participants qui sont aussi aux prises avec de l’alexithymie sur l’échelle globale du TAS-20 (M = 70.12 ; ÉT = 6.11) et une capacité d’empathie moyenne. Le troisième regroupement est intitulé profil de mentalisation « mitigée » et rassemble des participants qui sont possiblement aux prises avec de l’alexithymie sur l’échelle globale du TAS-20 (M = 54.33 ; ÉT = 6.70) et présentent une bonne capacité d’empathie. Finalement, le dernier regroupement est intitulé profil de mentalisation « salutaire » et rassemble des participants qui ne sont pas aux prises avec de l’alexithymie sur l’échelle globale du TAS-20 (M = 35.86 ; ÉT = 2.83) et qui ont une bonne capacité d’empathie.

Une transformation des scores bruts obtenus en scores T a permis de standardiser ces derniers afin d’en faciliter l’interprétation statistique et graphique. La Figure 1 présente les profils de mentalisation obtenus en contexte de psychotraumatologie.

 Figure 1. Regroupements de MENTALISATION en contexte psychotraumatiqueCapture d’écran 2017-07-20 à 19.28.22

 

Le Tableau 2 présente les scores obtenus pour chacun des 4 profils de mentalisation en fonction du PCL-s et de l’EGF sous forme de score T. La Figures 2 présente graphiquement les profils de mentalisation avec un code de couleur facilitant leur interprétation et ce, toujours en fonction d’une transformation en score T.

Tableau 2. Découpage des profils de mentalisation en fonction de la symptomatologie psychotraumatique et du niveau de fonctionnement global (score T)Capture d’écran 2017-07-20 à 19.49.57

 

Figure 2. Profils de mentalisation et aspects négatifs et positifs de la symptomatologie psychotraumatique et du niveau de fonctionnement globalCapture d’écran 2017-07-20 à 19.51.52

 

Pour vérifier s’il y avait des différences significatives entre les profils de mentalisation en ce qui a trait à leurs scores au PCL-s et à l’EGF, une série d’ANOVAs a été réalisée. Les résultats montrent qu’il y a bien des différences significatives entre les profils de mentalisation (voir Tableau 3).

Tableau 3. Résultats des ANOVAs pour les profils de mentalisation en fonction de la symptomatologie psychotraumatique et du niveau de fonctionnement globalCapture d’écran 2017-07-20 à 19.54.13

 

Le Tableau 4 présente les différences significatives obtenues en contrastant ces données à l’aide de tests de comparaisons multiples a posteriori (Bonferroni).

Tableau 4. Profils de mentalisation et analyses de comparaisons multiples a posteriori (Bonferroni)Capture d’écran 2017-07-20 à 19.59.07

 

Afin de vérifier s’il y a des différences significatives entre les profils de mentalisation en ce qui a trait aux principales variables sociodémographiques, une série d’ANOVAs complémentaires (pour les variables continues) et de Chi-carrés (pour les variables catégorielles) a été réalisée. Il en est ressorti que seuls le style d’attachement (résultat attendu en fonction de la littérature dans le domaine), le niveau de scolarité et l’impact du soutien social semblent avoir un impact significatif sur les profils de mentalisation. Par contre, l’âge, le genre, l’ethnicité, le revenu, le statut civil, la charge familiale, l’occupation professionnelle, le type de résidence et la qualité et la quantité du soutien social ne semblent pas avoir d’impact sur les profils de mentalisation

 

DISCUSSION

Il importe premièrement de souligner que la présente étude constitue en soi une innovation méthodologique importante du fait qu’elle combine deux mesures de mentalisation afin d’en arriver à former des profils de mentalisation distincts ; ce qui n’avait jamais été réalisé jusqu’à présent.

En considération de ces profils, il semblerait tout d’abord que l’étude de la variable «empathie» soit intéressante en soi puisqu’un niveau optimum d’empathie semble souhaitable (ni trop faible, ni trop élevé). À ce propos, le profil de mentalisation «mitigée» caractérisé par une meilleure capacité d’empathie en comparaison avec le profil «précaire» pourrait ici traduire une forme d’identification à l’agresseur ; le tout faisant possiblement écho à une sorte de processus répétitif du trauma (ce qui n’est évidemment pas souhaitable). Par ailleurs, il semblerait que les trois indices propres à l’«alexithymie» aillent dans le même sens (décroissance en fonction des profils de mentalisation) ; ce qui cadre bien avec les avancées théoriques dans le domaine.

Il est aussi à remarquer qu’il y a des distinctions intéressantes entre les profils en ce qui a trait aux niveaux de symptomatologie psychotraumatique et de fonctionnement global ; ce qui ouvre la voie à une meilleure compréhension de l’hétérogénéité de la population psychotraumatique.

Ainsi, il est à penser que les cliniciens auraient avantage à évaluer et à considérer les profils de mentalisation de leurs patients avant de leur offrir des traitements psychothérapeutiques.

Dans cette ligne de pensée et comme il est attendu en fonction de la littérature dans le domaine, il semblerait qu’un style d’attachement «sécure» favorise une meilleure mentalisation par opposition à un style d’attachement insécure.

Par ailleurs et possiblement en lien avec l’aspect «cognitif» de la mentalisation, il semblerait qu’une scolarité universitaire complétée favorise une meilleure mentalisation (de type salutaire) par opposition à une scolarité pré-universitaire (primaire, secondaire ou collégiale).

Finalement et possiblement en lien avec la fonction réflexive et la notion de transmission intergénérationnelle et/ou trans-générationnelle, il semblerait qu’un soutien social à impact négatif favorise une moins bonne mentalisation (défaillante, précaire et mitigée) par opposition à un soutien social «à impact neutre ou positif (salutaire).

Cette étude semble donc confirmer la pertinence de s’intéresser à la mentalisation dans le contexte de la psychotraumatologie et fait progresser la réflexion clinique quant aux avenues thérapeutiques à considérer pour une clientèle souffrante et dans le besoin.

 Les Figures 3 et 4 font état d’un début de réflexion théorique et clinique sur la façon de conceptualiser la mentalisation dans le contexte des psychotraumatismes pour les civils et laisse envisager le travail thérapeutique à accomplir afin de permettre aux victimes d’en arriver à se débarrasser du « non-sens » propre à leur situation traumatique et de là pouvoir cheminer dans leur rétablissement. Les Figures 5 et 6 étendent cette réflexion pour la population militaire et paramilitaire. Finalement, la Figure 7 fait état d’une synthèse des visées thérapeutiques en matière de mentalisation dans le contexte psychotraumatique.

 

Figure 3. Mise en application du concept de mentalisation au contexte des psychotraumatismes « situationnels » chez les CIVILSCapture d’écran 2017-07-20 à 20.06.24

 

Figure 4. Mise en application du concept de mentalisation au contexte des psychotraumatismes « interrelationnels » chez les CIVILS Capture d’écran 2017-07-20 à 20.08.33

 

Figure 5. Mise en application du concept de mentalisation au contexte des psychotraumatismes « situationnels » chez les MILITAIRES ou PARAMILITAIRESCapture d’écran 2017-07-20 à 20.11.51

 

Figure 6. Mise en application du concept de mentalisation au contexte des psychotraumatismes « interrelationnels » chez les MILITAIRES ou PARAMILITAIRESCapture d’écran 2017-07-20 à 20.13.30

 

 Figure 7. Synthèse des visées thérapeutiques en matière de mentalisation dans le contexte psychotraumatique.Capture d’écran 2017-07-20 à 20.15.21

 

 REFERENCES

 Bateman, A.W., & Fonagy, P. (2006). Mentalization-Based Treatment for Borderline Personality Disorder: A practical guide. Londres: Oxford.

Bateman, A.W., & Fonagy, P. (2012). Handbook of Mentalizing in Mental Health Practice. Arlington: American Psychiatric Association.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.