Me Christine Cerrada
avocate au barreau de Paris
INTRODUCTION
Les enquêtes sociales, les rapports sociaux et les expertises judiciaires ont une influence majeure sur les décisions judiciaires, liée au refus du juge d’être informé par les parties (ou sa méfiance).
La CEDH réaffirme régulièrement que les rapports privés doivent être pris en compte, ce qui n’est pas le cas.
Sachons d’emblée que certains recours sont impossibles :
- Pas d’action en diffamation possible (article 41 de la loi sur la presse) puisque ce sont des écrits produits devant les tribunaux.
- Pas d’action en dénonciation calomnieuse car les rapports sociaux sont demandés par le juge.
Les recours prennent du temps et sont sans résultat immédiat, or les familles attendent une réponse rapide dans des situations où l’intérêt supérieur de l’enfant est en cause.
Qu’en est-il dans la pratique judiciaire ?
I- L’ENQUÊTE SOCIALE et l’ENQUÊTEUR
Elles impactent chaque année 200 000 enfants et leurs familles, en pratique uniquement devant le JAF.
1.1- La mise en œuvre
Enquête
– Le juge l’ordonne même d’office.
– Ou en complément éventuel d’une autre mesure d’instruction, s’il s’estime insuffisamment informé.
– C’est une pratique généralisée.
Objectif
– Donner des informations au juge sur la situation de la famille et le cas échéant sur la possibilité de réalisation du projet du ou des parents quant aux modalités d’exercice de l’autorité parentale.
Contenu
– La trame est fixée par un arrêté du 13-1-2011 (nombre d’entretiens, mission, déroulement) pour une enquête idéale (il est rare qu’elle soit aussi idéale dans la réalité.
Enquêteur
– Pas de diplôme d’Etat ou spécialisé (moins de 70 ans et avoir travaillé dans le social et le psychologique est suffisant …)
– Personne de droit privé.
Devoirs
– Mission judiciaire donc : respect de la vie privée, pas de jugement de valeur, obligation de signalement en cas de maltraitance, secret professionnel, porte parole de l’enfant, explication de la mission à l’enfant.
– Il fait un rapport sur ses constatations et propose des solutions.
L’enquêteur est un technicien
– Arrêt C cass du 24.10.1995 n° 94-05-075 (https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007268799).
– Art. 243 CPC : « Le technicien peut demander communication de tous documents aux parties et aux tiers, sauf au juge à l’ordonner en cas de difficulté. »
– Il doit par conséquent être : impartial, avoir une mission précise du juge, ne pas faire des préconisations juridiques (art. 238 CPC).
Il devrait à ce titre respecter toutes les obligations du contradictoire
– Ne pas faire son rapport « seul dans son coin » et associer les parties à tous les stades de son élaboration en veillant au respect strict du contradictoire.
– La CEDH dit « plutôt » oui, mais le droit positif est incertain.
1.2- Les recours contre les enquêtes sociales
Précautions
– les parties peuvent vérifier si l’enquêteur social est inscrit sur la liste des enquêteurs sociaux, au greffe de la Cour d’appel du département, dressée tous les 5 ans : à défaut c’est un motif de désignation d’un autre enquêteur ou d’annulation du rapport.
– les parties peuvent demander un complément d’enquête ou une contre-enquête (en motivant la demande, par exemple : l’ avis de certaines personnes aurait dû être sollicité, mauvaise appréciation de certains éléments, parti-pris) mais le juge peut refuser en motivant son refus (art 1072 CPC)
– les parties peuvent demander le retrait des passages hors mission ou dans lesquels l’enquêteur a fait une évaluation psychologique ou juridique.
– SURTOUT les parties peuvent récuser un enquêteur comme tout technicien : « avant les opérations ou dès que la cause de récusation est connue » (art 234 à 341 CPC).
En pratique :
– L’enquêteur ne prend jamais les considérations et observations des parties, les réclamations, et ne les joint pas à son rapport comme en dispose l’article 276 CPC.
– Il ne respecte pas le contradictoire.
– Les parties ne se font jamais assister par un enquêteur amiable (une assistante sociale par exemple) parce que l’enquêteur social judiciaire le refuse et que le JAF ne l’admet pas ; le recours contre ce refus est théorique car aucun plaideur n’a envie de faire ce bras de fer pour ne pas indisposer le JAF.
1.3- Responsabilité civile
– l’enquêteur social répond de sa faute civile, comme tout un chacun (il a une assurance pour sa responsabilité civile pour les recommandations qu’il donne, son astreinte au secret professionnel, etc.)
– Il convient alors d’établir une faute que n’aurait pas commise un professionnel prudent et diligent, ou un manquement à obligation professionnelle type (secret professionnel) selon la règle de causalité du préjudice.
1.4- Responsabilité pénale : le faux intellectuel
441-1 CP : « Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. Le faux et l’usage de faux sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »
– Plainte simple ou plainte avec constitution de partie civile : en prouvant l’intentionnalité (intention de nuire ou connaissance de la fausseté et la conscience de causer un préjudice) et déterminant un préjudice lié à une perte de chance (la perte de chance étant le fait de perdre la possibilité d’avoir une décision de justice favorable).
II- EN ASSISTANCE ÉDUCATIVE (JUGE DES ENFANTS)
Article 1183 CPC :« Le juge peut, soit d’office, soit à la requête des parties ou du ministère public, ordonner toute mesure d’information concernant la personnalité et les conditions de vie du mineur et de ses parents, en particulier par le moyen d’une enquête sociale, d’examens médicaux, d’expertises psychiatriques et psychologiques ou d’une mesure d’investigation et d’orientation éducative. »
2.1- Instrument privilégié : la MIJE : (circulaire 31-12-2010) qui est une mesure interdisciplinaire
Objectif :
– Recueillir des éléments sur la personnalité du mineur, sur sa situation familiale et sociale et sur le sens des actes qu’il pose ou qu’il subit. Dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative, les informations et les préconisations contenues dans le rapport écrit doivent permettre au juge de vérifier si les conditions d’une intervention judiciaire sont réunies et de proposer si nécessaire des réponses en termes de protection et d’éducation, adaptées à la situation des intéressés. La mise en œuvre de l’investigation produit par elle-même souvent un changement dans les familles …
Au niveau procédural :
– Possibilité de la dire lacunaire et de demander des auditions complémentaires (art 1189 CPC).
– Ecrire au JE pour souligner les erreurs.
– Faire jouer la responsabilité personnelle : s’il s’agit de travailleurs sociaux dépendant de l’ASE ou d’une structure administrative, c’est le tribunal administratif qui est compétent.
– Etablir le contexte judiciaire dans lequel intervient une expertise psychologique ou un rapport social (foyer ou MIJE) contenant des considérations psychologiques : expert psychologue inscrit sur une liste ou psychologue intervenant dans une structure gardienne ou dans le cadre d’une MIJE.
– Un psychologue doit être au minimum être titulaire d’un master 2.
– L’usurpation du titre est punie de 1 an de prison et de 15 000 euros d’amende (art 433-17 CP).
– Il doit être inscrit sur le répertoire ADELI (qui est un fichier automatisé, un système d’information nationale sur les professionnels relevant du code de santé publique, du code de l’action sociale et des personnes faisant usage du titre de psychologue).
– Le numéro ADELI est un numéro de référence pour les salariés et les libéraux.
– Le fichier ADELI est disponible auprès de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales.
– Le rapport d’un psychologue non inscrit sur le répertoire ADELI peut être annulé puisque ses qualifications professionnelles ne peuvent être ni vérifiées ni contrôlées (arrêt CA Grenoble 28-1-2008 N°06-1075)
2.2- Responsabilité civile
– Exemple d’une psychologue condamnée à des dommages intérêts et à la publication du jugement dans un journal parce qu’elle avait émis un avis sur le mode éducatif violent du père qu’elle ne connaissait pas, n’indiquant pas qu’il s’agissait du ressenti de sa cliente, alors qu’elle avait forcément conscience que sa qualification professionnelle donnait une valeur probante importante à ses dires et qu’elle connaissait l’utilisation judiciaire qui en serait faite. C’est une rareté à généraliser …
2.3- Responsabilité pénale : Art. 441-1 CP le faux intellectuel avec la démonstration de l’intention de nuire
III- L’EXPERTISE PSYCHIATRIQUE JUDICIAIRE
Elle est utilisée tant devant le JE que devant le JAF. Il est permis de penser que lorsqu’elle est bien faite – et qu’elle sera largement reprise dans le jugement – elle peut « sauver » de nombreux dossiers assassinés par les rapports sociaux de mauvaise qualité.
3.1- Le recours (contre les mauvaises expertises judiciaires …)
– Demander une contre-expertise.
– Envoi de Dires pour apporter des éléments à l’expert, puis critiques par conclusions en ouverture de rapport.
– Voies de recours ordinaires contre les décisions judiciaires.
– Récusation.
3.2- La responsabilité civile : classique
3.3- La responsabilité pénale
– le faux intellectuel article 441-1 CP.
– et aussi le délit de falsification :
Article 434-20 CP : « Le fait, par un expert, en toute matière, de falsifier, dans ses rapports écrits ou ses exposés oraux, les données ou les résultats de l’expertise est puni, selon les distinctions des articles 434-13 et 434-14, de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ou de sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende ».
3.4- Le meilleur moyen pour éviter une expertise déviante qui se transformera en une décision de justice préjudiciable : se faire assister par un expert amiable de même spécialité
Art 16 CPC : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations».
V- CONCLUSION
Les rapports sociaux judiciaires, que ce soit devant les JAF ou devant les JE sont largement insuffisants, quand ils ne sont pas erronés ou mensongers dans leurs assertions.
Le sacro saint principe du contradictoire, pilier de la procédure civile est peu ou pas respecté malgré les préconisations de la CEDH.
Il est possible de mettre en cause la responsabilité des professionnels missionnés par les juges, devant les tribunaux civils ou administratifs selon leur statut de personne de droit privé ou de personne de droit public, pour leur demander des dommages intérêts.
Il est possible d’attaquer ces professionnels pour faux intellectuel à condition de prouver une intentionnalité qui peut n’être que la conscience de créer un préjudice et la connaissance de la fausseté des affirmations.
En ce qui concerne les travailleurs sociaux et responsables au sens large, en matière d’assistance éducative, ne jamais oublier que l’ASE peut être actionnée en dommages intérêts pour tous les dysfonctionnements : c’est une personne publique, il faut assigner le Conseil départemental devant le tribunal administratif.
Améliorer la pratique et faire des recours : c’est une bataille à mener face à l’insatisfaction croissante de la société civile devant des décisions très souvent injustifiées qui mettent à mal la vie familiale et les droits parentaux, de même qu’elles oublient le mineur victime et ne le protègent pas correctement. Il s’agit en réalité d’une juste lutte pour établir une véritable démocratie judiciaire.