Ces cours, résumés par le Dr Gérard Lopez, ont été donnés à l’Université Paris-Descartes par :
Dr Eugénie Izard, pédopsychiatre, présidente de l’association REPPEA
Dr Maurice Berger, pédopsychiatre
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I. L’ATTACHEMENT (Eugénie Izard)
La théorie de l’attachement développée par John Bowlby, besoin social, primaire et inné, est le produit de comportements infantiles (s’accrocher, sucer, pleurer, sourire) qui ont pour objet la recherche et le maintien à proximité d’une personne spécifique, généralement la mère ou son substitut, qui constitue la base de sécurité du bébé.
Pour Freud, au contraire les besoins primaires sont corporels (faim).
L’attachement est au service de l’autonomie et non de la dépendance.
En 1969, Mary Ainsworth met au point une procédure empirique de séparations et retrouvailles qui permet d’explorer le type d’attachement.
En 1985, Mary Main décrit une quatrième forme d’attachement, dit désorienté-désorganisé qui concerne essentiellement les enfants maltraités : 84% des enfants en protection de l’enfance (Steinhauer, 1996).
Tableau n° 1 : Différentes formes d’attachement
ATTACHEMENT |
CLINIQUE |
Sécure
(Ainsworth, 1969) |
– Non perturbé par la séparation
– Se laisse réconforter par une étrangère bien différenciée de la mère – Retrouvaille sans ambivalence |
Insécure évitant
(Ainsworth, 1969) |
– Indifférence à la séparation (ignorance active et colère ?)
– Evitement du contact lors des retrouvailles (ne compte pas sur sa mère) |
Insécure résistant
ou ambivalent (Ainsworth, 1969) |
– Très perturbé par la séparation (colère, détresse, résistance relationnelle)
– Recherche active de contact, mais cherche à s’en défaire aussitôt tout en protestant si le contact est rompu. |
Insécure désorienté ou désorganisé (Main, Kaplan & Cassidy, 1985) | Retrouvailles perturbés par la peur, la confusion, des comportements opposés simultanés (s’approche en détournant le visage ; mouvement incomplets) |
Séminaire de criminologie, 9 février 2018
Pour Guédeney (2010)
– « (…) L’enfant qui a du chagrin demande à être tout proche de sa figure d’attachement pour être consolé ; ce n’est ni un caprice ni du cinéma. »
– Apaiser le bébé lui permet d’intérioriser de « bons vécus » et renforce son attachement.
– La figure d’attachement est indispensable à la régulation du circuit neurophysiologique du stress.
– Le besoin d’attachement varie en fonction de l’âge, du développement des capacités cognitives et des réponses de l’environnement.
– A partir de 24 mois, le bébé se contente de la certitude que la figure d’attachement est disponible en cas de besoin.
– « L’attachement favorise le développement optimal de la mentalisation. Il s’agit de la capacité humaine essentielle qui favorise les relations sociales. Il s’agit de la capacité de l’être humain à imaginer ce qui se passe dans la tête de l’autre, son état d’esprit et ses émotions, tout en gardant en tête ses propres états d’esprit et émotionnels. L’attachement enfin facilite le développement des compétences personnelles du petit grâce au phénomène de base de sécurité. »
Une fois constituée, la figure d’attachement devient spécifique et irremplaçable.
L’équilibre entre les besoins d’attachement et l’exploration de l’environnement définit la notion de sécurité. L’enfant s’éloigne de sa mère s’il sait qu’elle sera disponible en cas de nécessité, notamment en cas de stress.
II. CONDITIONS POUR DEVELOPPER UN ATTACHEMENT SECURE (Maurice Berger)
Un attachement sécure, garant d’une structuration harmonieuse de la personnalité, nécessite la satisfaction d’un certain nombre de besoins fondamentaux (Tableau n° 2).
Tableau n° 2 : Les besoins fondamentaux d’un enfant
BESOINS A SATISFAIRE |
CONSEQUENCES SI NON SATISFAITS |
Un adulte miroir des émotions du tout-petit (refléter son sourire) | Non reconnaissance des émotions sur les visages d’autrui, violence pour un « mauvais regard ». |
Co-régulation des émotions de colère, peur, tristesse, incluant des câlins. Période cérébrale critique entre 8 et 24 mois | Impulsivité, qui est un cancer dans la vie sociale |
Permanence physique et émotionnelle des personnes
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Non acquisition de la permanence de l’objet (Test de Brunet-Lézine), donc troubles cognitifs majeurs et risque de thada (hyperactivité-attention): https://lyon-sud.univ-lyon1.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1320402928385 |
Vivre dans un monde prévisible : le même signal émis par l’enfant (faim, tendre les bras) produit le même effet: fondement de la capacité d’anticiper | Non construction de la causalité
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Rythme régulier : permet la construction de la temporalité | Non repérage dans le temps
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Stimulations non excessives, dont la période critique 8-36 mois pour l’acquisition du langage | Déficience intellectuelle, retard de langage.
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Soins corporels adaptés avec un plaisir partagé
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Troubles du schéma corporel, de l’image de soi, troubles des apprentissages.
Difficultés de contenir les pulsions en soi |
Besoin de jeu : Permet l’acquisition du faire-semblant, de l’humour, de l’abstraction. Le « comme si » permet de transformer l’agressivité en jeu | On n’a pas joué avec les enfants et adolescents violents lorsqu’ils étaient petits, donc ils jouent « en vrai » : brûler une école pour s’amuser. |
Besoin d’être admiré (émerveillement des parents). Permet la construction de l’estime de soi, la confiance pour explorer le monde. | Absence de curiosité.
Honte face à l’échec.
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Besoin de limites cohérentes : ni excessives ni laxistes, le « non », acceptable par l’enfant seulement sur un fond relationnel de tendresse. |
Incivilité, non respect d’autrui et de la loi
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Besoin d’appartenir à un groupe : indispensable pour la construction de la personnalité | Besoin de se faire adopter par un groupe (de délinquants du quartier, ou groupe idéologique) |
Se sentir pris dans une filiation | Trouble de l’identité |
D’après M. Berger, Audition à la DGSC, 8 Novembre 2016
Satisfaire les besoins fondamentaux de l’enfant est la fonction qui revient aux parents ou à leurs substituts, les « care givers », et plus particulièrement à la figure d’attachement principale (Tableau n° 3).
Ceci pose problème pour la garde alternée systématique des tous petits.
La fonction parentale sécurisante n’est pas forcément liée à la parenté biologique. Le besoin de sécurité affective se situe hiérarchiquement au-dessus des liens du sang et du besoin d’être pris dans une filiation.
Tableau n° 3 : La fonction parentale
1. Assurer les besoins physiologiques et la sécurité physique de son enfant (accident domestique) |
2. Etre capable de se décentrer de soi dans la durée, pendant des années (pouvoir accepter de différer ses désirs) |
3. Etre capable de comprendre les besoins de son enfant petit à partir de l’enfant en soi : l’empathie |
4. Capacité de procurer un contact physique et verbal rassurant et calmant [le câlin (E. Bonneville)] |
5. Avoir suffisamment d’énergie pour se préoccuper de l’enfant problème des parents très déprimés) |
6. Capacité de contenir son propre énervement, son impulsivité, de se retenir |
7. Capacité de poser des limites, donc d’accepter de ne pas être aimé temporairement par son enfant |
8. Avoir un projet d’avenir pour son enfant autre que de le garder près de soi, et envie de le rendre aimable aux yeux des autres (la socialisation) |
D’après M. Berger, Audition à la DGSC, 8 Novembre 2016
CONCLUSION
De nombreuses recherches (Fonagy, 1995) ont souligné les liens qui existent entre certaines psychopathologies de l’adulte et les troubles plus précoces de l’attachement.
D’autres études (Zanarini, 1989 – Liotti, 1999) démontrent que les attachements désorganisés et les expériences traumatiques précoces jouent un rôle dans le développement et la sévérité des troubles limites de la personnalité et des troubles dissociatifs.
Les résultats de The Copenhagen child cohort 2000 (Skovgaard, 2007), réalisée dans un centre pédopsychiatrique universitaire avec utilisation d’outils d’évaluation internationalement reconnus (échelles, grilles, questionnaires, dont la Child Behavior Check List est un des rares outils traduit et validé en français http://www.nglr.fr/images/grandir/outils/CBCLexprimentation.pdf), vont dans ce sens : la fréquence et les caractéristiques des divers troubles psychologiques observés à l’âge de 8 mois se retrouvent chez l’enfant à des âges plus tardifs et sont dépendants de la qualité des relations parents-enfant.
REFERENCES
- Bowlby J. Attachement et perte : Séparation, colère et angoisse. Paris, PUF, 1978
- Fonagy P, Steele M, Steele H., Leigh T. et al. « Attachment, the reflective self, and borderline states », in Goldberg S, Muir R, Kerr J, Attachment Theory : Social, developmental and clinical perspectives. Hillsdale, Analytic Press, 1995
- Guédeney N& Guédeney A. L’attachement : approche théorique. Du bébé à la personne âgée. Paris, Elsevier Masson, 4e éd., 2016
- Liotti G. « Disorganization of attachment as a model for understanding dissociative psychopathology », in Solomon J, George C, Disorganization of attachment. NY, Guilford Press, 1999
- Romano H &Izard E. Danger et protection de l’enfance : dénis et instrumentalisations perverses. Paris, Dunod, 2016
- Skovgaard M. et al. « The prevalence of mental health problems children 1(1/2) years of age – the Copenhagen child cohort 2000 ». J Child Psychol Psychiatry, 48, 2007
- Steinhauer PD. Le Moindre Mal. Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 1996.
- Zanarini M-C, Gunderson J-G, Marino M-F, Schwartz EO. Frankenburg FR. « Childhood experiences of borderline patients ». Comprehensive Psychiatry 30, 1989