NOTES DE LECTURE
Louis CROCQ, 16 leçons sur le Trauma, Paris, Odile Jacob, 2012
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Après les « Troubles psychiques de guerre (1999) » et les « Seize leçons sur le trauma (2012) », le Général Louis Crocq se livre à une intéressante analyse historique des théories des aliénistes du début du XXème siècle, confrontés aux troubles « psychiques de guerre » à l’occasion des commémorations du centenaire de la « Grande Guerre ». Cet excellent essai d’histoire de la médecine commence par de poignantes vignettes cliniques tirées de la littérature de l’époque. S’appuyant sur une bibliographie « (…) de 800 publications au moins (p 176) »,anglo-saxonnes, françaises, allemandes, russes et italiennes dont il tire le meilleur parti, l’auteur met en scène tous les grands aliénistes français (Briquet, Charcot, Janet, Babinski, Pierre Marie, Dumas & Aimé), anglais (Myers, Da Costa, Smith & Pear), allemands (Oppenheim, Simmel, Birnbaum, Freud, Ferenczi), etc. Il passe en revue les différents diagnostics qui furent affublés aux soldats terrassés par la frayeur : hypnose des batailles ; confusion mentale de guerre ; « shell-shock » ; syndrome des traumatisés du crâne » de Pierre Marie (1916), entité toujours à l’ordre du jour ; anxiété, neurasthénie et hystérie de guerre ; théorie freudienne : les névroses de guerre résultant, selon Freud, de la « tendance inconsciente du soldat à se soustraire aux dangers du combat, source d’angoisse pour sa propre vie et de hérissement à l’idée de devoir tuer les autres (p 132) ».Il revient sur les risques de simulation, mais surtout sur la façon dont furent traités ces authentiques blessés : « (…) s’il y eut des médecins de poste de secours et des psychiatres de centres de neurologie de la zone des armées pour offrir une écoute compréhensive à la plainte du soldat traumatisé, il y en eu d’autres malheureusement, qui se montrèrent très zélés dans le dépistage de la simulation et qui furent systématiquement soupçonneux, durs et inhumains à l’égard des blessés psychiques qui échouaient entre leurs mains (p 114) ». Certains traitements comme l’hypnose, les thérapies sous narcose ou ceux inspirés de la psychanalyse furent utilisés, mais d’autres infligèrent des traitements inhumains aux « simulateurs », « exagérateurs » et autres « préservateurs » : isolement, diète rigoureuse et purgation, méthodes contre suggestives, voire aversives douloureuses (choc électrique) selon la méthode « psycho-électrique rééducative » de Gustave Roussy. Certains médecins durent s’expliquer devant les tribunaux militaires.
En humaniste, le Général Crocq conclut son livre par ces mots : « (…) cette première Guerre Mondiale aura laissé des séquelles psychiques douloureuses et durables chez bon nombre d’anciens combattants qui les garderont secrètes par pudeur, par honte ou parce qu’ils se rendaient compte que personne (…) ne pouvait les écouter ni les comprendre (p 172). » Il parle d’une « humanisation progressive de la relation thérapeutique » dont le décret du 10 janvier 1992 déterminant les règles et barèmes pour la classification et l’évaluation des troubles psychiques de guerre, constitue le point d’orgue.
Ce livre fera date dans l’histoire de la médecine. Il est un plaidoyer pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Rappelons qu’à la suite du rapport d’Antoine Prost, (2013), la balle est dans le camp du Président de la République qui pourrait également forger sa décision en lisant votre livre.