SE REPARER ET TROUVER SA MISSION

Randal DO

  • Thérapeute de couple – Sexothérapeute analytique
  • Responsable bénévole Face à l’Inceste
  • Chargée d’enseignement à l’Université de Paris

 

Du plus loin que je me souvienne, le concept du « couple heureux » m’a toujours questionné !

En 1971/72, j’avais 6 ans. Le couple de ma mère était « un couple » hors norme pour l’époque. Nous habitions mes sœurs et moi avec ma mère, en ville, dans un bâtiment privé de 3 étages. Elle vivait une histoire d’amour avec un homme qui a duré 18 ans, avant de se marier avec lui ; il n’a jamais vécu avec nous. Plus tard, quand la relation de ma mère s’est mise à ressembler à celle des couples qui partagent des choses ensemble, comme des repas en famille ou entre amis, cet homme que je ne connaissais pas est devenu notre « Beau-père ».

Je voyais ma mère travailler beaucoup, nous élever, surmonter les difficultés du quotidien, avec la charge mentale toujours, pleurer seule. Je voyais les couples de nos voisins, des hommes et des femmes vivant ensemble, travaillant, faire leurs courses ensemble ; je les entendais quelquefois se disputer ou gronder leurs enfants. Pour moi, cela ressemblait à des couples et des familles « normales ».  Il y avait même un couple d’hommes, et je me souviens qu’ils étaient très gentils avec moi, ils me demandaient toujours comment j’allais lorsqu’on se croisait dans les escaliers, souvent lorsque je rentrais de l’école. Je peux dire aujourd’hui que ce couple ne m’a jamais questionné, ils vivaient ensemble, semblaient heureux ; pour moi, c’était un couple digne de l’être. Dans la rue ou à la sortie de l’école ou dans les magasins, je voyais des couples, majoritairement une femme et un homme, faire des choses ensemble, se tenir la main, s’embrasser dans la rue, « ça se faisait à l’époque », c’était des couples heureux ; en tout cas en apparence !

Mon père était incarcéré et lorsqu’il avait des permissions nous passions le week-end chez ma grand-mère.

Il ne vivait pas en couple. Il y avait souvent des femmes qui venaient le voir, je les croisais vite fait !

Un week-end, j’ai été victime d’inceste par mon père, comme ma sœur ainée, qui s’est suicidée à 24 ans. Le reste de mes souvenirs est resté dans le passé. Ma vie de petite fille, d’ado, de jeune femme et de femme a basculé très longtemps après ça.

Aujourd’hui je suis une militante engagée, responsable de l’Antenne Marseillaise de l’association FACE A L’!NCESTE (ex AIVI), qui à 20 ans d’expertise sur les sujets de l’inceste et de la pédocriminalité en France ; et je suis Ambassadrice pour la région Paca du collectif Solidarité handicap autour des Maladies Rares et Orphelines.

Mon parcours de réparation a démarré vers 40 ans, quelques années après un cancer, des dépressions, des addictions, mais surtout quelques histoires d’amour dysfonctionnelles, destructrices et violentes, où j’ai subi des violences conjugales, des violences psychologiques et financières. Elles ont toujours fini par des séparations. J’ai en partie élevé mes 4 enfants seule, car les hommes de ma vie étaient toujours désengagés, peureux et fuyards. Je ne me suis jamais sentie comprise, aimée et protégée comme une femme heureuse aime l’être ! J’ai souvent été trahie, trompée. Je souffrais de peur de l’abandon, et pour cause !

Un long chemin de conscientisation et de réalisation a été nécessaire pour devenir qui je suis aujourd’hui et pour ne plus avoir besoin d’un homme pour me protéger, me rassurer ; je me réalise.

En 2009, j’ai dû envisager une nouvelle orientation professionnelle alors que je travaillais dans un cabinet médical qui allait fermer. Je savais tout au fond de moi que je voulais travailler auprès des couples, mais par où commencer ?  La vie a fait que j’ai dû commencer par accueillir et travailler mon couple, un couple tout neuf. Aujourd’hui, 10 ans après, je le travaille encore et toujours au quotidien, car un couple se travaille au quotidien et sans relâche. Ce doit-être un travail à deux toujours, sinon comme pour une balance, le poids peut ne se porter que d’un côté ; et cela n’est pas juste ! Je traverse encore des hauts et des bas dans ce couple, mais toujours avec une certitude qui est que je sais qui je suis et ce que je veux aujourd’hui. J’espère, peut-être comme tous les couples qui s’aiment encore (tant qu’il y a de l’amour) et qui se donnent les moyens de rester ensemble. Mais ce qui m’amène ici est un autre sujet !

Mon premier choix professionnel en 2014 fut de choisir la formation de CCF Conseillère Conjugale et Familiale, le programme était intéressant mais au final ne me permettait pas en fin de formation de travailler directement auprès de couples comme un thérapeute peut le faire. J’ai donc fait une formation de Thérapeute de couple en 2018 et j’ai durant 2 ans imaginé comment j’allais pouvoir aider les couples en questionnement ou en difficultés.  J’ai imaginé comment j’aurais aimé que l’on m’aide lorsque j’ai traversé mes échecs amoureux. Je me suis souvent rappelé tous les couples que j’ai croisés enfant et ado, comme ils semblaient heureux en apparence ! J’ai appris plusieurs formes de thérapies durant la formation.

J’ai décidé de faire un mix de toutes ces pratiques et de proposer aux personnes ce qui s’adapte au mieux à leurs personnalités, leurs habitudes, leurs croyances en matière de vie a deux et pour directement identifier avec eux plus clairement et conjointement leurs problématiques. C’est ce que j’ai souvent espéré lorsque je rencontrai des thérapeutes mais ça n’a jamais été le cas, je me souviens avoir rabâché mon histoire plusieurs fois pour rien. Trouver et choisir son thérapeute est une question de feeling et ensuite de confiance.

A mon installation en cabinet en janvier 2019 dans ma ville de Port de Bouc, j’ai travaillé sur la création de thérapies de couple spécifiques, des thérapies sur mesure tous simplement parce que je ne peux envisager de mettre des personnes dans un moule, des cases, des grilles de comparaisons ! Personnellement je n’aurais pas accepté ces méthodes généralistes.

Dans ma pratique, j’ai décidé de faire connaissance avec le couple à travers 4 rendez-vous, le 1er avec le couple. La première rencontre est importante, elle me permet d’accueillir les personnes dans un lieu confortable et agréable, sans jugement et bienveillant. Je les invite à s’accorder un espace de parole, libre, personnel, mais malheureusement souvent non sans heurts. Ensemble, nous convenons d’un premier bilan « de surface ».

Parce qu’en pratique, les personnes sont dans la retenue, la gêne parfois ; ils se livrent avec parcimonie. D’autres, par contre, se livrent sans aucune retenue et les sujets de dispute fusent dans tous les sens !  Cela m’est arrivé quelquefois dans le cadre d’une thérapie brève que j’ai nommée « La thérapie d’encouplement », (en-couplement un concept du philosophe Vincent Cespédès qu’il travaille lui à contre sens) ; elle vient questionner le « futur » couple plus précisément, plus intimement que pourraient le faire les prêtres ou les curés pendant les séances (6 à 8) de préparation au mariage. Bien sûr alors et sans surprise, je remarque donc qu’avant le mariage, des couples se disputent vigoureusement sur divers sujets ! J’aime beaucoup cette thérapie brève lorsque les « futurs » couples se saisissent de ce que j’ai mis en œuvre pour les aider à « mieux vivre ensemble ».

le 2ème RDV avec Madame et le 3ème avec Monsieur, je questionne et nous échangeons sur l’éducation vécue, sur les choses que la personne à transportées, copiées de ses parents dans sa vie, dans son-ses couples ou en tant que parent, que reste-t-il de l’enfance ?, les habitudes, les sentiments, l’arrivée des enfants, leurs éducation ou leur garde (lorsqu’il y a eu séparation de la mère), la charge mentale, les peurs aussi et d’éventuelles maltraitances actuelles ou subies dans l’enfance, et d’autres choses selon la personne… (je questionne les violences sexuelles en amont à travers un questionnaire).`

Puis un 4ème rendez-vous ou le couple revient avec une décision commune d’entrer en thérapie pour plusieurs mois ou pas !

Quelquefois, des couples saisissent dans ces 4 entretiens des pistes, des fils, les réponses à leurs questions, ou simplement réalisent qu’ils ne sont pas autant en crise que ça, qu’il existe plusieurs solutions à un problème, que ce n’est pas aussi grave qu’ils le pensaient. Ils réalisent aussi combien leurs sentiments et leur amour sont toujours là pour continuer ensemble et ils décident de ne pas poursuivre sur l’idée d’une thérapie. Je respecte leur choix bien évidement et espère qu’ils vont continuer ensemble à construire leur couple et surtout être heureux. Beaucoup d’autres choisissent d’entrer en thérapie, de s’engager à travailler pour consolider ou reconstruire leur couple. Le travail avec eux est toujours une source de découverte et surtout de réalisation. Je réalise ma place dans cette pratique, je m’y sens très bien.

Chaque couple rencontré reste une découverte car je sais depuis que je suis enfant que chaque personne est unique et particulière, bonne ou mauvaise ; le couple est ainsi aussi. Quelques-uns d’entre eux continuent à venir régulièrement pour faire un point, poser des questions ; et d’autres pas. J’apprends quelques séparations. Puis quelquefois des retrouvailles ; les sentiments et l’amour cela ne se commandent pas !

Ce qui ne change pas dans ma pratique ce sont les questions en lien avec la sexualité, pour très peu d’entre eux alors qu’ils semblent être en vive crise, il ou elle exprime des peurs comme la peur de l’abandon, la peur d’être trompé, mais pourtant vivent une sexualité épanouie et diversifiée. Ces couples là en général vivent plusieurs séparations, ils restent figés l’un et l’autre dans leurs certitudes, leurs croyances personnelles. Puis se retrouvent et ainsi de suite. La vie à deux au quotidien semble une réelle gageure, alors que souvent je suggère de faire des choses nouvelles, de pimenter le quotidien avec divers exercices, pour partager des choses à deux, porter attention à l’autre, ces gages ne sembles pas réellement compris !

Pour la majorité des couples « en crise » la sexualité est un problème, plus ou moins important. Pour la femme, tant qu’elle n’a pas résolu ses problèmes, trouvé des réponses à ces questions, y compris les comportements de l’autre, elle n’ira pas bien et ne sera pas disposée à se laisser aller à avoir un rapport sexuel serein.

Malheureusement, je rencontre aussi des femmes qui subissent des viols conjugaux. L’homme pense bénéficier « du devoir conjugal », un concept illégal qui s’est installé confortablement depuis des siècles dans les pensées de certains hommes ! Un gros travail se devine alors lorsque je suis confrontée à ce fléau ; autant pour la femme qui subit sans comprendre qu’elle est maltraitée et violée que pour l’homme qui possède sa femme et pense être dans son bon droit !

C’est pour cela que j’ai complété ma pratique avec une formation de Sexothérapeute analytique à la I-faculté EFPP d’Aix-en-Provence.

Malheureusement, la situation sanitaire, médico-sociale, professionnelle et financière que nous traversons depuis plusieurs mois plonge les personnes et les couples dans une insécurité totale. Les enquêtes et bilans sur les personnes et les couples sont dramatiques ; nombreux d’entre eux perdent littéralement le sens des priorités dans leur vie ! Avez-vous une idée de vos priorités de vie, de couple et enfin familiales ? J’ai toujours cru en ces priorités de vie, si importante à l’équilibre pour soi, pour le couple et la famille.

La santé mentale des personnes est mise à mal et les cas de maltraitances, de violences intrafamiliales et de violences sexuelles sur mineurs (inceste et pédocriminalité) se sont multipliés significativement. C’est dramatique.

La situation m’inquiète d’autant plus qu’elle n’est pas près de se stabiliser et me met directement en danger professionnellement et moralement, c’est sûr !

Il reste, comme on le voit partout, la solution du télétravail, mais très peu de couples ont adopté cet outil pourtant formidable, « la téléconsultation », pour mettre en place leurs suivis ou pour une thérapie de couple. Elle fonctionne très bien pour les généralistes et autres spécialités qui ne nécessitent pas forcement une présence physique permanente. Je l’utilise à travers le réseau QARE et invite les couples en questionnement à faire l’expérience de la consultation confortable, installés dans le canapé, à domicile ou ailleurs ! Je pense sincèrement que mes thérapies sont évolutives, mouvantes, constructives, valorisantes, respectueuses, bouleversantes, émouvantes, révélatrices et j’en suis si fière.

A chacune des thérapies réussies, je suis remplie de plein de satisfactions et la première est de voir peu à peu des personnes malheureuses se transformer en personnes heureuses parce qu’elles ont enfin capté où étaient leurs priorités de vie.

Avons-nous d’autres choix pour l’instant que de nous regrouper pour partager les charges, faire vivre un lieu de travail opérationnel, se serrer les coudes, se servir des outils qui fonctionnent et les moderniser. S’entraider et faire au mieux pour tout le monde ?

NOTES

Vincent Cespédès Philosophe : https://fr.wikipedia.org/wiki/Vincent_Cespedes

Source : La génération qui parle : https://lagenerationquiparle.com/2021/01/05/se-reparer-et-trouver-sa-mission/

Les commentaires sont fermés